Communication de l’UE et élections européennes: quels enseignements des campagnes précédentes pour le scrutin de 2024 ?

Par Michaël Malherbe, Secrétaire Général, Atelier Europe

Alors que les prochaines élections européennes en juin 2024 suscitent déjà l’intérêt des observateurs, il est intéressant de réfléchir aux leçons à tirer des précédents scrutins. Analyser les campagnes de communication antérieures du Parlement européen pourrait permettre de mieux appréhender les dynamiques d’opinion et de communication au cœur du jeu institutionnel européen.

DÉCRYPTER LES SÉQUENCES DES CAMPAGNES DE COMMUNICATION
DU PARLEMENT EUROPÉEN A L’OCCASION DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES

Quoique l’exercice de se porter sur le passé puisse paraître plus aisé que celui de se projeter dans le futur, la démarche n’en demeure pas moins délicate dans la mesure où il faut évaluer des actions de communication datées. En effet, il s’agit de reconstituer les contextes d’opinion de l’époque ainsi que de recomposer les récits faisant appel à la fois aux faits relatifs à ces campagnes et aux diverses stratégies et outils de communication. En décryptant les séquences des campagnes passées, nous pourrons tirer des enseignements pertinents pour 2024.

2009 : « A vous de choisir » : une communication plus tactique autour du « buzz game » que stratégique

En 2009, le Parlement européen, selon son communiqué à la presse, « lance sa première campagne de communication paneuropéenne, en vue de mobiliser 375 millions d’électeurs dans 27 pays ». Considérons donc cette « première » comme notre point de repère initial, d’autant plus intéressant que la finalité – la participation électorale – semble correspondre à ce qui pourrait apparaître comme l’objectif de communication le plus ambitieux et le plus légitime pour le Parlement européen parmi les trois registres d’objectifs informatifs, cognitifs et conatifs, ce dernier registre, le plus difficile pour toute action de communication, visant à faire changer les comportements.

Avec la signature « A vous de choisir », la campagne de communication se distingue d’une part par la faiblesse de son intention prescriptive : aller voter certes, mais aller voter ce que vous voulez, sous-entendu, le Parlement européen n’est pas là pour se mettre à la place des électeurs pour se forger une idée du choix à effectuer dans l’isoloir. D’autre part, la campagne paneuropéenne inédite se fait remarquer pour sa créativité très forte, qu’il s’agisse des moyens mis en œuvre pour attirer l’attention des médias et des citoyens avec des « coups » comme les “Eurostudios”, des sortes de « cahiers de doléance high tech » itinérants, mais surtout ce qui est passé en partie à la postérité, la logique du « buzz » autour de vidéos virales, comme la série « At the polling station » sans toutefois parvenir à combler le déficit d’animation partisane voire d’opposition idéologique de la campagne électorale.

En 2014, une communication plus politique : le « head game » du spin avec les Sptizenkandidaten

En 2014, l’état de l’opinion est très différent du précédent scrutin, l’Europe a vécu la crise économique, les tensions sur l’eurozone et l’opinion publique est beaucoup moins fertile à laisser pousser les racines de l’intégration européenne, sans faire germer des critiques et des déceptions. La campagne de communication du Parlement européen prend en compte ce contexte avec la signature « Cette fois-ci, c’est différent ».

Toute la difficulté consistera à construire un narratif et des preuves pour faire la démonstration que c’est définitivement bien différent. A plus d’un titre, cette campagne le sera. D’abord, dans ses finalités, l’injonction de la campagne en 2014 ne semble plus d’inciter les citoyens à participer au scrutin, comme lors de la précédente, et normalement de toutes les campagnes institutionnelles dans ce cadre, mais il s’agira bien plutôt d’assurer la promotion de l’institution du Parlement européen dans le jeu institutionnel bruxellois. Ensuite, dans ses moyens, la communication du Parlement européen repose sur un levier politique avec la vidéo « human-manifesto » dont le bloc marque final « Agir. Réagir. Accomplir. » semble tenter de poser un positionnement du Parlement européen, en tant qu’institution, bien loin des seuls enjeux du scrutin européen. Enfin, la volonté de montrer à quel point le scrutin de 2014 est différent conduira le Parlement européen à investir dans une démarche visant à sensibiliser les citoyens européens aux têtes de listes des partis politiques européens, les fameux Spitzenkandidaten, déduits du traité de Lisbonne, un pari institutionnellement risqué mais politiquement gagnant pour le Parlement européen, qui s’impose davantage dans le jeu institutionnel mais qui ne sera pas payant en revanche contre l’abstention.

