Construire une économie inclusive et profitable à tous

par Gabriela Martin, Déléguée Générale

La transition écologique, un nouvel enjeu de relations internationales

La 7e édition de ChangeNOW de mars 2024, à l’organisation de laquelle l’Atelier Europe a contribué, s’est voulue un événement d’innovation citoyenne et de diplomatie internationale pour susciter un véritable changement axé sur la transition écologique et sociale, au moment où l’existence de divers mouvements populistes climato-sceptiques menacent l’unité du projet européen. Dans le même temps, des leaders du changement définissent des priorités et des actions pour la transition durable. Quelle est ainsi la position des candidats français aux élections européennes ?

Face aux défis écologiques, l’économie inclusive est devenue un thème clé

Les menaces actuelles ont imposé le développement de solutions. On peut penser à la réduction de la biodiversité; 30% des espèces seraient menacées de disparition d’ici 2050 ; ou à la déforestation ; 6 millions d’hectares par en Amazonie. Mais surtout au changement climatique ; selon les prévisions du GIEC, la température mondiale s’élèverait en 2100 de 1° à 6° en plus ; qu’ils soient d’origine humaine ou des émissions de gaz à effet de serre, ils ont des conséquences catastrophiques : le niveau des mers augmenterait (+0,5 m), entrainerait la disparition des petits États insulaires – Maldives, Nauru – et l’accroissement des réfugiés climatiques – vingt millions aujourd’hui selon l’ONU -. Le lien entre paix et gestion équitable de l’environnement est régulièrement soulignée.

ChangeNOW, plateforme d’innovation et espace d’action, fait partie des réponses à ces périls. Sa mission est de faciliter et d’accélérer la transition vers un monde durable, en aidant les autres à avoir le plus d’impact possible et à recentrer les efforts collectifs en faveur des générations futures. Qu’il s’agisse de technologies révolutionnaires ou d’initiatives menées par des communautés, chaque échange au sein de ChangeNOW réaffirme l’engagement de leurs acteurs à relever les défis auxquels notre planète, du fait de l’extraction continue des ressources, est confrontée.

La plateforme organise chaque année son rassemblement phare à Paris. Au printemps 2024,1 il a réuni des initiatives allant de la COP15 sur la désertification, à l’autonomisation des femmes en Afrique, en passant par l’organisation du plus grand événement dédié aux fonds d’impact et le premier débat électoral européen axé sur la transition écologique et sociale.

Des idées et solutions originales sur les liens sociaux y ont également été présentées, enrichies par les perspectives de divers praticiens qui aident les organisations à relever des défis d’une économie plus inclusive. En effet, c’est au cours de la 2ème journée de ChangeNow qu’a été explorée l’inclusivité sous différents angles, notamment celui des femmes, des hommes, des jeunes et des communautés autochtones, tout en abordant des sujets comme l’économie circulaire et l’impact économique du changement climatique. Ces conversations mettent en évidence une volonté commune de créer un changement positif dans la société.

La notion de transition écologique s’est imposée

L’écologie est la science de l’environnement. Elle constate des effets marqués par la présence humaine et explore des pistes de remédiation, tout en restant modeste sur les effets croisés des actions proposées, car de nombreux exemples d’actions contre- productives ont déjà été observées : e.g. arbres et impact environnemental.

C’est la mesure de l’impact environnemental humain, considérant à l’origine plusieurs centaines de dimensions – les minerais et molécules de base – depuis l’origine jusqu’à l’élimination. Depuis, cette mesure a été simplifiée en regroupant les différentes origines par type : minerais, énergie, air, eau etc. Les mesures ont constaté dès les débuts une dégradation de l’environnement.

Tout est sombre ? Oui et non.

Un véritable plan d’action européen : la plupart des États membres de l’Union européenne ont réussi à atteindre les objectifs 2020 de l’UE en matière de climat et d’énergie et visent désormais la neutralité climatique à l’horizon 2050.

Ainsi 100 leaders pour le changement ont bâti des ponts entre les industries et les continents, initiant des partenariats qui les propulseront vers un avenir plus durable.

Si la transition écologique divise les sociétés, il est possible de forger un consensus

Les questions en matière de transition écologique divisent les sociétés. L’interaction entre l’écologie, la science de l’environnement, le bien commun, un concept propre à chacun, et le bien-être, un sentiment, est à l’origine de nombreuses incompréhensions et de conflits tant au niveau politique que sociétal, et mérite un petit détour afin de décoder plus facilement les enjeux actuels.

La science de l’environnement, comme les autres sciences, est de moins en moins perçue comme crédible. 17 % de jeunes en France pensent que la science apporte plus de mal que de bien à l’humanité. Il y a ainsi 31 % de climato- sceptiques dans le monde, 38 % des 18- 24 ans pensent que le changement climatique n’existe pas…La compréhension et l’acceptation des résultats vient des générations plus anciennes et cultivées 2. L’acceptation différente de l’apport scientifique opère un clivage social et générationnel.

Les actions d’atténuation de l’impact environnemental sont possibles pour une Elite, la différenciation sociale en devient plus importante. Ce phénomène est sensible dans les pays développés, mais aussi entre les pays développés et les autres, aggravant la perception d’injustice : les COP successives en sont la représentation. Ce déséquilibre est d’autant plus envident que le dérèglement météorologique se manifeste plus violemment dans la zone subtropicale.

Les pays dont les habitants sont les plus touchés en 2019 : Mozambique, Zimbabwe, les Bahamas. Pour la période de 2000 à 2019 Puerto Rico, Myanmar et Haïti – sont africains – 15 % des catastrophes, 35 % des décès , Centro-Américains, avec une partie de l’Asie. 90% des décès dus aux catastrophes viennent des pays en développement. Quant à la désertification il s’agit de l’Espagne, du bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord3

Les pertes financières dépassent chaque année des records dans les pays développés. D’où la réticence des pays développés à financer les pays pauvres, et le sentiment d’injustice de ceux-ci. La dégradation climatique génère un clivage international, social et générationnel (les pays riches sont tous vieillissants).

Pour autant, en ce début de semestre 2024, l’un des enseignements de l’enquête de Destin Commun dans le cadre des élections européennes est celui d’un plaidoyer pour la sobriété : 7 Français sur 104 sont favorables. La France, plus divisée que l’Allemagne et le Royaume-Uni y voient une solution souhaitable face à la crise climatique.

Un consensus semble se forger : la sobriété, qui implique de consommer moins, est une solution souhaitable pour protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique.

Selon la même étude de mars 2024 de Destin Commun, alors que l’écologie reste une opportunité de rassemblement pour 53% des Français, la pédagogie de l’ambition écologique de l’UE reste à faire : 59% des Français disent qu’un leadership écologique de l’UE les rendrait fiers d’être européens et 68% adhèrent à l’idée que la sobriété est une option souhaitable face à la crise climatique, mais seuls 22% ont connaissance du Green Deal.

Il est toutefois possible de favoriser un débat sur le plan européen, en faveur de la transition écologique

L’avenir écologique de l’Europe se joue aux prochaines élections. Alors, il a semblé essentiel aux fondateurs de ChangeNow de créer un débat autour des candidats français au Parlement européen, qui permettrait de rappeler au plus grand nombre l’importance de l’Europe sur ces questions de transition et d’aller voter le 9 juin prochain.

Les candidats Mathilde Androuët, Manon Aubry, Nicolas Bay, Clément Beaune, François- Xavier Bellamy, Aurore Lalucq et Marie Toussaint ont respectivement représenté les 7 partis français ayant plus de 5% d’intentions de vote. Ils ont débattu de la transition agricole et de la protection du vivant, de la transition énergétique, du rôle de l’Europe dans la transition écologique et du financement de celle-ci.

