Mettre nos énergies en commun

La
mise en place d'une approche collective de la sécurité énergétique, qui
devrait aboutir à terme à une véritable solidarité européenne dans ce
domaine, patine. Quels sont selon vous les principaux obstacles ?
Comment est-il possible de les surmonter ?

Madame le Député européen Dominique Vlasto, membre de la Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, nous répond.

La
sécurité énergétique est devenue un véritable enjeu, en particulier
pour les économies qui dépendent majoritairement des énergies fossiles
(pétrole, gaz naturel et charbon) et des importations d'énergie. C'est
exactement le cas de l'Union européenne, qui consomme beaucoup
d'énergie, produit peu et importe énormément. Dès 2000, dans son Livre
vert sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique, la Commission
européenne relevait que si aucune mesure n'était prise, la dépendance
énergétique européenne atteindrait 70% en 2030 (contre 50.5%
aujourd'hui).

L'Union européenne a donc décidé de réagir pour
renforcer la solidarité européenne dans le domaine de l'énergie. Si les
obstacles sont nombreux, je note que depuis ce Livre vert, soit en à
peine huit ans, les progrès ont été réels et concrets.

Avec l'augmentation du prix du baril de pétrole en toile de fond (en 2000, le baril était à 20 dollars contre plus de 130 dollars aujourd'hui) et malgré une situation internationale difficile (guerre
en Irak, crise iranienne sur le nucléaire, nationalisation de sociétés
pétrolières au Venezuela et en Bolivie, ouragan Katrina qui a détruit
10% des capacités de raffinage aux États-Unis
), les États européens se sont entendus sur une approche énergétique commune.

À la base de cette stratégie, il y a un réel pragmatisme, qui tient en une question : comment faire baisser la facture énergétique européenne ? Et la réponse s'est imposée tout aussi simplement : il faut acheter moins cher et/ou consommer mieux.

Je
crois que c'est ce principe de réalisme et cette modestie dans
l'approche qui ont permis de surmonter plusieurs obstacles pour arriver
à une politique énergétique beaucoup plus européenne qu'il n'y paraît :

• Acheter moins cher notre énergie :

Pour commencer, cela implique d'en produire davantage nous-mêmes
afin d'importer moins. Pour cela, l'Union européenne développe
l'utilisation des énergies renouvelables puisque ce sont les seules
sources d'énergie dont nous disposons. L'éolien et le solaire
permettent de produire de l'électricité; La biomasse et la cogénération
permettent de produire de la chaleur; Les biocarburants, dont
l'efficacité doit être améliorée et l'utilisation mesurée, permettent
de réduire la part fossile dans les carburants. L'objectif de porter à 25% la part des énergies renouvelables dans notre bouquet énergétique d'ici 2020 est un choix qui témoigne de l'approche européenne sur ces questions.

Il faudrait également renforcer le dialogue avec les pays producteurs
d'énergie et définir de véritables stratégies dans le temps pour
sécuriser nos importations. C'est certainement cet aspect qui est le
plus délicat à mettre en place. Les États-membres ont chacun des
traditions diplomatiques, des liens privilégiés avec certains pays et
des intérêts parfois divergents. Il est donc complexe de définir pour
27 pays une stratégie commune vers des pays aussi nombreux et
différents que ceux de l'OPEP, la Russie, l'Algérie, la Norvège, etc.
D'ailleurs parler d'une seule voix en matière d'énergie ne suffit pas :
il faut également s'engager sur des quantités précises par le biais de
contrats à long terme, investir dans des infrastructures d'acheminement
de l'énergie très couteuses (oléoducs, gazoducs, terminaux GNL),
négocier avec les compagnies productrices et les gouvernements des pays
producteurs. S'agissant de négociations stratégiques et commerciales,
il est difficile de partager certaines informations ou de négocier à
plusieurs. Je crois que là résident les obstacles les plus sérieux à
une approche collective européenne. Il faut toutefois rester réaliste :
si la coordination européenne s'améliore et si nous sommes partenaires
dans certaines négociations, je n'imagine pas la Commission européenne
négocier en lieu et place des États-membres. Je ne crois d'ailleurs pas
qu'elle le pourrait puisqu'elle ne dispose ni des moyens humains ni de
la crédibilité économique nécessaires.

• Mieux utiliser l'énergie :

De
la même manière, on peut réduire sa facture et sa dépendance
énergétique en utilisant mieux l'énergie. L'Union européenne s'est
engagée dans un vaste chantier de réduction de la consommation d'énergie et
d'augmentation de l'efficacité énergétique, notamment dans les grands
secteurs énergivores comme les bâtiments et les transports. Là-encore,
toutes les décisions sont prises au niveau européen et, du plan
d'action pour l'efficacité énergétique jusqu'à la
directive sur la performance énergétique des bâtiments, les
institutions européennes jouent pleinement leur rôle et arrivent à des
résultats concrets. Je rappelle que ces initiatives contribuent
également à réduire nos rejets de CO2, contribuant par là-même à un autre objectif européen : réduire d'au moins 20% ces rejets d'ici 2020.

Enfin, la sécurité énergétique dépend du fonctionnement des marchés de l'énergie.
Nous examinons en ce moment deux directives et trois règlements sur
l'organisation du marché européen du gaz et de l'électricité. Il s'agit
de renforcer les interconnexions entre pays européens et d'augmenter la capacité du réseau
pour répondre à la hausse de la production d'énergie renouvelable en
Europe. Si un black-out survient dans un État-membre, la solidarité
européenne doit pouvoir jouer et de l'énergie pouvoir être acheminée
rapidement d'un État à l'autre. La France par exemple, qui produit une
grande part de son électricité à partir du nucléaire, a des capacités
suffisantes pour pouvoir répondre en urgence à un besoin en électricité
chez ses partenaires. Si cela est encore difficile à faire aujourd'hui,
c'est parce que nos réseaux sont insuffisamment reliés et qu'il n'y a
pas de gestion du réseau au niveau européen. Cela doit changer car
c'est une condition essentielle de la sécurité énergétique et nous
allons y répondre, en encourageant l'investissement et en créant un
régulateur européen. C'est ce que nous sommes en train de faire au
Parlement européen, où les députés européens travaillent sur un cadre
règlementaire européen pour que les marchés de l'énergie soient
efficaces et concurrentiels.

Pour ces raisons, je crois que
l'approche européenne patine moins qu'on ne le croit et que par son
pragmatisme et des objectifs précis, l'Union européenne est en train de
surmonter les principaux obstacles, politiques et autres. C'est du
reste la méthode que Robert Schuman avait utilisé en son temps et dont
nous avons toujours à apprendre.

pagerank