Tracer l’avenir de la compétitivité de l’UE

 

UNE ANALYSE COMPAREE DES RAPPORTS DRAGHI ET LETTA

Par Michaël Malherbe, Secrétaire général de l’Atelier Europe

L’Union européenne navigue dans un paysage mondial turbulent, marqué par une convergence de défis sans précédent pour sa compétitivité économique et son statut global. La guerre en Ukraine, les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine, la montée du protectionnisme et les effets persistants de la pandémie de COVID-19 ont mis en lumière les vulnérabilités du modèle économique de l’UE et amplifié la pression sur son marché unique, longtemps considéré comme le moteur de sa prospérité.

Dans ce contexte, deux rapports influents ont émergé, offrant des visions distinctes et complémentaires pour revitaliser le marché unique et renforcer la croissance et la compétitivité de l’UE : l’un dirigé par l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, et l’autre par l’ancien Premier ministre italien, Enrico Letta. Quelle analyse comparative de ces rapports, en examinant leur vision commune, leurs approches divergentes et leurs implications critiques pour la politique de l’UE ? Un exercice de lecture croisée pour montrer les convergences et les complémentarités.

Vision partagée : nombreux domaines de convergence

Malgré leurs différences, les rapports Draghi et Letta convergent sur plusieurs points cruciaux, reflétant un diagnostic partagé des défis et des opportunités de l’UE. Les deux rapports soulignent de manière catégorique la nécessité urgente de renforcer et de compléter le marché unique, le reconnaissant comme le fondement de la compétitivité de l’UE. Ils mettent en avant l’importance critique de la transformation numérique, reconnaissant le retard de l’UE dans des technologies clés comme l’intelligence artificielle, la blockchain et l’informatique quantique, et appelant à des efforts concertés pour combler cet écart.

Les deux rapports plaident pour un investissement accru dans la recherche et le développement (R&D), appelant à un financement plus substantiel et coordonné au niveau de l’UE pour l’innovation. Ils insistent également sur la nécessité de réduire la fragmentation dans des secteurs cruciaux tels que l’énergie, les services numériques et les marchés de capitaux pour créer de véritables marchés européens intégrés capables de rivaliser à l’échelle mondiale.

Le développement des compétences et l’éducation occupent une place importante dans les deux analyses, reconnaissant le capital humain comme un pilier de la compétitivité future. Les rapports appellent également à une approche plus coordonnée de la politique industrielle au niveau de l’UE, allant au-delà du patchwork actuel de stratégies nationales pour répondre efficacement aux défis posés par la concurrence mondiale et les disruptions technologiques.

La simplification réglementaire, en particulier pour réduire les charges pesant sur les PME, est un autre domaine de convergence. Draghi et Letta soulignent l’importance de l’autonomie stratégique et de la réduction des dépendances dans des domaines critiques tels que les semi-conducteurs, les matières premières critiques et les énergies, une leçon soulignée par les récentes crises mondiales.

Approches divergentes : Principales différences

Bien que les rapports partagent de nombreux objectifs, leurs méthodes proposées et leurs domaines de concentration divergent, reflétant des perspectives différentes sur le rôle de l’UE, l’équilibre entre les forces du marché et l’intervention publique, et l’importance des considérations sociales.

Mécanismes de financement : Un point de divergence clé réside dans les mécanismes de financement proposés. Le rapport Draghi préconise des programmes de financement et d’investissement à grande échelle au niveau de l’UE, envisageant une approche plus centralisée de l’allocation des ressources, potentiellement par des mécanismes tels que les obligations de l’UE ou en utilisant le Mécanisme européen de stabilité (MES). En revanche, le rapport Letta met davantage l’accent sur la mobilisation du capital privé et la création de conditions pour des investissements dirigés par le marché, par exemple via une « Union de l’épargne et des investissements » basée sur l’Union des marchés de capitaux incomplète.

Modèles de gouvernance : Les rapports divergent également sur leurs modèles de gouvernance préférés. La vision de Draghi penche vers une gouvernance plus centralisée de l’UE dans les domaines stratégiques, potentiellement par un nouveau « Cadre de coordination de la compétitivité » doté de pouvoirs renforcés pour la Commission européenne. Letta, en revanche, se concentre sur l’amélioration de la coordination entre les niveaux national et de l’UE, maintenant un équilibre des compétences et plaidant pour un rôle plus fort des partenaires sociaux et de l’engagement des citoyens.

Révision des traités : Tandis que certaines recommandations de Draghi envisagent des évolutions des traités, Enrico Letta plaide pour des évolutions à périmètre constant :

  • Gouvernance centralisée de l’UE : La vision de Draghi va au-delà des dispositions actuelles du traité, elle pourrait nécessiter des changements dans la répartition des compétences entre l’UE et les États membres.
  • Programmes de financement et d’investissement de l’UE à grande échelle : Selon l’ampleur et la nature des mécanismes de financement proposés, le rapport Draghi nécessiterait des changements dans les processus budgétaires de l’UE ou les dispositions financières telles que décrites dans les traités.
  • Consolidation des entreprises de l’UE : Les recommandations du rapport Draghi nécessiteront des modifications du traité pour le droit de la concurrence ou la politique industrielle de l’UE qui vont au-delà des dispositions actuelles du traité.
  • Financement renforcé de la R&D et de l’innovation au niveau de l’UE : Sans nécessiter la création de nouvelles institutions au niveau de l’UE, des modifications significatives du mandat des institutions existantes pourraient justifier des modifications du traité.
  • Mesures d’autonomie stratégique : Selon leur portée, ces mesures pourraient nécessiter des changements dans les compétences de l’UE en matière de politique commerciale.

Échelle des entreprises : Les rapports diffèrent dans leur approche de l’échelle des entreprises. Le rapport Draghi met l’accent sur la nécessité de consolider les entreprises de l’UE pour atteindre une compétitivité mondiale, en particulier dans des secteurs clés comme les nouvelles technologies. Draghi soutient que l’UE doit créer des « champions européens » capables de rivaliser avec les géants américains et chinois. Letta, en revanche, met davantage l’accent sur le soutien aux PME et leur intégration dans le marché unique, plaidant pour un « Code européen du droit des affaires » afin de simplifier les opérations transfrontalières et de réduire les charges réglementaires.

Dimension sociale : Le rapport Letta se distingue par son accent plus fort sur la dimension sociale du marché unique, introduisant le concept de « liberté de rester » aux côtés de la liberté de circulation. Cela reflète une vision plus holistique de la compétitivité qui équilibre les objectifs économiques et sociaux, reconnaissant la nécessité de traiter les disparités régionales, la fuite des cerveaux et le potentiel de dumping social. Letta propose un « Vice-président pour la liberté de rester » au sein de la Commission européenne pour assurer la cohérence des politiques dans les domaines pertinents.

Focus sectoriel : Alors que le rapport Draghi se concentre davantage sur des secteurs stratégiques spécifiques comme les semi-conducteurs, les technologies propres et la défense, Letta adopte une approche plus large, examinant le marché unique dans son ensemble et soulignant la nécessité d’une stratégie globale qui englobe tous les secteurs et aborde des questions transversales comme le développement des compétences, la simplification administrative et la protection des consommateurs.

Engagement des citoyens : Enfin, le rapport Letta met davantage l’accent sur l’engagement des citoyens et la légitimité démocratique dans la gouvernance du marché unique, proposant des mécanismes pour une participation publique accrue, tels qu’une « Conférence permanente des citoyens » pour fournir des contributions sur les politiques du marché unique.

Analyse critique

Les deux rapports offrent des perspectives et des stratégies précieuses, chacun avec ses propres forces et défis potentiels. L’approche de Draghi, avec son accent sur l’action centralisée et le financement à grande échelle, pourrait potentiellement conduire à des changements rapides dans des secteurs clés et accélérer la réponse de l’UE à la concurrence mondiale. Cependant, elle pourrait rencontrer une résistance politique des États membres réticents à céder plus de pouvoir à Bruxelles et des préoccupations concernant le potentiel de distorsions du marché et de risque moral.

La vision de Letta, axée sur la coordination, la mobilisation du capital privé et le renforcement de la dimension sociale, pourrait s’avérer plus politiquement acceptable et adaptable aux divers contextes nationaux. Cependant, elle pourrait avoir du mal à générer l’ampleur des ressources nécessaires pour des investissements transformateurs dans des domaines comme l’IA ou les technologies vertes et pourrait trop compter sur les forces du marché pour relever les défis systémiques.

Implications pour la politique de l’UE

Les rapports Draghi et Letta ne sont pas mutuellement exclusifs, et une synthèse de leurs recommandations pourrait fournir une stratégie globale pour renforcer la compétitivité de l’UE. Par exemple, combiner les propositions de financement ambitieuses de Draghi avec l’accent de Letta sur le capital privé et les considérations sociales pourrait aboutir à une approche équilibrée et efficace.