Si une analyse reste imparfaite en quelques mots la question sur « la mesure majeure pour la transition » offre un panorama très différencié :

Pour le grand plan d’investissement européen, Clément Beaune préconise de respecter les limites planétaires, Marie Toussaint de donner un prix au carbone, François-Xavier Bellamy de sortir des accords de libre-échange, Manon Aubry d’instaurer une clause de priorité nationale, Mathilde Androuet de créer un grand plan électro-nucléaire ,Nicolas Bay, et en fin Aurore Lalucq préconise quant à elle une fiscalité sur les ultra-riches pour financer la transition.

Cependant, ceci dissimule un aspect plus intéressant, à commencer par les points de convergence : Sortir des accords de libre-échange et fixer des prix planchers pour aider les agriculteurs à faire leur transition. Le besoin d’un grand plan d’investissement européen, en relocalisant les filières d’énergies renouvelables, le financement par une dette commune et plus de fiscalité sont les mesures saillantes.

Finalement, les différences fondamentales se manifestent dans les détails du débat :

Plus on va à aux mouvances dites de « droite », et plus on est 100% nucléaire, contre le passage rapide à la voiture électrique et contre toute mesure qui entrainerait une contrainte sur la croissance, comme les terres en jachère pour restaurer des habitats.

Pour les partis de gauche et les écologistes, la tendance est au 100% énergies renouvelables, financée par une taxe sur les superprofits pétro gaziers et les ultra-riches, avec un appel à réduire les gaspillages et protéger les biens communs comme l’eau sur le plan européen.

La transition verte, sujet politique majeur et au cœur de l’actualité internationale, a été au centre du débat.

La dégradation climatique génère un clivage international, social et générationnel. Ces trois facettes ne se recoupent pas complètement et donnent une impression de chaos général, d’archipélisation sociétale inconnue jusque récemment. La mondialisation favorise un jeu ouvert avec les autres grandes puissances étrangères.

L’amélioration de l’environnement entraîne l’adhésion de la majorité des personnes en France mais sans que cela devienne actuellement un projet de société européen.

Les élections au Parlement européen au printemps 2024 seront le moyen par lequel les citoyens exprimeront leur soutien aux députés sur cette question de société, des épreuves telles que le climat, les valeurs fondamentales et le rôle de l’UE dans le monde. Il est à noter que chacun des défis qui se profilent pour les institutions renouvelées requiert de la participation active à la sphère publique.

Vers un Commissaire européen à la Défense

par Michël Malherbe, Secrétaire Général

Comment répondre aux défis sécuritaires d’une Europe en campagne ?

Alors qu’est passé en février dernier le terrible deuxième anniversaire de l’invasion russe en Ukraine et que les menaces sécuritaires se multiplient, l’idée d’une Défense européenne fait son chemin. Dans le contexte des déclarations récentes du président Français et du débat parlementaire national sur l’implication en Ukraine, l’Union européenne se trouve à un carrefour stratégique. Depuis quelques semaines, la proposition de nommer un nouveau Commissaire européen à la Défense, un poste inédit, a été mise sur la table. Cette proposition vise à renforcer la politique de défense commune de l’UE et à répondre efficacement aux enjeux sécuritaires actuels tels que la guerre en Ukraine et l’éventualité du retour de Donald Trump aux affaires. Sachant que selon l’Agence européenne de défense, les dépenses totales de défense ne représentaient que 1,5 % du PIB en moyenne dans l’UE en 2023, la défense n’a jamais été aussi présente dans les débats que lors de la préparation de ces élections européennes.

Roberta Metsola : l’UE doit prendre le leadership si Trump revient

Selon Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, « l’Europe doit être prête à assumer le leadership, quelles que soient les évolutions aux États-Unis ». Elle propose notamment la mise en place d’un nouveau budget de défense de l’UE. Pour Metsola, « l’Europe ne peut pas hésiter, quand on voit ce qui pourrait se passer de l’autre côté de l’Atlantique… L’Europe doit rester forte ». Elle insiste sur la nécessité d’une union de défense et d’une augmentation des dépenses de défense.

Ursula von der Leyen favorable à un rôle de défense de l’UE

Du côté de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen s’est également exprimée favorablement à une plus grande implication de l’UE en matière de défense, alors que son bilan au sujet de l’Ukraine n’est pas pleinement satisfaisant puisque l’engagement de l’UE à livrer 1 million d’obus à l’Ukraine d’ici mars 2024 est un délai que le bloc est sur le point de manquer. Trois personnes directement informées de la question ont révélé à Playbook, la newsletter quotidienne de Politico Europe que l’UE envisage de créer un nouveau poste de commissaire à la défense pour superviser les aspects industriels de la politique de défense.

Rôle du Commissaire à la Défense : ce qu’il ne serait pas et ce qu’il pourrait être

La politique de défense est actuellement répartie entre différentes institutions, l’idée serait de centraliser les politiques de défense. Actuellement, une Direction générale de la Défense et de l’Espace, sous-équipée à la Commission européenne cohabite avec une Agence européenne de défense, sous la responsabilité du Haut-Représentant Josep Borrell tandis que le programme d’achat conjoint de l’UE, l’EDIRPA, relève du Conseil des ministres. L’idée serait de centraliser certaines de ces fonctions au Berlaymont, le siège de la Commission européenne à Bruxelles.

Pour réussir, compte-tenu de la sensibilité des problématiques de défense, l’efficacité d’un Commissaire à la Défense dépendra de sa capacité à travailler en synergie avec les autres institutions européennes, tout en évitant la duplication des efforts. Le rôle du Commissaire à la Défense ne serait pas un rôle géopolitique qui pourrait éclipser les prérogatives nationales en matière de défense, a fortiori au sujet de l’OTAN, de l’ONU ou des armes nucléaires. En revanche, il pourrait s’agir d’un rôle visant à piloter la politique industrielle axée sur les besoins partagés en matière de munitions et sur le déploiement des investissements de l’UE dans des programmes de développement d’armements répartis dans plusieurs pays.

Candidats potentiels pour le poste de Commissaire à la Défense

Parmi les noms évoqués pour ce nouveau poste, on retrouve Radosław Sikorski, l’actuel ministre des Affaires étrangères de la Pologne, tandis qu’une autre candidate possible serait la Première ministre estonienne Kaja Kallas, qui se montre favorable à un « saut stratégique non seulement dans notre pensée mais aussi dans les réalisations concrètes ».

Controverses partisanes dans la campagne électorale

Le parti politique de centre droit, le Parti populaire européen, semble jouer un rôle moteur sur ce sujet, qui aurait pu largement diviser ses forces par le passé. Le projet de manifeste du PPE propose, dès janvier selon Euractiv, de créer ce poste de Commissaire européen à la défense, afin de « mieux coordonner les questions de défense dans le cadre des compétences de l’UE, de promouvoir la coopération et, en même temps, de garantir qu’il existe un budget de défense de l’UE d’au moins 0,5 % du PIB de l’UE, en plus des budgets nationaux », soit environ 100 milliards d’euros – le même chiffre que Thierry Breton déclare que l’UE devrait investir dans les industries de défense.

Au cours de la campagne électorale, une perception croissante se dégage selon laquelle l’Europe doit faire beaucoup plus en matière de défense, même si ce qui y sera inclus fera l’objet de débats acharnés. D’ores et déjà, quelques partis politiques se sont positionnés, avec davantage d’arrière-pensées électorales que de souci de l’intérêt général, comme du côté du Rassemblement national, qui s’y oppose.