La tentative d’un embryon de campagne électorale paneuropéenne et européo-centrée n’a pas réussi à mobiliser en masse ni le corps électoral, ni les grands médias, mais cette visibilité et cette dynamique n’a pas été totalement perdue pour le Parlement européen.

En 2019, une communication plus engagée tant avec le « air game » que le « ground game »

Entre 2014 et 2019, avec la Commission « politique » Juncker, l’action de l’Union européenne, en réponse aux nouvelles crises, évolue, s’incarne, se concentre en termes de storytelling sur quelques fils narratifs plus compréhensible comme le Brexit, la crise des migrants ou encore le plan d’investissement. Les citoyens européens, confrontés à une réalité plus dure, se projettent différemment dans la construction européenne, leurs attentes tant en matière d’intégration que de désintégration prennent des formes plus mainstream, parfois aussi plus menaçante, songeons notamment à la poussée de forces europhobes. La signature de la campagne du Parlement européen « Choisis ton futur » pose beaucoup plus clairement la problématique du scrutin européen, tandis que les arguments se font plus prescriptifs pour dessiner un choix de société, un choix civilisationnel, un choix proeuropéen assumé.

Engagée en faveur du projet d’intégration européenne pour la première fois, la campagne de communication du Parlement européen semble également changer de posture et d’attitude vis-à-vis des électeurs européens. Plutôt que d’investir exclusivement sur son auto-promotion ou celle des Spitzen, le Parlement européen privilégie une communication au service et en position de ressource pour les citoyens. Cet investissement, qui se traduit par des démarches telles que la plateforme civique « This Time, I’m Voting » pour fédérer une mobilisation de helpers désireux de partager à leurs proches leurs raisons de participer ainsi que le portail « What Europe Has Done For Me » qui rassemble des contenus pédagogiques, synthétiques, utiles pour savoir « ce que l’UE fait pour vous » et les réalisations du Parlement européen. Les résultats font dorénavant partie de l’histoire, puisque pour la première fois depuis le premier scrutin européen en 1979 la participation électorale s’améliore sensiblement.

Une campagne de communication résolument proeuropéenne et délibérément orientée vers le soutien aux citoyens – afin de répondre à leurs attentes, pour beaucoup, d’informations sur l’UE ainsi que pour certains, l’envie de se mobiliser – aura donc été vraiment payante.

Que faut-il retenir ? Chaque campagne à l’occasion des élections européennes est une opportunité pour le Parlement européen de se positionner sur un registre de communication, qui entre en résonnance avec le moment. En 2009, le partage d’un espace politique européen commun ; en 2014, le partage d’une scène politique européenne commune et en 2019, le partage d’une controverse politique commune Pro-Européens contre Europhobes. Reste à savoir ce qui nous réunira ensemble en 2024.

Pour une nouvelle vision stratégique française en Europe

Par Patrick d’Humières

La guerre a changé l’Europe et son projet ; la France doit en tirer toutes les conséquences

La dynamique militaire de l’Union est en train de déplacer le centre de gravité européen. Difficile de dire si depuis que le soutien à l’Ukraine mobilise l’essentiel des énergies à Bruxelles, la France longtemps avant-centre de l’équipe européenne, ne se trouve pas reléguée au milieu du terrain, sinon en défensive, tant l’agenda s’est transformé et les positions se sont déplacées ! A la limite, peu importe, si l’essentiel reste l’unité des 27 et si le passage à une « Europe puissance » avance. La France y a sa part déterminante. Pour autant, les enjeux ont bougé au profit des dimensions militaires, diplomatiques, énergétiques et technologiques. Sur ces questions où la France avait sa singularité, il lui faut désormais jouer beaucoup plus collectif si elle veut faire valoir sa place. ; ce reclassement induit une révision de ses logiciels historiques. Cela vaut aussi pour l’Allemagne.

