Que défend un Député européen?

Nous terminons notre série consacrée au 50ème anniversaire du Parlement européen (voir ici et là). C'est Madame la Députée européenne Nicole Fontaine, ancienne Présidente du Parlement européen et ancienne Ministre qui répond à notre dernière question:
Un
député européen doit-il défendre ses idées politiques ou les intérêts
de son pays ? Le consensus en faveur d’une construction européenne au
sein de l’hémicycle bruxellois ne contribue-t-il pas à brouiller son
message ?


Il y a quelques années, lors d’un débat radiophonique que j’avais eu
avec Pervenche Berés quelques jours avant mon élection à la Présidence
du Parlement européen, cette collègue avait fini par confier, sous la
pression d’évidences qui l’embarrassaient : «de toute façon, avant d’être européenne, je suis française, et avant d’être française, je suis socialiste !»
Cette réplique, qui avait choqué certains, ne faisait que traduire le
clivage assez profond qui sépare d’une part ceux qui pensent qu’il
existe un antagonisme ou une hiérarchie assez irréductibles entre les
convictions politiques et les intérêts du pays auquel on appartient, et
d’autre part ceux pour qui l’honneur et l’objectif de l’engagement
politique consistent au contraire à rechercher comment ordonner les
convictions politiques aux intérêts légitimes de son pays.
La
première position repose sur la défiance a priori, et la seconde sur le
volontarisme. La première est stérile, la seconde est constructive.
C’est une différence majeure.
À l’échelle européenne, et donc au Parlement européen, les termes du débat sont simples : D’une
part, c’est à la construction européenne, qui bannit le nationalisme
exacerbé, que l’Europe doit la paix qu’elle connaît depuis près de
soixante dix ans, après les tragédies fratricides qui l’ont déchirée et
ruinée. Construire l’Europe s’impose pour bannir la guerre. D’autre
part,
dans le monde tel qu’il est devenu, aucun de nos États
européens ne peut plus revendiquer la position dominante, économique,
linguistique, politique ou militaire, qu’il a pu avoir dans le passé,
et notamment au plan économique, à celui de la défense, et même à celui
des produits culturels. Que compterait une France de 66 millions
d’habitants, si elle décidait de s’isoler de façon protectionniste ou
repliée, face au milliard et demi de Chinois dont les produits inondent
et inonderont inexorablement tous nos marchés, et aux autres grandes
entités régionales surpuissantes que sont les États-Unis, l’Inde, la
Russie, et bientôt le Brésil ou d’autres ?
Le seul avenir réaliste
de la France, c’est-à-dire en fait son intérêt vital, est dans sa
capacité d’influence au sein d’une Europe unie qui, avec ses 500
millions d’habitants et l’économie la plus forte du monde, peut seule
être de taille à résister et à compter sur la scène internationale pour
défendre ses intérêts et protéger ses valeurs. L’Europe unie est le
levier d’avenir de la France, si elle sait y prendre toute sa place,
non pas pour la dominer mais pour convaincre et entraîner.
Le cas
d’actualité des jeux olympiques de Pékin est exemplaire : si la France
se positionne seule face au comportement chinois au Tibet, sa voix ne
fera pas changer les choses et elle ne fera que perdre des marchés, par
rétorsion. Si toute l’Europe est unie, et notamment sous la pression
convaincante de la France, patrie des droits de l’homme, la Chine ne
pourra pas, d’une manière ou d’une autre, dédaigner, immédiatement ou à
terme, la position de l’ensemble du continent européen.
Dans ce
contexte, opposer les convictions politiques et l’intérêt du pays n’a
pas de sens. L’Union européenne n’est ni l’absorption des États et des
nations qui la composent, dans un conglomérat au pouvoir supranational,
ni une « auberge espagnole » qui serait réduite à la juxtaposition
d’égoïsmes nationaux. La quasi-totalité des décisions, directives ou
règlements européens, ne sont pas le fruit de consensus mous, mais
l’aboutissement, souvent très laborieux, de compromis qui parviennent
précisément à concilier dans une législation européenne commune à tous,
à la fois les intérêts légitimes et les spécificités, souvent très
ancrées, de chacun de nos États.
C’est en cela que le mandat de
député au Parlement européen est exaltant. En supprimant
progressivement, par des législations communes ou harmonisées, toutes
les barrières héritées de l’histoire, qui, en subsistant, ne feraient
du continent européen qu’un patchwork obsolète de pays, autrefois
puissants, mais désormais petits ou moyens, et inadaptés au contexte
nouveau du monde, nous construisons de façon positive, la nouvelle
histoire, c’est-à-dire le nouvel avenir, de l’Europe.


Le consensus en faveur d'une construction européenne au sein de
l'hémicycle bruxellois ne contribue-t-il pas à brouiller son message?

Je ferai deux observations :
La première est qu’au terme des traités, le siège du Parlement européen
est à Strasbourg, et non à Bruxelles, même si j’aimerais que le
gouvernement français s’en préoccupe vraiment avant qu’il ne soit trop
tard, car les pressions sont de plus en plus fortes et risquent de
devenir à brève échéance, irrépressibles. Il en est de même d’ailleurs
en ce qui concerne la marginalisation, qui s’est accélérée au cours des
dernières années, du français au sein des institutions européennes.
Ma seconde observation est que le « consensus» auquel se réfère la
question ne comporte qu’un dénominateur commun : celui de la
conviction, qui est effectivement unanime ou quasi unanime, qu’en
dehors de la construction européenne, il n’existe aucun avenir sérieux
de puissance et de progrès pour chacun de nos États. Les valeurs de
principe qui fondent l’Europe sont également largement partagées, et se
retrouvent à la fois dans les traités et la charte des droits
fondamentaux, désormais intégrée au traité de Lisbonne. Mais sur le
reste, les divergences sont vives et nombreuses et portent sur le
comment de la construction européenne, son espace, sa philosophie
économique et sociale, sa défense, ses cultures, … Le chemin de l’union
est loin d’être un fleuve tranquille.
Pour avoir siégé au Parlement
européen de façon quasi continue depuis 1984, mon grand regret restera
d’avoir constaté que la grande majorité de la classe politique
hexagonale n’a pas compris ou su comprendre son importance, alors que
sa montée en puissance a été constante. Toutes les élections
européennes que j’ai connues se sont faites essentiellement sur des
enjeux politiques nationaux.
Au surplus, trop longtemps, les
députés européens français se sont signalés par leur absentéisme, en
raison notamment d’autres mandats électifs. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui, mais ils restent réputés pour leur dispersion qui les
condamne à l’impuissance au sein des groupes politiques où se prennent
les décisions de vote dont les assemblées plénières ne sont que les «
grand-messes » publiques. Un seul exemple : le groupe du PPE compte 288
députés. Les Allemands y sont 49 et les Français 18. Tous les postes
importants, qui sont attribués équitablement sur la base de la règle
d’Hondt, c’est-à-dire en fonction de l’importance numérique relative
des délégations nationales, leur échappent de façon naturelle, et lors
des votes internes, leur voix ne peut compter que pour ce qu’elle est.
La capacité à savoir convaincre ses partenaires, sans l’arrogance,
réelle ou supposée, qu’on lui prête souvent est le vrai, pour ne pas
dire le seul, problème de la France au Parlement européen.


L'Atelier Europe remercie chaleureusement Madame la Députée européenne pour sa participation aux Lundis de l'Europe.



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