L’Europe, sur la route d’une homogénéité fiscale

Après la crise financière qui aura permis de pointer du doigt les paradis fiscaux en Europe et ailleurs, la crise économique amène aujourd’hui à sensibiliser les pays de l’Union à une homogénéisation de la fiscalité, pour éviter des sorties conséquentes de ressources nationales alors que le plus gros des budgets reste encore le budget national.

En effet, un certain nombre de différences historiques et stratégiques entre les pays de l’Union, qui font certes leur identité, entrainent des divergences de priorités traduites par des écarts de fiscalité. Ces écarts de fiscalité entrainent en temps de crise économique des concurrences au sein même de l’Union et de la zone euro.

Reprenant l’orientation fiscale de certains grands pays de l’Union et les postes principaux de budgets nationaux, nous pourrons mettre en évidence les points de concurrence entre certains pays membres, l’avancée vers l’homogénéisation et les conséquences de celle-ci pour l’Europe, sur le plan domestique et face à la concurrence mondiale.


1) Orientation fiscale de certains pays d’Europe

Plusieurs critères vont déterminer la fiscalité d’un pays. L’offre et la demande, la politique et ses politiques, les difficultés auxquelles il doit faire face, sa stratégie de développement à moyen ou long terme.

Il est important de savoir ce qui est fiscalisé dans un pays. Les deux grandes catégories d’imposition sont l’imposition directe (IR, IS, impôt sur le patrimoine) et l’imposition indirecte (TVA, TIPP, droits de succession).

Impôts indirects (59,8 %), dont:
• la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (50,6 %) ;
• taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) (4,5 %) ;
• autres: notamment les droits de succession (4,7 %).

Impôts directs (40,2 %), dont:
• impôt sur le revenu (IR) (16,8%) ;
• impôt sur les sociétés (IS) (17,8 %) ;
• autres: notamment la taxe sur les salaires et l’impôt de solidarité sur la fortune (5,6 %).

Il est aussi possible de catégoriser ces impôts selon qu’ils sont prélevés:
a) Sur un patrimoine détenu à une date donnée,
b) Sur des revenus perçus durant une période définie,
c) Au moment d’une opération de mutation d’un bien.

Quelle est donc la philosophie d’une imposition sur l’une ou l’autre de ces catégories? Pour l’impôt sur les mutations (c), il s’agit de financer les organismes ou institutions de l’Etat garants des structures permettant la consommation ou la réalisation des mutations. Pour l’impôt sur les revenus (b), il s’agit de mutualiser le paiement du coût des prestations sociales (santé, retraite..). Enfin, l’impôt sur le patrimoine, est une solidarité de ceux qui ont pu transformer des revenus transgénérationnels en bien familial pour l’un ou l’autre des postes cités ci-dessus.

Il est ainsi facile de comprendre que les variables de taille de la population, de rémunération et de déficit budgétaire font balancer les recettes et les dépenses d’un pays et qu’un emprunt maitrisé permet de rester propriétaire d’une partie de son patrimoine public ou privé. Dès lors, il est aisé de comprendre que les mentalités nationales ont entrainé des politiques fiscales différentes entre pays de l’Union européenne. D’autre part, les faits historiques ont contraint certains pays à changer d’orientation et de stratégie fiscale, instaurant ainsi un nouveau schéma fiscal en avance ou en retard aujourd’hui par rapport aux autres pays de la zone. Ainsi l’Allemagne a du faire face à la réunification en 1989 et effectuer des réformes bien avant la crise actuelle. En 1992-93, la Suède a du faire face à la faillite de son système bancaire due à l’éclatement de la bulle financière et immobilière dans ce pays. La Finlande enfin a du faire face à un chômage insupportable dans les années 90 et retrouver une nouvelle stratégie de croissance. Aujourd’hui la crise financière a démontré la nécessité pour certains pays de faire à leur tour de grandes réformes pour recouvrer des fondamentaux de croissance et être de nouveau compétitif face au nouvel ordre mondial.

