L’anachronisme anglais

La récente décision du Premier ministre britannique, David Cameron, de s’adresser aux dirigeants de la zone Euro sous la forme d’une missive cosignée par d’autres leaders non européens, n’étonnera guère les familiers de Westminster. Déjà, en 1948, Churchill souhaitait la formation des États-Unis d’Europe, étant (sous) entendu, of course, que le Royaume-Uni ne faisait pas partie de ladite Europe.

Nous avons déjà regretté la difficulté des Britanniques, à l’image des Français avec le gaullisme, à surmonter leur histoire récente pour adapter enfin leur choix stratégiques aux défis que présentent le siècle. L’Empire n’est plus et la Guerre froide, quels que soient les efforts de Monsieur Poutine pour en perpétuer l’esprit, est désormais une ombre dans la mémoire européenne.

La zone Euro a sans doute des difficultés qui lui sont propres, soit l’incapacité à organiser durablement sa gouvernance, mais elle n’a pas le monopole de la crise. Tous les grands blocs industrialisés sont aujourd’hui englués dans une crise, osons le mot, systémique; le Japon a ouvert le bal voilà deux décennies, les États-Unis et l’UE l’ont rejoint aujourd’hui. Ces ensembles sont a minima à la fin d’un cycle économique et plus probablement au terme d’un modèle économique fondé sur des relations commerciales mondiales, à commencer par le rapport Nord/Sud, d’une toute autre nature. L’extension du domaine de la lutte, en quelque sorte, exerce une pression concurrentielle inédite sur des économies autrefois évoluant dans un rapport beaucoup plus fermé entre acteurs essentiellement du même niveau de développement (sauf secteurs particuliers).

Dans ce contexte, les Nations industrialisées, si leur modèle est distinct, partagent une destinée commune quant à l’ampleur des efforts d’adaptation à fournir. Le Japon est probablement à part dans ce trio car il est au cœur d’une région dynamique et il pâtit de difficultés en rapport avec un système politique défaillant, né d’une greffe sur le modèle parlementaire européen qui n’a peut-être jamais vraiment pris, et d’une culture de l’insularité stricte dans un monde d’ouverture et d’échanges. Enfin, le Japon, depuis l’ère Meiji, a largement calqué son modèle de développement sur celui de l’Occident, en l’adaptant évidemment à sa culture.

Or, nous assistons clairement à un affaiblissement du modèle économique occidental. Point de salut dans une approche nihiliste, mais il convient toutefois de régénérer ce modèle. On peut alors se limiter à une approche technique de la question. C’est précisément ce qui est fait depuis le séisme financier de 2007-2008 mais les résultats sont limités. Les racines du malaise occidental sont sans doute plus profondes et c’est pourquoi il convient d’apporter aussi une réponse politique. Du reste, si nos économies s’affaiblissent, ne nous y trompons pas, c’est aussi la capacité à faire rayonner nos valeurs, celles des Lumières, qui s’en trouvera limitée.

La réponse anglaise, à l’ancienne, constitue alors un anachronisme. Le Royaume-Uni n’a aucun intérêt à s’enfermer dans un splendide isolement, fût-il pour s’arrimer à un ensemble anglo saxon dominé par les États-Unis. Pour ces derniers, l’attrait de la relation spéciale, et qui ne l’est plus guère, c’est de maintenir un point d’entrée privilégiée dans l’UE. Hors de l’ensemble européen, la Grande Bretagne n’est guère plus qu’une excroissance territoriale avec peu de signification géopolitique. Et un petit marché. A contrario, n’en déplaise au trublion de sa Majesté, Monsieur Hague, le Royaume-Uni, de sa part les liens culturels et historiques, détient les clés pour proposer un pacte occidental renouvelé, et enfin assumé, entre les États-Unis et l’Union européenne. Ouvert au monde, concentré sur le renouvellement de son modèle économique et fort dans la promotion de ses valeurs, l’Occident prendrait acte de la perte de sa position monopolistique pour puiser un nouveau souffle émancipateur au moment où tant de peuples, que l’on disait condamnés à la barbarie et aux fers, osent le chemin de la liberté.

À court terme, il est peu probable qu’une telle perspective se dessine. Les certitudes du passé, la frilosité face à l’ampleur des dangers et le confort sécurisant de l’entre soi favoriseront encore longtemps une ligne politique surannée et stérile. Néanmoins, il est permis d’espérer l’étrange et l’inédit, et si l’Union parvient à réaliser son unité politique, procédons avec méthode, nul doute que nos chers Britanniques prendront la mesure d’un destin solitaire et finalement de solitude. Car enfin, si nos amis anglais sont réputés pour leur conservatisme, le romantisme ne fait guère partie de leur ADN politique.

JC