La Hongrie d’Orbán, laboratoire anti-européen ?

Synthèse du voyage d’étude
pour la présidence hongroise du Conseil de l’UE (octobre 2024)

Par Michaël Malherbe, Secrétaire Général

La Hongrie de Viktor Orbán, au pouvoir sans discontinuer depuis 2010, s’est progressivement transformée en un laboratoire d’une nouvelle forme de démocratie « dévoyée » dont nous aurons à affiner la définition. Derrière ce vernis démocratique se dissimule un système sophistiqué de contrôle, de manipulation et de corruption, minant les fondements mêmes de l’État de droit. Ce papier, basé sur le voyage d’étude de l’Atelier Europe lors du semestre de présidence du Conseil de l’UE par la Hongrie, approfondit des entretiens menés avec des acteurs de la société civile, décortique les mécanismes de ce régime et explore des voies de résistance dans un environnement hostile. Comment un État membre défie-t-il les principes qui fondent l’Union ? Comment l’Europe gère-t-elle en son sein un régime qui érode les fondements de l’État de droit, instrumentalise la justice et musèle la presse ? Le cas hongrois est un test grandeur nature pour l’UE. Saura-t-elle relever le défi et protéger son modèle démocratique ? Ou bien laissera-t-elle la tentation autoritaire se propager, menaçant peut-être l’avenir même du projet européen ?

La méthode Orbán : un cocktail explosif de contrôle, de nationalisme et de désinformation

Lorsqu’on écoute différents acteurs de la société civile du pays, on mesure l’emprise du système Orbán sur la Hongrie, qui repose aujourd’hui sur une stratégie méthodique et multiforme. Le premier pilier en est le démantèlement systématique des institutions démocratiques. La Cour constitutionnelle, autrefois garante de la Constitution, a été vidée de sa substance. Le système judiciaire est désormais sous influence, les juges étant nommés et destitués par un organe contrôlé par le pouvoir. L’audiovisuel public, transformé en instrument de propagande, relaie sans relâche la propagande du gouvernement.

Le deuxième pilier est la construction d’un récit national victimaire. Viktor Orbán se pose en défenseur d’une Hongrie qui serait assiégée, menacée par les migrants, George Soros et les élites « globalistes ». Ce discours, teinté de xénophobie et de complotisme, exploite les peurs et les frustrations d’une partie de la population, nostalgique d’un passé idéalisé.

Enfin, le troisième pilier est l’utilisation massive de la désinformation. Un vaste réseau de médias, financés par l’État et des oligarques proches du pouvoir, inonde le pays de fake news et de propagande pro-gouvernementale. Cette machine cible particulièrement les personnes âgées et les populations rurales, moins exposées à des sources d’information alternatives.

L’économie hongroise : un jeu  dangereux d’équilibriste

Malgré sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, la Hongrie a su tirer profit de son intégration au marché européen notamment grâce à l’industrie automobile, moteur essentiel de la croissance, avec par exemple la présence d’usines Audi et Mercedes. Mais cette prospérité, largement financée par les fonds européens, masque une réalité plus sombre : une corruption endémique, un manque de transparence et une dépendance croissante aux investissements étrangers. Orbán joue un jeu dangereux, défiant Bruxelles tout en profitant des financements de l’UE.

Au cœur de la pensée Orbániste : un conservatisme réactionnaire

Aujourd’hui l’idéologie d’Orbán, promue par des think tanks et institutions académiques, s’avère un mélange de conservatisme nostalgique, de nationalisme exacerbé et de rejet des valeurs modernes. L’Europe, perçue comme décadente et en déclin, est accusée de vouloir imposer un modèle libéral destructeur des valeurs traditionnelles. Ce discours, qui trouve un écho dans d’autres pays d’Europe, représente un défi majeur pour l’unité et l’avenir du projet européen.

La résistance s’organise : David contre Goliath

Malgré l’emprise du Fidesz sur la société hongroise, des îlots de résistance persistent, portant la flamme d’une démocratie en sursis. Péter Magyar et son parti Tisza, né de la volonté de rassembler les forces d’opposition, incarnent l’espoir d’une alternative politique crédible. Leur discours, centré sur la lutte contre la corruption, la défense de l’État de droit et le retour à une Hongrie européenne et ouverte sur le monde, séduit une partie croissante de la population, notamment les jeunes et les urbains.