À court terme, les décideurs de l’UE devraient se concentrer sur les domaines de convergence entre les rapports, tels que :

  • Accélérer la transformation numérique : Cela inclut l’investissement dans des technologies clés, le développement de compétences numériques et la création d’un marché unique numérique plus intégré.
  • Renforcer le développement des compétences et l’éducation : Cela implique de réformer les systèmes éducatifs, de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie et d’attirer les talents mondiaux.
  • Réduire la fragmentation du marché : Cela nécessite de compléter le marché unique dans des secteurs clés, d’harmoniser les réglementations et de simplifier les procédures administratives.

Les considérations stratégiques à long terme devraient inclure :

  • Trouver un équilibre entre l’action centralisée et la coordination des États membres : Cela nécessite une approche nuancée qui respecte la souveraineté nationale tout en assurant l’efficacité au niveau de l’UE.
  • Équilibrer la compétitivité économique avec la cohésion sociale : Cela implique de traiter les disparités régionales, de promouvoir des conditions de travail équitables et de garantir que les avantages du marché unique sont largement partagés.
  • Positionner l’UE dans la course technologique mondiale : Cela nécessite des investissements stratégiques en R&D, le soutien aux écosystèmes d’innovation et le développement d’une politique industrielle robuste.

Les rapports Draghi et Letta offrent des visions complémentaires pour renforcer la compétitivité de l’UE par un marché unique revitalisé. Bien qu’ils diffèrent dans leur approche, ils soulignent tous deux la nécessité urgente d’agir pour sécuriser l’avenir économique de l’Europe. À mesure que l’UE avance, elle doit trouver une voie qui combine ambition et pragmatisme, dynamisme économique et responsabilité sociale, et un engagement envers les marchés ouverts avec une reconnaissance de la nécessité d’une autonomie stratégique. Ce n’est qu’en faisant cela qu’elle pourra espérer créer un marché unique véritablement compétitif, innovant et inclusif, à la hauteur des défis du 21e siècle.

 

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Quand l’envie d’Europe ne manque pas d’ambitions

par Michaël Malherbe, Secrétaire général

Les programmes des principaux partis politiques français aux élections européennes de juin 2024 dessinent des visions très variées certes, mais autour d’un point commun, une sorte d’ambition pour l’Europe. Ces visions, qui représentent la diversité des opinions relatives à la construction européenne sont malgré tout souvent positives : une « puissance » pour Renaissance, une « alliance des nations » pour le RN, une « civilisation » pour Reconquête, une Europe « à l’endroit » pour LR, une « puissance publique européenne » pour le PS, un « État providence écologique européen » pour les Écologistes ou encore une « Europe des peuples » pour le PCF.

Les différences majeures résident dans l’approche de la souveraineté, de l’économie et des transitions écologique et numérique, des frontières et même des innovations reflétant une diversité d’opinions sur le futur rôle de l’Europe, pour les Européens et dans le monde.

On peut identifier des « alliages » idéologiques qui se rassemblent au gré des programmes électoraux, autour de certaines convergences à l’échelle des grandes lignes, avant de rentrer davantage dans le détail des mesures :

  • Renaissance et Les Républicains partagent une vision d’une Europe forte et souveraine, avec un accent sur la défense et l’investissement technologique même s’ils diffèrent sur la méthode de gestion de l’économie et de la transition écologique et sur les sujets plus sociétaux.
  • Rassemblement national et Reconquête mettent l’accent sur la souveraineté nationale et la protection des frontières, avec une réticence à des intégrations européennes plus profondes, même s’ils ne franchissent pas la ligne du Frexit.
  • Place publique – PS et Les Écologistes visent une Europe écologique et sociale, avec un fort engagement en faveur des droits humains et de la justice sociale, mais les Écologistes sont plus radicaux dans leur approche environnementale et les Socialistes plus idéalistes dans les moyens budgétaires.
  • Parti communiste et LFI prônent des politiques anti-austérité et anti-libéralisation, mettant en avant la nécessité de protéger les services publics et de planifier l’économie pour assurer les transitions.Des points de divergence clés se cristallisent néanmoins rapidement à l’échelle de la vision de l’Europe : le clivage le plus « classique » oppose Renaissance, Place publique – PS, Les Écologistes qui favorisent une intégration accrue et même pour certains un fédéralisme européen, tandis que Rassemblement National, Reconquête, Les Républicains, Parti communiste et LFI prônent une Europe des nations avec divers degrés de coopération interétatique et respect de la souveraineté nationale.

Consensus de façade sur la défense

Si le sujet de la défense, afin d’assurer la sécurité des Européens, n’est oublié par aucun parti politique, derrière les convenances consensuelles autour du soutien à l’Ukraine et de la paix, ce qui se projette est bien plus que des nuances dans les mesures recommandées entre Renaissance et Les Républicains relatives au réarmement et au renforcement de la défense européenne, tandis que Rassemblement National et Reconquête sont minimalistes sur le sujet et que Parti communiste et LFI se placent sur la ligne d’une politique de paix, contre l’escalade militaire.Si l’on entre dans les détails, Renaissance veut une force armée de réaction rapide, le Rassemblement National une coopération industrielle sur des projets de défense, Reconquête vise le réarmement de l’économie européenne et la défense des intérêts français. Les Républicains visent à un renforcement militaire pour affronter les menaces extérieures. Place publique – PS veulent donner à l’Europe les moyens de se défendre, Les Écologistes bâtir une politique de diplomatie et de défense commune pour la paix, le Parti communiste promouvoir la paix et la sécurité collective et LFI fait la promotion d’un cessez-le-feu immédiat dans les zones de conflit.

Quelle transition ?

Sur l’énergie et le climat, l’une des principales préoccupations des citoyens, les lignes de fractures se recomposent différemment autour d’un seul axe, avec Renaissance et Les Écologistes, réunis autour d’objectifs ambitieux pour la transition énergétique et la protection de l’environnement, tandis que Reconquête est à l’autre extrémité sur une position de scepticisme climatique et d’opposition au pacte vert. Entre les deux, Les Républicains ou le Parti communiste se positionnement à mi-chemin en faveur d’une transition écologique avec soutien à l’industrie et souveraineté énergétique.

Là encore, plus dans le détail, les divergences se précisent davantage. Renaissance veut reprendre le destin énergétique en main avec une priorité au nucléaire et aux renouvelables tandis que le Rassemblement National cherche la souveraineté énergétique sans dépendance excessive aux énergies renouvelables. Reconquête s’oppose au pacte vert et promeut des énergies traditionnelles tout en intégrant des innovations écologiques. Les Républicains encouragent le progrès et la science pour affronter le changement climatique. Place publique – PS veulent créer une agence de planification écologique européenne, Les Écologistes sont sur l’objectif de 100% d’énergies renouvelables d’ici 2040, le Parti communiste se fait le chantre de la promotion d’une écologie populaire et de la souveraineté énergétique et LFI plaide pour la planification écologique européenne.

Autour de l’économie, les lignes de partage retrouvent des modes de différenciation propre à la vie politique parlementaire française contemporaine. Renaissance plaide pour l’Union de l’épargne et de l’investissement et 1 000 milliards d’euros pour faire face aux chocs écologique, technologique et sécuritaire, tandis que Rassemblement National et Reconquête sont favorables au protectionnisme et à la souveraineté économique. Place publique – PS et Les Écologistes se rejoignent autour de la réindustrialisation et de la transition écologique de même que Parti communiste et LFI, contre les règles d’austérité et pour la redistribution des richesses.

Pour trouver les lignes de fracture les plus sensibles, les migrations illustrent la diffraction de la société française où il peut être utile de distinguer chaque force politique: Renaissance propose un contrôle renforcé des frontières et une coopération entre les polices et services de justice. Le Rassemblement National veut réhabiliter les frontières nationales et mettre en place une « double frontière » ainsi que renvoyer les migrants illégaux avec l’aide de Frontex. Reconquête fait de la surenchère avec la mise en place d’une triple-frontière ainsi que l’expulsion et la remigration des clandestins. Les Républicains visent sobrement à maîtriser les frontières extérieures. A gauche, les positions évoluent entre Place publique – PS pour l’harmonisation des procédures d’asile et la création d’un espace européen de protection des demandeurs d’asile ; Les Écologistes sont en faveur d’une politique d’accueil juste et digne; le Parti communiste pour une politique migratoire plus humaniste et le respect des droits des migrants et LFI plaide pour l’organisation d’un accueil coordonné et digne et la garantie du droit d’asile sur le sol européen.

Sur l’innovation et les technologies, c’est l’opportunité de se différencier tant par les absences, comme l’intelligence artificielle peu mentionnée, que par les présences : Renaissance et Les Républicains plaident pour des investissements dans les secteurs numériques et technologiques, le RN pour un cloud souverain européen pour protéger les données et Place publique – PS et Les Écologistes pour la protection des créateurs et les technologies vertes.

