De Minc à Braudel

Faut-il penser, à l’instar des « déclinistes », que l’Europe est foutue, cuite, râpée? Il est quand même assez triste de voir qu’il n’y a presque plus qu’Alain Minc pour défendre l’Europe en France. Et encore, il insiste surtout sur le « soft power » européen, ses valeurs, son incroyable espace de libertés et de tolérance. Dans son Petit coin de paradis, il dresse surtout un tableau assez noir au final de « l’Europe puissance », c’est-à-dire la capacité de l’Union à exister dans la bataille de l’innovation et du savoir, et dans la mondialisation, notamment face aux puissances émergentes. Or n’en déplaise au Conseiller en tout, à l’extérieur de nos frontières, l’Europe n’est plus forcément un modèle à suivre, et à adopter. Il n’y a qu’à voir, tout proche de nous, les anciens satellites du bloc de l’Est, qui rêvaient follement d’Europe il y a quinze ans, et qui aujourd’hui sont devenus pour beaucoup d’entre eux très europhobes. Observons les programmes des partis populistes pour sentir le vent d’euroscepticisme qui a gagné notre continent.

Le constat est toujours le même: un exécutif dispersé et sans envergure (il faudrait décidemment vite remplacer Mme Ashton), une Europe trop bureaucratique, technocratique et complexe qui ne fait plus rêver. Une Europe peut-être trop ancrée dans la réalité, légiférant sur la taille des concombres et la concurrence, mais incapable de définir un dessein cohérent à son existence. Et la paix est un rêve consommé pour les jeunes générations. Même Van Rompuy souhaite que l’Europe puisse « dépasser la technique et faire rêver »…

Il lui faut toujours une crise pour avancer: constitution européenne (2005), crise financière (2008) et crise de l’Euro (2010). Il lui manque toujours une vision stratégique, une identité politique (la vision delorienne de la fédération d’Etats-nations s’éloigne peu à peu), une défense et une politique étrangères communes. Car dans l’arène mondiale, elle se fait si peu entendre. Les dernières révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient l’ont cruellement montré. Triste Europe celle qui manque son rendez vous avec l’histoire, avec la Méditerranée dont Fernand Braudel avait magnifiquement montré l’imbrication des destins entre les deux rives. Même le lien transatlantique se dissout et l’Amérique d’Obama snobe notre Union, les yeux rivés sur le continent asiatique… L’Union européenne est décidemment toujours un nain politique sur la scène internationale…

CR

Mais que fait donc la Commission européenne dans le transport urbain ? (petit exercice de subsidiarité appliquée)

Tramway L’Union européenne serait-elle en mesure d’adopter une réglementation sur les abribus et les portes coulissantes de nos autobus de ville? Certes, le sujet peu paraître bizarre et la question, secondaire. Mais si, comme moi, vous imaginez naïvement que, au nom du principe de subsidiarité, cette éventualité est à écarter, c’est l’occasion de faire un petit test.

Faisons un tour sur le site internet de la « DG MOVE » de la Commission européenne. Passons sur ce terme de MOVE, censé représenter la mobilité: la direction générale en charge des transports ayant en effet perdu, à la faveur du dernier remaniement de compétences, son ancien nom de TREN, qui synthétisait bien les notions de transports et d’énergie, elle s’est récemment vu attribuer cette nouvelle appellation anglophone qui fait immanquablement penser à la boîte de nuit du coin – move ton body-. Le nouveau terme doit, paraît-il, symboliser la fin des l’ère des transports et l’avènement du développement durable. Voyons ce qu’il en est.

On découvre, sur le site, que les institutions bruxelloises sont devenues fort actives dans les transports urbains: en 2007, un livre vert sur la mobilité urbaine; en 2008, un avis du comité des régions; en 2009, une résolution du parlement européen et en 2010, après la bataille et en « procédure d’urgence » (sic), un avis du conseil économique et social (tiens, on l’avait oublié, celui-là). La Commission consulte en ligne, récolte des avis, compulse des données. L’annuaire internet montre qu’une unité de 17 fonctionnaires (unité B. 4) travaille, à la DG MOVE, sur le sujet. Tout se concentre en 2009 dans une communication de la Commission qui contient le cœur du dispositif, un « plan d’action », et auquel le Conseil est obligé de répondre par des conclusions, pour faire bonne mesure.