La conséquence politique de ceci sera au cœur du débat public des élections de 2024. Il faut dire à nos compatriotes que l’enjeu du vote n’est plus de ménager la souveraineté française et de faire cohabiter une double souveraineté nationale et communautaire, satisfaisant à la fois les tenants du passé et de l’avenir : nous y perdrions notre capacité d’influence. Il s’agit de placer la stratégie française au centre de gravité de la stratégie européenne pour en être un acteur complet, compris et contributif, qui aide à l’émergence de solutions audacieuses et dynamiques. Notre plus grand risque est d’être marginalisé dans le mouvement qui force l’Union à répondre à l’appel historique à être le 3° bloc mondial ; Partie prenante du monde occidental, l’Union devra couvrir le spectre de la puissance qui va du poids commercial au poids militaire et du poids des valeurs au poids des alliances. Sur le grand défi climatique planétaire, elle pourra apporter des solutions et face à la fragmentation géopolitique elle pourra apporter son savoir-faire de régulation. Qui aurait cru que l’Union aurait cette opportunité de remonter en première division mondiale ? Si la France en est un moteur et un facilitateur, cela dessinera sa stratégie pour longtemps.

D’abord libérer le front ukrainien; la victoire militaire ouvrira la voie géopolitique.

Tous les européens l’ont compris désormais : le projet d’Union Européenne est conditionné par le retour de l’Ukraine dans ses droits et l’instauration d’une sécurité collective sur le front Est, à partir de quoi tous les autres sujets de progrès retrouveront un sens. En attendant, l’Ukraine est notre nouvelle frontière. Tant qu’elle ne sera pas stabilisée, l’Union devra assumer un maximum d’efforts, militaires, économiques, humanitaires, non pour abattre la Russie, mais pour démontrer qu’elle est capable de défendre un projet politique, y compris dans sa dimension militaire.

Au moins le message est clair : l’UE doit assurer une perspective commune, sécuritaire et diplomatique, démocratique et solidaire aussi, aux populations allant de l’Atlantique au Dniepr, et de la Baltique à la Méditerranée. Nous savons désormais ce que nous avons en commun et que ce projet peut compter dans un jeu mondial menaçant et sans pilote.

Cette revendication d’une Europe géopolitique fut au cœur du message bruxellois depuis le départ du Royaume-Uni, qui nous a confronté paradoxalement au vertige d’un

isolement continental auquel « la structure communautaire » a su parfaitement réagir. Nous sentions qu’il fallait se donner une vocation mondiale, hors de quoi l’Union se perdrait dans ses débats de concurrence économique. Le mercantilisme ne suffit pas à répondre aux interrogations internationales que perçoivent tous les européens. Leur expérience historique lourde et dramatique a intégré ces questions au cœur des familles et des cultures.

Ce rebond doit beaucoup aux circonstances mais l’important n’est-il pas de s’en saisir ?

Le moment historique est fort et l’Union l’affronte avec intelligence, cohésion et audace même, osons le dire ! Quand il s’est agi d’acheter sur le marché mondial, de faire valoir des principes de droit contre des opérateurs hors contrôle et de soutenir les zones affectées par le conflit, l’UE a montré qu’elle savait faire. Mais cette situation ne règle pas pour autant les grands dossiers attendus par les opinions, car très identitaires, comme la politique d’immigration, la cohérence sociale et la protection aux frontières de nos productions nationales. Alors qu’il va falloir un jour se confronter à la dernière vague d’élargissement si l’on veut achever un processus d’union continentale et savoir construire une défense qui associe la solidarité atlantique et occidentale avec un mécanisme de souveraineté propre, la réussite à saluer est bien celle du Green Deal, qui a démontré que l’on pouvait négocier une entrée sérieuse dans l’économie écologique répondant au défi climatique, avec une dynamique industrielle qui affirme sa compétitivité, face à la Chine mais aussi aux Etats-Unis. Rappelons que ce ne sont pas les normes qui pèsent sur nos coûts, surtout si on les impose à nos concurrents, mais plus souvent l’absence d’innovation qui nous disqualifie ! Qui peut croire que sans un cadre qui organise la rupture, nos économies rentières auraient engagé les sauts technologiques attendus ?

