De la question du casting des têtes de liste aux élections européennes

par Michaël Malherbe, Secrétaire Général

On croit trop souvent, à tort, que le rôle des médias consiste à fixer l’agenda, à nous dire à quoi il faut penser chaque jour au fil des actualités. Mais en réalité, le fantasme de « l’agenda » qui nous est imposé ne résiste pas au mur des faits et aux murmures des réseaux. Les médiateurs tentent tout au plus de définir un cadre pour nous donner les moyens de comprendre et d’interpréter le fil des événements dans un récit qui donne un tant soit peu de sens, tant en termes de signification que de direction.

Le dilemme des rédacteurs en chef

Alors, justement, passons aux travaux pratiques en prenant le sujet des futures élections européennes. Puisque nul ne peut dominer le torrent des informations, quels cadres narratifs est-il possible de construire et de soumettre aux réactions du public ? C’est le dilemme auquel sont confrontés autant les rédacteurs en chef que les chefs d’état-major des partis politiques, s’ils sont encore assez nombreux pour s’interroger, à ce stade de la pré-campagne, sur le scrutin européen. Que faire en cette période de rentrée dominée par mille autres séquences mille fois réinterprétées par les acteurs du débat public ?

Faisons l’hypothèse que l’une des possibilités serait, en toute bonne logique, de s’intéresser au vaste monde des idées. Il conviendrait de réfléchir aux enjeux qui feront l’élection, aux lignes de fractures qui façonneront les voix, aux sujets qui pourraient, malheureusement pour qui pourrait y songer, dicter l’agenda, etc. L’erreur serait de croire que la plupart des acteurs ont la motivation, le temps, l’intérêt ou la volonté de se plonger dans de telles douleurs pour accoucher de nouvelles idées, si une telle chose était vraiment possible. D’autres se chargeront de l’exercice fastidieux des programmes électoraux.

La question des candidats comme cadre de narration

Mais alors, que reste-t-il comme possibilité, à ce stade d’un scrutin très lointain, pour tenter d’intéresser et de donner matière à réflexion ? C’est là justement que la question des candidats, et plus particulièrement des têtes de liste aux élections européennes, apparaît comme le cadre de narration et d’interprétation raisonnablement adapté au moment. Quoique les difficultés ne soient pas moindres, nous allons le voir, pour la composition des mesures phares, le choix des candidats, c’est ce que nous nous proposons de démontrer, fait l’objet d’une évolution tout à fait singulière.

Pendant très longtemps, le scrutin européen a été considéré par les chercheurs en sciences politiques comme des élections de second ordre, c’est-à-dire des élections moins importantes dans lesquelles les différents acteurs, responsables politiques, médiateurs et surtout électeurs investissent moins. D’où le spectre largement infondé du déficit démocratique de l’UE. Nous ne prétendons pas démontrer que ce cadre d’analyse est dépassé, mais pourquoi ne pas tenter de le challenger, de confronter ces idées aux faits pour voir s’il reste quelque chose de pertinent.

Par le passé, guère de suspens, un enfer médiatique

Venons-en au sujet de notre démarche, les candidats aux élections européennes. Par le passé, il n’y avait guère de suspens, un enfer médiatique, une morne plaine pour tenter de raconter le scrutin. La plupart des têtes de liste étaient naturellement choisies parmi les chefs de parti. Prenons pour illustrer les cas de figure des candidats qui ont traversé différemment ce rite de passage d’un cursus honorum vers les élections présidentielles, dont les candidats naturels dans leur famille politique ne pouvaient pas faire l’impasse. Pour devenir président de la République, il convenait de s’être frotté au scrutin auparavant, outre les élections locales, idéalement municipales, les élections européennes étaient aussi dorénavant considérées dans l’évaluation du « potentiel électoral » des candidats, testés grandeur nature par les écuries présidentielles.

D’un côté, les élections européennes furent un tombeau présidentiel pour Michel Rocard, tête de liste du PS en 1994 pour lever définitivement l’hypothèque, tandis que la tentative infructueuse en termes de performance électorale pour Nicolas Sarkozy lors du scrutin suivant en 1999 ne l’empêchera pas, plus d’une décennie plus tard, d’être finalement élu à la présidence nationale. Ne s’agirait-il pas là d’une sorte d’hommage du vice de ces satanées élections présidentielles à la vertu du scrutin civique des européennes ? Aux vainqueurs qui ont su jeter les dés, prendre des risques et parier reviennent les butins.

Le logiciel français bugge sans cesse obstinément sur la seule Présidentielle

À l’aune des derniers scrutins européens, peut-on toujours faire l’hypothèse que le logiciel français, qui bugge sans cesse obstinément sur la seule présidentielle, la seule élection que tout candidat n’aurait qu’en tête, est toujours d’actualité ? Ce serait faire un pacte faustien que de se refuser à voir l’évidence. Considérons, par exemple, les résultats du scrutin en 2014. La première fois lors d’élections nationales, la liste du FN arrive en tête, devant toutes les autres, constituant ainsi, pour la cheffe de parti, candidate naturelle aux élections européennes « intermédiaires », Marine Le Pen, la rampe de lancement aux futures élections présidentielles. Par parenthèse, ce cadre d’analyse semble sans doute plus pertinent que la malheureuse interprétation selon laquelle le FN serait devenu de facto le premier parti de France, quand on sait qu’au cours de la mandature 2014-2019, le FN perdra 9 de ses 24 élus, entre les départs vers d’autres partis et les exclusions, à la suite de fréquentes querelles intestines.