Secouée par la situation en Ukraine et par les menaces de Trump, l’UE envisage des mesures en matière de défense qui auraient été inconcevables il y a seulement quelques années. Dans ce contexte, il est grand temps que l’Europe prenne des mesures pour renforcer sa capacité de défense et répondre aux défis sécuritaires actuels. La nomination d’un Commissaire européen à la Défense pourrait être une étape importante dans cette direction.

Présidence espagnole de l’UE : Rapport du voyage d’étude de Décembre 2023

UN SUCCES EN NEGOCIATION DE POLITIQUES EUROPEENNES MAIS UNE PRESIDENCE DECEVANTE EN POLITIQUE INTERIEURE

  1. L’Espagne dans l’Europe aujourd’hui

La situation économique

L’Espagne est un pays reconnu dans l’UE. Elle bénéficie de l’intérêt pour l’UE de ses élites économiques, en tant que cadre législatif, contrôle supranational et système de réassurance en cas de crise. En ce qui concerne la relation à l’UE du grand public, le soutien est confirmé dans les urnes. Aucune question sur la présence de l’UE dans l’Espagne ne se pose, même si quelques frustrations s’expriment sur des règlementations, en particulier autour du développement durable qui impliquent un très gros effort pour les entreprises, une problématique de formation, de reporting, de mise en œuvre des solutions face à des objectifs indiscutables.

Le plan Next Generation

Le financement européen via le plan de relance Next Generation vise à harmoniser les situations économiques dans les territoires, puisque cette fois, c’est le niveau national et non les régions, qui gère les fonds. Sur les 12 plans Next Generation du gouvernement, 9 concernent l’industrie.

  1. La présidence espagnole de l’UE

La présidence espagnole de l’Union européenne a abouti à de nombreux accords, Madrid réussissant à conclure 71 négociations législatives entre les trois principales institutions de l’UE. Parmi les thèmes concernés : la transition écologique, l’intelligence artificielle, les migrations et les réfugiés, les règles fiscales, l’autonomie ouverte et stratégique, etc. C’est indéniablement un succès politique. Même si de nombreux textes travaillés lors des précédentes présidences étaient déjà mûrs, le moment était venu d’en récolter les fruits.

Sur le plan intérieur, la présidence espagnole de l’UE était censée montrer un État fort pour faire oublier les tensions internes, mais dans une certaine mesure, cela n’a pas fonctionné. Après l’appel à des élections générales, le Parti populaire a remporté la victoire, mais Pedro Sanchez est resté chef de gouvernement par intérim pendant la présidence. Cette dernière s’est déroulée sur fond de paysage politique conflictuel et très politisé, avec un consensus important entre le PSOE et le PP sur les affaires européennes en termes de politiques, mais un désaccord total sur la politique intérieure. En conclusion, la présidence espagnole de l’UE a été un bon intermédiaire en termes de « politiques publiques » mais une présidence décevante sur le plan de la « politique politicienne ».

En Espagne, l’Europe revêt une importance particulière pour le grand public. Au sein du système monarchique, les élections peuvent être contestées, mais l’UE fait l’objet d’un consensus. La cinquième présidence espagnole aurait dû être l’occasion de progresser à la fois en profondeur et en élargissement. Elle aurait pu être exploitée et présentée comme celle d’un des rares États stables et capables de promouvoir un programme profondément européen. Dans une certaine mesure, l’Espagne a échoué dans son intention de se présenter comme le troisième pays le plus important de l’Europe et comme un « partenaire sûr » en raison de ses problèmes politiques internes. En effet, pendant quatre des six mois de la présidence, il y a eu un gouvernement d’affaires courantes. Le Parlement espagnol, le plus polarisé et fragmenté de l’histoire récente du pays, était prêt à exploser, et l’Espagne a dû en payer le prix fort.

La présidence espagnole semestrielle de l’UE s’est traduite par l’organisation par le gouvernement de temps de rencontres régionales sur des thématiques clés comme l’immigration, le travail et l’emploi, l’égalité hommes-femmes ainsi que la participation des syndicats au dialogue social. Une discussion tripartite sur la réforme du marché du travail, avec le patronat et les syndicats, un accord sur les retraites pour assurer la pérennité des pensions, un suivi des syndicats mais pas de contribution sur les financements du fonds européen Next Generation.

Les prochaines élections européennes

Les élections européennes de juin 2024 serviront de baromètre pour l’Europe et les résultats attendus ne sont guère un problème puisque 65 % des électeurs votent pour les deux partis les plus centraux de gauche et de droite. On s’attend à une victoire du Parti populaire, l’une des plus grandes délégations au sein du groupe PPE au Parlement européen. La crainte réside dans la tentation d’y voir une coalition droite-droite avec des conservateurs et des eurosceptiques, étant donné que Manfred Weber, le patron du PPE, semble pencher vers la droite.

III. La relation de l’Espagne avec la France

Relations entre les populations

L’ONG Dialogo, fondée lorsque l’Espagne est entrée dans l’Union européenne dans le but d’améliorer le dialogue entre la France et l’Espagne, confirme dans ses enquêtes d’opinion auprès des Espagnols et des Français, que la relation entre les deux pays évolue favorablement. L’Espagne se montre plus pro-européenne que la France, associant davantage l’Europe à la démocratie.

Relations culturelles

A Madrid, l’Alliance française fête ses quarante ans cette année. La place de la langue française en Espagne est la deuxième langue vivante, même si l’allemand a pu être la langue de référence pour les intellectuels. C’est un élément de compétitivité et une opportunité pour l’emploi.

Relations sur le plan énergétique

Dans la relation Espagne-France, la France est le premier client de l’Espagne et le deuxième ou troisième exportateur selon les années : le dossier des interconnections sur le marché des énergies devrait avancer pour mieux faire circuler les énergies renouvelables. L’Espagne est le hub européen du GNL, avec 8 usines de regazéification en marche, soit 35% de la capacité européenne.

  1. La priorité espagnole de la relation avec l’Amérique latine

Pour le think tank el Cano, dont 30 % des efforts de recherche se concentrent sur l’Amérique latine, le rapport récent « Pourquoi l’Amérique latine compte ? » remet en question quatre idées largement acceptées :

  1. L’Amérique latine est un désastre économique, ce qui n’est pas le cas comparé à l’Europe, avec une croissance annuelle de 5%.
  2. L’Amérique latine est un désastre politique, ce qui n’est pas vrai. L’État de droit et la démocratie sont encore majoritaires.
  3. La Chine a pris le contrôle. Les États-Unis et l’UE restent les plus grands partenaires. Les gens aspirent à migrer vers les États-Unis et l’UE, pas vers la Chine.
  4. Les entreprises espagnoles regrettent d’avoir été globales en Amérique latine. Le retour sur investissement est très bon, comme en témoignent les réinvestissements continus de sociétés telles que Santander ou Spanish Telecom.

Cependant, des doutes subsistent.

  1. L’Union européenne ignore l’Amérique latine, comme en témoigne le non-approbation récente de l’accord sur le Mercosur. Cela pourrait changer la donne en augmentant le commerce intra-américain de 30% dans les échanges en Amérique latine grâce à des règles communes, connues sous le nom de l’« effet Bruxelles».
  2. La position de l’Espagne en Amérique latine est en déclin. Le terme « Ibero-America » sonne comme une vision post-coloniale, ne reflétant pas la réalité actuelle où le commerce est plus diversifié et le reste du monde gagne également en intérêt pour l’Amérique latine.
  3. L’Amérique latine est principalement associée au lithium et à la plupart des matières premières. Il est nécessaire de démontrer que l’approche européenne dans la région est moins extractive que les autres puissances, comme la Chine, en prenant l’exemple du Chili, le pays le plus européen de la région, avec lequel la relation s’est améliorée.

