Pour que l’Europe surmonte ses contradictions internes, pour qu’elle s’ancre dans le cœur de ses citoyens, il faut refonder sa base idéologique.
L’Europe est à bout de souffle. Le désamour européen grandit chaque jour davantage sur fond de déclassement économique. La nécessaire refonte des institutions a déjà été maintes fois vantée, et elle est déjà enclenchée quelque peu forcée par les secousses monétaires et financières. Mais, voilà, les réformes sont partielles car essentiellement techniques et en contournant la dimension politique où le consensus n’est plus. Alors, que faire? La réponse des pro-européens est généralement de deux natures. Celle des tenants de l’orthodoxie institutionnelle: le franco-allemand! La méthode Monnet! Vite, un nouveau Delors! Or, la méthode Monnet est en phase terminale dans une Europe à vingt-sept Etats et aux compétences élargies dont on conteste la légitimité. Et l’histoire ne repasse pas les plats. Celle des utilitaristes, en général géo-stratèges à leurs heures (gare au péril jaune!), convaincus que l’Homme européen, cet enfant des Lumières, sera touché par la grâce post-nationale par la seule intervention de la raison; on parle alors de projets (ah, l’Airbus pour faire la nique aux Américains!), d’efficacité économique (Adam Smith et ses saintes économies d’échelle), etc. Or, l’Europe bute contre un mur aux facettes multiples et pas seulement liées à la satisfaction de l‘homo economicus triomphant, ce leurre que l’Europe a fait sien à ses dépens. Surtout, la perte de la référence nationale inquiète, on voudrait nous pousser à l’infidélité vis-à-vis de ce vieil amour mais quelle peut bien être cette maitresse que nous choisirions par prudence?
Alors, évidemment, demeure l’alternative contestataire. Il est séduisant ce fourre-tout médiatico-populaire où, comme dans nos souvenirs d’enfance, tout se confond dans un joyeux dédale de références passées. C’est souvent une déclinaison sur le mode du social souverainisme, lequel nous a pourtant conduit à l’impasse de la dette, et puis ce n’est pas vraiment l’idéal de la liberté et de l’émancipation; mais si cela fonctionne, c’est parce que cela touche à un ressort profond, soit l’identité. Un lieu commun, peut-on objecter. Mais, l’Europe a laissé l’idéologie, ce terme passé de saison depuis qu’on a cru à la fin de l’histoire, mais qui est pourtant bien le substrat du politique, aujourd’hui en jachère de sorte que les fondements du projet européen sont ceux de l’Après-Guerre et ne parlent pas aux générations du XXIe siècle. Or la question idéologique en Europe, du fait d’un espace politique plurinational, multi linguistique et aux contours flous, est celle de l’identité.
Notre postulat est clair: aucune réforme d’ensemble ne sera possible tant que la question identitaire ne sera pas résolue. La question de la légitimité même de l’Europe, et partant de son existence à terme, ne pourra être résolue que par une réponse identitaire. Il est là, l’appel du peuple traversé par des aspirations contraires, du régionalisme au nationalisme, et que, pourtant, seule l’Europe peut concilier dans un ensemble cohérent. De là pourra se dérouler un jeu complexe et imbriqué entre l’idéologie et l’efficience institutionnelle du système européen. Une fois conscients de notre identité commune, ce qui est le préalable, la traduction institutionnelle de l’ensemble ainsi produit ne peut être qu’un compromis entre l’efficacité de la décision, soit la verticalité (telle l’idée de l’Europe parlant d’une seule voix), et le respect des différentes strates identitaires, du local à l’européen via le national. Ce compromis qu’on appelle fédéralisme et qui est aujourd’hui tant vilipendé.
Jérôme Cloarec et Camille Roux
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