Des têtes de liste qui renouvellent largement les générations

Considérons maintenant les élections européennes, encore très lointaines, bien entendu, mais dont on entend, si l’on tend bien l’oreille, quelques échos. Pourrions- nous interpréter comme une relative nouveauté, les têtes d’affiche sur la grille de départ, à ce moment de l’échéance ? De quoi s’agit-il ? D’une conjonction, qui n’est pas seulement une coïncidence, de la plupart des forces politiques d’envisager pour leur propre liste respective des têtes de liste qui renouvellent largement les générations. Excusez la tentative de forcer la démonstration mais de gauche à droite : Manon Aubry, LFI, 34 ans, eurodéputée sortante ; Marie Toussaint, EELV, 36 ans ; Raphaël Glucksmann, 43 ans, pour le PS, eurodéputé sortant ; Stéphane Séjourné, Renaissance, 38 ans, eurodéputé sortant ; François-Xavier Bellamy, 38 ans, Les Républicains, eurodéputé sortant et enfin Jordan Bardella, 28 ans, eurodéputé sortant, la plus jeune tête de liste confirmée, tandis que la plupart des noms mentionnés attendent que leur heure vienne.

Ce n’est pas seulement une question d’âge, comme une sorte de passage générationnel, qui atteint – enfin – la classe politique, engagée par l’élection d’un trentenaire à la présidence avec Emmanuel Macron et poursuivie par tous ces candidats putatifs ou officiels de leur parti aux européennes. Même si en soi, c’est déjà un petit phénomène à mentionner. Ce qui compte encore davantage, c’est que la plupart de ces candidats au scrutin européen sont des hommes et des femmes ayant pour la plupart déjà exercé la fonction de député européen, comme s’il s’agissait d’une promotion devenue somme toute logique, correspondant à un parcours qui légitime, enfin, sur des bases strictement européennes, leur présence en tête de liste à une élection européenne. Ne s’agirait-il pas là comme de l’effet d’une petite bombe européenne ?

Intégrer en partie la dimension d' »européanité »

Les choix actuellement en discussion au sein des familles politiques françaises semblent intégrer en partie dans leurs réflexions la dimension d’européanité, un vilain mot pour dire qu’il s’agit de considérer leurs qualités européennes. Non seulement il s’agirait d’une sorte de normalisation de la France par rapport à son grand voisin outre- Rhin, ce qui peut être qu’une référence à ne surtout pas mentionner. Mais surtout, cela laisserait entendre que finalement l’Europe aurait sa petite importance. Non pas au point de tout miser sur l’Europe pour faire fructifier des forces qui deviendraient « ministrables » pour désigner des politiques ayant les qualités d’être nommés ministres dans un gouvernement.

Quelles qualités les candidats têtes de liste aux élections européennes devraient-ils posséder, si l’on considère la fiche de poste et les responsabilités qui les attendent ? Disons qu’il s’agirait de trouver des profils possédant une relative adéquation entre des compétences médiatiques, un sens politique, une finesse diplomatique, des convictions partisanes ; et dorénavant faudrait-il ajouter un statut générationnel de jeunes ou de trentenaires tardifs, sans oublier, restons encore un instant concentré, des qualités à proprement parler européennes. Cela promet !

Avis de tempête pour les Européens: le sens du vote français en 2024.

par Patrick d’Humières

Comment garder la maitrise de notre destin dans un contexte de remise en cause brutale de nos acquis fondamentaux ? Une stratégie française pour 2030 ne peut être qu’une stratégie d’intégration européenne volontariste.

L’instauration du vote direct pour les représentants au Parlement Européen, voulue par Valéry Giscard d’Estaing, a incontestablement installé la conscience européenne dans le débat politique national, avec pour effet démocratique normal d’offrir une tribune structurée aux opposants à la dynamique européenne. A long terme, c’est la volonté d’intégration qui l’emporte, avec des hauts et des bas, dans le cadre d’un processus dont nous savons qu’il reste réversible et qu’il a encore du mal à dépasser les frontières nationales pour s’exprimer. Ce moteur demeure profondément démocratique ; si on doit regretter sa lenteur, ce n’est pas pour forcer la main des électeurs, mais pour réussir sa vocation pédagogique de donner aux citoyens les éclairages dont ils ont besoin pour mûrir leur choix. Entre les deux seules stratégies restantes, la stratégie conservatrice fait de la nation le centre de décision et de l’Union une technique de coordination et la stratégie volontariste fait de l’européanisation des politiques l’objectif fondamental, en gardant la nation comme espace de proximité et de gestion des implications, d’autre part, dans le respect des histoires, des cultures et des spécificités.