A vrai dire, l’Espagne exprime une fatigue de « relancer la relation avec l’Amérique latine » à  chaque présidence espagnole de l’UE, mais en l’ignorant le reste du temps. Ce n’est pas un discours sérieux ni crédible. La réalité est qu’on ne peut pas ignorer ce sous-continent, la région la plus euro-comptable en termes de relations humaines et de valeurs. Le potentiel est énorme, si l’UE joue son rôle.  Cela faisait 7 ans qu’il n’y avait pas eu de réunion UE-Amlat avant la présidence semestrielle espagnole. La base du dialogue doit partir des secteurs prioritaires comme énergie/climat, transports, digital ou éducation.

Le programme européen Global Gateway vise justement à identifier les projets dans lesquels investir entre entreprises européennes et locales, capables de bâtir de nouvelles chaînes de valeur plus sûres. Le game changer, c’est le partenariat entre les entreprises privées au-delà de l’investissement public. Enfin, pour réussir, il faut également investir du capital politique européen.

  1. Les défis

La sécurité économique

Le concept de « sécurité économique », d’un autre temps, est de nouveau à l’ordre du jour. Les institutions européennes ont publié une communication en juin dernier sur la sécurité économique, comme fondement d’une future protection contre les risques, d’une promotion des relations économiques, de la compétitivité et des partenariats. Il ne s’agit pas seulement d’un concept défensif, mais proactif, posant la nécessité d’agir face à la triple Transition digitale, des modèles économiques et environnementaux, qui détermineront l’avenir.

Les principaux défis portent sur :

  1. Le digital : Plusieurs enjeux comme le fair share, compte-tenu du poids de la construction des réseaux par les télécoms, exploités ensuite par les grandes plateformes qui profitent de leur avantage sans payer ; le prix du réseau doit être payé par les acteurs économiques, comme le prix d’accès à Internet pour le grand public.
  2. Le climat : Les énergies renouvelables et l’hydrogène vert
  3. L’investissement : il faut être capable, dans le contexte mondial post-covid qui a montré nos vulnérabilités, de mobiliser nos capacités intellectuelles et en capital pour investir dans les nouvelles activités comme les batteries électriques, l’économie circulaire, les biotech, etc.
  4. L’industrie : la politique industrielle de l’UE a été absente du modèle libéral des années 1990-2000. Nous avons besoin de trouver une nouvelle politique industrielle européenne, dans la sécurité économique, la promotion de la compétitivité, des marchés plus diversifiés et la promotion de bases industrielles dans de nouvelles activités.

L’économie circulaire

Le Manifeste de BNP Paribas Personal Finance couvre différentes interventions en matière de philanthropie, de support digital et d’opportunités commerciales dans des segments comme :

  1. La location plutôt que l’achat d’équipements technologiques d’appareils électroniques grand public tels que les téléphones mobiles et les consoles de jeux, en collaboration avec Carrefour et Samsung.
  2. La mise en circulation de vélos recyclés : Circular Bike occupe la deuxième place dans le secteur des vélos en Espagne, avec une part de marché de 35% à 40% dans le financement de nouveaux vélos.
  3. Le développement de garanties étendues pour les voitures, les appareils électroménagers blancs et bruns (cuisine, mobilier, etc.).

A la place du Black Friday, une opération C-Friday pour Circulaire a été lancée, en partenariat avec une ONG, dans un mélange entre philanthropie et entreprenariat débouchant sur des outils de sensibilisation à la seconde main, des formations sur la collecte de biens de consommation pour le réemploi ainsi que le recyclage.

La principale problématique en matière de durabilité réside dans la sensibilisation visant à transmettre le message selon lequel tout ce que vous achetez a une seconde vie. Il est nécessaire de faire progresser la sensibilisation du grand public pour encourager un changement d’attitude.

En Espagne, l’intérêt pour l’économie circulaire gagne du terrain. Moins qu’en France, mais l’objectif est de la rendre plus mainstream. Pour le grand public, la première préoccupation est budgétaire, la « Seconde main » constitue une manière de récupérer un peu d’argent. Le changement climatique est aussi un argument puissant pour les consommateurs, impactant les gens chez eux rendant l’efficacité énergétique des maisons est un critère pertinent pour l’achat ou la location, tandis que les énergies renouvelables progressent rapidement.

La banque BNP Paribas, dans son ensemble, considère que la durabilité est l’un de ses critères fondamentaux, bien qu’aucun objectif officiel ne soit pour le moment déclaré tant que la nouvelle taxonomie nécessite des clarifications. Cependant, dans les rapports trimestriels, des indicateurs clés de performance (KPIs) sont produits et suivis, permettant ainsi la réalisation de projets futurs avec des résultats concrets.

L’association REMAR, partenaire de BNP Paribas Personal Finance, constitue un réseau regroupant 200 000 membres actifs en Espagne. Son objectif est de créer une économie circulaire. Elle s’engage dans la collecte, la réutilisation et la circulation de produits, ainsi que dans la récupération d’aliments auprès des supermarchés pour les redistribuer. En outre, l’association pilote la collecte auprès d’usines, gère des boutiques solidaires et des maisons d’accueil pour les familles en Espagne ; sans oublier ses actions solidaires en Afrique, avec des envois quasi quotidiens de conteneurs pour distribuer de la nourriture dans les prisons et auprès des orphelins.

La priorité de la réindustrialisation et de la formation

Les préoccupations économiques pour 2024 portent sur les déficits publics importants, sur la nécessité de faire évoluer les lignes budgétaires après 4 ans de renouvellement du budget voté par la précédente mandature. La réindustrialisation (gigafactory de batteries électriques) ne compense pas la désindustrialisation qui touche aussi l’outil industriel espagnol.

La priorité serait d’améliorer la formation pour les entreprises, en particulier pour la transformation digitale. Les besoins concrets des entreprises ne sont pas couverts par les formations universitaires, qui représentent une reconnaissance sociale par les diplômes, alors que la perception de la formation professionnelle pourrait être plus positive compte tenu des emplois qualifiés à la clé.

L’action syndicale pour les industries

L’action du syndicat UGT, 900 000 adhérents et plus de 100 000 représentants dans les entreprises pour les industries, coordonne trois activités, la formation, l’égalité et l’emploi, ce qui représente 2,8 millions d’emplois et un tissu de 194,000 entreprises, plus de 80% étant des PME. Il assure le suivi des mesures gouvernementales dans toutes les filières, en particulier l’encadrement des conventions collectives, l’État privilégiant une harmonisation par le haut avec de meilleures garanties tandis que le secteur privé privilégie des accords moins disant.

Le syndicat dispose d’une force de négociation grâce à ces conventions sectorielles. Trente-huit conventions sont en cours, avec le double défi d’accompagner des entreprises de taille différente et d’assurer la transition numérique et durable, tout en assurant un accompagnement juridique autour de la transposition en cas de conflit d’interprétation des mesures prévues dans les entreprises.

L’un des principaux défis correspond à la tertiarisation des industries, se traduisant par la baisse de la part industrielle dans l’économie, qui est passée de 28% en 1981 à 12% en 2023. De ce fait, la réindustrialisation est très importante, se traduisant par la transformation du modèle industriel avec la numérisation et la durabilité, alors qu’il n’y a pas de mesures concrètes au plan national puisqu’il n’y a pas de ministère de l’industrie ; les politiques industrielles sont régionales en Espagne, du fait de la structure territoriale fédérale.