Les questions institutionnelles

Les réformes institutionnelles de l’Union européenne sont également un sujet de divergence notable parmi les principaux partis politiques français. Renaissance vise à un renforcement des institutions européennes pour une Europe plus intégrée avec la création de nouveaux fonds et mécanismes pour la coopération entre États membres. Le Rassemblement National s’oppose à une Europe fédérale, veut renforcer le rôle des nations et des souverainetés nationales et même plaide pour une sorte de sortie de l’UE en réaffirmant « la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes », une position défendue différemment par Reconquête qui veut « modifier l’article 55 de notre Constitution pour sanctuariser la primauté du droit national sur le droit européen ». Les Républicains ne proposent pas de réforme institutionnelle, moins de normes et plus de résultats, tandis que Place publique – PS liste ses attentes : création d’une agence de planification écologique européenne, d’un « défenseur des droits » élu par le Parlement européen sans aller jusqu’à la position des Écologistes qui proposent une assemblée constituante européenne pour refonder l’Europe sur des bases plus démocratiques et écologiques. Sur la question du budget, Place publique- PS plaide pour augmenter le budget européen pour atteindre 5% du PIB, avec des ressources propres pour financer des initiatives paneuropéennes.

Les divergences sur la réforme institutionnelle de l’UE illustrent des visions fondamentalement différentes du futur de l’Europe. Les partis pro-européens comme Renaissance, Place publique – PS, et Les Écologistes cherchent à renforcer et à réformer les institutions européennes pour une intégration plus profonde et démocratique. En revanche, les partis souverainistes comme Rassemblement National, Reconquête, Les Républicains (avec mesure), Parti communiste, et LFI insistent sur la préservation de la souveraineté nationale et une limitation des compétences de l’UE, tout en favorisant des coopérations interétatiques sur des domaines spécifiques.

Le débat sur l’élargissement de l’UE reflète des visions opposées de l’avenir de l’Europe. Renaissance, Place publique – PS, et Les Écologistes voient l’élargissement comme une opportunité de renforcer l’UE, sous réserve de critères rigoureux en termes de démocratie, d’économie, et de droits de l’Homme (et environnementaux pour les Écologistes). En revanche, Rassemblement National, Reconquête, Les Républicains (avec prudence), Parti communiste, et LFI préfèrent consolider l’Union actuelle, en renforçant la souveraineté nationale et en évitant une dilution des institutions européennes et des politiques nationales, refusant toute nouvelle adhésion, souvent pour des raisons de protection de la souveraineté nationale et de prévention des politiques néolibérales.

ANNEXE : SYNTHESE DES PROGRAMMES ELECTORAUX AUX ELECTIONS EUROPEENNES DE JUIN 2024

Renaissance : nous avons besoin d’Europe

Le programme détaillé sur besoindeurope.fr vise à faire de l’Europe une puissance forte, sûre et indépendante et « en même temps » écologique, économique et sociale :

  • Réarmer, avec des budgets défense, une force de réaction rapide et un Fonds européen de soutien aux industries de défense ;
  • Mobiliser 1 000 milliards d’euros d’investissements pour faire face aux chocs écologique, technologique et sécuritaire, s’appuyant sur une « Union de l’épargne et de l’investissement » pour être champion du monde dans 5 secteurs clés : énergie, transports, numérique, santé et espace ;
  • Reprendre notre destin énergétique en main, le premier continent à l’électricité décarbonée, avec zéro énergie venue de Russie en 2025 et zéro énergie fossile en 2050, grâce au nucléaire et aux renouvelables ;
  • Protéger et contrôler nos frontières avec une force de garde-frontières renforcée et une coopération accrue entre les polices et services de justice ;
  • Inscrire le droit à l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux
  • Protéger nos enfants avec la majorité numérique à 15 ans ;
  • Bâtir un réseau européen des Instituts culturels nationaux pour la diffusion de la culture européenne

Rassemblement national : la France revient, l’Europe revit

Sur le site vivementle9juin.fr, le programme du RN vise à poser les jalons d’une Europe des nations qui défend à la fois les modes de vie et le niveau de vie des peuples, tout en portant l’ambition de coopérations entre États autour des grandes nécessités du XXIème siècle : la coopération industrielle et technique sur les grands projets d’avenir, notamment l’intelligence artificielle, le développement des échanges scientifiques sur les défis du XXIème siècle en vue de créer une Alliance européenne des nations pour rendre aux peuples leur souveraineté :

  • Réhabiliter la frontière comme outil de protection et de régulation ;
  • Un Pacte pour établir une concurrence extra-européenne loyale ;
  • « Double frontière » Contrôler les frontières nationales et mettre en place une frontière aux portes de l’Europe en permettant à Frontex de renvoyer les migrants illégaux ;
  • Reprendre en main notre souveraineté énergétique ;
  • Défendre la constitution d’un cloud souverain européen, et non d’un simple « cloud de confiance » perméable aux ingérences juridiques américaines et chinoises.

Reconquête : faire de la défense de la civilisation, la pierre angulaire de notre projet européen

  • Sur le site votezmarion.fr, 92 propositions pour libérer à l’intérieur et protéger à l’extérieur, avec leurs alliés groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR), au cœur de la véritable alternative à travers des minorités de blocage et des majorités de projet :
  • Combattre l’islamisation, stopper l’invasion, expulsion et remigration des clandestins, engager la triple-frontière avec une «frontière au-delà de nos frontières » ;
  • Affirmer les racines de notre civilisation européenne et chrétienne, protéger nos enfants de la propagande woke, de l’activisme lgbt, contre la drogue et pour la natalité ;
  • Reprendre notre destin en main, réaffirmer notre souveraineté et bâtir l’Europe des coopérations ;
  • Promouvoir une Europe des ingénieurs, de la recherche et de l’innovation, contre le pacte vert, en finir avec l’inflation des normes et des taxes ;
  • Réarmer l’économie européenne et défendre la puissance française.

Les Républicains : ensemble, redressons la France et remettons l’Europe à l’endroit pour maitriser notre destin

Avec un dispositif de communication minimal, sans site de campagne dédié, l’approche programmatique de « la droite pour faire entendre la voix des Français en Europe » : contre l’impasse inefficace et fédéraliste d’Emmanuel Macron et l’impasse socialiste et anti-européenne de Marine Le Pen : le RN est anti-européen et Renew est anti-nation. Redresser la France et remettre l’Europe à l’endroit pour pouvoir de nouveau maitriser notre destin : l’Europe doit se concentrer sur l’essentiel en mettant sa puissance d’intervention à affronter les défis qui ne peuvent être relevés qu’ensemble : la paix et la maitrise de nos frontières, l’adaptation au changement climatique et la préservation de la biodiversité, l’investissement dans les technologies du futur et la prospérité grâce au marché intérieur. L’action de l’Europe doit passer par moins de normes et atteindre plus de résultats :

  • Face à des puissances prédatrices et à l’aggravation des menaces, l’Europe doit se réarmer ;
  • Pour garantir notre souveraineté économique et augmenter le pouvoir d’achat des Français, l’Europe doit choisir l’investissement et le progrès technologique et soutenir nos agriculteurs, nos pêcheurs et notre ruralité ;
  • Contre le changement climatique et pour la biodiversité, l’Europe doit encourager le progrès et la science ;
  • Pour maintenir la cohésion du continent européen, l’Europe doit maîtriser ses frontières extérieures ;
  • Pour se rapprocher des citoyens, l’Europe doit privilégier les grands projets et mettre en œuvre la volonté exprimée par les institutions représentatives des peuples européens.

