L’Union européenne et l’OMC

Les échanges vifs entre Nicolas Sarkozy et
Peter Mandelson, commissaire au commerce ont été l'occasion de rappeler
que la Commission européenne avait reçu un mandat des États membres
pour négocier avec l'Organisation Mondiale du Commerce. Un tel mandat
était-il nécessaire? Ne risque-t-il pas de léser un État membre? Les
déclarations du président français n'affaiblissent-elles pas la
position de l'UE et au-delà de la France? Quels sont les enjeux
commerciaux de ces négociations ?

Monsieur le Député européen Jean-Pierre Audy, membre suppléant de la commission du commerce international nous répond.


Le mandat donné par le Conseil à la
Commission européenne est non seulement nécessaire, mais c’est une
obligation issue des traités ; notamment le point 3 de l’article 1331
du traité instituant la communauté européenne (TCE) qui prévoit que les
accords commerciaux avec un ou plusieurs États ou des organisations
internationales doivent être négociés par la Commission qui doit
présenter ses recommandations au Conseil ; lequel l’autorise à ouvrir
les négociations. Ce mandat ne peut léser un Etat membre car le Conseil
et la Commission, toujours en application du même article 133 du TCE,
veillent à ce que les accords négociés soient compatibles avec les
politiques et règles internes de la Communauté. Ces négociations sont
conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial
désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche et dans le
cadre des directives que le Conseil peut lui adresser. La Commission
fait régulièrement rapport au comité spécial sur l’état d’avancement
des négociations.

Les déclarations du
président de la République française n’affaiblissent pas les positions
de l’Union européenne ; bien au contraire elles les renforcent. En
effet, il est important que l’Union européenne et, plus généralement,
nos partenaires commerciaux, sachent qu’il y a un "patron" qui décide.
Il faut reconnaître qu’une des caractéristiques de la personnalité de
Peter Mandelson est que c’est un "personnage" difficile à commander –
et dans l’architecture juridique européenne, l’entité qui décide, c’est
le Conseil et non le commissaire. Je termine ce point institutionnel en
précisant qu’en fait le pouvoir appartient au Conseil (sous entendu
"des ministres du commerce") et non au Conseil européen. Cette
situation montre l’ambiguïté qui peut surgir aux yeux de nos
concitoyens entre le Conseil européen qui rassemble les chefs des Etats
membres et le Conseil (sous entendu "des ministres") qui rassemblent
les ministres selon les sujets et les compétences de l’Union. Ce
dossier, comme beaucoup d’autres, montre l’urgence d’avoir rapidement
une présidence stable de l’Union européenne prévue dans le traité de
Lisbonne.

L’enjeu de ces négociations est
de se mettre d’accord sur des règles de fonctionnement du commerce
international. Elles sont basées sur la Déclaration de novembre 2001 de
la quatrième conférence ministérielle qui s'est tenue à Doha, au Qatar,
et qui établit le mandat de l’OMC sur divers thèmes et prescrit
d'autres travaux. Parmi ces négociations figurent notamment celles qui
ont trait à l'agriculture et aux services, qui ont commencé au début de
2000. Le mandat original a été affiné par les travaux menés à Cancún en
2003, à Genève en 2004 et à Hong Kong en 2005. Le système commercial
multilatéral qu'incarne l’OMC a largement contribué à la croissance
économique, au développement et à l'emploi tout au long des 50
dernières années. Les gouvernements des États membres de l’OMC, compte
tenu en particulier du ralentissement économique mondial, sont résolus
à poursuivre le processus de réforme et de libéralisation des
politiques commerciales, faisant ainsi en sorte que le système joue
pleinement son rôle pour ce qui est de favoriser les échanges, la
croissance et le développement. Ils ont réaffirmé donc avec force les
principes et objectifs énoncés dans l'Accord de Marrakech instituant
l'OMC et se sont engagés à rejeter le recours au protectionnisme.

Concernant
l’échec des négociations, la présidence française a eu raison de
considérer qu'un accord n’était pas acceptable en l’état, dans la
mesure où il ne comportait aucune avancée significative sur des
éléments essentiels, en particulier la protection des appellations
d’origine et la défense des intérêts industriels européens face aux
grands pays émergents.

Il est heureux que
l'agriculture n'ait pas été sacrifiée comme variable d'ajustement dans
une négociation mondiale dont l'ambition en matière de commerce
international a, à l'évidence, été surestimée tandis qu'ont été
sous-estimées les capacités économiques, diplomatiques et, au fond,
politiques des pays en voie de développement (Chine, Brésil, Inde,
Mexique, etc.). A mes yeux, l'OMC a oublié son mandat de départ qui
était un agenda de développement. Les premières victimes de cet échec
seront les pays les moins avancés.

Ceci
dit, je ressens un immense regret sur le fait que l'approche
multilatérale du commerce international soit mise à mal. Au moment où
la planète se complexifie et traverse une crise de confiance, alors que
les perspectives de croissance et, donc, de progrès social sont fortes,
il était très important de conserver cette dimension multilatérale du
commerce international qui fait partie des valeurs défendues par
l'Union européenne, contrairement à d'autres régions du monde qui
privilégient le commerce bilatéral – dont on sait qu'il contient la loi
du plus fort et qu'il va à l'encontre des nécessaires solidarités
mondiales. La montée des égoïsmes nationaux et catégoriels rend,
aujourd'hui, tout projet collectif très difficile, notamment sur le
plan international.

Il faut, néanmoins,
souligner que l'échec des négociations de juillet n'est pas imputable
aux Européens mais à un désaccord entre l’Inde et les USA sur une
clause de sauvegarde agricole.

