Pour l’euro – réponse aux contempteurs de la monnaie unique

Un nombre croissant de voix se fait entendre pour appeler à une sortie de l’euro et à un retour au franc, qu’il s’agisse des hérauts de cette cause (Le Pen, Dupont-Aignan), d’économistes en mal d’audience (Saint-Etienne, Sapir) ou de pamphlétaires interlopes (Todd), taxant ses partisans de dogmatiques, mais arrêtant le plus souvent là leur analyse. Essayons justement de pousser cette analyse un peu plus loin.

Tout d’abord, les contempteurs de la monnaie unique comparent en général les avantages et les inconvénients respectifs liés à une monnaie européenne et à des monnaies nationales. Ce faisant, ils présupposent que supprimer l’euro (et retourner au franc) est l’opération symétrique du passage du franc à l’euro, comme si la France pouvait revenir à la situation de 1999 en refermant de manière quasiment neutre la parenthèse de l’euro. Or il y a une faille dans cette logique car la seule comparaison qui vaille est celle entre un avant (i. e. la situation présente) et un après (i. e. le retour à une monnaie nationale), puisque c’est le coût lié à l’abandon qu’il faut évaluer. Peu importe en ce sens que la France ait eu raison ou tort d’adopter l’euro et ce qu’il serait advenu de l’économie française: il s’agit maintenant d’un fait, et tout débat sur une autre base serait purement rhétorique.

Jouons cependant le jeu et essayons nous maintenant à un exercice de conjecture : que se passerait-il si la France quittait l’euro, comme le propose par exemple le programme du Front National ? Suivons la démarche de Frédéric Bastiat dans ses Sophismes économiques pour décrire « ce que l’on voit, ce que l’on ne voit pas« .


Ce que nos « experts » (pré)voient, c’est le retour aux dévaluations compétitives, permises par une indépendance monétaire retrouvée, la sortie de l’euro s’accompagnant ainsi d’une baisse anticipée par les marchés de la valeur relative de la monnaie nationale et entretenue par une politique monétaire accommodante, ce qui créerait un regain de compétitivité à l’exportation pour les entreprises françaises.

Ce qu’on ne voit pas, et que feignent d’ignorer les pourfendeurs de la monnaie unique, ce sont les nombreuses conséquences qui résulteraient ensuite de l’abandon de la monnaie unique.

Premier écueil, il est attendu que notre nouvelle monnaie doive baisser (une baisse de 20% est régulièrement évoquée). Or en cas de sortie de la France de la zone euro, les chances que cette dernière subsiste sont plus que faibles, et il faut donc davantage anticiper la sortie de la plupart des pays non compétitifs de la zone euro, et le maintien d’une « zone Mark » autour de l’Allemagne. Il est donc probable que le niveau relatif du nouveau franc reflèterait la perception par les marchés des perspectives comparées de l’économie française et celles de ses concurrents, et de l’évolution de leurs politiques monétaires. Or étant donné les incertitudes entourant les économies des pays du sud de l’Europe, mais aussi celles de grandes économies comme le  Royaume-Uni, les États-Unis ou le Japon, rien ne permet d’affirmer que le cours du franc pourrait durablement atteindre un niveau sensiblement inférieur à celui de l’euro vis-à-vis des monnaies de ces grands partenaires commerciaux, ou du moins donner au nouveau franc un avantage compétitif important et durable vis-à-vis d’eux.

Supposons néanmoins que cet écueil soit franchit, par exemple au travers d’une politique monétaire extrêmement accommodante. La dépréciation de la monnaie devrait alors en principe bénéficier aux entreprises exportatrices, et induire une baisse simultanée des importations, renchéries par la baisse du taux de change (ce que l’on qualifie d' »inflation importée »). Or ces bénéfices bien théoriques ne s’obtiennent que dans la situation où la compétitivité (ou la non-compétitivité) des produits français est quasiment uniquement corrélée à leur prix et non à d’autres facteurs (comme la qualité perçue, le positionnement dans la gamme…) et où les Français renoncent en proportion équivalente aux produits importés renchéris. Une telle situation est irréaliste car d’une part la compétitivité hors-prix des produits est un critère au moins aussi important que la compétitivité prix (schématiquement, même rendus moins chers par une monnaie dépréciée, les modèles Renault ou Peugeot ne prendront sans doute que des parts de marché minimes à BMW, Audi…) ne disparaîtront pas avec l’euro, et la réussite de nos voisins allemands néerlandais ou finlandais viennent cruellement démontrer que la monnaie n’est qu’une question parmi d’autre en matière de compétitivité. D’autre part, les Français ne pourront diminuer que marginalement leur consommation de produits non substituables comme le pétrole, les matières premières ou des biens manufacturés de grande consommation devenus vitaux dans la vie de tous les jours (téléviseurs, téléphones portables, ordinateurs…).

