Un nouveau traité pour quoi faire?

Quand le juridisme masque vainement l’absence de projet politique

La proposition franco allemande, notamment discutée lundi 5 décembre et soumise au Conseil européen vendredi 9 décembre, d’un nouveau traité a reçu un accueil mitigé. Il y a ceux, toujours les mêmes, qui poussent des cris d’orfraie sur la rengaine du les casques à pointe sont de retour, halte-là à la domination allemande. C’est aussi pour ne plus les entendre que nous avions bâti l’UE mais leur haine dégoulinante a le mérite de nous alerter sur ce qui nous attend en cas d’échec. Il conviendrait également de rappeler à ceux-là l’émouvant discours du Ministre des affaires étrangères polonais, Radosław Sikorski, déclarant que son pays n’a plus peur d’une Allemagne active en Europe mais au contraire de son désengagement.

Il y a ceux qui considèrent que l’urgence est à convaincre les Allemands de la nécessité d’une intervention plus vigoureuse de la BCE et à terme de la mise en place d’eurobonds et que par conséquent  il faut accepter toute proposition allemande s’agissant d’un système introduisant plus de discipline et surtout de contrôle. Cela est bel et bon mais, dans le cadre actuel, cela ne pourrait que produire un renforcement de la perception technocratique de l’UE et le remède risque donc de tuer le malade, à terme. En effet, qui acceptera que les budgets nationaux soient encadrés par de simples règles juridiques avec un mécanisme de sanction équivalent au régime commum du droit européen (Alain Lamassoure rappelait avec raison que même dans un système fédéral intégré comme les Etats-Unis un tel système ne serait pas acceptable pour les Etats fédérés)? Conçoit-on un tel système pérenne dans un climat de tensions sociale et politique qui s’annonce?

Il y a ceux enfin qui considèrent qu’un Traité n’est pas tenable car cela reviendrait à s’engager dans un processus long et aléatoire. Beaucoup de ceux-là sont échaudés par l’expérience malheureuse du Traité constitutionnel et ils ne goûtent guère cette redite. Par ailleurs, l’idée d’un Traité à 17 apparaît comme, au mieux, une gageure, au pis comme une  dangereuse légèreté au regard du risque pour l’équilibre institutionnel d’ensemble; dans tous les cas, cela témoigne d’une méconnaissance crasse du fait européen. Il est bien plus probable, à court terme, que nous utilisions les traités existant pour  introduire plus de discipline et de contrôle budgétaire. C’est le sens de la proposition de Herman Van Rompuy ou de Valéry Giscard d’Estaing qui appelle à utiliser à plein les coopérations renforcées.

Quelle que soit la position considérée, il est inquiétant de constater l’absence d’idées, mise à part la créativité de quelques virtuoses de l’aménagement technique, discipline fort confidentielle, il est vrai.  Chacun s’accorde à critiquer le manque de clarté, d’incarnation et tout simplement de contenu politique de l’Union et que propose-t-on? Un nouveau traité! Une telle constance dans l’erreur, reconnaissons-le, tient du génie burlesque.


La vérité crue, c’est que nous sommes à la croisée des chemins et que personne n’ose franchir le pas nécessaire. L’Allemagne avait fait un geste vers le fédéralisme, sous l’impulsion de Wolfgang Schäuble et d’Ursula von der Leyen, mais la France, comme nous l’écrivions récemment, n’a pas crû bon d’y répondre, encourageant ainsi le repli de Berlin vers une solution technocratique. Il est temps pour la classe politique française de faire montre de lucidité en ne se cantonnant pas aux figures et postures du passé, d’accepter enfin les implications de la construction européenne et de ne pas se voiler derrière le toujours plus ridicule: « les peuples veulent de l’intergouvernemental ». Sans un tel travail sur soi, il est à craindre pour la position française dans l’UE mais aussi pour le devenir de celle-ci.

Par ailleurs, il existe une fenêtre d’opportunité formidable en Europe. De nombreux Etats sont prêts au changement, l’Italie est désormais dirigée par un fédéraliste, la Pologne est devenue européiste, le Royaume-Uni a définitivement fait le choix du grand large et la crise rend nécessaire et possible le changement. Ne nous réfugions donc pas derrière les arguties juridiques! A quand une initiative d’ampleur pour un nouveau engagement européen? L’enjeu aujourd’hui n’est pas de discuter les modalités d’une énième réforme institutionnelle mais bel et bien de mettre cartes sur tables, de négocier un accord qui devrait être discuté avec le Parlement européen et in fine de proposer un projet politique aux citoyens européens. Ensuite, les techniciens trouveront les arrangements nécessaires, nous pouvons en être certains.

Réintroduire le politique, c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais point de directoire, franco allemand ou autre, car on ne saurait confondre la légitimité d’un exécutif au sein d’un Etat donné et au sein d’un ensemble plus vaste, point de propositions cosmétiques pour de vieilles méthodes, point de politique du plus faible où les forces centrifuges l’emportent sur les volontés intégratrices, c’est alors la garantie de l’éclatement;  la politique est d’abord affaire de choix, en l’espèce celui du rassemblement sans lequel il ne saurait y avoir de construction durable, de définir un cap et de s’y tenir. Sans doute alors les citoyens, comme les marchés et nos partenaires commerciaux, s’accorderont pour retrouver confiance en notre avenir commun.

 

JC

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