Autres politiques syndicales :

  1. L’emploi des jeunes via tout type de formations : de requalification, duales académiques et professionnelles, en entreprise (stages et alternances) afin de créer davantage d’emplois, de réduire les inégalités territoriales et de combler les pénuries sur des métiers manuels ;
  2. Les travailleurs des plateformes : L’Espagne a été pionnière dans la régulation des chauffeurs et livreurs, alors que la startup Uber préférait les auto-entrepreneurs, la relation employeur-employé doit être encadrée par un contrat afin d’ouvrir à des droits syndicaux et d’indemnités de licenciement.
  3. Les algorithmes : Les syndicats en Espagne demandent accès aux algorithmes de toutes les entreprises lorsque le travail est impacté par la productivité exigée ou lorsque des biais impactent les recrutements. Ces demandes portent sur les « commandes », pas sur les développements techniques, un peu comme une notice pour les médicaments ainsi qu’un regard sur ce qui est contrôlé chez les salariés, sur les indicateurs qui pointent la productivité individuelle.

Les questions de sécurité

Il existe un lien fort en Espagne avec les États-Unis, notamment l’importation de gaz depuis l’agression Russe en Ukraine, ainsi qu’une base militaire américaine près de Gibraltar, officiellement pour l’OTAN depuis les années 1960, plus grande base en Europe occidentale, utilisée dans chaque conflit au Moyen-Orient.

0,7 % du PIB a été alloué à l’Ukraine. L’Espagne est le quatrième pays le plus important en dehors de l’Ukraine où les enfants ukrainiens sont éduqués, même si l’Ukraine se trouve à six heures de vol et qu’il n’y a pas de liens historiques entre les deux pays.

En Afrique, l’Espagne est le seul pays de l’Union européenne ayant une frontière terrestre avec le Maroc, qui collabore sur des questions telles que le terrorisme, les migrations irrégulières et le trafic de drogue illégal. L’Espagne joue le rôle d’intermédiaire entre les partisans et les opposants à la coopération avec la Chine au sein de l’Union européenne.

L’énergie

Sur les questions énergétiques, les États-Unis sont le plus grand investisseur étranger en Espagne, ce qui témoigne d’une relation très forte. L’Espagne est devenue importatrice de gaz naturel liquéfié (GNL) depuis la crise en Ukraine, exploitant des installations de GNL qui étaient auparavant inutilisées. Le pipeline en provenance d’Algérie, historiquement principale source de gaz,  s’est asséché pour des raisons politiques (le gouvernement espagnol a changé d’avis sur l’occupation du Sahara occidental par le Maroc) et militaires.

La Catalogne

Sur la Catalogne, l’opposition y était pro-européenne, tout comme dans le projet indépendantiste écossais. Ils espéraient que l’adhésion à l’UE pourrait être un progrès pour leur nationalisme. Les sécessionnistes dominent désormais, visant l’indépendance. L’autonomie régionale catalane joue désormais le jeu politique avec un parti plus radical et antisystème, qui a élevé la crise au niveau de l’UE. La crise est passée d’une Catalogne nationaliste à une Catalogne sécessionniste, avec un discours du type « L’Espagne nous vole ».

Le point de non-retour serait la réforme de la Constitution, une boîte de Pandore, nécessitant une majorité des 3-5e. Le PSOE et le PP ne traitent pas de cette question territoriale, même si cela entraîne le pays dans des tensions économiques et politiques. Le danger réside dans des accords de facto en dehors de l’État de droit.

La Catalogne est une préoccupation qui éloigne l’économie de ses priorités, qui consomme le capital politique des dirigeants et représente potentiellement un risque pour l’unité de l’État. Au niveau européen, l’enjeu est celui de la non-reconnaissance de la Catalogne indépendante qui pèse le même poids démographique et économique que l’Autriche et la problématique de la reconnaissance de la langue catalane comme langue officielle de l’UE.

Le sentiment d’indépendance s’est développé à partir de la crise économique de 2008.

Avec la crise économique en 2012 et la quasi-intervention de l’UE en Espagne dans la gestion économique du pays, les dirigeants ont été conduits à un effort de repositionnement pour ne plus être en risque de mise sous tutelle. Mais cet élan réformateur est brisé par la déstabilisation occasionnée par la question catalane ; la plupart des acteurs à Madrid exprime une relative fatigue de subir ce sujet sans y trouver de solution.

LANCEMENT DE LA CAMPAGNE DES ELECTIONS EUROPENNES: LE GRAND RETOUR DE L’AGRICULTURE

par Michaël Malherbe, Secrétaire Général

Nombreux sont ceux qui s’attendaient à une entrée en campagne sur la souveraineté technologique de l’Europe dans les données, l’intelligence artificielle, la 5G ou les services numériques. L’on s’attendait sans doute à tout ce qui nous permettrait de réussir le XXIe siècle de l’Europe. A tout sauf à l’agriculture.

Adieu veau, vache, cochon, couvée

Et patatras, comme dans la Fable de Jean de La Fontaine, « Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ? » Face au lait renversé, « Je suis gros Jean comme devant ». « Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée » ! C’est sans doute ce que nous pouvons constater avec ce coup d’envoi de la campagne des élections européennes de juin prochain, qui aura finalement bel et bien commencé : à côté des sujets technologiques, géopolitiques, sanitaires, un thème ancien a émergé dans la foulée d’une contestation.

Comment cette campagne qui n’a cessé de se dérober à ceux qui tentaient de s’en saisir, depuis plusieurs semaines déjà, est-elle parvenue à rompre le désintérêt des différents acteurs européens ? Mille et un scénarios pouvaient dorénavant s’échafauder à mesure que les nouvelles responsabilités de l’Europe accumulées pouvaient offrir un angle à la campagne électorale. Au cours de la mandature, l’UE s’est notamment vue confiée de nouvelles responsabilités sur des enjeux majeurs comme la lutte contre la pandémie de Covid ou le soutien contre l’agression russe en Ukraine, autant d’eau potentielle au moulin du débat électoral. Les états-majors des partis politiques européens ne cessaient de bâtir des plans de bataille, mais rien n’y faisait, la campagne ne prenait pas.

C’est par le plus vieux métier de l’Europe que la campagne électorale a déchiré le voile

De manière fracassante, tant le drame est malheureusement complet, la détresse des agriculteurs est enfin parvenue à capter l’attention des citoyens. On retiendra donc, à l’ère de la polémique virtuelle, quotidienne, stérile, que ce sera l’un des sujets les plus européens qui aura ouvert le bal de la campagne européenne. L’agriculture s’est manifestée aux premières loges de nos consciences médiatiques par la crise d’un secteur en plein chantier.

Pourtant, pour tous ceux qui suivent attentivement l’actualité des affaires européennes, il faut dire que le feu couvait depuis quelques temps. Les premiers pas de la nouvelle Commission von der Leyen se sont déroulés conformément au programme, autour d’une ambition majeure, le Pacte vert pour l’Europe, porté par Frans Timmermans, un Vice-Président entreprenant. Mais, celui-ci a quitté son poste avant la fin de son mandat, pour rejoindre la politique nationale néerlandaise, laissant le Green Deal orphelin de son principal avocat, alors que certains des textes les plus difficiles étaient encore en discussion.

Creusons le cœur du contentieux, qui s’est porté sur le projet de restauration de la nature, un texte prévoyant de fixer pour la première fois des objectifs contraignants pour restaurer les écosystèmes, les habitats et les espèces afin de mettre en place des mesures de restauration efficaces afin de couvrir au moins 20 % des superficies terrestre et maritime de l’UE d’ici à 2030, considérant en particulier que la productivité agricole dépend de la santé des écosystèmes et notamment des pollinisateurs.

Lors des discussions au Parlement européen pour l’adoption du texte sur la restauration de la nature, nous avons assisté sans doute au mélodrame le plus intense de la mandature, avec une sorte de victoire à la Pyrrhus qui a laissé beaucoup de traces. Comptons les forces en présence et regardons le résultat après la bataille.

