Pour ceux qui ont encore la foi dans l’Union européenne, c’est peu dire que la situation actuelle est critique: crise de l’Euro, croissance en berne, une Europe politique au point mort, des traités constitutionnels qui n’ont pas séduit les peuples, une Commission très affaiblie, à tout cela s’ajoute le problème central de la dette. Central parce que la question de la dette, c’est une façon de penser l’avenir et qu’on ne pourra pas continuer indéfiniment à contourner le problème (la dette européenne est évaluée à 10 trillons d’Euros). Il y a en fait la mauvaise dette, et la bonne dette, celle des investissements qui nous permettront de survivre demain dans la compétition mondiale. Sur ce sujet, la récente crise a levé des tabous qui peuvent nous amener à penser que nous sommes en train d’ouvrir un nouveau chapitre de la construction européenne.
On peut en effet voir la crise grecque de deux façons: soit on considère que l’Europe finit toujours par décider trop tard. Soit on estime que la crise grecque a été un choc salutaire, et comme l’a souligné Alain Lamassoure dans une récente interview, on considère que « d’un mal est sorti un bien » et notamment, avec ce plan d’aide à la Grèce, est tombé le tabou sur la capacité d’emprunt de l’Europe. Après la crise grecque, d’autres emprunts pourraient donc financer des investissements d’avenir.
C’est également la position de Jacques Attali dans son dernier livre consacré à ce sujet de la dette et intitulé de manière très optimiste « Tous ruinés dans 10 ans? »: l’Europe a besoin d’une capacité d’emprunt, il faut créer des bons du trésor européen (Il propose un montant d’emprunt d’un trillion d’Euros: 1 000 mds d’Euros).
Sur la question du remboursement de la dette, il y a également 2 visions qui s’opposent :
Soit on adopte des mesures sur le plus ou moins long terme, soit on mène des politiques d’austérité. Certains économistes, et non des moindres, se sont interrogés ces dernières semaines sur la pertinence de ces plans d’austérité; Joseph Stiglitz a dénoncé l’ « excès de zèle » des États, qui risquerait de tuer dans l’œuf une croissance qui peine déjà à démarrer (risque de dépression). Daniel Cohn-Bendit, avec toute la modération que nous lui connaissons, a souligné que ces plans avaient « quelque chose d’hypocrite » car leur adoption laisse entendre que les déficits pourraient effectivement être réduits en l’espace de quelques années seulement, ce qui est irréaliste.
De ce cadre du débat d’idées découlent plusieurs questions pour nos intervenants:
→Les plans de résorption de la dette mis en place dans la précipitation pour rassurer les marchés seraient-ils contre-productifs?
→ Doit-on douter de la capacité de remboursement de l’endettement de certains pays membres
→ En d’autres termes, l'Europe sera-t-elle capable de résoudre le problème de la dette sans tomber dans une croissance atone avec les conséquences sociales que cela peut comporter ?
Enfin, au moment où il faut que les budgets s’équilibrent, il faut rajouter un étage politique
C’est la question du leadership politique, avec la mise en place d’une véritable gouvernance économique européenne, des ressources centralisées, c’est-à-dire en plus de partager la même monnaie, il nous faut aussi partager la fiscalité. Car sans cohérence économique, l’Europe risquerait de continuer de chuter sur la pente du déclassement, pour redevenir, selon l’expression de Paul Valéry, un petit cap du continent asiatique.
La problématique générale de cette conférence pourrait se résumer de la façon suivante: comment coordonner la politique économique européenne, gérer les déficits publics tout en investissant dans les projets de demain ?
Pour répondre à ces questions, 3 invités très bien placés pour observer tous ces phénomènes et nous les décrypter nous ont fait l’honneur d’accepter notre invitation:
Alain LAMASSOURE, Député européen du groupe PPE-DE – Président de la Commission des budgets, Membre de la commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale
Jean-Paul BETBÈZE, Chef économiste & Directeur des Études Économiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA – Membre du Conseil d’Analyse Économique auprès du Premier Ministre
Baudouin BOLLAERT, ancien rédacteur en chef au Figaro et Maitre de conférences à Science Po.
Alain Lamassoure a laissé Jean-Paul Betbèze s’exprimer en premier, façon courtoise de souligner que les politiques s’appuient encore sur les experts pour dessiner ensuite des politiques adéquates…
M. Betbèze a centré son intervention sur la question cruciale de la croissance, tout en rappelant le rôle de « révélateur » des marchés.