Affronter au plan collectif européen des défis qui dépassent nos capacités nationales 

Certes, on n’enfermera pas la stratégie dynamique dans un calendrier ni un programme, commode à communiquer, face à des circonstances qui décident du mouvement, comme la pandémie, puis la rupture énergétique et la solidarité militaire avec l’Ukraine, tous imprévisibles. Pour autant, l’exercice électoral est-il impossible, alors que faire le plein de mécontentements sur le dos de l’Europe est un exercice de basse démagogie auquel les minorités ne résistent pas ? Il nous faut pourtant le réussir, en se gardant des discours immatures et en faisant confiance à l’intelligence de nos compatriotes autour de l’équation qu’ils ont à l’esprit : comment affronter au plan collectif européen des défis qui dépassent vraiment nos capacités nationales, tout en conservant à proximité une participation sérieuse aux choix de vie, en cohérence avec nos traditions et nos intérêts de base ? Ce qui revient à dire que si la démocratie nationale est défaillante, la démocratie européenne ne peut y suppléer et que cette dialectique du niveau communautaire articulé avec le niveau des Etats est une clé de succès du processus.

Fort de quoi, nous recommandons d’aborder le débat de 2024 en mettant sur la table, c’est-à-dire les plateaux des médias et des formes de discussions nouvelles à proposer, une vision objectivée du paysage planétaire à dix ans, avec pour conséquence l’analyse de ce qui peut être fait au plan européen et nulle part ailleurs, justifiant d’aller plus loin ensemble.

Cette leçon de géopolitique basique nous semble d’autant plus sérieuse et convaincante qu’elle s’appuie sur des réalités que les opinions pressentent de mieux en mieux et dont les générations montantes se sont emparées ; ce qui permet aux électeurs d’en tirer des conséquences et aux candidats de mettre à l’épreuve leur capacité à y répondre simplement et ouvertement. Où allons-nous et que faire ? Telle est la question à laquelle répondre sérieusement face aux propos émotionnels et idéologiques qui détournent nos compatriotes d’une analyse rationnelle de nos enjeux.

Un état des lieux géopolitique et 7 grands enjeux

La première assertion doit consister à ordonner les grands défis qui structurent le paysage des Européens, ce que l’on peut résumer par « avis de tempête » ! L’état des lieux qui se cristallise depuis le Covid et avec la guerre russe contre l’Ukraine, comporte 7 « trends » majeurs. Ce sont les méta-enjeux du monde, imposés à tous les Etats, dont l’UE, en tant que zone qui se croit à l’abri, entre sa prospérité fragile et son influence contestée. Nous sommes bien confrontés à 7 grands enjeux qui sont aujourd’hui 7 grands risques, tant que les populations auront l’impression d’en perdre le contrôle, à juste titre.

  • La montée des températures est en cours et l’enjeu climat nous échappe largement, il faut le dire. Soit parce que nous mettons trop de temps à assumer la décarbonation, soit parce que nous préférons livrer des combats commerciaux en faisant croire que la prospérité pour quelques-uns est préférable à une plus juste sobriété pour tous.
  • La régénération des écosystèmes diminue. L’enjeu de la biodiversité, associé à celui du climat, impose une maîtrise des équilibres naturels et un respect du vivant à partir de quoi tous nos actes de production et de consommation doivent être revus, sur l’ensemble du globe, pour garantir son habitabilité, au risque de pertes de populations irréversibles.
  • Le nombre de pays démocratiques est de plus en plus restreint. L’enjeu démocratique est plus qu’une affaire de méthode qui voudrait suspendre les nouveaux comportements sociaux à des consensus laborieux, alors qu’il est en soi le principe de légitimité juridique pour utiliser le droit, la contrainte, la justice, la liberté dans un cadre qui ne transige pas avec la dignité humaine universelle.
  • Les écarts de revenus augmentent et les indices de développement humain diminuent. L’enjeu des inégalités et son corollaire, la gestion des solidarités, est lui-même une condition de l’exercice démocratique. En effet, c’est la capacité à protéger, assister et promouvoir les personnes dans des cadres collectifs appropriés, efficaces et justes, qui maintiennent en place les pactes sociétaux écartelés.
  • Les actes déloyaux sont en augmentation exponentielle. L’enjeu mafieux gangrène les États qui ne parviennent pas chez eux et au plan international à réduire l’organisation de la criminalité, des délinquances, des trafics et des atteintes au droit et à l’intégrité des personnes, dans des conditions de plus en plus sophistiquées (cyber). Un monde noir et gris a pris place à côté du monde régulé et menace de plus en plus de le déstabiliser.
  • Les migrations prennent des formes et une ampleur jamais vue. Les enjeux migratoires déstabilisent les sociétés qui les subissent, partout, sans qu’aucune forme d’autorité ne sache plus comment réguler, accueillir, décider. Qu’il s’agisse de l’asile ou des flux économiques, chaque zone négocie, se renvoie les difficultés, en faisant une arme des désespérances humaines et des frontières de nouveaux murs politiques.
  • Les systèmes médiatiques s’emballent dans la manipulation des opinions. L’enjeu de l’information est préempté par ses propres mécanismes économiques et technologiques et s’émancipe de valeurs, de principes et de règles qui ne parviennent pas à se mettre en place et à se coordonner sur le plan international.

Confiance et volontarisme pour apporter des réponses politiques européennes

Première conséquence de cet état du paysage mondial : il y a dans une stratégie organisée au plan européen la possibilité de reprendre du contrôle sur ces enjeux afin des les retourner en éléments positifs, constitutifs d’un modèle de référence qui est en soi la finalité du projet méta-national structuré à partir de la souveraineté partagée, à Bruxelles.