Penser l’Union, c’est penser un projet démocratique et humain

La difficulté est plus dans nos têtes que dans nos forces ! Il y a encore en Europe une psychologie collective corsetée par les codes d’Ancien Régime, qui font croire que nos vieux pays ont besoin de claironner chacun autour de leur drapeau. Mais les opinions ne sont plus dupes et préfèrent appuyer un rapport européen au monde qui pèse efficacement dans la négociation géopolitique que d’assister à des combats de

coq ! Certains appellent même à la naissance d’une nation européenne, considérant que les budgets de défense remplaceront allègrement une constitution mort-née. La réalité est qu’une intelligence collective européenne s’affirme sans avoir besoin de s’en prendre aux symboles et aux porteurs des identités nationales. On remerciera les Ukrainiens d’avoir mis notre confédération d’États Nations au défi d’une capacité d’action stratégique. Mais ne manque-t-il pas à cette dynamique nouvelle un fil conducteur qui parle au cœur des européens, non pas de façon défensive et guerrière, mauvaise conseillère, mais de façon constructive et humaine, pour renouer avec le fond d’humanisme qui est notre dénominateur commun ?

Un projet de reconstruction de l’ordre mondial qui ne naîtra pas de la conflictualité sino-américaine mais bien d’une offre nord-sud que nous saurons proposer ensemble

Notre expérience ancienne des traités de paix, certains ratés, d’autres réussis, doit nous éclairer à ce sujet. Outre la reconstruction, qui est la priorité pour intégrer l’Ukraine dans de bonnes conditions, il y a un défi évident qui est l’application des garanties négociées, reposant sur une dissuasion conventionnelle adaptée, qui remette l’Europe en gardien de ses frontières dans le cadre de l’OTAN, seule alliance militaire crédible à ce jour. C’est là une première révision importante de la stratégie de défense française qui devra en tirer des conséquences pour ses nouvelles priorités, ses modes de décision et d’action. Si ce tournant est pris, il entraînera automatiquement celui des synergies diplomatiques qu’il faudra favoriser, à travers nos outils et nos démarches à « communautariser » de plus en plus, mais aussi en acceptant d’européaniser complètement une stratégie africaine qui glisse sous nos pieds. Il nous faudra lâcher les nostalgies impériales qui nous encombrent, au profit d’un projet de reconstruction collective de l’ordre mondial qui ne naîtra pas de la conflictualité sino-américaine mais bien d’une offre nord-sud que nous saurons proposer ensemble.

Ce réalignement d’une vision globale ne peut plus se contenter de poursuivre la prospérité par tous les moyens, mais doit bien plutôt favoriser une planète durable pour une vie humaine, juste et équitable partout, en mettant notre expérience et notre puissance au service des enjeux collectifs. Cela répond à la question ontologique : à quoi sert l’Europe ? En redonnant cette orientation simple à notre projet, nous

pourrons mobiliser à la fois les générations nouvelles et les aspirations critiques, condition indispensable de toute construction démocratique, mais aussi ouvrir un champ nouveau de la vie en société au 21°siècle. Cela nécessitera de favoriser la capacité d’expression de chacun par l’éducation, la culture, l’échange, dans le respect des droits et des diversités. Contrairement au projet d’après-guerre qui laissait entendre que l’attraction de l’Occident reposait sur la perspective pour chaque ménage de multiplier à l’infini les voitures, les frigidaires et les voyages en avion, le projet qui s’impose aujourd’hui au nord comme au sud, au nom d’une planète finie et souffrante, est celui d’une vie commune qui économise la ressource et préserve la régénération des écosystèmes, pour permettre à chacun d’exprimer sa vocation personnelle au service d’une humanisation des sociétés à laquelle il faut croire.

