Les Européens en Libye : pas d’armée, mais des divisions

La Libye, un enjeu majeur

La Libye est un des principaux États frontaliers de l’Union européenne. Sa longue façade méditerranéenne borde sur plus de 1 000 kms la voie maritime entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Son territoire constitue une des grandes voies de transit depuis l’Afrique, notamment pour les migrants. Enfin, la Libye était jusqu’à ces dernières semaines un des principaux fournisseurs pétrolier et gazier de l’UE : en 2010, 85% des exportations pétrolières libyennes, et la quasi-totalité des exportations gazières, étaient destinées à l’Europe.
La Libye constitue donc à tous égards un enjeu stratégique essentiel pour les Européens. Et la crise libyenne a parfaitement mis en lumière les rouages de la politique étrangère européenne, tel que redéfinis par le traité de Lisbonne.


L’Europe mobilisée …

Les institutions communautaires, le président du Conseil, Herman van Rompuy, et la Haute Représentante pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, ont été étroitement associés au volet diplomatique de la crise. Les deux dirigeants ont notamment pris part aux conférences de Paris (19 mars) et Londres (29 mars), visant à préparer une future transition politique en Libye. En outre, l’exécutif européen a pris une série de mesures, dont les plus importantes sont le déblocage de 30 millions d’euros pour l’aide humanitaire, la mise en place d’une mission Frontex de surveillance des frontières maritimes, un embargo sur les armes et les revenus pétroliers à destination du régime du colonel Kadhafi, et le gel des avoirs personnels et officiels des principaux dirigeants libyens. Le Conseil a également autorisé le déploiement d’une mission armée de soutien aux opérations humanitaires, baptisée EUFOR Libya. Toutes ces mesures répondent sans aucun doute aux intérêts des Européens. Elles expriment en tout cas une position claire sur une crise internationale majeure, et constituent en outre une politique de défense du territoire européen contre une possible contagion de la violence.

… mais l’Europe divisée …

En revanche, l’Union européenne n’a joué et ne jouera aucun rôle dans la conduite de la guerre, celle-ci demeurant la prérogative exclusive des États membres. Conséquence inéluctable, le volet militaire de la crise a fait voler en éclat l’unité européenne et engendré une série d’accidents diplomatiques. La collision la plus spectaculaire a eu lieu le 17 mars. Ce jour là, pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, l’Allemagne et la France se sont retrouvées sur des positions antagonistes au Conseil de Sécurité, Berlin refusant de soutenir la résolution, préparée en grande partie par la France (et le Royaume-Uni), autorisant l’intervention armée en Libye. Quelques jours auparavant, la décision de la France de reconnaitre unilatéralement le Conseil national de transition basé à Benghazi avait été également rejetée par l’Allemagne, ainsi que par la plupart des Etats de l’UE. Sur le bien-fondé de l’intervention militaire et les suites à donner à celle-ci, les vues des gouvernements européens demeurent extrêmement diverses. L’Italie, concernée au tout premier chef par l’impact de la guerre en Libye, a d’abord tenté de négocier avec le colonel Kadhafi, avant de reconnaître à son tour le Conseil national de transition et d’appeler ses alliés à armer la rébellion. Cette dernière position continue de susciter l’opposition résolue de l’Allemagne et de la plupart des États membres. Le Royaume-Uni et la France, pour leur part, gardent comme objectif la chute du pouvoir en place et son remplacement par un régime plus représentatif.

… et sauvée par son alliée

Ces divergences intra-européennes n’ont eu aucun impact sur le déroulement de la guerre, celle-ci ayant été conduite initialement par les Etats-Unis, puis par l’OTAN. Le rôle prépondérant des forces américaines a officiellement pris fin début avril ; en pratique, les Américains continuent d’apporter à leurs alliés, européens et arabes, un soutien logistique décisif. Ce soutien, ainsi que l’intervention militaire elle-même, sont aujourd’hui appelés à durer. De manière significative, la France, initialement hostile à l’engagement de l’OTAN, appelle aujourd’hui les alliés atlantiques à accroître leur effort de guerre. Face aux réticences ou à l’opposition d’une majorité d’Etats européens, et alors que s’éloigne la perspective d’une résolution du conflit, l’implication de l’Alliance atlantique et des États-Unis semble en fait plus que jamais indispensable. L’intervention en Libye ne pourra se prolonger qu’au prix d’un engagement durable de Washington – au détriment d’une solution européenne aujourd’hui inexistante.

La guerre de Libye révèle ainsi la réalité et les limites de la politique étrangère de l’Union européenne depuis le traité de Lisbonne. L’Europe apparait aujourd’hui comme une puissance capable d’exprimer une position sur les grands problèmes mondiaux et de définir un certain nombre d’intérêts défensifs, en lien notamment avec la sécurité de son territoire et la défense de ses valeurs. Elle reste en revanche incapable de promouvoir des intérêts offensifs, en particulier si ceux-ci impliquent une quelconque épreuve de force. Elle demeure trop divisée pour pouvoir espérer imposer sa volonté aux événements, auxquels elle ne peut que réagir. Enfin, quel qu’en soit le prix pour son indépendance, elle n’envisage pas de renoncer au bénéfice de la force armée américaine, tant celle-ci lui offre de facilités pour mener à bien des opérations nécessaires à ses intérêts, mais dont elle ne souhaite assumer ni les coûts, ni les risques. En somme, l’Europe est aujourd’hui aux premières loges de l’Histoire; il faudra encore très longtemps avant qu’elle ose monter sur la scène.

QP

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