Certes, il n’y a aucune initiative législative à ce stade. Et maligne, la Commission admet humblement que « les responsabilités en matière de politiques de mobilité urbaine incombent en premier lieu aux autorités nationales, régionales et locales », que « le but n’est pas d’imposer des solutions universelles ni des solutions venant d’en haut » ou qu’il s’agit de « proposer aux autorités locales, régionales et nationales de travailler en partenariats sur la base d’un engagement volontaire ».

Mais ces précautions oratoires cachent mal une envie d’action qui cherche son chemin. On fait feu de tout bois: la Commission nous rappelle que 72% de la population européenne habite en ville et que 85 % du PIB y est produit. Vous suivez le raisonnement? Elle argue de ce que les pratiques urbaines ont un impact sur la logistique de fret en Europe (problématique dite du « dernier kilomètre »), sur les émissions de CO2, sur la qualité de vie des citoyens, la mobilité des travailleurs, la lutte contre l’obésité ou l’accessibilité pour les handicapés. N’est-ce pas assez pour vous convaincre? Certes, le plan d’action en 20 points est encore assez modeste (création d’un observatoire du transport urbain, aides aux maires, études sur les zones vertes, guide sur les véhicules propres, conférence sur le transport urbain de marchandises…), mais il témoigne d’une véritable volonté d’agir. Cette volonté fait même parfois un peu pitié, comme dans cette phrase: « à brève échéance, la Commission peut aider les autorités et les parties concernées à examiner les possibilités de financement existantes et à mettre sur pied des formules innovantes de partenariat public-privé ». Dans le genre « n’ayez pas peur, on va vous faire un plan de financement pour la quatrième ligne de métro à Toulouse, on s’y connaît! »… la Commission propose ses services de banquière! Mais ne rions pas, le sujet urbain est bien sur les rails: une législation va finir par tomber. On en voit même déjà les contours: elle devrait concerner, si l’on en croit les lobbies automobiles qui ont flairé le filon, la façon dont certaines villes (comme Londres) restreignent l’accès de leur centre aux véhicules à moteur.

Le citoyen que je suis préférerait tout de même que la Commission s’abstienne de proposer de la législation dans les transports urbains. Si le principe de subsidiarité a un sens, c’est bien ici. Laissons de vrais banquiers s’occuper des problèmes de financements des villes; laissons les instances locales que nous avons élues prendre leurs responsabilités. Tous les sujets majeurs qui les touchent (non discrimination, développement durable, libre concurrence ou émissions de CO2) sont déjà traités dans d’autres législations européennes. Les villes et leurs partenaires connaissent mieux leur métier que la Commission européenne et la valeur ajoutée de l’Union est loin de sauter aux yeux. Que l’Europe, de grâce, s’occupe des vrais sujets: il n’en manque pas.

 

Pierre Vive

Revue de presse – 24 février au 11 mars

Ces deux dernières semaines, parmi les articles intéressants relatifs aux questions européennes, l'Atelier Europe a relevé:

– un éclairage sur la question méditerranéenne, au moment où l'Union pour la Méditerranée se trouve devant un tournant face aux évolutions géopolitiques au Sud.

– des interrogations croissantes sur la soutenabilité de la dette grecque face et la perspective d'une restructuration.

– un débat ravivé sur la question de la localisation du Parlement européen, dont le sens de la présence strasbourgeoise semble s'amenuiser année après année.

– la vision du service européen d'action extérieur (SEAE) par sa responsable, Catherine Ashton.

– un exercice de transparence intéressant de la part d'une eurodéputée.

– une perspective hongroise sur l'élargissement à la Turquie.
 

 

 

Désertion

L’affaire libyenne démontre une nouvelle fois le caractère inopérant de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. Ce véritable test pour la diplomatie européenne qu’on nous promettait unie et (ré)active a tourné à la bataille navale. Touché, coulé. La tragédie politique a révélé toutes les insuffisances du système en place. Tout d’abord, l’UE dont on connaît désormais le numéro mais dont on regrette que personne n’y réponde (où est donc la Haute Représentante? Les soldes sont pourtant bien terminées à Londres). Un quotidien britannique avait certes titré, au soir de sa nomination: « le Royaume-Uni a réussi à tuer le poste dès le premier jour ». Aujourd’hui même le Foreign Office est, paraît-il, embarrassé tant l’opération torpedo a réussi au-delà de tout espoir (europhobe), l’image du Royaume-Uni en étant désormais affectée.