La France doit percevoir l’opportunité d’adhérer à un projet global européen

Le projet européen porte cela car il a su dominer ses échecs passés. En combattant toujours ses démons et ses fantômes régressifs, il reste un espace privilégié, sinon unique, où la démocratie est plus qu’une série de droits : une exigence spirituelle collective inextinguible. Soyons conscients que nous sommes des acteurs déterminants de cette mutation civilisationnelle qui nous sollicite, allant du retour de la barbarie absolue aux utopies les plus universelles et que nous devons faire en sorte que l’emportent les valeurs humaines en jeu derrière les valeurs politiques en débat et les controverses qui animent notre vie nationale. L’on pourrait faire des rapprochements avec d’autres périodes comparables qui ont vu s’affronter des envolées progressistes et des pessimismes désabusés. On ne dira pas que nos défis sont plus considérables et plus risqués que jamais, mais on ne devra pas manquer de se dire que si la France se justifie plus que jamais par sa promesse d’intégration réussie, c’est d’abord pour la mettre au service d’un idéal européen qui n’est plus dissociable du sien. Cela lui donnerait la possibilité nouvelle d’accomplir son projet en le partageant avec ses voisins les plus proches, avec lesquels elle a vécu depuis plus de mille ans une aventure chaotique, afin de rester dignes, ensemble, de ce que l’on a fait de mieux. Et si les décennies qui viennent redevenaient un temps de civilisation en Europe ?

Pour Atelier Europe, Patrick d’Humières Avis & contact : [email protected]

Dans un an, qu’exprimera l’électeur européen ?

Patrick d’Humières, membre du Conseil stratégique de l’Atelier Europe

            Grand clerc celui ou celle qui peut prédire la motivation du vote à l’élection du Parlement Européen qui se tiendra dans moins d’un an maintenant ! La situation militaire au Donbass et autour, les élections turques, la tournure du débat politique aux Etats-Unis et peut être en Russie, viendront bousculer les choses inévitablement. Pour autant, quelques grandes tendances socio-politiques sont à l’œuvre au sein de la population des 27 qui peuvent servir de points de repère pour répondre à la question qui se pose à nous dès aujourd’hui : qu’aurons-nous à dire et à proposer aux électeurs français qui les conduira à se mobiliser pour faire faire « un saut historique » au projet européen à cette occasion ? La force du mandat qui sera confié, ou non, déterminera largement notre unité continentale.

           Le rééquilibrage de nos intérêts semble en bonne voie

Parmi les tendances au repli et au scepticisme qu’il faut éloigner, il y a bien sûr les craintes sur le pouvoir d’achat, la stabilisation de l’inflation et la maîtrise des coûts de l’énergie qui préoccupent à juste titre nos compatriotes. Sauf nouvelle secousse géopolitique, du côté de Taiwan ou du Golfe, le rééquilibrage de nos intérêts semble en bonne voie et ce n’est pas là le moindre succès d’une solidarité européenne qui l’aura emporté sur les dissensions internes persistantes en plein conflit ouvert avec un empire russe renaissant.

            La controverse atlantiste s’invitera inévitablement dans le débat

L’autre tendance à craindre est la peur ! Celle de se voir entraîner dans une fuite en avant militaire au nom d’un combat de libération que tous les Français ne saisissent pas d’évidence, alors que le camp souverainiste va tout faire pour en exalter les coûts et les dangers. Non pas que la neutralité puisse gagner une France encore pétrie de ses valeurs universalistes, mais il y a toujours eu un fond « lâche » dans la matrice nationale qui ne manque pas d’arguments pour ne pas livrer les armes et les financements à nos voisins bombardés…La controverse atlantiste – suivre ou ne pas suivre l’Amérique – s’invitera inévitablement dans le débat, car elle est aussi partie prenante de nos choix historiques, si ce n’est que dans un contexte de retour de la guerre à nos frontières, non plus froide mais chaude, le besoin de coopération stratégique n’est jamais loin d’une rivalité économique structurelle, sans qu’on sache bien les démêler et éviter les discours binaires autant que les clichés trompeurs qui nous égarent.