Du côté des partisans du texte sur la restauration de la nature à compter dans les rangs des eurodéputés qui ont largement voté pour la confirmation d’Ursula von der Leyen en début de mandat, les grands principes du Green Deal sont sauvés, la victoire n’est que de façade, mais disons qu’on a sauvé les meubles, la vision d’un modèle, d’une société idéale zéro-carbone.

Du côté des opposants, qu’il a fallu chercher au cœur même de la famille politique de la présidente de la Commission européenne, le PPE, rassemblant la droite européenne, ce texte fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, le calice à boire jusqu’à la lie qu’ils ne pouvaient justement plus assumer auprès de leur famille politique, au cœur des zones rurales et des territoires.

The Perfect Storm

C’est ce que l’on appelle #ThePerfectStorm, qui rassemble de nombreuses injonctions contradictoires, révèle des lignes de fracture profondes, suffisantes pour potentiellement redéfinir les contours entre des majorités et des oppositions non pas de circonstance, mais durables, irréversibles, comme ce fut le cas pour les fameuses deux gauches irréconciliables théorisées par Manuel Valls.

D’un côté, les partisans d’une vision généreuse de la société future, bas-carbone, sympathique et écologiste, respectueuse de la biodiversité animale et végétale. Un modèle de société promu dans une démonstration qui nous explique que nous n’avons pas le choix pour lutter efficacement contre les dérèglements climatiques. C’est à prendre ou sinon c’est la fin du monde.

De l’autre, les soutiens du monde réel, concret, matériel, des habitants des zones rurales, des acteurs qui ne s’occupent pas seulement d’entretenir les paysages pour la beauté du geste, mais qui vivent de leur activité dans les pays, le monde des paysans.

Comment une telle divergence existentielle, autour de la politique européenne la plus emblématique, la plus historique et dorénavant la plus contestée et critiquée aura-t-elle pu passer aussi longtemps sous silence ?

Les agriculteurs, en France, mais aussi dans la plupart des États-membres, ont une relation ancienne avec l’Union européenne, pourvoyeuse de fonds visant à transformer le secteur, à une certaine époque, vers des logiques de productivité et d’auto-suffisance, davantage aujourd’hui vers une forme de souveraineté alimentaire, dont l’ouvrage devra être remis sur le métier.

Le vade-mecum de campagne

En définitive, l’opération de préemption de ce début de campagne par les agriculteurs est une très bonne nouvelle, d’abord parce que leur drame est un sujet qui mérite vraiment qu’on s’y intéresse pour y apporter des réponses à long-terme. Ensuite, parce que cela nous rappelle à tous qu’en Europe, rien ne se fait sans cette capacité à construire des coalitions, qui fait que ce sont des agriculteurs aux quatre coins de l’hexagone français et de l’Europe tout entière qui se manifestent et expriment leur désespoir. Enfin, parce que ce sujet, comme nous venons de le voir, est sans doute le plus susceptible de permettre aux Européens de faire des choix de société engageants, structurants pour l’avenir, cohérents vis-à-vis de nos engagements, d’une grande lisibilité pour le grand public et d’une certaine logique aussi dans les relations futures avec nos différents partenaires.

Au détriment de leur propre existence, les agriculteurs nous montrent aussi le coût politique très élevé à payer pour parvenir à capter l’attention concomitante, à la fois des pouvoirs publics nationaux et européens, mais également des médias d’information, sans oublier évidemment les citoyens-électeurs.

Ce sera justement le rôle de la campagne des élections européennes de 2024, qui ne semblait pas encore s’être donné une éventuelle mission, de débattre de nos choix existentiels pour l’une des activités économiques les plus illustres et les plus nobles, qui avait été au cœur du projet de la construction européenne, compte-tenu de sa capacité à fédérer autour d’une vision commune. Et puis, il faudra formuler des propositions cohérentes, réalistes, respectueuses pour cette politique publique, la PAC, qui en a vu bien d’autres. Et il s’agira enfin de trancher entre les options des différentes familles politiques.

LE CHAOS DU MONDE OBLIGE L’EUROPE A SE DOTER D’UNE POLITIQUE ETRANGERE COMMUNE

par Patrick d’Humières

Les guerres du moment désignent à l’opinion quelles sont les puissances de premier rang et celles de second rang. L’Europe doit-elle se contenter d’être en deuxième catégorie et de régler les factures humanitaires sans peser sur les décisions globales et sans parvenir à infléchir l’ordre mondial dans le sens de ses valeurs ? Cette interrogation est existentielle car si nous ne trouvons pas rapidement une cohérence dans l’action extérieure, on ne pourra plus reprocher aux dirigeants des États membres de jouer leur partition et de se désolidariser de la communauté de destin qui est nôtre. Dans nos pays comme que dans le monde extérieur, au nord local comme au sud global, l’UE se doit de se présenter unie et cohérente devant les autres dirigeants de ce monde, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires. Cette vérité simple nous interpelle d’autant plus qu’en matière commerciale, en matière environnementale, en matière humanitaire et dans plusieurs champs de la régulation, l’Union a fait le saut d’une représentation commune qui s’impose de mieux en mieux dans le jeu global.

Et l’intérêt d’une « PEC » est d’enclencher forcément la politique commune de défense, mais aussi les volets culturels, sanitaires et d’inclusion qui font cruellement défaut à l’édifice institutionnel européen et que les initiatives engagées jusqu’ici justifient d’aller beaucoup plus loin sans tarder.

Le monde stabilisé que nous quittons

L’Europe du « triple saut » peut-elle voir le jour en 2024, à l’occasion du débat électoral de juin, pour ajouter au saut économique puis institutionnel, indéniablement réussi, celui de l’action extérieure commune ? Certes, on sait bien qu’on touche là à la symbolique nationale la plus réflexe qui soit, dès lors qu’il s’agit d’incarner des vieux États-Nations et de permettre à leurs chefs d’État et de gouvernement d’exister au-delà des questions quotidiennes, en prenant en charge « l’essentiel », c’est à dire le destin de leur peuple aux yeux des autres !

Dans le monde stabilisé que nous quittons, les questions internationales étaient enfermées dans un cadre occidental hiérarchisé qui convenait bien à presque tous les acteurs et qu’ont facilement rejoint les nouveaux adhérents à l’Union en se démettant sur le tuteur impérial américain pour ce qui est touche à l’ordre mondial, son organisation, sa sécurité et ses enjeux nouveaux. Cet abandon évitait de se poser beaucoup de questions à long terme et, à part la France, l’UE ne s’imaginait pas devoir se positionner en propre sur des enjeux hypothétiques. L’irruption de la multipolarité tirée par la Chine, de la désoccidentalisation nourrie par les BRICS et de la révision nécessaire des relations économiques au nom des enjeux écologiques, force l’Europe à devoir affirmer une autre voie qui coïncide avec ses valeurs. Elle ne sait pas le faire en ordre à ce stade ; on se demande même si les principaux dirigeants de l’Union partagent cet objectif, certains s’accommodant volontiers d’une prudence hypocrite et d’autres poursuivant leur chemin solitaire faute de se retrouver dans la représentation commune bruxelloise. Malheureusement, cette béance diplomatique se voit ; elle nuit désormais à l’attractivité du projet européen, dont on oublie qu’il fut établi pour faire la paix et non pour s’en tenir à un mercantilisme sans âme et sans boussole. Or si la paix n’est plus là, que fait-on ?