Place publique – PS : Réveiller l’Europe

  • Le site de campagne Glucksmann2024.eu capitalise sur l’image de sa tête de liste, avec un programme, l’agenda « Europe 2030 » pour :
  • Une Europe puissante: donner à l’Europe les moyens de se défendre, réindustrialiser nos nations et rompre avec le dogme du libre-échange et produire en Europe afin d’assurer notre souveraineté industrielle en élaborant une stratégie du « fabriqué en Europe »
  • Une Europe écologique afin de bâtir une puissance pour le climat : créer une agence de planification écologique européenne, fondée sur le modèle de dialogue social du commissariat au plan afin d’assurer un suivi efficace de nos objectifs environnementaux et sociaux
  • Une Europe sociale, du pouvoir de vivre avec un plan d’investissement dans la rénovation des bâtiments et la construction de logements et un plan européen d’investissement dans les énergies renouvelables, le réseau électrique et les technologies propres ; une Europe qui défend les travailleurs : justice salariale, un « bouclier emploi » en généralisant le principe du « former plutôt que licencier » ; une Europe de la solidarité, de l’inclusion sociale et de la cohésion territoriale : doubler le budget du fond social européen ;
  • Une Europe humaniste et juste – défendre l’état de droit en créant un « défenseur des droits » élu par le parlement européen, ayant un rôle de vigie ; garantir à chaque femme européenne les droits les plus protecteurs de l’UE en adoptant la « clause de l’Européenne la plus favorisée » ; une Europe de l’hospitalité en harmonisant les procédures d’asile, d’examen et d’attribution du statut de réfugié conformément aux critères de la convention de Genève, via la création d’un espace européen de protection des demandeurs d’asile ;
  • Une Europe puissance pour l’avenir : une réelle exception culturelle européenne pour protéger notre création en doublant le budget européen de la culture alloué au programme «Europe Créative» ; assurer la protection des créateurs et ayants droit dans le marché européen de l’intelligence artificielle générative; reconnaissance mutuelle des diplômes dans tous les domaines et doubler le budget du programme «Horizon Europe» ; adopter une « exception sportive », au même titre que « l’exception culturelle » ; l’Europe de la jeunesse avec une allocation d’autonomie pour tous les jeunes européens de 15 à 25 ans, ni en emploi, ni en études ; l’Europe puissance géopolitique qui construise un partenariat entre égaux avec l’Afrique et la Méditerranée pour créer ensemble un espace de co- développement ;
  • Une Europe démocratique et intègre : démocratiser l’Europe et défendre l’intégrité de la démocratie européenne en créant une haute autorité de l’intégrité de la vie publique européenne ; lutter contre la concentration de la propriété des médias en approfondissant le règlement sur la liberté des médias ;
  • Une puissance publique européenne: soutenir l’investissement et l’activité économique en instaurant des règles climatiques pour investir dans la transition écologique, mutualiser les dettes européennes et augmenter le budget européen pour atteindre 5% du PIB.

Les Écologistes : sauver le climat et faire face à l’urgence sociale avec un État providence écologique européen.

Plus l’Europe sera solidaire, plus l’Europe sera forte. Nous proposons un modèle de protection sociale et environnementale basé sur la solidarité : l’État-providence écologique, autour d’un programme de combats pour la justice et le vivant et d’un saut fédéral pour un sursaut européen :

  • Une Europe qui réencastre son économie dans les limites planétaires pour passer d’une économie qui détruit à une économie qui répare, un traité environnemental pour faire de la protection de l’environnement la norme des normes, sortir de l’austérité pour investir dans la bifurcation écologique, mettre la politique monétaire au service de l’écologie, un buy green and european act pour privilégier les produits vertueux et faits en Europe, baisser la tva sur les produits verts pour rendre les produits sains ou issus de l’économie circulaire accessibles à toutes et tous, un protectionnisme vert pour protéger nos entreprises et l’emploi de la concurrence déloyale et mieux protéger la planète ;
  • Une Europe qui agit pour sauver le climat : objectif 100% renouvelables en 2040, un fonds de souveraineté écologique pour sortir des énergies fossiles, un plan de report modal pour passer du camion et de l’avion au rail et au vélo, sortir la finance des activités climaticides et une politique d’adaptation au dérèglement climatique ;
  • Une Europe qui préserve enfin le vivant et les communs naturels : instaurer un droit à la nature, faire renaître une forêt primaire en Europe, mettre en place un pacte bleu pour préserver les fleuves, glaciers et océans, interdire les produits chimiques dangereux et sortir du plastique, conduire une stratégie ambitieuse pour le bien-être animal ;
  • Une Europe qui réussit la transition de l’agriculture et de la pêche : des revenus dignes et des pratiques plus écologiques: une PAC plus verte, plus juste, pourvoyeuse d’emplois, fonds de transition pour l’agriculture et pour la pêche, mettre fin aux pratiques agricoles et de pêche destructrices, assurer le renouvellement des générations, sortir du libre-échange et mettre en place une politique commerciale juste et une Europe qui protège face à l’explosion des inégalités et au nouveau régime climatique ;
  • Garantir la justice sociale en créant de nouveaux droits : un droit de veto social pour inverser la courbe des inégalités, un revenu minimum européen à commencer par un revenu de formation pour les jeunes, eau, alimentation, énergie : garantir les besoins essentiels, garantir le droit à un logement sain ;
  • Une Europe qui agit pour l’emploi : mettre en place un pacte pour l’emploi mobilisant et protégeant les travailleurs et les travailleuses dans la bifurcation de notre économie, impulser une politique industrielle de sortie des toxiques, protéger les droits des travailleurs et des travailleuses, renforcer les libertés syndicales et instaurer une garantie à l’emploi pour les personnes éloignées de l’emploi ;
  • Une Europe de la santé pour toutes et tous : un service public européen du médicament, le droit à la santé pour toutes et tous : une CMU européenne et un statut pour les aidants, investir dans la santé des femmes ;
  • Un saut fédéral pour refonder et démocratiser l’Europe : rendre le pouvoir au peuple : une assemblée constituante européenne, une union européenne qui se dote de ressources financières propres pour avoir enfin les moyens de sa politique, adopter une loi de séparation des lobbies et des institutions, protéger la liberté de l’information du pouvoir de l’argent et des ennemis de la démocratie, en finir avec les paradis fiscaux ;
  • Une Europe qui renforce les droits humains et défend des valeurs d’inclusion : inscrire l’ivg dans la charte des droits fondamentaux et déployer la clause de l’européenne la plus favorisée, combattre toutes les formes de discrimination, reconnaître toutes les unions et tous les enfants ;
  • Une Europe qui agit pour la paix et un ordre mondial plus juste : soutenir l’Ukraine face à Vladimir Poutine, bâtir une politique de diplomatie et de défense commune, entre Israël et la Palestine, l’Arménie et l’Azerbaïdjan… Partout : faire de l’Europe une force de paix, un Erasmus de la mémoire, pour construire une mémoire européenne commune, une politique d’accueil juste et digne, un traité de non- prolifération des énergies fossiles, garantir le droit au développement pour rééquilibrer les rapports nord sud.

Le Parti communiste : Gauche Unie pour le monde du travail : Reprenons la main en France et en Europe

Une autre construction européenne est possible, c’est un enjeu politique et social majeur pour une Europe des peuples et des nations libres, souverains et associés autour d’orientations nouvelles et d’engagements pour la mandature :

  • Garantir la souveraineté démocratique des peuples : lutter contre le retour de l’austérité européenne, refuser l’élargissement de l’UE, respecter les choix démocratiques souverains des peuples, de nouvelles coopérations économiques, contre les traités de libre-échange ;
  • Promouvoir la paix et la sécurité collective: imposer une réelle autonomie stratégique, impulser un espace méditerranéen de coopérations, bâtir un nouvel ordre du monde ;
  • Prendre le pouvoir sur le capital : favoriser une nouvelle industrialisation et lutter contre les délocalisations, promouvoir une écologie populaire et garantir notre souveraineté énergétique, construire une véritable politique commune de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation, dans l’objectif de garantir la souveraineté alimentaire des peuples, la régulation d’Internet et la construction d’une souveraineté numérique ;
  • Développer les services publics : en finir avec les libéralisations, sortir la santé des logiques marchandes, développer les services publics de transports, sortir l’enseignement et la recherche des politiques néolibérales, impulser une politique nouvelle en faveur de la jeunesse ;
  • Conquérir le progrès social et l’égalité : de nouvelles conquêtes sociales, l’égalité des droits, promouvoir la vie associative et l’économie sociale et solidaire, libérer l’art, la culture et les médias des dogmes du marché et défendre l’exception culturelle ;
  • Se donner les moyens de changer radicalement d’Europe en favorisant les luttes et les mouvements sociaux, en développant les coopérations politiques pour d’autres politiques en Europe, en agissant pour une autre utilisation de l’argent, en développant la lutte contre l’évasion fiscale et en réformant les fonds structurels européens.

LFI : la force de tout changer

La partie consacrée aux élections européennes sur le site de la France insoumise met en avant les fonds récoltés pour la campagne, dans les campagnes aux US et déroule un programme sans réforme institutionnelle de l’Europe :

  • Sortir de l’austérité et partager les richesses : abolir les règles d’austérité anti- services publics, taxer les riches et les superprofits, mettre en place une allocation d’autonomie contre la pauvreté de la jeunesse ;
  • En finir avec le dumping social : mettre en œuvre, au niveau européen, la victoire insoumise sur la directive de présomption de salariat effective empêchant les plateformes d’avoir recours aux faux indépendants ;
  • Sortir du libre-échange et relocaliser et mettre fin aux accords de libre-échange
  • Faire la planification écologique européenne : baisser les prix de l’alimentation en encadrant les marges des multinationales, sortir des pesticides et garantir une rémunération digne aux salariés de l’agriculture, passer au 100% énergie renouvelable d’ici 2050 ;
  • Faire respecter la souveraineté populaire en Europe : contre le retour de la Commission européenne soutenue par la coalition de la droite, des macronistes et des socialistes et chasser les lobbies des institutions européennes ;
  • Étendre les droits et libertés face aux réactionnaires : inclure le droit à l’IVG et à la contraception, et leur accès gratuit pour toutes les femmes, dans la Charte européenne des droits fondamentaux ;
  • Lutter contre l’exil forcé et organiser un accueil coordonné digne et garantir le droit d’asile sur le sol européen
  • Pour la paix : refuser la vassalisation de l’Europe, défendre un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza et incarner la voix de la paix en Europe ;
  • Nouvelles frontières de l’humanité : construire de nouveaux horizons de progrès écologique pour protéger les biens communs de l’humanité et nous porter aux nouvelles frontières que sont les mers et le virtuel..