Délivrer un narratif convaincant à nos compatriotes et peser le plus efficacement possible sur une expression européenne au niveau des deux grands blocs mondiaux

Cette toile de fond prévisible induit deux conséquences qui doivent inspirer les militants français d’une Union Européenne politique, soucieux d’un avenir de puissance influente pour leur pays, ce qui se confond désormais. Nous savons au fond de nous-mêmes que la France n’a plus d’autre option stratégique sérieuse que celle de peser le plus efficacement possible sur une construction et une expression européenne au niveau des deux grands blocs mondiaux. Il n’y a rien à regretter dans cette réalité géopolitique nationale qui n’est que la continuité d’une boussole étrangère fixée sur ce cap magnétique, de François 1er à la 5ème république et dont seuls ont changé les modes d’action, pacifiques et constructifs aujourd’hui. 

La première conséquence pour délivrer un narratif convaincant à nos compatriotes est de ne pas en rester à la description des situations pour en déduire une inéluctabilité de l’européanisation de notre action collective ; l’honneur de la politique n’est-il pas de refuser le fatalisme ? Faut-il une ambition européenne qui réparerait une impuissance mondiale qui nous hante de plus en plus ? L’Europe inévitable est une option réaliste mais cela ne doit pas être un argument qui ferme la discussion, en réduisant par le mépris toutes les inclinaisons souverainistes.

Trois chantiers : la sécurité du territoire, la diplomatie et la culture

L’autre conséquence est liée à cet impératif kantien de justifier le choix européen en termes positifs : il faut révéler le bilan coût-avantage d’un engagement volontariste au côté de nos partenaires du grand marché et de l’union monétaire qui sont de plus en plus demandeurs de dépasser la dimension matérielle du projet pour rentrer dans un cycle plus exigeant. Oublier « le retour monétaire » de l’Union, consolider ses bases juridiques et démocratiques, dépasser les derniers blocages de la souveraineté… voilà de belles discussions à engager. En fait, dans un an, il nous faudra surtout être capable de proposer une offre motivante et accepter la controverse quasi-métaphysique sur le devenir européen, qui ne va pas de soi, en construisant une offre innovante à réaliser à l’horizon 2030.

Trois chantiers au moins peuvent nourrir cette offre, dont on voit bien qu’ils forment les arcatures d’une voûte qui élève un peu plus l’édifice européen au-dessus des villages originels. Le premier, le plus lourd mais le plus indispensable : la défense du territoire européen, à travers une interdépendance des moyens, des dispositifs et de sa gestion opérationnelle, qui appelle des efforts pour tout le monde, voire des sacrifices. Le second, c’est le chantier de la coordination diplomatique étroite, osant des fusions ici et des procédures là, capable de produire une vision, une parole, des initiatives communes dont plus grand-chose ne justifie désormais qu’elles soient désordonnées et plurielles. Quant au troisième, le chantier le plus facile mais aussi le moins travaillé aujourd’hui, c’est celui d’une action culturelle européenne d’envergure, pour que les citoyens associés se connaissent mieux et partagent plus au travers d’un récit collectif.

On pourrait y ajouter le rapport obsédant à l’Autre, c’est-à-dire le contrôle migratoire qui ne réussira que s’il comporte une dimension d’intégration réussie, largement à inventer. Une Europe des universités, des technologies avancées, des groupes leaders, de la souveraineté énergétique, alimentaire et scientifique, décarbonée et sobre, protectrice de la planète et des droits fondamentaux de tous, voilà aussi un horizon magnifique qu’il faut poursuivre.

N’attendons pas que les événements de l’année qui vient dictent les émotions et les réflexes des citoyens pour savoir s’il faudra voter « stop ou encore » en 2024. Il faudra voter d’abord pour une ambition collective humaine, démocratique, qui veut être un modèle, à ses yeux et aux yeux du reste du monde, de nos alliés comme de nos adversaires, auxquels nous ne devons pas craindre d’exprimer notre façon de penser le monde et de le réaliser, pour continuer à nous choisir un destin.

Pour Atelier Europe, Patrick d’Humières, Avis & contact : [email protected]

« Une Europe renforcée »

Une mise en perspectives des présidences française et tchèque du Conseil de l’UE.

Jérome Brouillet, Directeur de cabinet de Laurence Boone, Secrétaire d’Etat chargée de l’Europe et Michal Fleischmann, Ambassadeur de République tchèque en France.
Echange modéré par Aymeric Bourdin, président de l’Atelier Europe.

