La solitude à deux

Le sommet du G20 s’est achevé la semaine dernière sur un bilan en demi-teinte. Plus obscur que clair, oserait-on.  La Présidence du G20 a été annoncée et préparée en grandes pompes depuis des mois et sans doute les invités ont-ils apprécié le charme de l’hospitalité à la française et notre savoir-faire dans l’organisation de ces grandes conférences dont les thuriféraires semblent y projeter leur mélancolie du temps béni de la Société des Nations.

La volonté régulatrice est plus que louable mais ces grandes messes sont-elles adaptées à l’époque et notamment à la nécessité de traiter des sujets excessivement techniques (fluctuation des monnaies, régulation financière, protection des données et des brevets, réciprocité en matière commerciale, etc.)? Bref, dossier par dossier. Quant à l’importance de discuter entre-soi, on nous permettra de douter de la méthode à la vue du balai technocratique qui entoure ce barnum.

Cette année de présidence française du G20 est annoncée comme le signal d’une nouvelle régulation mondiale. Vous verrez ce que vous allez voir, nous promet-on! Soit, attendons mais nous ne paierons pas pour voir. Passons sur les commentaires peu conformes à l’usage de ceux qui affirment que les États-Unis ont œuvré pour la mise en place du G20 dans l’espoir de ne plus goûter aux collations provinciales auxquelles ils étaient, et demeurent, contraints lors des rencontres du G8. Sans céder à cette ironie, force est de constater que les États-Unis ont clairement favorisé au travers du G20 une dilution de ces conférences afin de ne décider qu’en bilatéral, soit entre États-Unis et Chine, en y ajoutant un ou plusieurs interlocuteurs au gré des discussions. Le procédé est du reste apparu flagrant en d’autres circonstances, dont les sommets de l’ONU sur l’environnement.

La réponse européenne à ce duopole est, comme de coutume, faible car divisée. MM Guaino, Védrine et autres hérauts de la real politik bon teint, nous promettent un rôle majeur du couple franco-allemand, dépositaire naturel de la puissance et de l’intérêt européens, pour apporter un souffle régulateur face au méchant laissez-faire anglo saxon et au dangereux mondialisme sauvage des Asiatiques. Or, pour l’instant, l’Europe semble marginalisée, et si la France et l’Allemagne ont parfois obtenu satisfaction, c’est surtout pour la place des virgules dans les conclusions des sommets dudit G20.

Car enfin, allons voir de l’autre côté du miroir dans lequel nous nous contemplons! Les autres puissances voient en nous un continent qui peine à concrétiser son unité politique, un ensemble écrasé par le poids de son histoire et une production politique asséchée. Il est de bon ton de taxer de naïveté les européistes mais force est de constater que ceux qui considèrent que l’Allemagne et France ont la taille critique pour exister au même titre que les deux grands se leurrent fortement. Oui, l’Europe incarne une troisième voie et, pour l’heure, elle a les moyens économiques de son ambition. Mais faute d’accepter le prix politique de son unité, elle s’enfermera dans un aveuglement aussi fat que mortifère.

 

JC

L’UE reste un géant économique et doit en tirer les conséquences

Le défaitisme économique semble aujourd’hui de mise en Europe: voilà quelques mois déjà que la presse a popularisé la notion de « G2 », suggérant le retrait de l’Europe de la conduite des affaires du monde, laquelle serait désormais dévolue à un directoire composé des États-Unis et de la Chine, leur usine et principal créancier.

L’Europe serait désormais reléguée au rang de puissance intermédiaire, sorte de grande Suisse vieillissante, condamnée à une lente mais sûre déchéance. S’il s’agissait de constater le déclin (relatif) de l’UE face aux émergents afin de susciter un sursaut en conséquence, ce serait alors chose heureuse. Mais faire preuve de résignation au motif que la bataille serait perdue est non seulement une erreur économique, mais aussi une faute quand cela implique de ne pas utiliser à bon escient les leviers dont l’Europe dispose.

