Que veut la France?

Voilà plusieurs mois, nous nous interrogions sur les incertitudes allemandes, s’agissant de la politique étrangère comme de la zone Euro. Force est de constater que l’indécision est aujourd’hui dans le camp de la France. En effet, en réponse à la crise européenne, l’Allemagne, en l’espèce le parti de la Chancelière Map-by-Peter-ArkleAngela Merkel, la CDU, a avancé des positions très offensives en matière d’intégration communautaire. Au cours de son congrès annuel, avec pour très clair intitulé « pour l’Europe, pour l’Allemagne », tenu à Leipzig, la CDU a proposé un programme de réforme institutionnelle assumant un véritable choix fédéraliste pour l’Union. L’Allemagne propose, entre autres, l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel, l’instauration d’un véritable bicaméralisme au niveau européen (le Parlement étant la chambre basse et le Conseil la chambre haute) et en matière économique un système qui consisterait à instaurer la solidarité financière contre une plus grande discipline, et partant un contrôle, budgétaire avec une automaticité des sanctions en cas de déficits excessifs.

Ces propositions allemandes auraient dû faire l’effet d’une bombe à Paris. Et qu’a-t-on constaté? Rien, un silence assourdissant comme le souligne à raison Eric le Boucher. On peut discuter le fondement des propositions allemandes mais on ne saurait les ignorer ainsi. De fait, l’histoire européenne révèle une certaine duplicité, quelle que soit la couleur des gouvernements concernés, s’agissant des positions françaises. Les discours sur notre engagement européen, les envolées lyriques sur la signification de la construction communautaire masquent dans les faits un comportement de boutiquier lorsqu’il s’agit de faire avancer politiquement l’Union. La position de l’élite française consiste inlassablement à tirer profit de la puissance économique allemande, et ce à structures politiques (quasi) constantes. Le beurre et l’argent du beurre.


Ce constat sévère se vérifie pourtant depuis au moins une vingtaine d’années. À chaque fois que l’Allemagne propose un (élément de) projet fédéraliste, la France fait la sourde oreille. Et le contexte actuel rend de plus en plus grossière notre position. En arguant d’un fait objectif, la chancelière allemande a tardé à tenir un positionnement ferme pour défendre l’euro, on fait semblant de ne pas voir la révolution que nous propose l’Allemagne qui, comme de coutume, a pris son temps pour décider mais désormais agit avec vigueur. Pis, on l’accuse d’inconscience, Berlin ne voulant pas des eurobonds et d’une ligne de crédit illimitée pour la BCE, seuls à même de sauver l’Euro, dit-on. Et la valse des commentaires culpabilisant pour l’Allemagne bat son plein à Paris (la caricature extrême étant le papier outrageant de Jacques Attali). Tout autre projet de fond, tangible au regard de la gouvernance, serait à remettre à plus tard au prétexte de l’urgence. En exigeant d’abord la solidarité des Allemands, la France essaie de s’appuyer sur la puissance allemande sans en accepter le prix politique, soit le transfert de souveraineté accru. Mais cette fois, les Allemands ne sont pas dupes. Ils refusent d’intégrer davantage l’économique si le politique ne suit pas.

Comment les blâmer? Les Allemands agissent avec méthode et considèrent de façon très justifiée qu’il ne saurait y avoir de solidarité sans contrainte budgétaire. De façon générale, la solidarité ne peut se comprendre que dans un accord d’ensemble où la communauté de destin serait assumée politiquement. Et là, ce n’est pas l’Allemagne mais la France qui bloque. Un fédéralisme financier adossé à un nationalisme politique est une chimère, même enjolivée de notions creuses que nous chérissons tant, tel le principe du gouvernement économique, qui ne trompe plus car elle est inopérante.

Chercher l’entre-deux (solution mi technique mi politique comme la création d’une autorité budgétaire), s’enivrer de l’urgence pour s’exonérer d’une vision, tout cela mènera à l’impasse. La France devra bien choisir. Soit elle renoue avec son sens du leadership et elle accepte le saut fédéral, négocié et consenti, soit elle participera, avec son amie l’Angleterre, au repli national en Europe. Pour l’heure, il est certain que la France prend une terrible responsabilité historique à refuser cette main tendue de l’Allemagne et les simagrées de Paris ne masqueront guère l’erreur stratégique qui la laissera isolée dans un continent dont chacun aura dès lors compris qu’il parle désormais l’allemand, et uniquement l’allemand, et que le reste relève du décorum.

Illustration:
Map illustration by Peter Arkle L’Europe de 2021, vue par le Wall Street Journal 

 

JC

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