Construire une économie inclusive et profitable à tous

par Gabriela Martin, Déléguée Générale

La transition écologique, un nouvel enjeu de relations internationales

La 7e édition de ChangeNOW de mars 2024, à l’organisation de laquelle l’Atelier Europe a contribué, s’est voulue un événement d’innovation citoyenne et de diplomatie internationale pour susciter un véritable changement axé sur la transition écologique et sociale, au moment où l’existence de divers mouvements populistes climato-sceptiques menacent l’unité du projet européen. Dans le même temps, des leaders du changement définissent des priorités et des actions pour la transition durable. Quelle est ainsi la position des candidats français aux élections européennes ?

Face aux défis écologiques, l’économie inclusive est devenue un thème clé

Les menaces actuelles ont imposé le développement de solutions. On peut penser à la réduction de la biodiversité; 30% des espèces seraient menacées de disparition d’ici 2050 ; ou à la déforestation ; 6 millions d’hectares par en Amazonie. Mais surtout au changement climatique ; selon les prévisions du GIEC, la température mondiale s’élèverait en 2100 de 1° à 6° en plus ; qu’ils soient d’origine humaine ou des émissions de gaz à effet de serre, ils ont des conséquences catastrophiques : le niveau des mers augmenterait (+0,5 m), entrainerait la disparition des petits États insulaires – Maldives, Nauru – et l’accroissement des réfugiés climatiques – vingt millions aujourd’hui selon l’ONU -. Le lien entre paix et gestion équitable de l’environnement est régulièrement soulignée.

ChangeNOW, plateforme d’innovation et espace d’action, fait partie des réponses à ces périls. Sa mission est de faciliter et d’accélérer la transition vers un monde durable, en aidant les autres à avoir le plus d’impact possible et à recentrer les efforts collectifs en faveur des générations futures. Qu’il s’agisse de technologies révolutionnaires ou d’initiatives menées par des communautés, chaque échange au sein de ChangeNOW réaffirme l’engagement de leurs acteurs à relever les défis auxquels notre planète, du fait de l’extraction continue des ressources, est confrontée.

La plateforme organise chaque année son rassemblement phare à Paris. Au printemps 2024,1 il a réuni des initiatives allant de la COP15 sur la désertification, à l’autonomisation des femmes en Afrique, en passant par l’organisation du plus grand événement dédié aux fonds d’impact et le premier débat électoral européen axé sur la transition écologique et sociale.

Des idées et solutions originales sur les liens sociaux y ont également été présentées, enrichies par les perspectives de divers praticiens qui aident les organisations à relever des défis d’une économie plus inclusive. En effet, c’est au cours de la 2ème journée de ChangeNow qu’a été explorée l’inclusivité sous différents angles, notamment celui des femmes, des hommes, des jeunes et des communautés autochtones, tout en abordant des sujets comme l’économie circulaire et l’impact économique du changement climatique. Ces conversations mettent en évidence une volonté commune de créer un changement positif dans la société.

La notion de transition écologique s’est imposée

L’écologie est la science de l’environnement. Elle constate des effets marqués par la présence humaine et explore des pistes de remédiation, tout en restant modeste sur les effets croisés des actions proposées, car de nombreux exemples d’actions contre- productives ont déjà été observées : e.g. arbres et impact environnemental.

C’est la mesure de l’impact environnemental humain, considérant à l’origine plusieurs centaines de dimensions – les minerais et molécules de base – depuis l’origine jusqu’à l’élimination. Depuis, cette mesure a été simplifiée en regroupant les différentes origines par type : minerais, énergie, air, eau etc. Les mesures ont constaté dès les débuts une dégradation de l’environnement.

Tout est sombre ? Oui et non.

Un véritable plan d’action européen : la plupart des États membres de l’Union européenne ont réussi à atteindre les objectifs 2020 de l’UE en matière de climat et d’énergie et visent désormais la neutralité climatique à l’horizon 2050.

Ainsi 100 leaders pour le changement ont bâti des ponts entre les industries et les continents, initiant des partenariats qui les propulseront vers un avenir plus durable.

Si la transition écologique divise les sociétés, il est possible de forger un consensus

Les questions en matière de transition écologique divisent les sociétés. L’interaction entre l’écologie, la science de l’environnement, le bien commun, un concept propre à chacun, et le bien-être, un sentiment, est à l’origine de nombreuses incompréhensions et de conflits tant au niveau politique que sociétal, et mérite un petit détour afin de décoder plus facilement les enjeux actuels.

La science de l’environnement, comme les autres sciences, est de moins en moins perçue comme crédible. 17 % de jeunes en France pensent que la science apporte plus de mal que de bien à l’humanité. Il y a ainsi 31 % de climato- sceptiques dans le monde, 38 % des 18- 24 ans pensent que le changement climatique n’existe pas…La compréhension et l’acceptation des résultats vient des générations plus anciennes et cultivées 2. L’acceptation différente de l’apport scientifique opère un clivage social et générationnel.

Les actions d’atténuation de l’impact environnemental sont possibles pour une Elite, la différenciation sociale en devient plus importante. Ce phénomène est sensible dans les pays développés, mais aussi entre les pays développés et les autres, aggravant la perception d’injustice : les COP successives en sont la représentation. Ce déséquilibre est d’autant plus envident que le dérèglement météorologique se manifeste plus violemment dans la zone subtropicale.

Les pays dont les habitants sont les plus touchés en 2019 : Mozambique, Zimbabwe, les Bahamas. Pour la période de 2000 à 2019 Puerto Rico, Myanmar et Haïti – sont africains – 15 % des catastrophes, 35 % des décès , Centro-Américains, avec une partie de l’Asie. 90% des décès dus aux catastrophes viennent des pays en développement. Quant à la désertification il s’agit de l’Espagne, du bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord3

Les pertes financières dépassent chaque année des records dans les pays développés. D’où la réticence des pays développés à financer les pays pauvres, et le sentiment d’injustice de ceux-ci. La dégradation climatique génère un clivage international, social et générationnel (les pays riches sont tous vieillissants).

Pour autant, en ce début de semestre 2024, l’un des enseignements de l’enquête de Destin Commun dans le cadre des élections européennes est celui d’un plaidoyer pour la sobriété : 7 Français sur 104 sont favorables. La France, plus divisée que l’Allemagne et le Royaume-Uni y voient une solution souhaitable face à la crise climatique.

Un consensus semble se forger : la sobriété, qui implique de consommer moins, est une solution souhaitable pour protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique.

Selon la même étude de mars 2024 de Destin Commun, alors que l’écologie reste une opportunité de rassemblement pour 53% des Français, la pédagogie de l’ambition écologique de l’UE reste à faire : 59% des Français disent qu’un leadership écologique de l’UE les rendrait fiers d’être européens et 68% adhèrent à l’idée que la sobriété est une option souhaitable face à la crise climatique, mais seuls 22% ont connaissance du Green Deal.

Il est toutefois possible de favoriser un débat sur le plan européen, en faveur de la transition écologique

L’avenir écologique de l’Europe se joue aux prochaines élections. Alors, il a semblé essentiel aux fondateurs de ChangeNow de créer un débat autour des candidats français au Parlement européen, qui permettrait de rappeler au plus grand nombre l’importance de l’Europe sur ces questions de transition et d’aller voter le 9 juin prochain.

Les candidats Mathilde Androuët, Manon Aubry, Nicolas Bay, Clément Beaune, François- Xavier Bellamy, Aurore Lalucq et Marie Toussaint ont respectivement représenté les 7 partis français ayant plus de 5% d’intentions de vote. Ils ont débattu de la transition agricole et de la protection du vivant, de la transition énergétique, du rôle de l’Europe dans la transition écologique et du financement de celle-ci.

Si une analyse reste imparfaite en quelques mots la question sur « la mesure majeure pour la transition » offre un panorama très différencié :

Pour le grand plan d’investissement européen, Clément Beaune préconise de respecter les limites planétaires, Marie Toussaint de donner un prix au carbone, François-Xavier Bellamy de sortir des accords de libre-échange, Manon Aubry d’instaurer une clause de priorité nationale, Mathilde Androuet de créer un grand plan électro-nucléaire ,Nicolas Bay, et en fin Aurore Lalucq préconise quant à elle une fiscalité sur les ultra-riches pour financer la transition.