Il a introduit son propos en soulignant que ces derniers mois, les marchés avaient beaucoup été critiqués, mais que la faiblesse de l’Union européenne était tout autant criante. Au final, ce qu’on n’aime pas dans les marchés, c’est qu’ils nous poussent à voir la vérité. Pour ce qui concerne l’ensemble de l’UE, cela concerne notamment: le manque de croissance, un endettement excessif, et une complexité et une lourdeur administrative qui empêchent une lisibilité, une flexibilité et une réactivité indispensables. Oui, les marchés sont sans doute excessifs, on peut dénoncer l’impudeur de leur méthode, ils sont souvent très impolis, mais le chef économiste du Crédit Agricole a insisté sur cette vérité que les États, et souvent les opinions publiques, s’obstinent à ne pas voir, et que les marchés leurs révèlent.
En terme quantitatif, la crise a abouti à ces résultats-ci:
Pour les pays du BRIC (Brésil, Russie, Chine, Inde), le taux de croissance avant la crise était de 8 %. A la sortie de crise il était de 6-7 %. Aux États-Unis: de 4%, on est passé à 3, et pour l’Union européenne: de 2, on est arrivé à 1. C’est cette crise de la croissance, notamment en Europe donc, qui inquiète le plus les marchés. Elle a entraîné une baisse vertigineuse de la consommation et des investissements. Les disparités sont grandes au sein de l’UE. Au départ de la crise, l’Allemagne a perdu 6 points de croissance (en rythme annuel), la France 3. C’est l’Allemagne qui a pris le choc de la crise, mais elle est repartie plus vite ensuite, et grâce notamment à ses exportations, elle est finalement plutôt bénéficiaire de ce contre-choc. La situation catastrophique de l’Espagne s’explique par son infrastructure industrielle, basée massivement sur le bâtiment. La surproduction immobilière de ces dernières années a abouti à l’explosion de la bulle immobilière d’aujourd’hui.
Pour finir, Jean-Paul Betbèze a conclu son propos très clairement en insistant sur 3 points: 1. Le monde va mieux. 2. Ce n’est pas ici (=en Europe) 3. Les marchés financiers ont discriminé à
la sortie la plus mauvais élèves. Combien de temps nous faudra t-il encore souffrir pour sortir de cette crise? Au moins 15 ans avant que la situation ne se redresse. Sa préconisation est double: il faut d’une part assainir les finances publiques, et d’autre part donner de l’espoir, c'est-à-dire aider la croissance (ce dernier point est une réponse à l’interrogation sur la pertinence des derniers plans de rigueur européens). En clair, il faut des processus à la fois budgétaires et dynamiques. Conclusion reprise par Baudoin Bollaert qu’il a parfaitement résumé de la façon suivante: « il nous faut maigrir et se muscler ».
Alain Lamassoure a ensuite pris la parole pour dénoncer avec beaucoup de véhémence la maladie chronique dont souffre la plupart des États européens, et surtout la France, à savoir la dépendance à la dette publique. « Soyons volontariste, jetons l’argent par les fenêtres », voici le principe qui a guidé, selon le député européen, les grandes politiques budgétaires de la France depuis 30 ans. Ce qui est de la démagogie pure, ou pire, du clientélisme. Second point avancé par le Président de la Commission des budgets au Parlement européen, c’est le fait que les Français sont toujours persuadés qu’il y a un trésor caché. Croyance qui a la vie dure dans notre pays et que reflète l’expression dangereuse que l’on entend un peu partout « l’État va débloquer des fonds »…
Après cette introduction sur les dérives de la dette publique en Europe, Alain Lamassoure a rappelé que les 7 premières années du 21è siècle ont été les plus prospères dans l’histoire de l’humanité. Et comme Jean-Paul Betbèze, il dresse les mêmes constats post-crise: cela va mieux, mais pas chez nous. Même dans l’après-crise, l’Afrique s’en tire mieux que l’Europe. 20 pays européens étaient déjà en situation d’échec avant la crise. Alain Lamassoure classifie d’ailleurs les pays de l’UE en 3 groupes.
Le premier regroupe les pays notoirement mal gérés, la Grèce étant l’exemple le plus significatif. Depuis son entrée dans la zone Euro, l’endettement public a été multiplié par 4, le salaire des fonctionnaires par 3. Certains PECO (pays d’Europe centrale et orientale) font également partie de ce groupe.
Deuxième groupe: celui qui regroupe l’Allemagne, la France et l’Italie, c'est-à-dire les pays à faible croissance. En 10 ans, le PIB allemand n’a augmenté que de 9 points, soit un peu moins de 1 % par an, pour la France, le PIB a pris 16 points (soit moins de 1,5 % par an) sur la même période, l’italien étant resté quasiment nul. Lorsque l’on considère ces années de référence, il est très intéressant de comparer les politiques mises en place simultanément en France et en Allemagne, par des gouvernements socialistes. Outre-Rhin, les réformes de Gerhard Schröder et les négociations patronat / syndicats ont abouti à un gel des salaires, en contrepartie les entreprises se sont engagées à ne pas licencier. Le dynamisme actuel de l’Allemagne démontre que cette politique a porté ses fruits. En même temps, la France mettait en place les 35 heures, et sa part industrielle dans la zone Euro passait de 18 à 13 %. Aujourd’hui, les exportations représentent 47 % du PIB allemand, ce qui est le double de la France. En clair, l’Allemagne et la France ont évolué de manière totalement opposée ces dernières années: alors que l’Allemagne dynamisait ses exportations et voyait sa demande intérieure se ralentir, les exportations françaises s’effondraient et la demande intérieure continuait d’être soutenue.