Deuxième conséquence de cette observation objective : nous avons le recul et la capacité de négociation pour définir à 27 aujourd’hui, à 28 ou trente bientôt, une forme de priorisation des dispositions, d’organisation technique et financière, de suivi et d’accompagnement à nul autre dispositif comparable au monde, dont il faut assumer la lourdeur et la complexité au nom du respect des acteurs.

Troisième conséquence de cet « avis de tempête », angoissant et mobilisateur à la fois : l’Union peut apporter des messages et des voies au reste du monde, en prenant acte du nouveau puzzle géopolitique, désormais sans puissance directrice, travaillé par la revanche des émergents, conditionné par des transferts inévitables et confronté à l’invention de nouvelles règles du jeu que nous porterons et accepterons d’autant mieux qu’elles ne laissent pas nos pays sans réponse.

Il vaut donc la peine de voter en 2024 et d’envoyer un message aux candidats pour qu’ils relèvent le défi de cette dégradation géopolitique qui s’accélère et de le faire avec « la méthode européenne » dont nous pouvons être fiers, car elle est indissociable de notre culture démocratique et juridique, même si elle se cherche encore. Porteuse des valeurs de solidarité, cette méthode se doit d’inventer un nouveau rapport positif à la nature, même s’il faut revoir bien des modes d’action.

Nous sommes persuadés que nos compatriotes ressentent ces menaces, les comprennent et sont prêts à en tirer des conséquences politiques, si cette dynamique préoccupante leur est bien expliquée et que nous y opposons une stratégie française d’intégration européenne bien négociée, en cohérence avec nos partenaires. Il s’agit bien de bâtir un espace politique puissant dans lequel nos nations restent le lien de base avec le citoyen, sans craindre de partager notre souveraineté, comme nous savons le faire de mieux en mieux depuis quelques décennies, sans avoir rien perdu de notre identité. Organiser le débat de 2024 en ce sens, ce sera convaincre par la raison tous les Français désireux d’apporter à leurs enfants des réponses à la hauteur des temps.

Communication de l’UE et élections européennes: quels enseignements des campagnes précédentes pour le scrutin de 2024 ?

Par Michaël Malherbe, Secrétaire Général, Atelier Europe

Alors que les prochaines élections européennes en juin 2024 suscitent déjà l’intérêt des observateurs, il est intéressant de réfléchir aux leçons à tirer des précédents scrutins. Analyser les campagnes de communication antérieures du Parlement européen pourrait permettre de mieux appréhender les dynamiques d’opinion et de communication au cœur du jeu institutionnel européen.

DÉCRYPTER LES SÉQUENCES DES CAMPAGNES DE COMMUNICATION
DU PARLEMENT EUROPÉEN A L’OCCASION DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES

Quoique l’exercice de se porter sur le passé puisse paraître plus aisé que celui de se projeter dans le futur, la démarche n’en demeure pas moins délicate dans la mesure où il faut évaluer des actions de communication datées. En effet, il s’agit de reconstituer les contextes d’opinion de l’époque ainsi que de recomposer les récits faisant appel à la fois aux faits relatifs à ces campagnes et aux diverses stratégies et outils de communication. En décryptant les séquences des campagnes passées, nous pourrons tirer des enseignements pertinents pour 2024.

2009 : « A vous de choisir » : une communication plus tactique autour du « buzz game » que stratégique

En 2009, le Parlement européen, selon son communiqué à la presse, « lance sa première campagne de communication paneuropéenne, en vue de mobiliser 375 millions d’électeurs dans 27 pays ». Considérons donc cette « première » comme notre point de repère initial, d’autant plus intéressant que la finalité – la participation électorale – semble correspondre à ce qui pourrait apparaître comme l’objectif de communication le plus ambitieux et le plus légitime pour le Parlement européen parmi les trois registres d’objectifs informatifs, cognitifs et conatifs, ce dernier registre, le plus difficile pour toute action de communication, visant à faire changer les comportements.

Avec la signature « A vous de choisir », la campagne de communication se distingue d’une part par la faiblesse de son intention prescriptive : aller voter certes, mais aller voter ce que vous voulez, sous-entendu, le Parlement européen n’est pas là pour se mettre à la place des électeurs pour se forger une idée du choix à effectuer dans l’isoloir. D’autre part, la campagne paneuropéenne inédite se fait remarquer pour sa créativité très forte, qu’il s’agisse des moyens mis en œuvre pour attirer l’attention des médias et des citoyens avec des « coups » comme les “Eurostudios”, des sortes de « cahiers de doléance high tech » itinérants, mais surtout ce qui est passé en partie à la postérité, la logique du « buzz » autour de vidéos virales, comme la série « At the polling station » sans toutefois parvenir à combler le déficit d’animation partisane voire d’opposition idéologique de la campagne électorale.

En 2014, une communication plus politique : le « head game » du spin avec les Sptizenkandidaten

En 2014, l’état de l’opinion est très différent du précédent scrutin, l’Europe a vécu la crise économique, les tensions sur l’eurozone et l’opinion publique est beaucoup moins fertile à laisser pousser les racines de l’intégration européenne, sans faire germer des critiques et des déceptions. La campagne de communication du Parlement européen prend en compte ce contexte avec la signature « Cette fois-ci, c’est différent ».