Cependant, ceci dissimule un aspect plus intéressant, à commencer par les points de convergence : Sortir des accords de libre-échange et fixer des prix planchers pour aider les agriculteurs à faire leur transition. Le besoin d’un grand plan d’investissement européen, en relocalisant les filières d’énergies renouvelables, le financement par une dette commune et plus de fiscalité sont les mesures saillantes.

Finalement, les différences fondamentales se manifestent dans les détails du débat :

Plus on va à aux mouvances dites de « droite », et plus on est 100% nucléaire, contre le passage rapide à la voiture électrique et contre toute mesure qui entrainerait une contrainte sur la croissance, comme les terres en jachère pour restaurer des habitats.

Pour les partis de gauche et les écologistes, la tendance est au 100% énergies renouvelables, financée par une taxe sur les superprofits pétro gaziers et les ultra-riches, avec un appel à réduire les gaspillages et protéger les biens communs comme l’eau sur le plan européen.

La transition verte, sujet politique majeur et au cœur de l’actualité internationale, a été au centre du débat.

La dégradation climatique génère un clivage international, social et générationnel. Ces trois facettes ne se recoupent pas complètement et donnent une impression de chaos général, d’archipélisation sociétale inconnue jusque récemment. La mondialisation favorise un jeu ouvert avec les autres grandes puissances étrangères.

L’amélioration de l’environnement entraîne l’adhésion de la majorité des personnes en France mais sans que cela devienne actuellement un projet de société européen.

Les élections au Parlement européen au printemps 2024 seront le moyen par lequel les citoyens exprimeront leur soutien aux députés sur cette question de société, des épreuves telles que le climat, les valeurs fondamentales et le rôle de l’UE dans le monde. Il est à noter que chacun des défis qui se profilent pour les institutions renouvelées requiert de la participation active à la sphère publique.

Vers un Commissaire européen à la Défense

par Michël Malherbe, Secrétaire Général

Comment répondre aux défis sécuritaires d’une Europe en campagne ?

Alors qu’est passé en février dernier le terrible deuxième anniversaire de l’invasion russe en Ukraine et que les menaces sécuritaires se multiplient, l’idée d’une Défense européenne fait son chemin. Dans le contexte des déclarations récentes du président Français et du débat parlementaire national sur l’implication en Ukraine, l’Union européenne se trouve à un carrefour stratégique. Depuis quelques semaines, la proposition de nommer un nouveau Commissaire européen à la Défense, un poste inédit, a été mise sur la table. Cette proposition vise à renforcer la politique de défense commune de l’UE et à répondre efficacement aux enjeux sécuritaires actuels tels que la guerre en Ukraine et l’éventualité du retour de Donald Trump aux affaires. Sachant que selon l’Agence européenne de défense, les dépenses totales de défense ne représentaient que 1,5 % du PIB en moyenne dans l’UE en 2023, la défense n’a jamais été aussi présente dans les débats que lors de la préparation de ces élections européennes.

Roberta Metsola : l’UE doit prendre le leadership si Trump revient

Selon Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, « l’Europe doit être prête à assumer le leadership, quelles que soient les évolutions aux États-Unis ». Elle propose notamment la mise en place d’un nouveau budget de défense de l’UE. Pour Metsola, « l’Europe ne peut pas hésiter, quand on voit ce qui pourrait se passer de l’autre côté de l’Atlantique… L’Europe doit rester forte ». Elle insiste sur la nécessité d’une union de défense et d’une augmentation des dépenses de défense.

Ursula von der Leyen favorable à un rôle de défense de l’UE

Du côté de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen s’est également exprimée favorablement à une plus grande implication de l’UE en matière de défense, alors que son bilan au sujet de l’Ukraine n’est pas pleinement satisfaisant puisque l’engagement de l’UE à livrer 1 million d’obus à l’Ukraine d’ici mars 2024 est un délai que le bloc est sur le point de manquer. Trois personnes directement informées de la question ont révélé à Playbook, la newsletter quotidienne de Politico Europe que l’UE envisage de créer un nouveau poste de commissaire à la défense pour superviser les aspects industriels de la politique de défense.

Rôle du Commissaire à la Défense : ce qu’il ne serait pas et ce qu’il pourrait être

La politique de défense est actuellement répartie entre différentes institutions, l’idée serait de centraliser les politiques de défense. Actuellement, une Direction générale de la Défense et de l’Espace, sous-équipée à la Commission européenne cohabite avec une Agence européenne de défense, sous la responsabilité du Haut-Représentant Josep Borrell tandis que le programme d’achat conjoint de l’UE, l’EDIRPA, relève du Conseil des ministres. L’idée serait de centraliser certaines de ces fonctions au Berlaymont, le siège de la Commission européenne à Bruxelles.

Pour réussir, compte-tenu de la sensibilité des problématiques de défense, l’efficacité d’un Commissaire à la Défense dépendra de sa capacité à travailler en synergie avec les autres institutions européennes, tout en évitant la duplication des efforts. Le rôle du Commissaire à la Défense ne serait pas un rôle géopolitique qui pourrait éclipser les prérogatives nationales en matière de défense, a fortiori au sujet de l’OTAN, de l’ONU ou des armes nucléaires. En revanche, il pourrait s’agir d’un rôle visant à piloter la politique industrielle axée sur les besoins partagés en matière de munitions et sur le déploiement des investissements de l’UE dans des programmes de développement d’armements répartis dans plusieurs pays.

Candidats potentiels pour le poste de Commissaire à la Défense

Parmi les noms évoqués pour ce nouveau poste, on retrouve Radosław Sikorski, l’actuel ministre des Affaires étrangères de la Pologne, tandis qu’une autre candidate possible serait la Première ministre estonienne Kaja Kallas, qui se montre favorable à un « saut stratégique non seulement dans notre pensée mais aussi dans les réalisations concrètes ».

Controverses partisanes dans la campagne électorale

Le parti politique de centre droit, le Parti populaire européen, semble jouer un rôle moteur sur ce sujet, qui aurait pu largement diviser ses forces par le passé. Le projet de manifeste du PPE propose, dès janvier selon Euractiv, de créer ce poste de Commissaire européen à la défense, afin de « mieux coordonner les questions de défense dans le cadre des compétences de l’UE, de promouvoir la coopération et, en même temps, de garantir qu’il existe un budget de défense de l’UE d’au moins 0,5 % du PIB de l’UE, en plus des budgets nationaux », soit environ 100 milliards d’euros – le même chiffre que Thierry Breton déclare que l’UE devrait investir dans les industries de défense.

Au cours de la campagne électorale, une perception croissante se dégage selon laquelle l’Europe doit faire beaucoup plus en matière de défense, même si ce qui y sera inclus fera l’objet de débats acharnés. D’ores et déjà, quelques partis politiques se sont positionnés, avec davantage d’arrière-pensées électorales que de souci de l’intérêt général, comme du côté du Rassemblement national, qui s’y oppose.

Secouée par la situation en Ukraine et par les menaces de Trump, l’UE envisage des mesures en matière de défense qui auraient été inconcevables il y a seulement quelques années. Dans ce contexte, il est grand temps que l’Europe prenne des mesures pour renforcer sa capacité de défense et répondre aux défis sécuritaires actuels. La nomination d’un Commissaire européen à la Défense pourrait être une étape importante dans cette direction.

Présidence espagnole de l’UE : Rapport du voyage d’étude de Décembre 2023

UN SUCCES EN NEGOCIATION DE POLITIQUES EUROPEENNES MAIS UNE PRESIDENCE DECEVANTE EN POLITIQUE INTERIEURE

  1. L’Espagne dans l’Europe aujourd’hui

La situation économique

L’Espagne est un pays reconnu dans l’UE. Elle bénéficie de l’intérêt pour l’UE de ses élites économiques, en tant que cadre législatif, contrôle supranational et système de réassurance en cas de crise. En ce qui concerne la relation à l’UE du grand public, le soutien est confirmé dans les urnes. Aucune question sur la présence de l’UE dans l’Espagne ne se pose, même si quelques frustrations s’expriment sur des règlementations, en particulier autour du développement durable qui impliquent un très gros effort pour les entreprises, une problématique de formation, de reporting, de mise en œuvre des solutions face à des objectifs indiscutables.

Le plan Next Generation

Le financement européen via le plan de relance Next Generation vise à harmoniser les situations économiques dans les territoires, puisque cette fois, c’est le niveau national et non les régions, qui gère les fonds. Sur les 12 plans Next Generation du gouvernement, 9 concernent l’industrie.