Troisième groupe de pays: les pays à gestion modèle (avant la crise), c'est-à-dire les pays avec un budget en équilibre, des créations d’emplois suffisantes, etc… L’Irlande, le Royaume-Uni et l’Espagne étaient dans ce groupe. Ce sont aujourd’hui les pays qui se portent le plus mal. Alain Lamassoure est revenu sur la bulle immobilière espagnole, en rappelant quelques chiffres qui ne manqueront pas d’étonner l’observateur extérieur et qui surtout donnent une idée de l’ampleur de cette bulle: avant la crise, l’Espagne (5è puissance industrielle européenne tout de même…) mettait en chantier autant de maisons que la France, l’Allemagne et l’Italie cumulées et engloutissait la moitié du ciment consommé en Europe !
La croissance européenne aujourd’hui s’établit entre 1 à 1,5 % par an, ce qui fait dire à notre cher député européen, faisant écho au dernier livre de Jacques Attali, que nous sommes déjà complètement ruinés! En insistant comme Jean-Paul Betbèze sur ce problème crucial de la croissance, Alain Lamassoure a fustigé au passage le modèle de la croissance « verte », c'est-à-dire de la croissance nulle. L’idéologie verte repose selon lui sur un argument moral: il faut sauver la planète et donc arrêter de produire (parce que la Chine inaugure une centrale à charbon par semaine, on arrête tout de notre côté!), et un argument scientifique: il faut s’adapter à la croissance lente. En termes plus prosaïques, il dénonce farouchement « le modèle escargot » véhiculé par les « Verts », et repris par une majorité de Français, qui peuvent se permettent de vouloir sauver la planète tout simplement parce que la majorité d’entre eux vit de l’impôt. Cette idéologie est selon le député européen un contresens total, dans la mesure où la question aujourd’hui n’est tant pas d’instaurer une croissance verte, que de trouver des moyens pour doubler notre potentiel de croissance. Faut-il rappeler que l’Europe compte 26 millions de chômeurs, et que le modèle de croissance zéro plébiscité par les « Verts » ne pourra en rien résoudre ce problème de l’emploi. Alain Lamassoure a d’autre part souligné que les tensions sociales sont fortes partout en Europe, et que l’on assiste au retour d’une ambiance « lutte des classes », qui risque de se traduire politiquement sur le long terme par une montée des extrême, à gauche (comme avec Die Linke en Allemagne) ou à droite (le FN en France). Car si les électeurs mécontents votent pour l’opposition, les désespérés se tourneront vers les partis extrémistes.
Pour finir sur une note d’optimisme, Alain Lamassoure a finalement rappelé que le côté positif des évènements récents était que la peur a été telle que les Européens ont pris conscience de la nécessité de mettre en place (ce qui aurait dû être fait en 1993 ou en 1999):
- Une coordination des politiques économiques et budgétaires
- Une coordination des modèles économiques (on peut tous avoir des modèles différents mais encore faut-il que ceux-ci soient durables)
- Des éléments pour assurer une solidarité financière entre tous les États membres (ce qui a en partie été fait le 9 mai dernier, faisant ainsi joliment écho au plan Schuman du 9 mai 1950…)
Passé le choc de la crise grecque, on voit ainsi se mettre en place un début de coordination, qui tâtonne encore, mais qui avance sûrement. Alain Lamassoure propose en outre d’organiser un débat d’orientation budgétaire chaque année (au printemps, le vote ayant lieu à l’automne), avec les 27 États membres et le Parlement européen. Ce débat aurait 3 avantages:
- Les États membres seraient obligés de réfléchir à partir des mêmes indicateurs économiques
- Cela obligerait chaque pays à faire un auto-examen de sa situation financière, au regard notamment du Pacte de stabilité
- Chaque État devra se poser la question suivante: comment je finance dans mon budget national les priorités des politiques européennes qui préparent l’avenir?
Ce débat aurait ainsi le mérite de décloisonner les débats budgétaires. Alain Lamassoure propose enfin d’augmenter le budget européen (il est aujourd’hui de 1% du budget national). La part de ce budget européen, c’est la mesure exacte de la solidarité entre les Etats membres. C’est pour cela que les marchés ont peur de nous, parce qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer les projets d’avenir. L’ingrédient essentiel à la croissance et qui fait encore défaut aujourd’hui: c’est bien la confiance…
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