Toute la difficulté consistera à construire un narratif et des preuves pour faire la démonstration que c’est définitivement bien différent. A plus d’un titre, cette campagne le sera. D’abord, dans ses finalités, l’injonction de la campagne en 2014 ne semble plus d’inciter les citoyens à participer au scrutin, comme lors de la précédente, et normalement de toutes les campagnes institutionnelles dans ce cadre, mais il s’agira bien plutôt d’assurer la promotion de l’institution du Parlement européen dans le jeu institutionnel bruxellois. Ensuite, dans ses moyens, la communication du Parlement européen repose sur un levier politique avec la vidéo « human-manifesto » dont le bloc marque final « Agir. Réagir. Accomplir. » semble tenter de poser un positionnement du Parlement européen, en tant qu’institution, bien loin des seuls enjeux du scrutin européen. Enfin, la volonté de montrer à quel point le scrutin de 2014 est différent conduira le Parlement européen à investir dans une démarche visant à sensibiliser les citoyens européens aux têtes de listes des partis politiques européens, les fameux Spitzenkandidaten, déduits du traité de Lisbonne, un pari institutionnellement risqué mais politiquement gagnant pour le Parlement européen, qui s’impose davantage dans le jeu institutionnel mais qui ne sera pas payant en revanche contre l’abstention.

La tentative d’un embryon de campagne électorale paneuropéenne et européo-centrée n’a pas réussi à mobiliser en masse ni le corps électoral, ni les grands médias, mais cette visibilité et cette dynamique n’a pas été totalement perdue pour le Parlement européen.

En 2019, une communication plus engagée tant avec le « air game » que le « ground game »

Entre 2014 et 2019, avec la Commission « politique » Juncker, l’action de l’Union européenne, en réponse aux nouvelles crises, évolue, s’incarne, se concentre en termes de storytelling sur quelques fils narratifs plus compréhensible comme le Brexit, la crise des migrants ou encore le plan d’investissement. Les citoyens européens, confrontés à une réalité plus dure, se projettent différemment dans la construction européenne, leurs attentes tant en matière d’intégration que de désintégration prennent des formes plus mainstream, parfois aussi plus menaçante, songeons notamment à la poussée de forces europhobes. La signature de la campagne du Parlement européen « Choisis ton futur » pose beaucoup plus clairement la problématique du scrutin européen, tandis que les arguments se font plus prescriptifs pour dessiner un choix de société, un choix civilisationnel, un choix proeuropéen assumé.

Engagée en faveur du projet d’intégration européenne pour la première fois, la campagne de communication du Parlement européen semble également changer de posture et d’attitude vis-à-vis des électeurs européens. Plutôt que d’investir exclusivement sur son auto-promotion ou celle des Spitzen, le Parlement européen privilégie une communication au service et en position de ressource pour les citoyens. Cet investissement, qui se traduit par des démarches telles que la plateforme civique « This Time, I’m Voting » pour fédérer une mobilisation de helpers désireux de partager à leurs proches leurs raisons de participer ainsi que le portail « What Europe Has Done For Me » qui rassemble des contenus pédagogiques, synthétiques, utiles pour savoir « ce que l’UE fait pour vous » et les réalisations du Parlement européen. Les résultats font dorénavant partie de l’histoire, puisque pour la première fois depuis le premier scrutin européen en 1979 la participation électorale s’améliore sensiblement.

Une campagne de communication résolument proeuropéenne et délibérément orientée vers le soutien aux citoyens – afin de répondre à leurs attentes, pour beaucoup, d’informations sur l’UE ainsi que pour certains, l’envie de se mobiliser – aura donc été vraiment payante.

Que faut-il retenir ? Chaque campagne à l’occasion des élections européennes est une opportunité pour le Parlement européen de se positionner sur un registre de communication, qui entre en résonnance avec le moment. En 2009, le partage d’un espace politique européen commun ; en 2014, le partage d’une scène politique européenne commune et en 2019, le partage d’une controverse politique commune Pro-Européens contre Europhobes. Reste à savoir ce qui nous réunira ensemble en 2024.

Pour une nouvelle vision stratégique française en Europe

Par Patrick d’Humières

La guerre a changé l’Europe et son projet ; la France doit en tirer toutes les conséquences

La dynamique militaire de l’Union est en train de déplacer le centre de gravité européen. Difficile de dire si depuis que le soutien à l’Ukraine mobilise l’essentiel des énergies à Bruxelles, la France longtemps avant-centre de l’équipe européenne, ne se trouve pas reléguée au milieu du terrain, sinon en défensive, tant l’agenda s’est transformé et les positions se sont déplacées ! A la limite, peu importe, si l’essentiel reste l’unité des 27 et si le passage à une « Europe puissance » avance. La France y a sa part déterminante. Pour autant, les enjeux ont bougé au profit des dimensions militaires, diplomatiques, énergétiques et technologiques. Sur ces questions où la France avait sa singularité, il lui faut désormais jouer beaucoup plus collectif si elle veut faire valoir sa place. ; ce reclassement induit une révision de ses logiciels historiques. Cela vaut aussi pour l’Allemagne.