C’est tout d’abord une erreur, car l’UE (à 27 États-membres) reste la principale puissance économique au monde: son PIB représente 26% du PIB mondial (chiffres FMI 2010), devant le PIB américain (24%) et loin devant le PIB chinois (9%). En matière commerciale, l’UE est également en tête (16% des exportations et importations mondiales de biens et services – source Commission européenne, 2009) devant les États-Unis (16% des importations, 13% des exportations) et la Chine (9% des importations, 11% des exportations). Ces chiffres illustrent une réalité qui diffère sensiblement de la doxa médiatique suivant laquelle l’UE ne serait qu’une zone périphérique dans les échanges mondiaux. Elle est au contraire la principale puissance exportatrice, ce qui démontre que sa compétitivité demeure, et importatrice, ce qui en fait un partenaire commercial incontournable pour les pays émergents.

C’est également une faute. Il ne s’agit certainement pas de se satisfaire de la situation, car ces parts de marché et les écarts de compétitivité se réduisent tous les ans. Mais c’est justement la raison pour laquelle l’UE doit, tant qu’il en est encore temps, prendre acte de sa puissance économique et s’en servir de levier pour peser de tout son poids dans les négociations commerciales, monétaires, énergétiques, environnementales…au niveau mondial. Qu’il s’agisse d’obtenir un flottement de la monnaie chinoise, des concessions énergétiques de la Russie, l’achèvement du cycle de Doha ou des conditions de réciprocité améliorées dans les échanges commerciaux, une meilleure coopération américaine en matière d’environnement…, l’UE peut non seulement faire entendre sa voix mais surtout obtenir beaucoup de ses partenaires, si ses membres acceptent les concessions nécessaires à un discours unique et cohérent. Ne pas saisir cette opportunité serait faire preuve d’un complexe d’infériorité regrettable.

JG

Revue de presse

 

A partir de cette semaine, et toutes les deux semaines désormais, l’Atelier Europe publiera une sélection de liens vers des articles apportant un éclairage particulier sur l’actualité récente, offrant une synthèse concise et pertinente d’un problème, ou identifiant des questions d’importance mais passées sous silence par la plupart des médias.

Cette semaine :

– un point de synthèse sur les débats qui agitent les gouvernements de la zone euro quant à la nomination du prochain président de la BCE, à l’automne prochain;

– un rappel salutaire des qualités (relatives) de transparence qu’offrent les institutions européennes, et dont certains États membres gagneraient à s’inspirer en matière de conflits d’intérêts;

– un résumé des derniers développements relatifs au pipeline Nabucco, élément central de l’avenir énergétique de l’Europe, et point d’achoppement des relations UE / Russie;

– un éclairage de fonds sur les débats monétaires et l’évolution du rôle des banques centrales depuis la crise;

– un résumé par The Economist du dernier Conseil Européen et des conséquences qui pourraient en découler en matière de gouvernance économique de la zone euro.

Intention ou inculture?

La France et l’Allemagne ont décidé de lancer une offensive pour conforter l’euro et chacun peut s’en réjouir. Les marchés attendaient sans doute un signe politique fort et Madame Merkel, puis Monsieur Sarkozy, ont compris que l’Union européenne ne pouvait pas se permettre un échec de l’euro.

Tant au plan financier que pour ce qui concerne le projet politique européen. Toutefois, on ne peut que s’interroger sur la méthode. La politique actuelle franco-allemande du « on décide, les autres suivront » est, pour l’heure, efficace car elle a le mérite de la réactivité. Néanmoins, c’est clairement une politique de courte vue. Les autres Etats de la zone euro, y compris les plus européens comme la Belgique, commencent à rechigner face à ce directoire d’un nouveau genre. Eternel dilemme démocratique entre efficacité et légitimité, argueront les plus optimistes. La chose est sans doute plus profonde. A force de détricoter ce qui est fait en commun, nous sapons la confiance mutuelle qui fonde la construction communautaire. Si nous continuons à marginaliser le jeu institutionnel, nous replongerons dans le système ex ante de concurrence entre les Etats avec la tentation de l’équilibre entre grands dont on connaît l’impasse.