Ensuite, les Etats, en partie à cause des silences de la Haute Représentante, en partie parce qu’ils désirent se faire entendre vaille que vaille, cèdent à la cacophonie. C’est, comme à l’accoutumé, la course au mieux-disant. Comment mettre d’accord vingt-sept positions nationales avec des traditions diplomatiques aussi disparates?  Faute d’autorité commune pour décider, nous sommes dans le forum permanent: parfait pour un organe législatif mais le hic, c’est que le Conseil décide et il doit le faire prestement en cas de crise comme c’est le cas actuellement avec la Libye. Et que dire de ce ballet désuet des délégations nationales qui se précipitent dans l’urgence à Bruxelles pour ce rituel obligé où chacun repart ravit après avoir constaté que rien n’a été décidé? Dans ce monde évolutif et instable, il est souvent difficile pour un exécutif de produire un message intelligible et fort, alors pensez-donc à vingt-sept! Que les Anciens se rassurent, le XXIe siècle semble avoir épargné l’Europe.

Enfin, les structures communautaires sont bien impuissantes à compenser cette vacuité politique de l’Europe. La Commission a déserté le terrain voilà bien longtemps et le Parlement ne peut que regretter l’état de notre diplomatie. Le système est toutefois tellement auto centré qu’il ne semble pas affecté par ce qui ressemble fortement à une impasse. Point de sanction, pour l’heure, mais gare au questionnement sur sa légitimité à l’heure des comptes!

Surtout, la crise libyenne laisse a minima un sentiment de malaise et, avouons-le, un sentiment de tristesse au regard de nos idéaux européens. Un fou furieux, à notre porte, massacre des civils, on n’ose dire son peuple tant il le martyrise, au moyen d’avions de combat et autres armes lourdes et nous restons les bras croisés. L’analogie avec la crise en Ex Yougoslavie dans les années 1990 est embarrassante: décidément les Européens n’apprennent rien de leurs échecs. Plus grave, au plan moral, il est dévastant de constater le silence des médias et de l’opinion publique européens après ce fiasco diplomatique. Certes, on s’habitue sans doute à la médiocrité. L’Histoire nous enseigne toutefois qu’il y a des inactions qui valent crimes.

 

JC

Un nécessaire changement de paradigme pour l’espace Euro-méditerranéen

Alors qu’un vent aux parfums de jasmin et de volonté démocratique souffle sur le Maghreb et le Machrek, la nécessité d’un changement d’approche dans les relations euro- méditerranéennes semble plus qu’urgent.

EarthLight-EuroMedit[1] Dans la continuité du Processus de Barcelone, l’Union pour la Méditerranée, créée lors du sommet de Paris en juillet 2008 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, s’est attachée à rapprocher les pays riverains du « Lac intérieur », en favorisant des projets de coopération sur des sujets à la fois consensuels et stratégiques (énergie, transports, culture…).

Au-delà de la noble intention, les motivations sous-jacentes et la gouvernance de ce projet se sont avérées incapables de bâtir une nouvelle donne. En effet, l’UPM a été, dès ses débuts, un outil diplomatique essentiellement français, piloté par la présidence de la République, servant notamment à proposer à la Turquie un partenariat renforcé en guise d’ersatz à une adhésion à l’UE, ce qui n’a guère trompé les héritiers de l’empire ottoman, qui ont préféré privilégier une diplomatie d’influence au Moyen-Orient, et tourner le dos à leurs interlocuteurs européens. De même, la maigre place accordée à Israël doit être revalorisée, dans un premier temps par de la coopération sur des domaines consensuels, comme la recherche, l’innovation, ou encore le développement durable. L’UPM n’a pas vocation a piloter le processus de Paix israélo-palestinien, n’ayant pas à ce jour une légitimité et un poids politique suffisant.

Ce Quai d’Orsay bis, servant presqu’exclusivement les intérêts de la politique arabe de la France, a maintenu une « Mission » à l’Elysée, malgré la nomination d’un Secrétaire général de l’UPM basé à Barcelone, nommé sur des critères dignes des doges de Venise: faible et influençable, sans pouvoir exécutif.

Les évènements sur la rive sud de la Méditerranée sont une opportunité pour la France de « lâcher prise » et de bâtir, avec tous les partenaires, un véritable espace de co-décision et de coopération. Le projet en gagnerait en crédibilité, et efficacité.

La création d’un secrétariat d’État aux Affaires méditerranéennes au Ministère des affaires étrangères permettrait d’illustrer cette volonté de relation assainie, et doter la France d’un outil diplomatique transparent, vers une région d’où elle a tant reçu culturellement, spirituellement et philosophiquement.

 

TM