A l’occasion du traditionnel Petit déjeuner – débat au Sénat, le 17 novembre, l’Atelier Europe et le Mouvement Européen réunissaient Michal Fleischmann, Ambassadeur de République tchèque en France, et Jérôme Brouillet, directeur de cabinet de Laurence Boone, secrétaire d’Etat chargée de l’Europe.

L’occasion de revenir sur les enjeux et réalisations des présidences françaises et tchèques et d’en dégager les synergies. Nombreuses, celles-ci se sont manifestées par des priorités communes, qu’il s’agisse d’accroître la collaboration européenne en matière de souveraineté énergétique mais aussi numérique. Si la présidence française fût marquée par l’adoption du « Paquet climat », non sans difficulté, la République tchèque assure la relève et poursuivra le travail pour trouver des compromis entre membres de l’UE, déterminés à lutter au niveau européen contre le réchauffement climatique. Dans cette perspective, Jérôme Brouillet rappelle : « On sous-estime souvent la continuité entre les présidences » d’où l’importance ici, de souligner les défis mais aussi de célébrer la « fantastique unité » qui caractérise l’Union Européenne.

L’unité de l’Europe, comme le rappelle l’Ambassadeur, tient avant tout au compromis. Se mettre d’accord est au cœur du processus européen, et représente la clef pour une Europe souveraine. La notion de souveraineté, chère à la France, a d’ailleurs donné lieu à un développement philosophique, Jérôme Brouillet replaçant le concept dans son développement historique pour finalement retenir comme définition « la capacité de l’Europe à adopter ses propres lois et à se doter des moyens pour les faire respecter ».

Enfin, la réponse européenne à l’agression russe en Ukraine fait office de fil conducteur entre les deux présidences du conseil de l’UE. Cet événement a bousculé les priorités des uns et des autres, se hissant au rang de préoccupation première, tout en essayant, pour les deux Etats, de ne pas éclipser les sujets qu’ils souhaitaient mettre à l’agenda. La malheureuse expérience de la guerre en Ukraine aurait pu diviser l’Europe, c’est ce que les Russes souhaitaient, indique Monsieur Fleischmann. Mais il n’en n’est rien, c’est bien l’unité dans la condamnation et dans la réponse qui a brillé. En guise d’avertissement, il rappelle que l’Etat de droit est à la fois essentiel et fragile, aujourd’hui menacé et attaqué. La position tchèque est sans équivoque et poursuit alors les réponses entamées sous présidence française : soutenir les Ukrainiens et sanctionner les responsables.

Pour conclure les interventions sur une note plus positive, aujourd’hui plus que jamais, l’Union Européenne souhaite remettre au cœur de son existence le lien fort entre citoyens et institutions. Ces derniers ont parfois évoqué lors des questions le vote à la majorité simple comme levier d’efficacité de la politique européenne. A ce propos, Monsieur Fleischmann a pu dessiner la position de la République tchèque : « La plupart des décisions qui se prennent dans l’UE sont déjà votées à la majorité simple. Il y a tout de même des désaccords entre les pays. La République Tchèque est ouverte au vote à la majorité simple. Toutefois il faut qu’on puisse avoir une garantie de s’opposer à certaines décisions lorsque celles-ci touchent à notre souveraineté. » Une piste pour la Suède, qui prendra la présidence du Conseil de l’UE le 1er janvier ? En tout cas, une question qui s’inscrira dans l’ambition commune du trio de présidences : protéger les citoyens et les libertés, en remettant au cœur du projet européen les valeurs communes, en gardant la boussole stratégique de l’Union et en renforçant les moyens de coopération.

-Lisa Despinasse

A Prague se prépare une Présidence « trait-d’union » pour l’Union européenne  

A partir du 1er juillet, la République tchèque assurera la présidence du Conseil de l’UE.

Prenant la suite de la France, ce sera au tour de ce pays d’Europe centrale d’accueillir les réunions et de tenir l’ordre du jour des conseils des ministres de l’Union européennes jusque fin 2022.