Construire une architecture diplomatique collective est devenu un impératif vital pour l’UE

Construire une architecture diplomatique collective est devenu un impératif vital pour l’UE, dont on doit dire qu’il passera par un abandon négocié de certaines prérogatives de représentation associées aux États, même si on sait que l’aura que confère aux grandes nations la perpétuation d’une expression autonome et pompeuse sur la scène mondiale n’est ni efficace, ni indispensable pour faire bouger les lignes ; elle prolonge un sentiment d’existence ostentatoire, comme notre voisin d’Outre-Manche sait si bien le faire, avec son « marketing de la couronne » qui est une piètre compensation à l’échec de la stratégie « global UK ».

De fait, accepter de renoncer à cette démarche d’expression régalienne touche au symbolique quand il s’agit de représentation mais, croit-on, à la souveraineté lorsqu’il s’agit de choix structurants à partager, fut-ce avec un ami et partenaire sur toutes les autres politiques publiques, ce qu’on craint qu’il soit perçu par les opinions comme un abandon castrateur ; aucun dirigeant ne veut et ne peut transgresser simplement ce legs émotionnel sans s’assurer qu’il ne sera pas privé de deux composantes à part entière de son autorité légitime : la vision stratégique qui lui convient, d’une part, lors des phases de décision, et la possibilité de rester l’incarnation de son peuple face aux autres d’autre part, pour assumer ces choix , bref éviter le syndrome d’un Cyrano de Bergerac : « n’aller pas bien haut, peut-être, mais tout seul ».

Dépasser cette limite fondamentale tient de la dimension psychanalytique ou du réflexe archaïque nationaliste, parfaitement respectable, alors même que les Etats-membres ont appris de longue date à débattre et à convenir d’orientations extérieures communes ; paradoxalement, ce n’est pas tant le fond stratégique qui paralyse l’Union que la volonté de déléguer à une instance représentative le soin d’incarner et de faire vivre notre rapport au monde. Nous savons que nous pouvons dégager des options fondamentales communes à la majorité des 27 mais en ne voulant pas encore transférer leur incarnation et leur déploiement à l’Union, au moins en partie, nous en affaiblissons la portée et la perception, c’est-à-dire toute efficacité.

C’est bien la question de la capacité de l’Europe à compter sur la scène mondiale qui est le sujet

Or, c’est bien la question de la capacité de l’Europe à compter sur la scène mondiale qui est l’enjeu, pour favoriser des solutions négociées, atténuer des conflits et ouvrir de nouvelles voies de coopération et de régulation collective, terrain dont Amin Maalouf rappelle dans son dernier essai* que se joue là une capacité occidentale crédible à ne pas subir une remise en cause inéluctable », ainsi que « la réparation du monde » à laquelle il faut s’atteler enfin, pour favoriser un nouvel ordre coopératif.

La guerre en Ukraine nous a fait progresser de façon considérable sur le chemin d’une vision commune à l’égard de la Russie et dans nos rapports plus décomplexés avec les Etats-Unis et le reste du monde. Mais nous arrivons au pied de la muraille russe et la hauteur à franchir est beaucoup plus abrupte que la gestion réactive limitée assumée jusqu’ici ! La division escomptée par le Président russe n’a pas eu lieu et ce n’est pas là le moindre succès porté par un « occident » qui s’est retrouvé dans la défense militaire et politique de ses valeurs et de ses intérêts. Cet acquis défensif, à maintenir jusqu’au retour de l’Ukraine dans ses frontières, est le signe le plus encourageant que nous puissions afficher depuis la chute du Mur. Elle nous aide à oublier l’inconscience qui a marqué un lâche abandon au protecteur américain s’agissant des implications de l’architecture de sécurité collective post-89 que nous payons au prix fort aujourd’hui. A ne pas traiter nos enjeux réels, ils nous rattrapent un jour.

C’est aussi ce qui s’est passé avec l’éruption terroriste dont Israël a été victime le 7 octobre 2023, qui a pris de cours une Amérique et une Europe qui avaient largement jeté l’éponge dans le bourbier moyen-oriental, alors même que nous avons porté sur les fonds baptismaux onusiens un État juif doté d’une identité démocratique et campée sur le projet des deux États en Palestine, en vain malheureusement. L’Europe avait pris acte de son impuissance avec l’échec des accords d’Oslo et le refus du peuple juif de négocier la mise en place d’un État Palestinien. Rattrapée par la problématique insoluble et douloureuse de la coexistence de deux populations concurrentes sur la terre de leurs ancêtres, voulue par la communauté internationale mais refusée par les protagonistes, l’Union vient de faire une démonstration pathétique de son incapacité à penser et agir solidairement en termes de puissance qui compte. La France tient son rang, l’Allemagne gère sa culpabilité, l’Espagne et l’Italie affichent des choix trop simples… nous vivons là un rendez-vous manqué avec notre Histoire : si nous ne savons pas plus contribuer de façon déterminante à faire émerger rapidement un modus vivendi, via une double solution humanitaire et diplomatique, pour canaliser le conflit ouvert et déboucher sur des règles de coexistence viable, nous serons aussi les perdants d’un drame dans lequel nous avons une certaine paternité. Il est à craindre que nous y perdions la crédibilité d’acteur international pour longtemps.

Les Européens ont une responsabilité directe dans la réorganisation de l’espace moyen-oriental

De fait, les européens, pas mieux que les Américains, n’ont été capables de faire valoir un ordre juste et appliqué qui garantisse les intérêts de tous les peuples du Moyen-Orient, et parce qu’on sait que l’équation est quasi impossible, il faut la porter d’autant plus ! Il ne sert à rien de renvoyer à notre vacuité militaire l’explication de notre pusillanimité politique. L’analyse historique de cette tragédie nous oblige à réparer notre faiblesse actuelle à agir qui a atteint un paroxysme dans la division récente des votes européens à l’Assemblée générale des Nations-Unies. Nous nous devons de tirer les conséquences pour nous aussi Français de cette situation car nous sommes solidaires de la crédibilité de l’UE, au risque de donner raison à tous ceux qui ne veulent que des solutions militaires jusqu’au-boutistes et destructrices, misant sur la victoire définitive d’un camp sur l’autre et se refusant à faire une paix qui n’est pas la leur. C’est ce langage, distillé par le Président français, qui est attendu par le reste du monde.

La sécurité d’Israël dans des frontières à fixer en respectant celles de ses voisins, et la vie palestinienne possible dans un espace reconnu -probablement à démilitariser – sont les conditions d’un retour à la paix au Moyen-Orient qu’il faut rechercher plus que jamais en reprenant la méthode norvégienne qui avait réussi. L’UE a besoin en tout cas d’une stratégie commune immédiate qui exprime une unité de fond et de forme, dont elle doit faire le laboratoire d’une politique étrangère commune effective, sortie des débats doctrinaux infinis, en privilégiant une approche pragmatique dès lors qu’elle met fin aux conflits inacceptables. Plusieurs pistes, bien connues des dirigeants et des diplomates, sont sur la table. On se contentera ici d’ordonner certaines solutions pour rappeler qu’elles font partie des champs de progrès envisageables et que seules la volonté politique et la hauteur de vue collective les rendront possibles. Ce sont des voies pour bâtir cette politique étrangère européenne existentielle à l’occasion du conflit moyen-oriental que nous devons aider par-dessus tout à sortir de l’engrenage de la violence et de la lutte à mort qu’il a pris, pour installer la coexistence qui est la seule voie menant à la paix.