Sur le plan
institutionnel, je tiens à rappeler que le traité de Lisbonne accorde –
une fois de plus ! – des pouvoirs plus étendu au Parlement européen,
c'est-à-dire aux représentants des citoyens de l'Union, de part
l'obligation pour la Commission européenne de faire rapport au
Parlement sur l'état d'avancement des négociations. Par ailleurs, le
traité de Lisbonne étend la codécision pour les mesures définissant le
cadre dans lequel est mise en œuvre la politique commerciale commune.

En
tout état de cause, il est nécessaire que l’Union européenne puisse
s'exprimer d'une seule voix dans ces négociations complexes, où les
accords s'obtiennent de haute lutte, quand ils n'échouent pas comme
nous avons pu le voir en juillet dernier. Il nous faut un négociateur
unique, mais la définition du mandat par les traités demeure floue :
ainsi ne sont pas prévus les cas où le Conseil estimerait que le
commissaire a outrepassé le mandat qui lui avait été accordé, ou la
possibilité, pour le Conseil, de retirer son mandat de négociation à la
Commission.

Le négociateur doit avoir une
marge de manœuvre à l'intérieur de son mandat : l'Union européenne est
faite de consensus et de concessions, ce qui est aussi le cas à l'OMC.
Ce qui n'est pas acceptable, c'est que le négociateur tire parti de la
liberté que lui donne son mandat pour orienter la négociation dans une
direction non acceptée, par pure idéologie et non en recherchant un
consensus maximal.

Cette orientation de
Peter Mandelson a déjà été critiquée de toute part : de nombreux
Parlementaires ont déclaré que Peter Mandelson était "incontrôlable" –
alors que, dans l'ordre juridique européen, la Commission devrait être
au service du Conseil et du Parlement ! Je note également la
désinvolture avec laquelle Peter Mandelson traite le Parlement
européen, notamment durant ses présentations devant la commission du
commerce international, dont je suis membre, où il nous affirme avec
mauvaise foi que ses relations avec la présidence française sont
"excellentes". Même au sein de son équipe, un directeur général au
commerce aurait été récemment surpris
en train de le décrire comme un "visionnaire qui n'écoute pas", qui a
accumulé les erreurs jusqu'à "effrayer les États-membres" .

Que
Nicolas Sarkozy, président en exercice de l'Union européenne, rappelle
au commissaire qu'il doit s'en tenir à son mandat n'a rien, vu ce
contexte, de révolutionnaire ou de choquant. Peter Mandelson, au lieu
de se draper dans une indépendance dont il ne peut se targuer, aurait
dû, a minima, accepter le débat, dans lequel il aurait eu une place
centrale. S'il est évident que ces négociations difficiles doivent
demeurer confidentielles, les grandes orientations politiques devraient
êtres discutées publiquement. Il n'est pas normal que la presse ou les
milieux européens crient au scandale à chaque fois que sont critiqués
Peter Mandelson, Charlie Mac Creevy, ou encore Jean-Claude Trichet, par
ailleurs eux-mêmes notoirement fermés au débat. Toute responsabilité
dans l'espace public doit avoir pour contrepartie l'obligation d'en
rendre compte, selon un mode approprié – y compris en matière
commerciale. C'est l'absence de débat, et non le débat, qui est
préjudiciable.

La BBC
a annoncé ce vendredi 3 octobre le départ de Peter Mandelson de la
Commission européenne, qui rejoindrait le gouvernement britannique
travailliste de Gordon Brown, ce qui a surpris plus d'un commentateur,
tant les relations entre les deux hommes sont notoirement mauvaises.

Je
ne regrette pas son départ, même s’il faut reconnaître que Peter
Mandelson est un redoutable négociateur qui sera, de ce point de vue,
difficile à remplacer.

L’avenir des
négociations est très largement lié aux situations politiques aux USA,
en Europe et en Inde et, ce, dans l'incertitude créée par les élections
américaines, les élections européennes qui renouvelleront le Parlement
européen et la Commission, et dans un contexte de crise financière
mondiale.

Je termine en soulignant
l’urgence que nous avons, au sein de l’Union européenne, à nous doter
d’institutions réformées avec le traité de Lisbonne, notamment avec une
présidence stable et davantage de démocratie avec l’augmentation des
pouvoirs des parlements européen et nationaux. A cet égard les trois
événements que sont l’échec des négociations devant l’OMC, le départ de
Peter Mandelson, et la gestion des crises militaire (Caucase) et
financière ont montré aux citoyens le rôle protecteur de l’Union
européenne dans une planète qui se complexifie. Cela pourrait être des
éléments nouveaux depuis le référendum irlandais, permettant d’espérer
une modification des opinions publiques, et pouvant justifier une
nouvelle consultation du peuple irlandais sur le traité de Lisbonne.


1: L'article 133 stipule notamment que :

3.
Si des accords avec un ou plusieurs États ou organisations
internationales doivent être négociés, la Commission présente des
recommandations au Conseil, qui l’autorise à ouvrir les négociations
nécessaires. Il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à
ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et
règles internes de la Communauté. Ces négociations sont conduites par
la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le
Conseil pour l’assister dans cette tâche et dans le cadre des
directives que le Conseil peut lui adresser. La Commission fait
régulièrement rapport au comité spécial sur l’état d’avancement des
négociations.

L'Atelier Europe remercie chaleureusement Monsieur le Député européen pour sa participation aux Lundis de l'Europe.

Nous vous invitons à le retrouver sur son site.

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