Ce sera la deuxième fois que Prague assure la présidence du Conseil de l’UE. En 2009 déjà, cinq ans après son accession à l’UE, le pays avait joué le rôle de chairman des réunions du Conseil des Ministres européens. A l’époque, les citoyens tchèques s’étaient impliqués dans les débats politiques que cela avait suscité. Aujourd’hui, il semble que les six mois à venir se traduisent majoritairement par des activités diplomatiques, sans que la population vive cette mise en avant de leur pays avec enthousiasme.

Pour autant, la présidence est attendue avec intérêt par la sphère intellectuelle et médiatique car elle est toujours une occasion de retrouver le sens de l’appartenance du pays au « club » européen. Par ailleurs, depuis le Brexit, la République tchèque cherche de nouveaux partenaires en Europe de l’Ouest. Nul doute que le passage de relai avec la France soit l’occasion de poser les jalons de liens plus durables. A quelques semaines du passage de relai, les principales priorités attendues sont notamment et sans surprise la Refondation de l’Ukraine, la sécurité énergétique, les Balkans occidentaux, la Boussole stratégique, la cybersécurité avec notamment l’identification électronique.

Un contexte international particulier

Avec l’attaque russe sur l’Ukraine le 24 février, la série d’événements inattendus ont nécessité de mettre à jour le programme du trio de présidences et notamment les règles du Plan de relance.

En effet, la guerre en Ukraine a réorienté les préoccupations européennes, qui se sont tournées vers la gestion de crise et la reconstruction à venir. En République tchèque, 300 000 réfugiés ukrainiens, dont la majorité de femmes et d’enfants sont arrivés depuis le mois de février. Un défi pour le pays, qui n’est pas habitué à la gestion de flux migratoires sur son sol. Prague doit en effet organiser logement et scolarisation, tout en ayant perdu une main d’œuvre ukrainienne précieuse, les hommes ayant quitté le pays pour rejoindre les rangs de l’armée de Kiev.

Au-delà de son cas particulier, la République tchèque devra donc animer les travaux européens sur le sujet, avec notamment comme ambition d’arriver à une position commune envers la Russie et l’Ukraine.

Des enjeux multiples à moyen et long terme

Si le trio de présidences Française, Tchèque et Suédoise s’est donné pour objectif de faire avancer de nombreux dossiers visant à promouvoir les intérêts et valeurs de l’Europe dans le monde, il va sans doute falloir adapter ce programme d’un an et demi à la donne géopolitique actuelle.  L’objectif initial d’organiser une politique industrielle ambitieuse pour l’avenir afin de réduire les vulnérabilités dues aux dépendances stratégiques de l’Union vis-à-vis de pays tiers va devoir intégrer les enjeux très concrets de la perturbation des chaines de valeur internationales par le COVID 19 et la guerre en Ukraine. Pour autant, le projet de rendre l’industrie européenne plus durable, plus verte, plus compétitive au niveau mondial et plus résiliente à moyen et long terme sera sans doute appuyé par la nécessité de transformer les infrastructures existantes, notamment en matière d’accès à l’énergie.

Des priorités ajustées

C’est le propre des présidences tournantes de devoir composer entre un programme de long terme élaboré sur un an et demi et la prise en compte d’impératifs conjoncturels. Ainsi la présidence française de 2008 avait-elle dû faire face à la crise financière et à la crise géorgienne. Celle de 2022 a dû gérer les conséquences de la crise du COVID et la guerre en Ukraine, tout en déroulant un agenda législatif et réglementaire dense.

Marché unique numérique, Mesures Energie et climat, Boussole stratégique… Les avancées majeures négociées avec le Parlement Européen et la Commission ne manquent pas.

Pour la République Tchèque la présidence portugaise de 2021 semble être le niveau d’exigence à atteindre. Consciente que le leadership en Europe reste malgré tout Franco-Allemand mais tout en ayant besoin de fluidité, Prague se positionne comme facilitateur pour faire le lien entre Paris et Berlin à un moment où des enjeux concrets comme la sécurité énergétique mise à mal par le conflit en Ukraine préoccupent à des titres divers les Vingt-sept.

Aymeric Bourdin