La conséquence politique de ceci sera au cœur du débat public des élections de 2024. Il faut dire à nos compatriotes que l’enjeu du vote n’est plus de ménager la souveraineté française et de faire cohabiter une double souveraineté nationale et communautaire, satisfaisant à la fois les tenants du passé et de l’avenir : nous y perdrions notre capacité d’influence. Il s’agit de placer la stratégie française au centre de gravité de la stratégie européenne pour en être un acteur complet, compris et contributif, qui aide à l’émergence de solutions audacieuses et dynamiques. Notre plus grand risque est d’être marginalisé dans le mouvement qui force l’Union à répondre à l’appel historique à être le 3° bloc mondial ; Partie prenante du monde occidental, l’Union devra couvrir le spectre de la puissance qui va du poids commercial au poids militaire et du poids des valeurs au poids des alliances. Sur le grand défi climatique planétaire, elle pourra apporter des solutions et face à la fragmentation géopolitique elle pourra apporter son savoir-faire de régulation. Qui aurait cru que l’Union aurait cette opportunité de remonter en première division mondiale ? Si la France en est un moteur et un facilitateur, cela dessinera sa stratégie pour longtemps.

D’abord libérer le front ukrainien; la victoire militaire ouvrira la voie géopolitique.

Tous les européens l’ont compris désormais : le projet d’Union Européenne est conditionné par le retour de l’Ukraine dans ses droits et l’instauration d’une sécurité collective sur le front Est, à partir de quoi tous les autres sujets de progrès retrouveront un sens. En attendant, l’Ukraine est notre nouvelle frontière. Tant qu’elle ne sera pas stabilisée, l’Union devra assumer un maximum d’efforts, militaires, économiques, humanitaires, non pour abattre la Russie, mais pour démontrer qu’elle est capable de défendre un projet politique, y compris dans sa dimension militaire.

Au moins le message est clair : l’UE doit assurer une perspective commune, sécuritaire et diplomatique, démocratique et solidaire aussi, aux populations allant de l’Atlantique au Dniepr, et de la Baltique à la Méditerranée. Nous savons désormais ce que nous avons en commun et que ce projet peut compter dans un jeu mondial menaçant et sans pilote.

Cette revendication d’une Europe géopolitique fut au cœur du message bruxellois depuis le départ du Royaume-Uni, qui nous a confronté paradoxalement au vertige d’un

isolement continental auquel « la structure communautaire » a su parfaitement réagir. Nous sentions qu’il fallait se donner une vocation mondiale, hors de quoi l’Union se perdrait dans ses débats de concurrence économique. Le mercantilisme ne suffit pas à répondre aux interrogations internationales que perçoivent tous les européens. Leur expérience historique lourde et dramatique a intégré ces questions au cœur des familles et des cultures.

Ce rebond doit beaucoup aux circonstances mais l’important n’est-il pas de s’en saisir ?

Le moment historique est fort et l’Union l’affronte avec intelligence, cohésion et audace même, osons le dire ! Quand il s’est agi d’acheter sur le marché mondial, de faire valoir des principes de droit contre des opérateurs hors contrôle et de soutenir les zones affectées par le conflit, l’UE a montré qu’elle savait faire. Mais cette situation ne règle pas pour autant les grands dossiers attendus par les opinions, car très identitaires, comme la politique d’immigration, la cohérence sociale et la protection aux frontières de nos productions nationales. Alors qu’il va falloir un jour se confronter à la dernière vague d’élargissement si l’on veut achever un processus d’union continentale et savoir construire une défense qui associe la solidarité atlantique et occidentale avec un mécanisme de souveraineté propre, la réussite à saluer est bien celle du Green Deal, qui a démontré que l’on pouvait négocier une entrée sérieuse dans l’économie écologique répondant au défi climatique, avec une dynamique industrielle qui affirme sa compétitivité, face à la Chine mais aussi aux Etats-Unis. Rappelons que ce ne sont pas les normes qui pèsent sur nos coûts, surtout si on les impose à nos concurrents, mais plus souvent l’absence d’innovation qui nous disqualifie ! Qui peut croire que sans un cadre qui organise la rupture, nos économies rentières auraient engagé les sauts technologiques attendus ?

Penser l’Union, c’est penser un projet démocratique et humain

La difficulté est plus dans nos têtes que dans nos forces ! Il y a encore en Europe une psychologie collective corsetée par les codes d’Ancien Régime, qui font croire que nos vieux pays ont besoin de claironner chacun autour de leur drapeau. Mais les opinions ne sont plus dupes et préfèrent appuyer un rapport européen au monde qui pèse efficacement dans la négociation géopolitique que d’assister à des combats de

coq ! Certains appellent même à la naissance d’une nation européenne, considérant que les budgets de défense remplaceront allègrement une constitution mort-née. La réalité est qu’une intelligence collective européenne s’affirme sans avoir besoin de s’en prendre aux symboles et aux porteurs des identités nationales. On remerciera les Ukrainiens d’avoir mis notre confédération d’États Nations au défi d’une capacité d’action stratégique. Mais ne manque-t-il pas à cette dynamique nouvelle un fil conducteur qui parle au cœur des européens, non pas de façon défensive et guerrière, mauvaise conseillère, mais de façon constructive et humaine, pour renouer avec le fond d’humanisme qui est notre dénominateur commun ?