  1. La présidence espagnole de l’UE

La présidence espagnole de l’Union européenne a abouti à de nombreux accords, Madrid réussissant à conclure 71 négociations législatives entre les trois principales institutions de l’UE. Parmi les thèmes concernés : la transition écologique, l’intelligence artificielle, les migrations et les réfugiés, les règles fiscales, l’autonomie ouverte et stratégique, etc. C’est indéniablement un succès politique. Même si de nombreux textes travaillés lors des précédentes présidences étaient déjà mûrs, le moment était venu d’en récolter les fruits.

Sur le plan intérieur, la présidence espagnole de l’UE était censée montrer un État fort pour faire oublier les tensions internes, mais dans une certaine mesure, cela n’a pas fonctionné. Après l’appel à des élections générales, le Parti populaire a remporté la victoire, mais Pedro Sanchez est resté chef de gouvernement par intérim pendant la présidence. Cette dernière s’est déroulée sur fond de paysage politique conflictuel et très politisé, avec un consensus important entre le PSOE et le PP sur les affaires européennes en termes de politiques, mais un désaccord total sur la politique intérieure. En conclusion, la présidence espagnole de l’UE a été un bon intermédiaire en termes de « politiques publiques » mais une présidence décevante sur le plan de la « politique politicienne ».

En Espagne, l’Europe revêt une importance particulière pour le grand public. Au sein du système monarchique, les élections peuvent être contestées, mais l’UE fait l’objet d’un consensus. La cinquième présidence espagnole aurait dû être l’occasion de progresser à la fois en profondeur et en élargissement. Elle aurait pu être exploitée et présentée comme celle d’un des rares États stables et capables de promouvoir un programme profondément européen. Dans une certaine mesure, l’Espagne a échoué dans son intention de se présenter comme le troisième pays le plus important de l’Europe et comme un « partenaire sûr » en raison de ses problèmes politiques internes. En effet, pendant quatre des six mois de la présidence, il y a eu un gouvernement d’affaires courantes. Le Parlement espagnol, le plus polarisé et fragmenté de l’histoire récente du pays, était prêt à exploser, et l’Espagne a dû en payer le prix fort.

La présidence espagnole semestrielle de l’UE s’est traduite par l’organisation par le gouvernement de temps de rencontres régionales sur des thématiques clés comme l’immigration, le travail et l’emploi, l’égalité hommes-femmes ainsi que la participation des syndicats au dialogue social. Une discussion tripartite sur la réforme du marché du travail, avec le patronat et les syndicats, un accord sur les retraites pour assurer la pérennité des pensions, un suivi des syndicats mais pas de contribution sur les financements du fonds européen Next Generation.

Les prochaines élections européennes

Les élections européennes de juin 2024 serviront de baromètre pour l’Europe et les résultats attendus ne sont guère un problème puisque 65 % des électeurs votent pour les deux partis les plus centraux de gauche et de droite. On s’attend à une victoire du Parti populaire, l’une des plus grandes délégations au sein du groupe PPE au Parlement européen. La crainte réside dans la tentation d’y voir une coalition droite-droite avec des conservateurs et des eurosceptiques, étant donné que Manfred Weber, le patron du PPE, semble pencher vers la droite.

III. La relation de l’Espagne avec la France

Relations entre les populations

L’ONG Dialogo, fondée lorsque l’Espagne est entrée dans l’Union européenne dans le but d’améliorer le dialogue entre la France et l’Espagne, confirme dans ses enquêtes d’opinion auprès des Espagnols et des Français, que la relation entre les deux pays évolue favorablement. L’Espagne se montre plus pro-européenne que la France, associant davantage l’Europe à la démocratie.

Relations culturelles

A Madrid, l’Alliance française fête ses quarante ans cette année. La place de la langue française en Espagne est la deuxième langue vivante, même si l’allemand a pu être la langue de référence pour les intellectuels. C’est un élément de compétitivité et une opportunité pour l’emploi.

Relations sur le plan énergétique

Dans la relation Espagne-France, la France est le premier client de l’Espagne et le deuxième ou troisième exportateur selon les années : le dossier des interconnections sur le marché des énergies devrait avancer pour mieux faire circuler les énergies renouvelables. L’Espagne est le hub européen du GNL, avec 8 usines de regazéification en marche, soit 35% de la capacité européenne.

  1. La priorité espagnole de la relation avec l’Amérique latine

Pour le think tank el Cano, dont 30 % des efforts de recherche se concentrent sur l’Amérique latine, le rapport récent « Pourquoi l’Amérique latine compte ? » remet en question quatre idées largement acceptées :

  1. L’Amérique latine est un désastre économique, ce qui n’est pas le cas comparé à l’Europe, avec une croissance annuelle de 5%.
  2. L’Amérique latine est un désastre politique, ce qui n’est pas vrai. L’État de droit et la démocratie sont encore majoritaires.
  3. La Chine a pris le contrôle. Les États-Unis et l’UE restent les plus grands partenaires. Les gens aspirent à migrer vers les États-Unis et l’UE, pas vers la Chine.
  4. Les entreprises espagnoles regrettent d’avoir été globales en Amérique latine. Le retour sur investissement est très bon, comme en témoignent les réinvestissements continus de sociétés telles que Santander ou Spanish Telecom.

Cependant, des doutes subsistent.

  1. L’Union européenne ignore l’Amérique latine, comme en témoigne le non-approbation récente de l’accord sur le Mercosur. Cela pourrait changer la donne en augmentant le commerce intra-américain de 30% dans les échanges en Amérique latine grâce à des règles communes, connues sous le nom de l’« effet Bruxelles».
  2. La position de l’Espagne en Amérique latine est en déclin. Le terme « Ibero-America » sonne comme une vision post-coloniale, ne reflétant pas la réalité actuelle où le commerce est plus diversifié et le reste du monde gagne également en intérêt pour l’Amérique latine.
  3. L’Amérique latine est principalement associée au lithium et à la plupart des matières premières. Il est nécessaire de démontrer que l’approche européenne dans la région est moins extractive que les autres puissances, comme la Chine, en prenant l’exemple du Chili, le pays le plus européen de la région, avec lequel la relation s’est améliorée.

A vrai dire, l’Espagne exprime une fatigue de « relancer la relation avec l’Amérique latine » à  chaque présidence espagnole de l’UE, mais en l’ignorant le reste du temps. Ce n’est pas un discours sérieux ni crédible. La réalité est qu’on ne peut pas ignorer ce sous-continent, la région la plus euro-comptable en termes de relations humaines et de valeurs. Le potentiel est énorme, si l’UE joue son rôle.  Cela faisait 7 ans qu’il n’y avait pas eu de réunion UE-Amlat avant la présidence semestrielle espagnole. La base du dialogue doit partir des secteurs prioritaires comme énergie/climat, transports, digital ou éducation.

Le programme européen Global Gateway vise justement à identifier les projets dans lesquels investir entre entreprises européennes et locales, capables de bâtir de nouvelles chaînes de valeur plus sûres. Le game changer, c’est le partenariat entre les entreprises privées au-delà de l’investissement public. Enfin, pour réussir, il faut également investir du capital politique européen.

  1. Les défis

La sécurité économique

Le concept de « sécurité économique », d’un autre temps, est de nouveau à l’ordre du jour. Les institutions européennes ont publié une communication en juin dernier sur la sécurité économique, comme fondement d’une future protection contre les risques, d’une promotion des relations économiques, de la compétitivité et des partenariats. Il ne s’agit pas seulement d’un concept défensif, mais proactif, posant la nécessité d’agir face à la triple Transition digitale, des modèles économiques et environnementaux, qui détermineront l’avenir.

Les principaux défis portent sur :

  1. Le digital : Plusieurs enjeux comme le fair share, compte-tenu du poids de la construction des réseaux par les télécoms, exploités ensuite par les grandes plateformes qui profitent de leur avantage sans payer ; le prix du réseau doit être payé par les acteurs économiques, comme le prix d’accès à Internet pour le grand public.
  2. Le climat : Les énergies renouvelables et l’hydrogène vert
  3. L’investissement : il faut être capable, dans le contexte mondial post-covid qui a montré nos vulnérabilités, de mobiliser nos capacités intellectuelles et en capital pour investir dans les nouvelles activités comme les batteries électriques, l’économie circulaire, les biotech, etc.
  4. L’industrie : la politique industrielle de l’UE a été absente du modèle libéral des années 1990-2000. Nous avons besoin de trouver une nouvelle politique industrielle européenne, dans la sécurité économique, la promotion de la compétitivité, des marchés plus diversifiés et la promotion de bases industrielles dans de nouvelles activités.

L’économie circulaire

Le Manifeste de BNP Paribas Personal Finance couvre différentes interventions en matière de philanthropie, de support digital et d’opportunités commerciales dans des segments comme :

  1. La location plutôt que l’achat d’équipements technologiques d’appareils électroniques grand public tels que les téléphones mobiles et les consoles de jeux, en collaboration avec Carrefour et Samsung.
  2. La mise en circulation de vélos recyclés : Circular Bike occupe la deuxième place dans le secteur des vélos en Espagne, avec une part de marché de 35% à 40% dans le financement de nouveaux vélos.
  3. Le développement de garanties étendues pour les voitures, les appareils électroménagers blancs et bruns (cuisine, mobilier, etc.).