  • L’Union, associée aux États-Unis, peut offrir un cadre de discussion et des scénarios de travail, qui ne verront pas le jour aux Nations-Unies et qu’on ne peut laisser au seul Qatar le soin de formaliser. Il s’agit de se doter d’un outil de négociation spécialisé qui peut être mis au service des sorties de conflit. A la suite d’Oslo, la partie occidentale peut apporter son expertise et une organisation diplomatique à tous les acteurs concernés : il nous faut obtenir des États-Unis une acceptation à œuvrer en intelligence avec eux, en leur laissant le soin de tenir en respect l’équilibre militaire auquel l’UE ne prétend pas accéder, préférant nous attacher à la coordination humanitaire et au soutien au développement des Palestiniens, sachant que nous avons déjà un solde d’échanges très intense avec Israël qui doit continuer parallèlement.
  • L’arme humanitaire est en effet celle dont l’Union doit se servir par-dessus tout, en s’organisant mieux à cet effet, avec les acteurs en place (CICR, CR, ONG, agences spécialisées dont UNWRA etc…). Le contrôle de nos flux de dons ne doit pas laisser des détournements suspects. Nous pouvons nous doter d’un arsenal d’intervention alimentaire et médicale de premier plan qui offre aux populations civiles de vraies aides d’urgence sur les terrains les plus chauds avec une volonté de sortir enfin les réfugiés d’un provisoire qui dure beaucoup trop longtemps et favoriser une reconstruction sociale respectueuse des droits humains, dans un cadre contractuel qui appellera une trajectoire démocratique minimum, acceptable pour nous.
  • L’Union doit reprendre aussi le travail juridique sur le droit de la guerre, la liberté de l’information, l’application des sanctions et la condamnation pénale des crimes dans les situations de conflits, pour rendre la CPI plus effective et se saisir de la compétence universelle pour qu’une justice internationale s’affirme partout et là d’abord; le droit est l’arme indispensable de la diplomatie européenne, à construire de façon intraitable et inlassable. A cet effet, nous devons rejoindre la démarche allemande concernant le renforcement des législations sur le commerce des armes et en faire une doctrine européenne exemplaire.
  • Cette structuration d’un « soft power diplo-humanitaro-juridique et moral européen » n’a de chance de grandir que s’il est au service d’une politique étrangère européenne qu’il faudrait mettre à jour en s’inscrivant dans une vision du 21°siècle. Celle-ci doit résoudre à la fois les défis de protection de la biosphère, dont la question climatique en urgence, ceux des inégalités et des injustices qui marquent la réalité persistante des échanges internationaux et les comportements de mauvaise gouvernance des acteurs non étatiques, voire étatiques (cf. dictature comme au Myamar…); l’avancement du modèle d’entreprise durable à l’européenne devrait faire de nos grands groupes des alliés dans la maîtrise collective des biens communs à protéger, au travers d’une loyauté qui doit s’améliorer très substantiellement.

Il s’agit là, ni plus ni moins, de créer un nouveau modèle de gouvernance mondiale qui doit servir à refonder le cadre onusien, objectif en soi qui ne peut plus attendre ; il conditionne la stabilité générale et s’avère la seule réponse possible aux drames qui vont s’accumuler dans les zones en conflits chroniques et les États faillis. Cette réponse géopolitique de l’UE en vue de construire un monde d’interrelations positives rompt avec le post-colonialisme qu’on lui reproche souvent ; c’est ainsi que nous relancerons la relation à l’Afrique où la France s’est fait enfermée dans un rôle de bouc émissaire, à l’instigation de puissances concurrentes corruptrices ; le monde a grand besoin aussi de cette nouvelle architecture financière internationale remise sur la table par le Président français, mais également d’une réforme des agences des Nations-Unies que nous devons esquisser et rechercher à travers des coalitions de bonne volonté, en prenant la tête de ce chantier du siècle. Peut-on imaginer qu’un Conseil européen fondateur accouche d’une telle ambition, abondée par le Parlement et mise en musique par la Commission, lors d’un Sommet ad hoc qui devrait aller jusqu’à déboucher sur un avenant aux traités, à ratifier à la majorité simple des parlements des membres et des pays en cours d’adhésion ? Proposer cela aux électeurs européens en juin 2024 nous semble être notre devoir de citoyen français et européen à la fois.

La constitution d’un cercle volontaire pour bâtir l’outil diplomatique européen est une initiative à mettre en débat

Le curseur entre la responsabilité collective européenne et celle des États en la matière peut se déplacer progressivement et ménager les zones d’orgueil national persistantes. Une fois la doctrine et le cadre institutionnel légitimés par la plus complète et solide procédure démocratique réservée aux grands choix institutionnels, une façon de réussir ce « glissement communautaire » vers une Europe diplomatique serait de laisser au Conseil Européen le soin de définir dans chaque cas les positions circonstanciées et les lignes d’intervention appropriées, tout en s’enfermant dans une obligation de s’entendre à la majorité et de façon immédiate et organisée pour rester au cœur des crises. Il en résulterait un accord à convenir avec les chefs d’État et de gouvernement de soutenir l’expression collective adoptée à 27 et plus, sans la doubler ou la concurrencer, mais en y apportant de façon toujours concertée et associée le poids des États et l’expérience des pays membres. Le président en exercice de l’Union serait alors la personne naturellement vouée à incarner la démarche ainsi organisée. On peut imaginer aussi que l’Union confie systématiquement à un chef de gouvernement ou à une personnalité européenne expérimentée, le soin de conduire le chantier diplomatique en question, au cas par cas, et d’en rendre compte au Conseil européen, en le dotant de la force de l’outil diplomatique de l’Union, associant toujours l’action humanitaire et juridique.

Une vision renouvelée, une organisation volontariste et une capacité d’initiative opérationnelle sont les qualités attendues de la part d’une UE acteur mondial

Les leviers pour faire entrer l’UE dans le cercle des grandes puissances qui doivent s’atteler à remodeler l’ordre international, pour aider à sortir des conflits violents et prévenir les crises annoncées, sont identifiés. Le mandat européen qui s’ouvrira en 2024 devrait être l’occasion de traiter cette dimension vitale de notre projet collectif en l’inscrivant dans la vie commune.

Mais il y a deux conditions de crédibilité à cette évolution nécessaire. La première est de ne pas hésiter à prendre le relais des États-Unis dans le soutien à l’Ukraine, qui est aussi notre frontière et qui met à l’épreuve notre système de valeurs et notre cohérence institutionnelle. La deuxième condition indissociable est cette répartition des rôles à partager avec les États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, pour s’atteler à une solution palestinienne acceptable sur place.

Le défi est immense et on peut y inclure la construction d’un nouveau rapport avec l’Afrique et avec les BRICS. Il est le nôtre car s’il nous reste beaucoup à faire pour réguler le champ économique, en Europe et dans le monde, aucun électeur et aucun citoyen européen ne dira que c’est là la finalité du projet pour lequel on lui demande de déléguer un peu de sa souveraineté nationale, s’il n’y a pas pour ce faire une grande raison et une promesse sérieuse de faire plus et mieux que ce que chacun des États seul prétend apporter à ce jour. « La raison d’être européenne » trouvera sa justification dans cette capacité à aller plus loin que la prospérité et la paix interne, en s’attachant à bâtir l’ordre mondial où nos valeurs de solidarité, d’universalité des droits, de dignité et d’égalité entre les personnes trouveront à s’appliquer réellement. Tout semble en effet indiquer aujourd’hui que nous sommes en passe de régresser à moins que nous ne fassions notre affaire de ce que doit être l’ordre mondial du 21°siècle, négocié avec ceux qui veulent y occuper désormais toute leur place, légitimement. Tous ceux qui veulent la prospérité du monde, dont la paix est la condition première, sont nos partenaires et la démocratie grandira à travers notre propre exemplarité, dans et à l’extérieur de l’Union. Le projet européen se joue bien sur notre volonté à « refaire le monde ».