par Michaël Malherbe, Secrétaire général.
Le cadre du scrutin est simple. Le président sortant, Andrzej Duda – élu en 2015 et réélu en 2020 sous les couleurs du parti national-conservateur Droit et justice, le PiS – n’est pas éligible pour un nouveau mandat. Sur le plan constitutionnel, le président n’a pas le droit de dissolution, donc le gouvernement en place va se maintenir après les résultats. En revanche, le président polonais dispose du droit de véto, ce qui pourrait renforcer le risque d’explosion de la coalition gouvernementale. Entrons dans le vif du sujet avec les résultats du premier tour.
Les candidats et leurs résultats au 1er tour du 18 mai dernier
Avec un taux de participation très satisfaisant de 67,3 %, en augmentation, en particulier auprès des jeunes électeurs, le paysage est assez concentré. Trois candidats ont obtenu des résultats au-dessus de 10% des voix :
- Rafał Trzaskowski – représentant de la Coalition civique, le parti du Premier ministre Donald Tusk – 31,3 %
- Karol Nawrocki – le candidat de Droit et justice, le PiS qui exerce donc la présidence – 29,5 %
- Sławomir Mentzen – Confédération Liberté et indépendance – 14,81 %
Tandis que les deux candidats représentant la gauche rassemblent moins de 10% des voix, un seul candidat passe la barre au-dessus des 5% : Grzegorz Braun – nationaliste d’extrême droite, Confédération de la couronne polonaise – 6,3%. Le reste des candidats, la plupart Indépendants, recueillent des résultats marginaux.
La lecture des résultats à partir du regard porté par l’Ambassadeur de France en Pologne que nous avons rencontré est sans ambiguïté : « c’est un pays au centre de gravité très à droite, il faut faire avec 50 nuances de droite ».
Le PiS représente un électorat conservateur, catholique et rural, mais avec un agenda social sur les questions économiques et dispose sans doute d’une plus forte réserve de voix pour le second tour. D’une part, les électeurs de Sławomir Mentzen, de la Confédération, se sont portés sur un profil ouvertement nationaliste, avec des accents libertariens pour un État minimal qui a séduit un électorat de jeunes hommes avec des propos ambigus sur le viol et l’avortement. D’autre part, les voix de Grzegorz Braun se sont retrouvées exprimées pour un candidat ouvertement antisémite, qui s’est filmé en train d’éteindre le chandelier traditionnel juif et se présente depuis avec un extincteur lors de ses meetings, à l’image du président Javier Milei avec sa tronçonneuse en Argentine. Son score élevé inquiète dans le pays.
Le duel du 2e tour du 1er juin prochain
Le second tour oppose le maire libéral de Varsovie, Rafał Trzaskowski, déjà candidat ayant perdu en 2020, et le nationaliste Karol Nawrocki, soutenu par PiS, Droit et justice. Pour qu’il y ait des transferts de voix envisageables à partir des options populistes et anti-establishment de Mentzen et surtout de Braun, le candidat du PiS risque de mener une campagne très à droite.
D’ores et déjà, alors que nous étions sur place, dans la presse, Karol Nawrocki s’est illustré avec des déclarations tonitruantes pour relancer la controverse des demandes de réparation à l’Allemagne au titre de la 2e guerre mondiale, des déclarations très populaires qui mobilisent auprès de l’électorat patriotique. L’autre argument massue utilisé pour convaincre les électeurs récalcitrants est de ne pas prendre le risque d’élire un président libéral : si la Pologne se met à imiter les autres pays de l’ouest alors elle va récolter les mêmes problèmes, en particulier ceux liés à l’immigration de masse.
A contrario, les réserves de voix paraissent plus faibles pour le candidat arrivé en tête, qui représente le premier parti de la coalition gouvernementale mais qui ne s’est pas présenté avec une étiquette et un programme qui aurait embrassé tous les partis de la coalition gouvernementale dès le premier tour. Il semble que l’exploit du maire d’une autre capitale européenne, le maire de Bucarest libéral et pro-européen, Nicușor Dan élu président de la République en Roumanie ne se reproduira pas en Pologne.
La coalition gouvernementale et la question de Donald Tusk
L’un des points focaux de cette élection présidentielle, à considérer au-delà de la liste des candidats qui émargent cette année, c’est le Premier ministre Donald Tusk, à la tête du gouvernement actuel. La victoire électorale lors des dernières élections parlementaires de 2023 lui a été imputée en raison de sa capacité à former une coalition gouvernementale composée d’une alliance de l’ex- opposition entre la Coalition civique, son parti, ainsi que d’autres alliés comme La Gauche et Troisième voie, qui détiennent ensemble la majorité à la Diète. Mais il ne faut pas oublier que Droite unie, le PiS alors au pouvoir, était arrivé en tête avec 35,3% des voix.
Depuis deux ans, avec la réalité du pouvoir, Donald Tusk a mangé son pain blanc et perdu en popularité. Il est accusé par ses électeurs de ne pas avoir fait assez pour les Polonais. Outre les points de blocage rencontrés en raison des vetos du président qui n’ont pas facilité sa tâche, il ne se serait notamment pas assez battu sur l’avortement. Il a ainsi personnellement déçu une partie de son électorat, en particulier à cause de propos tenus au sujet d’exercices de préparation militaires dans les forces armées d’active réservés aux hommes.
Par ailleurs, sa perception a évolué. En tant qu’ancien président du Conseil européen et du parti de la droite européenne, le PPE, il jouissait d’une image plutôt centriste et libérale à Bruxelles tandis qu’au pouvoir à Varovie, il a glissé vers la droite et sans doute trop à droite sur des sujets sociétaux pour satisfaire les électorats composites de sa coalition.
Au total, le paysage politique polonais est traversé par des dynamiques qui ne lui sont pas particulièrement spécifiques, dont une baisse d’influence des partis gouvernementaux corrélative à une poussée de candidats populistes et extrémistes. Selon ces éléments et nos échanges sur place, la balance pèse plutôt du côté du candidat du PiS. La société est très polarisée comme à l’occasion de chaque scrutin important, la mobilisation et les reports de voix pour le second tour seront cruciaux pour les résultats finaux que nous connaîtrons d’ici quelques jours.