A la place du Black Friday, une opération C-Friday pour Circulaire a été lancée, en partenariat avec une ONG, dans un mélange entre philanthropie et entreprenariat débouchant sur des outils de sensibilisation à la seconde main, des formations sur la collecte de biens de consommation pour le réemploi ainsi que le recyclage.

La principale problématique en matière de durabilité réside dans la sensibilisation visant à transmettre le message selon lequel tout ce que vous achetez a une seconde vie. Il est nécessaire de faire progresser la sensibilisation du grand public pour encourager un changement d’attitude.

En Espagne, l’intérêt pour l’économie circulaire gagne du terrain. Moins qu’en France, mais l’objectif est de la rendre plus mainstream. Pour le grand public, la première préoccupation est budgétaire, la « Seconde main » constitue une manière de récupérer un peu d’argent. Le changement climatique est aussi un argument puissant pour les consommateurs, impactant les gens chez eux rendant l’efficacité énergétique des maisons est un critère pertinent pour l’achat ou la location, tandis que les énergies renouvelables progressent rapidement.

La banque BNP Paribas, dans son ensemble, considère que la durabilité est l’un de ses critères fondamentaux, bien qu’aucun objectif officiel ne soit pour le moment déclaré tant que la nouvelle taxonomie nécessite des clarifications. Cependant, dans les rapports trimestriels, des indicateurs clés de performance (KPIs) sont produits et suivis, permettant ainsi la réalisation de projets futurs avec des résultats concrets.

L’association REMAR, partenaire de BNP Paribas Personal Finance, constitue un réseau regroupant 200 000 membres actifs en Espagne. Son objectif est de créer une économie circulaire. Elle s’engage dans la collecte, la réutilisation et la circulation de produits, ainsi que dans la récupération d’aliments auprès des supermarchés pour les redistribuer. En outre, l’association pilote la collecte auprès d’usines, gère des boutiques solidaires et des maisons d’accueil pour les familles en Espagne ; sans oublier ses actions solidaires en Afrique, avec des envois quasi quotidiens de conteneurs pour distribuer de la nourriture dans les prisons et auprès des orphelins.

La priorité de la réindustrialisation et de la formation

Les préoccupations économiques pour 2024 portent sur les déficits publics importants, sur la nécessité de faire évoluer les lignes budgétaires après 4 ans de renouvellement du budget voté par la précédente mandature. La réindustrialisation (gigafactory de batteries électriques) ne compense pas la désindustrialisation qui touche aussi l’outil industriel espagnol.

La priorité serait d’améliorer la formation pour les entreprises, en particulier pour la transformation digitale. Les besoins concrets des entreprises ne sont pas couverts par les formations universitaires, qui représentent une reconnaissance sociale par les diplômes, alors que la perception de la formation professionnelle pourrait être plus positive compte tenu des emplois qualifiés à la clé.

L’action syndicale pour les industries

L’action du syndicat UGT, 900 000 adhérents et plus de 100 000 représentants dans les entreprises pour les industries, coordonne trois activités, la formation, l’égalité et l’emploi, ce qui représente 2,8 millions d’emplois et un tissu de 194,000 entreprises, plus de 80% étant des PME. Il assure le suivi des mesures gouvernementales dans toutes les filières, en particulier l’encadrement des conventions collectives, l’État privilégiant une harmonisation par le haut avec de meilleures garanties tandis que le secteur privé privilégie des accords moins disant.

Le syndicat dispose d’une force de négociation grâce à ces conventions sectorielles. Trente-huit conventions sont en cours, avec le double défi d’accompagner des entreprises de taille différente et d’assurer la transition numérique et durable, tout en assurant un accompagnement juridique autour de la transposition en cas de conflit d’interprétation des mesures prévues dans les entreprises.

L’un des principaux défis correspond à la tertiarisation des industries, se traduisant par la baisse de la part industrielle dans l’économie, qui est passée de 28% en 1981 à 12% en 2023. De ce fait, la réindustrialisation est très importante, se traduisant par la transformation du modèle industriel avec la numérisation et la durabilité, alors qu’il n’y a pas de mesures concrètes au plan national puisqu’il n’y a pas de ministère de l’industrie ; les politiques industrielles sont régionales en Espagne, du fait de la structure territoriale fédérale.

Autres politiques syndicales :

  1. L’emploi des jeunes via tout type de formations : de requalification, duales académiques et professionnelles, en entreprise (stages et alternances) afin de créer davantage d’emplois, de réduire les inégalités territoriales et de combler les pénuries sur des métiers manuels ;
  2. Les travailleurs des plateformes : L’Espagne a été pionnière dans la régulation des chauffeurs et livreurs, alors que la startup Uber préférait les auto-entrepreneurs, la relation employeur-employé doit être encadrée par un contrat afin d’ouvrir à des droits syndicaux et d’indemnités de licenciement.
  3. Les algorithmes : Les syndicats en Espagne demandent accès aux algorithmes de toutes les entreprises lorsque le travail est impacté par la productivité exigée ou lorsque des biais impactent les recrutements. Ces demandes portent sur les « commandes », pas sur les développements techniques, un peu comme une notice pour les médicaments ainsi qu’un regard sur ce qui est contrôlé chez les salariés, sur les indicateurs qui pointent la productivité individuelle.

Les questions de sécurité

Il existe un lien fort en Espagne avec les États-Unis, notamment l’importation de gaz depuis l’agression Russe en Ukraine, ainsi qu’une base militaire américaine près de Gibraltar, officiellement pour l’OTAN depuis les années 1960, plus grande base en Europe occidentale, utilisée dans chaque conflit au Moyen-Orient.

0,7 % du PIB a été alloué à l’Ukraine. L’Espagne est le quatrième pays le plus important en dehors de l’Ukraine où les enfants ukrainiens sont éduqués, même si l’Ukraine se trouve à six heures de vol et qu’il n’y a pas de liens historiques entre les deux pays.

En Afrique, l’Espagne est le seul pays de l’Union européenne ayant une frontière terrestre avec le Maroc, qui collabore sur des questions telles que le terrorisme, les migrations irrégulières et le trafic de drogue illégal. L’Espagne joue le rôle d’intermédiaire entre les partisans et les opposants à la coopération avec la Chine au sein de l’Union européenne.

L’énergie

Sur les questions énergétiques, les États-Unis sont le plus grand investisseur étranger en Espagne, ce qui témoigne d’une relation très forte. L’Espagne est devenue importatrice de gaz naturel liquéfié (GNL) depuis la crise en Ukraine, exploitant des installations de GNL qui étaient auparavant inutilisées. Le pipeline en provenance d’Algérie, historiquement principale source de gaz,  s’est asséché pour des raisons politiques (le gouvernement espagnol a changé d’avis sur l’occupation du Sahara occidental par le Maroc) et militaires.

La Catalogne

Sur la Catalogne, l’opposition y était pro-européenne, tout comme dans le projet indépendantiste écossais. Ils espéraient que l’adhésion à l’UE pourrait être un progrès pour leur nationalisme. Les sécessionnistes dominent désormais, visant l’indépendance. L’autonomie régionale catalane joue désormais le jeu politique avec un parti plus radical et antisystème, qui a élevé la crise au niveau de l’UE. La crise est passée d’une Catalogne nationaliste à une Catalogne sécessionniste, avec un discours du type « L’Espagne nous vole ».

Le point de non-retour serait la réforme de la Constitution, une boîte de Pandore, nécessitant une majorité des 3-5e. Le PSOE et le PP ne traitent pas de cette question territoriale, même si cela entraîne le pays dans des tensions économiques et politiques. Le danger réside dans des accords de facto en dehors de l’État de droit.

La Catalogne est une préoccupation qui éloigne l’économie de ses priorités, qui consomme le capital politique des dirigeants et représente potentiellement un risque pour l’unité de l’État. Au niveau européen, l’enjeu est celui de la non-reconnaissance de la Catalogne indépendante qui pèse le même poids démographique et économique que l’Autriche et la problématique de la reconnaissance de la langue catalane comme langue officielle de l’UE.

Le sentiment d’indépendance s’est développé à partir de la crise économique de 2008.

Avec la crise économique en 2012 et la quasi-intervention de l’UE en Espagne dans la gestion économique du pays, les dirigeants ont été conduits à un effort de repositionnement pour ne plus être en risque de mise sous tutelle. Mais cet élan réformateur est brisé par la déstabilisation occasionnée par la question catalane ; la plupart des acteurs à Madrid exprime une relative fatigue de subir ce sujet sans y trouver de solution.