Un projet de reconstruction de l’ordre mondial qui ne naîtra pas de la conflictualité sino-américaine mais bien d’une offre nord-sud que nous saurons proposer ensemble

Notre expérience ancienne des traités de paix, certains ratés, d’autres réussis, doit nous éclairer à ce sujet. Outre la reconstruction, qui est la priorité pour intégrer l’Ukraine dans de bonnes conditions, il y a un défi évident qui est l’application des garanties négociées, reposant sur une dissuasion conventionnelle adaptée, qui remette l’Europe en gardien de ses frontières dans le cadre de l’OTAN, seule alliance militaire crédible à ce jour. C’est là une première révision importante de la stratégie de défense française qui devra en tirer des conséquences pour ses nouvelles priorités, ses modes de décision et d’action. Si ce tournant est pris, il entraînera automatiquement celui des synergies diplomatiques qu’il faudra favoriser, à travers nos outils et nos démarches à « communautariser » de plus en plus, mais aussi en acceptant d’européaniser complètement une stratégie africaine qui glisse sous nos pieds. Il nous faudra lâcher les nostalgies impériales qui nous encombrent, au profit d’un projet de reconstruction collective de l’ordre mondial qui ne naîtra pas de la conflictualité sino-américaine mais bien d’une offre nord-sud que nous saurons proposer ensemble.

Ce réalignement d’une vision globale ne peut plus se contenter de poursuivre la prospérité par tous les moyens, mais doit bien plutôt favoriser une planète durable pour une vie humaine, juste et équitable partout, en mettant notre expérience et notre puissance au service des enjeux collectifs. Cela répond à la question ontologique : à quoi sert l’Europe ? En redonnant cette orientation simple à notre projet, nous

pourrons mobiliser à la fois les générations nouvelles et les aspirations critiques, condition indispensable de toute construction démocratique, mais aussi ouvrir un champ nouveau de la vie en société au 21°siècle. Cela nécessitera de favoriser la capacité d’expression de chacun par l’éducation, la culture, l’échange, dans le respect des droits et des diversités. Contrairement au projet d’après-guerre qui laissait entendre que l’attraction de l’Occident reposait sur la perspective pour chaque ménage de multiplier à l’infini les voitures, les frigidaires et les voyages en avion, le projet qui s’impose aujourd’hui au nord comme au sud, au nom d’une planète finie et souffrante, est celui d’une vie commune qui économise la ressource et préserve la régénération des écosystèmes, pour permettre à chacun d’exprimer sa vocation personnelle au service d’une humanisation des sociétés à laquelle il faut croire.

La France doit percevoir l’opportunité d’adhérer à un projet global européen

Le projet européen porte cela car il a su dominer ses échecs passés. En combattant toujours ses démons et ses fantômes régressifs, il reste un espace privilégié, sinon unique, où la démocratie est plus qu’une série de droits : une exigence spirituelle collective inextinguible. Soyons conscients que nous sommes des acteurs déterminants de cette mutation civilisationnelle qui nous sollicite, allant du retour de la barbarie absolue aux utopies les plus universelles et que nous devons faire en sorte que l’emportent les valeurs humaines en jeu derrière les valeurs politiques en débat et les controverses qui animent notre vie nationale. L’on pourrait faire des rapprochements avec d’autres périodes comparables qui ont vu s’affronter des envolées progressistes et des pessimismes désabusés. On ne dira pas que nos défis sont plus considérables et plus risqués que jamais, mais on ne devra pas manquer de se dire que si la France se justifie plus que jamais par sa promesse d’intégration réussie, c’est d’abord pour la mettre au service d’un idéal européen qui n’est plus dissociable du sien. Cela lui donnerait la possibilité nouvelle d’accomplir son projet en le partageant avec ses voisins les plus proches, avec lesquels elle a vécu depuis plus de mille ans une aventure chaotique, afin de rester dignes, ensemble, de ce que l’on a fait de mieux. Et si les décennies qui viennent redevenaient un temps de civilisation en Europe ?

Pour Atelier Europe, Patrick d’Humières Avis & contact : [email protected]

Dans un an, qu’exprimera l’électeur européen ?

Patrick d’Humières, membre du Conseil stratégique de l’Atelier Europe

            Grand clerc celui ou celle qui peut prédire la motivation du vote à l’élection du Parlement Européen qui se tiendra dans moins d’un an maintenant ! La situation militaire au Donbass et autour, les élections turques, la tournure du débat politique aux Etats-Unis et peut être en Russie, viendront bousculer les choses inévitablement. Pour autant, quelques grandes tendances socio-politiques sont à l’œuvre au sein de la population des 27 qui peuvent servir de points de repère pour répondre à la question qui se pose à nous dès aujourd’hui : qu’aurons-nous à dire et à proposer aux électeurs français qui les conduira à se mobiliser pour faire faire « un saut historique » au projet européen à cette occasion ? La force du mandat qui sera confié, ou non, déterminera largement notre unité continentale.

           Le rééquilibrage de nos intérêts semble en bonne voie

Parmi les tendances au repli et au scepticisme qu’il faut éloigner, il y a bien sûr les craintes sur le pouvoir d’achat, la stabilisation de l’inflation et la maîtrise des coûts de l’énergie qui préoccupent à juste titre nos compatriotes. Sauf nouvelle secousse géopolitique, du côté de Taiwan ou du Golfe, le rééquilibrage de nos intérêts semble en bonne voie et ce n’est pas là le moindre succès d’une solidarité européenne qui l’aura emporté sur les dissensions internes persistantes en plein conflit ouvert avec un empire russe renaissant.