Mais la tâche est immense. Face à un pouvoir qui contrôle la quasi-totalité des médias, l’opposition a du mal à se faire entendre. Les espaces de liberté d’expression se réduisent comme peau de chagrin. Les ONG, souvent accusées de collusion avec des puissances étrangères, sont soumises à des pressions constantes, voire à des campagnes de harcèlement. Les journalistes indépendants, menacés et intimidés, sont de plus en plus nombreux à choisir l’exil.

Malgré ces difficultés, la société civile continue de se mobiliser. Des manifestations, rassemblant des milliers de personnes, ont lieu régulièrement pour protester contre les dérives autoritaires du régime. Des initiatives citoyennes, comme la création de médias indépendants en ligne, tentent de contourner la censure et d’informer la population.

Une Hongrie résiliente : solutions et modèles alternatifs

L’ancien Commissaire européen László Andor, fort de son expérience au sein de la Commission Barroso II, souligne l’importance d’une application rigoureuse du droit européen, notamment à travers la procédure d’infraction. Cet outil, permettant de sanctionner les violations de l’État de droit, doit être utilisé avec plus de fermeté et de rapidité pour dissuader les dérives autoritaires.

Parallèlement, la lutte contre la désinformation doit être renforcée. Des initiatives concrètes, comme le développement de programmes d’éducation aux médias et la mise en place de sanctions contre les plateformes qui diffusent des fake news, sont essentielles pour protéger les citoyens et préserver l’intégrité du débat démocratique.

Enfin, l’héritage d’Otto de Habsbourg, avec sa vision d’une Europe fédérale, subsidiaire et sociale, offre un modèle alternatif inspirant. Son engagement pour une Europe unie, respectueuse des diversités nationales et fondée sur des valeurs humanistes, reste plus que jamais d’actualité afin de construire une Europe plus résiliente face aux menaces populistes et autoritaires.

L’influence de Trump et Musk : le spectre d’un monde post-démocratique

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et l’influence grandissante d’Elon Musk sur l’Europe avec son discours anti-système et son mépris des règles, représentent outre-Atlantique une menace sérieuse pour la démocratie en Europe. Trump, avec son nationalisme exacerbé et sa rhétorique anti-européenne, pourrait encourager d’autres dirigeants populistes à défier les institutions et les valeurs de l’UE. Musk, avec son pouvoir médiatique et sa fortune, promeut une vision libertarienne du monde, où les régulations et les institutions sont perçues uniquement comme des freins à l’innovation et à la liberté individuelle.

Ce contexte international délétère pourrait affaiblir encore davantage l’UE et encourager les dérives autoritaires au sein de ses États membres. L’Europe doit se réveiller et prendre conscience du danger. Elle doit défendre avec force ses valeurs démocratiques et promouvoir une vision positive de l’avenir, fondée sur la coopération, la solidarité et le respect des droits fondamentaux. L’enjeu est crucial : il ne s’agit de rien de moins que de préserver l’avenir de la démocratie dans le monde.

L’Europe à la croisée des chemins : un sursaut démocratique est-il encore possible ?

Le cas hongrois est bien un avertissement pour l’Europe. Il démontre que la démocratie, même au sein de l’UE, n’est jamais acquise. Elle est un combat permanent, qui exige vigilance et détermination. Face à la montée des populismes, à la propagation de la désinformation et aux tentations autoritaires, l’Europe doit réaffirmer avec force ses valeurs fondamentales : liberté, démocratie, État de droit, respect des droits humains.

L’UE ne peut se contenter de condamner les dérives du régime Orbán. Elle doit agir concrètement pour protéger les citoyens hongrois et préserver l’intégrité de son espace démocratique. Cela passe par une réforme des mécanismes de sanction, par une lutte plus efficace contre la désinformation et par un soutien accru aux acteurs de la société civile qui luttent pour la démocratie et l’État de droit.

L’Europe doit également réinventer sa communication et proposer une vision positive et inspirante où les citoyens européens, forts de leurs valeurs communes, pourront construire ensemble un monde plus juste, plus durable et plus démocratique. Le défi est immense, mais l’espoir est permis. L’Europe a les ressources et la capacité de relever le défi et de montrer la voie vers un avenir meilleur.