Face à l’ampleur de la crise, l’Europe a besoin de pompiers et l’action des leaders français et allemand est salutaire. Mais gardons-nous de penser que les résultats obtenus, notamment en terme de coopération budgétaire, seront forcément pérennisés, faute d’ancrage institutionnel. L’un des principes d’organisation de l’UE, est de garantir que les engagements pris par les gouvernements ne soient pas tributaires des aléas politiques, dont les changements de majorité. Peut-on vraiment croire qu’un engagement de Monsieur Sarkozy en termes de contraintes budgétaires serait accepté et tenu si Madame Aubry et Monsieur Mélenchon formaient demain une coalition gouvernementale? Et quelle serait alors la réaction du partenaire allemand et des autres membres de la zone euro?

L’élément étonnant, dans cette politique, n’est pas la volonté des « grands » Etats de reprendre la barre après de nombreuses années de flottement où les « petits » Etats ont utilisé à plein les marges de manœuvre offertes par l’incertitude institutionnelle, et ce rarement dans le sens de l’intérêt commun. Ce qui frappe davantage l’esprit, c’est le sentiment d’inculture communautaire de nos dirigeants.  L’intégration a progressé mais les dirigeants nationaux demeurent ignorants du fonctionnement de l’UE. Plus grave encore, saut générationnel oblige, il n’y a plus guère d’appétence pour la chose communautaire, abstraction insoutenable en ces temps d’hyper factualisme médiatique. A l’heure où on évoque sans cesse la perte de savoir-faire dans nos industries, cela semble s’appliquer à nos élus. Travailler ensemble, visiblement on ne sait plus faire, et cela ne présage rien de bon pour le devenir de l’UE.

JC

Complexe (d’infériorité?) allemand

Le succès économique de l’Allemagne, la baisse récente du chômage outre-Rhin en atteste, surtout relativement à ses partenaires européens, suscite la crainte d’un nouveau pangermanisme. Les déclarations récentes du très arrogant Guido Westervelle n’ont rien arrangé à l’affaire. A l’instar de sa capitale, la RFA est désormais une nation décomplexée, ouverte sur le monde et bien décidée à promouvoir son modèle économique et social. Il est malvenu, si ce n’est malsain, de s’en plaindre.

La construction européenne a historiquement permis de dépasser cette infantilisation mortifère qui conduisait à toujours prêter les pires intentions à nos voisins, nos villages portant les stigmates de la folie criminelle du nationalisme. La résurgence de partis populistes réactualise ce discours sur l’Autre, forcément diabolique, et il est de notre devoir d’Européen de s’en garder et, au contraire, de porter un regard mature sur nos voisins, sans arrières pensées destructrices.

L’Europe fonctionne ensuite comme un levier permettant à tous ses membres d’accéder aux meilleures pratiques, soit le fameux « benchmarking ». Or, l’Allemagne étant le bon élève économique de l’Europe, il est évident qu’elle sert de modèle dans ce domaine, et ce alors que le modèle social allemand est sans doute la forme continentale la plus aboutie. Il ne s’agit certes pas d’uniformiser, à l’intérieur même des Etats membres les disparités sont fortes, mais d’encourager à la mise en œuvre des meilleures pratiques afin, précisément, de fortifier le consensus social.

L’Allemagne n’est évidemment pas exempte de critique et elle ne doit pas oublier que la majorité de ses échanges sont réalisées en Europe, mais il est absurde de lui reprocher sa performance économique du fait d’efforts que nous n’avons pas su ou voulu réaliser. Prenons-en de la graine!

JC