Enfin, le coût pratique, financier et économique du retour au franc serait également prohibitif : non seulement il induirait des coûts de transition dans tous les domaines de l’économie (fiscalité, comptabilité, étiquetage, etc…) mais surtout il impliquerait de recréer un système monétaire autonome, dont nos oracles ne parviennent étrangement pas à définir l’architecture ou les modalités de fonctionnement dans un marché unique. Ainsi, quel serait le taux de conversion : 6.56957 francs pour retrouver la parité initiale, mais désormais fictive puisque les prix de 2010 ne sauraient être comparés à ceux de 2001, ou 1 euro = 1 franc comme le suggère le Front National, pour faciliter la conversion ? Mais même dans ce second cas, comment éviter que les consommateurs ne se ruent pour vider leur compte en banque en euros avant qu’ils ne soient transformés en francs à la valeur incertaine ? Comment convertir les dettes et les créances : en franc, ce qui amènerait probablement à rééchelonner la dette si la monnaie chute, ou les conserver en euro, quitte à paupériser les débiteurs qui devront les rembourser à partir de salaires versés en « nouveaux francs » ? Il serait par ailleurs cocasse de constater à nouveau les augmentations des prix liées aux arrondis, tant décriées en 2002 (en dépit d’un faible effet agrégé)!

Le résultat d’un abandon de l’euro serait donc catastrophique pour les différents acteurs économiques :

Pour les consommateurs, l’inflation importée générerait une baisse massive du pouvoir d’achat. On peut imaginer que dans le cas ou la France quitterait la zone euro unilatéralement, la faible confiance résiduelle dans le franc amènerait le développement d’une économie parallèle assise sur l’euro s’il reste en place, le mark à défaut, peut-être la livre ou le dollar.

Le système bancaire et financier français serait exposé à un retrait simultané de tous les dépôts des particuliers et investisseurs mondiaux, soucieux de garder des euros plutôt que des francs nouveaux dévalués. Ce retrait mettrait en danger la survie de ce système pourtant clé au financement et à l’emploi dans notre pays.

L’État quant à lui serait confronté à des difficultés de financement considérables, puisque les menaces d’inflation auraient pour conséquence une forte hausse des taux demandés par les créanciers, a fortiori si le stock de dette a été converti en francs. À moins que l’État ne se finance en euro, mais alors la baisse du franc aurait un effet multiplicateur sur le niveau de dette en ratio du PIB, rendant un défaut quasi-inéluctable, avec les conséquences de crédibilité que cela emporte.

Enfin, et c’est l’effet qui serait le plus délétère sur le long terme, les fuites de capitaux assècheraient le financement de l’économie et donc les investissements des entreprises, qui verraient par ailleurs leurs incitations à être compétitives fondre face à la facilité procurée par la baisse de la monnaie (supportée in fine par les consommateurs). Le résultat serait une croissance durablement déprimée et un effondrement de la croissance potentielle de l’économie française, synonyme d’appauvrissement sur le long terme.

Le tableau peut apparaître sombre et excessif, et bien pire en tout cas que ce qui se passerait aujourd’hui si la France n’avait jamais rejoint la zone euro. Mais c’est justement parce qu’en évoluant à rebours en quittant la zone, la France enverrait aux marchés et à ses partenaires commerciaux un signal négatif fort, leur signifiant son intention d’abandonner la stabilité monétaire, de recourir à des dévaluations, de s’affranchir d’une rigueur de gestion publique et privée et de s’accommoder d’une inflation élevée.

Les modestes avantages ponctuels liés à un retour au franc apparaissent peser bien peu face aux effets négatifs durables que celui-ci entraînerait. Espérons que les citoyens français ne cèdent pas aux arguments des le Pen, Todd, Dupont-Aignan,…si séduisants en apparence mais si faibles à y regarder de plus près. Et finalement, si on gardait l’Euro?

JG/SG

NdA: Cet article est une version actualisée et révisée d’une tribune publiée à l’été 2010, en réaction aux critiques récentes de la monnaie unique.

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