Vers un Commissaire européen à la Défense

par Michël Malherbe, Secrétaire Général

Comment répondre aux défis sécuritaires d’une Europe en campagne ?

Alors qu’est passé en février dernier le terrible deuxième anniversaire de l’invasion russe en Ukraine et que les menaces sécuritaires se multiplient, l’idée d’une Défense européenne fait son chemin. Dans le contexte des déclarations récentes du président Français et du débat parlementaire national sur l’implication en Ukraine, l’Union européenne se trouve à un carrefour stratégique. Depuis quelques semaines, la proposition de nommer un nouveau Commissaire européen à la Défense, un poste inédit, a été mise sur la table. Cette proposition vise à renforcer la politique de défense commune de l’UE et à répondre efficacement aux enjeux sécuritaires actuels tels que la guerre en Ukraine et l’éventualité du retour de Donald Trump aux affaires. Sachant que selon l’Agence européenne de défense, les dépenses totales de défense ne représentaient que 1,5 % du PIB en moyenne dans l’UE en 2023, la défense n’a jamais été aussi présente dans les débats que lors de la préparation de ces élections européennes.

Roberta Metsola : l’UE doit prendre le leadership si Trump revient

Selon Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, « l’Europe doit être prête à assumer le leadership, quelles que soient les évolutions aux États-Unis ». Elle propose notamment la mise en place d’un nouveau budget de défense de l’UE. Pour Metsola, « l’Europe ne peut pas hésiter, quand on voit ce qui pourrait se passer de l’autre côté de l’Atlantique… L’Europe doit rester forte ». Elle insiste sur la nécessité d’une union de défense et d’une augmentation des dépenses de défense.

Ursula von der Leyen favorable à un rôle de défense de l’UE

Du côté de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen s’est également exprimée favorablement à une plus grande implication de l’UE en matière de défense, alors que son bilan au sujet de l’Ukraine n’est pas pleinement satisfaisant puisque l’engagement de l’UE à livrer 1 million d’obus à l’Ukraine d’ici mars 2024 est un délai que le bloc est sur le point de manquer. Trois personnes directement informées de la question ont révélé à Playbook, la newsletter quotidienne de Politico Europe que l’UE envisage de créer un nouveau poste de commissaire à la défense pour superviser les aspects industriels de la politique de défense.

Rôle du Commissaire à la Défense : ce qu’il ne serait pas et ce qu’il pourrait être

La politique de défense est actuellement répartie entre différentes institutions, l’idée serait de centraliser les politiques de défense. Actuellement, une Direction générale de la Défense et de l’Espace, sous-équipée à la Commission européenne cohabite avec une Agence européenne de défense, sous la responsabilité du Haut-Représentant Josep Borrell tandis que le programme d’achat conjoint de l’UE, l’EDIRPA, relève du Conseil des ministres. L’idée serait de centraliser certaines de ces fonctions au Berlaymont, le siège de la Commission européenne à Bruxelles.

Pour réussir, compte-tenu de la sensibilité des problématiques de défense, l’efficacité d’un Commissaire à la Défense dépendra de sa capacité à travailler en synergie avec les autres institutions européennes, tout en évitant la duplication des efforts. Le rôle du Commissaire à la Défense ne serait pas un rôle géopolitique qui pourrait éclipser les prérogatives nationales en matière de défense, a fortiori au sujet de l’OTAN, de l’ONU ou des armes nucléaires. En revanche, il pourrait s’agir d’un rôle visant à piloter la politique industrielle axée sur les besoins partagés en matière de munitions et sur le déploiement des investissements de l’UE dans des programmes de développement d’armements répartis dans plusieurs pays.

Candidats potentiels pour le poste de Commissaire à la Défense

Parmi les noms évoqués pour ce nouveau poste, on retrouve Radosław Sikorski, l’actuel ministre des Affaires étrangères de la Pologne, tandis qu’une autre candidate possible serait la Première ministre estonienne Kaja Kallas, qui se montre favorable à un « saut stratégique non seulement dans notre pensée mais aussi dans les réalisations concrètes ».

Controverses partisanes dans la campagne électorale

Le parti politique de centre droit, le Parti populaire européen, semble jouer un rôle moteur sur ce sujet, qui aurait pu largement diviser ses forces par le passé. Le projet de manifeste du PPE propose, dès janvier selon Euractiv, de créer ce poste de Commissaire européen à la défense, afin de « mieux coordonner les questions de défense dans le cadre des compétences de l’UE, de promouvoir la coopération et, en même temps, de garantir qu’il existe un budget de défense de l’UE d’au moins 0,5 % du PIB de l’UE, en plus des budgets nationaux », soit environ 100 milliards d’euros – le même chiffre que Thierry Breton déclare que l’UE devrait investir dans les industries de défense.

Au cours de la campagne électorale, une perception croissante se dégage selon laquelle l’Europe doit faire beaucoup plus en matière de défense, même si ce qui y sera inclus fera l’objet de débats acharnés. D’ores et déjà, quelques partis politiques se sont positionnés, avec davantage d’arrière-pensées électorales que de souci de l’intérêt général, comme du côté du Rassemblement national, qui s’y oppose.

Secouée par la situation en Ukraine et par les menaces de Trump, l’UE envisage des mesures en matière de défense qui auraient été inconcevables il y a seulement quelques années. Dans ce contexte, il est grand temps que l’Europe prenne des mesures pour renforcer sa capacité de défense et répondre aux défis sécuritaires actuels. La nomination d’un Commissaire européen à la Défense pourrait être une étape importante dans cette direction.