            La controverse atlantiste s’invitera inévitablement dans le débat

L’autre tendance à craindre est la peur ! Celle de se voir entraîner dans une fuite en avant militaire au nom d’un combat de libération que tous les Français ne saisissent pas d’évidence, alors que le camp souverainiste va tout faire pour en exalter les coûts et les dangers. Non pas que la neutralité puisse gagner une France encore pétrie de ses valeurs universalistes, mais il y a toujours eu un fond « lâche » dans la matrice nationale qui ne manque pas d’arguments pour ne pas livrer les armes et les financements à nos voisins bombardés…La controverse atlantiste – suivre ou ne pas suivre l’Amérique – s’invitera inévitablement dans le débat, car elle est aussi partie prenante de nos choix historiques, si ce n’est que dans un contexte de retour de la guerre à nos frontières, non plus froide mais chaude, le besoin de coopération stratégique n’est jamais loin d’une rivalité économique structurelle, sans qu’on sache bien les démêler et éviter les discours binaires autant que les clichés trompeurs qui nous égarent.

Délivrer un narratif convaincant à nos compatriotes et peser le plus efficacement possible sur une expression européenne au niveau des deux grands blocs mondiaux

Cette toile de fond prévisible induit deux conséquences qui doivent inspirer les militants français d’une Union Européenne politique, soucieux d’un avenir de puissance influente pour leur pays, ce qui se confond désormais. Nous savons au fond de nous-mêmes que la France n’a plus d’autre option stratégique sérieuse que celle de peser le plus efficacement possible sur une construction et une expression européenne au niveau des deux grands blocs mondiaux. Il n’y a rien à regretter dans cette réalité géopolitique nationale qui n’est que la continuité d’une boussole étrangère fixée sur ce cap magnétique, de François 1er à la 5ème république et dont seuls ont changé les modes d’action, pacifiques et constructifs aujourd’hui. 

La première conséquence pour délivrer un narratif convaincant à nos compatriotes est de ne pas en rester à la description des situations pour en déduire une inéluctabilité de l’européanisation de notre action collective ; l’honneur de la politique n’est-il pas de refuser le fatalisme ? Faut-il une ambition européenne qui réparerait une impuissance mondiale qui nous hante de plus en plus ? L’Europe inévitable est une option réaliste mais cela ne doit pas être un argument qui ferme la discussion, en réduisant par le mépris toutes les inclinaisons souverainistes.

Trois chantiers : la sécurité du territoire, la diplomatie et la culture

L’autre conséquence est liée à cet impératif kantien de justifier le choix européen en termes positifs : il faut révéler le bilan coût-avantage d’un engagement volontariste au côté de nos partenaires du grand marché et de l’union monétaire qui sont de plus en plus demandeurs de dépasser la dimension matérielle du projet pour rentrer dans un cycle plus exigeant. Oublier « le retour monétaire » de l’Union, consolider ses bases juridiques et démocratiques, dépasser les derniers blocages de la souveraineté… voilà de belles discussions à engager. En fait, dans un an, il nous faudra surtout être capable de proposer une offre motivante et accepter la controverse quasi-métaphysique sur le devenir européen, qui ne va pas de soi, en construisant une offre innovante à réaliser à l’horizon 2030.

Trois chantiers au moins peuvent nourrir cette offre, dont on voit bien qu’ils forment les arcatures d’une voûte qui élève un peu plus l’édifice européen au-dessus des villages originels. Le premier, le plus lourd mais le plus indispensable : la défense du territoire européen, à travers une interdépendance des moyens, des dispositifs et de sa gestion opérationnelle, qui appelle des efforts pour tout le monde, voire des sacrifices. Le second, c’est le chantier de la coordination diplomatique étroite, osant des fusions ici et des procédures là, capable de produire une vision, une parole, des initiatives communes dont plus grand-chose ne justifie désormais qu’elles soient désordonnées et plurielles. Quant au troisième, le chantier le plus facile mais aussi le moins travaillé aujourd’hui, c’est celui d’une action culturelle européenne d’envergure, pour que les citoyens associés se connaissent mieux et partagent plus au travers d’un récit collectif.

On pourrait y ajouter le rapport obsédant à l’Autre, c’est-à-dire le contrôle migratoire qui ne réussira que s’il comporte une dimension d’intégration réussie, largement à inventer. Une Europe des universités, des technologies avancées, des groupes leaders, de la souveraineté énergétique, alimentaire et scientifique, décarbonée et sobre, protectrice de la planète et des droits fondamentaux de tous, voilà aussi un horizon magnifique qu’il faut poursuivre.

N’attendons pas que les événements de l’année qui vient dictent les émotions et les réflexes des citoyens pour savoir s’il faudra voter « stop ou encore » en 2024. Il faudra voter d’abord pour une ambition collective humaine, démocratique, qui veut être un modèle, à ses yeux et aux yeux du reste du monde, de nos alliés comme de nos adversaires, auxquels nous ne devons pas craindre d’exprimer notre façon de penser le monde et de le réaliser, pour continuer à nous choisir un destin.

Pour Atelier Europe, Patrick d’Humières, Avis & contact : [email protected]