Il est intéressant de remarquer que les pays qui ont déjà instauré leurs réformes ont une fiscalité sur les revenus importante (59% au Danemark et en Suède, 53% en Finlande) mais une grande flexibilité du travail et une plus grande contribution citoyenne au financement social. Pour autant les salaires sont conséquents dans ces pays et le niveau de vie élevé puisque ce sont des pays à balance commerciale excédentaire. D’autres pays qui n’ont pas encore totalement appliqué leurs réformes et qui ont subi une crise économique et de croissance récente restent basés sur une fiscalité à tiroirs qui n’est plus adaptée à un monde très mobile qui demande une simplicité et plus grande efficacité.

Il en découle une concurrence interne à l’Union européenne entre pays à forte fiscalité offrant certes un confort de vie et des pays à faible fiscalité, bien souvent à faible population et qui ont besoin de se développer. De ce fait la migration se fera selon des critères multiples et parfois difficiles à déchiffrer et parfois même éloignés de ses propres compétences et envies.

2) Points sur la concurrence fiscale entre pays de l’Union européenne

L'adhésion au marché unique et à l’Union économique et monétaire en Europe augmente les risques de concurrence fiscale via la mobilité des capitaux, la fiscalité restant un des seuls instruments aux mains des États, qui établissent leur taux d'imposition en fonction de celui des voisins. Les effets de cette concurrence sont déjà visibles. L'impôt sur la fortune tend à chuter ou à être supprimé dans la plupart des pays européens (reste l’ISF en France). L'impôt sur les sociétés a eu tendance à diminuer et la TVA à augmenter. Celle-ci taxe en effet autant les biens importés que ceux produits localement permettant ainsi le financement des biens publics, alors que la baisse de l'impôt sur les sociétés favorise la production locale.

Certains pays vont favoriser une faible imposition sur les revenus professionnels (1/8 des revenus pour l’Irlande, la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie) pour attirer ce que l’on appelle les cerveaux. La priorité de ces pays est le développement. D’autre part, pour permettre d’attirer les capitaux, les petits pays de l’Union n’hésitent pas à baisser leur impôt, puisque pour une même diminution du taux d'imposition, les capitaux attirés sont plus importants en valeur relative pour un petit pays. D’autres pays vont favoriser l’implantation ou la création d’entreprise comme l’Irlande ou la Suisse avec une faible imposition sur les sociétés (12,5%, la moitié ou le tiers de la majorité des pays de l’Union) pour attirer les sièges de sociétés européennes ou internationales. Enfin la TVA est certainement l’impôt le plus homogène en Europe (autour de 20% dans la plupart des pays), mais fait encore des heureux à taux bas comme en Suisse (8%) ou au Luxembourg et à Chypre (15%). La consommation intérieure de ces pays reste cependant faible à l’échelle de l’Europe entrainant ainsi une concurrence toute relative.

Reste à considérer la concurrence fiscale entrainant la fuite de capitaux ou encore la non imposition du propriétaire. Cela peut représenter un enjeu important lorsqu’il s’agit de patrimoine conséquent ou de familles industrielles. Chaque pays a son atout pour pallier cela. En temps de crise, c’est à la fois un angle d’attaque qui obtient l’adhésion populaire et qui donne une image de fermeté d’un État. La solution la plus radicale ayant été trouvé aux États-unis, à savoir que les nationaux sont imposés sur leur patrimoine et revenus nationaux, du fait de leur nationalité et non pas de leur résidence fiscale.

Ces différentes stratégies fiscales ont des conséquences domestiques au sein de l’Union mais aussi face aux autres nations hors de l’Europe.

3) Les conséquences d’une homogénéisation de la fiscalité en Europe

Les décisions européennes en matière fiscale se prennent à l'unanimité au niveau du Conseil des ministres, d'où les faibles avancées en la matière. La question est de savoir si cette harmonisation se fera par le haut ou par un processus de concurrence.

D’autre part, il semble légitime que chaque pays décide de l’imposition sur le patrimoine du pays (immobilier, valeurs mobilières nationales).

Les hauts patrimoines sont bien souvent investis dans des entreprises pour création ou retour sur investissement. Dès lors, la sphère du patrimoine privé est co
nfondue avec la sphère de la politique publique du travail La suppression de l’ISF a été compensée par une augmentation de l’imposition sur les capitaux mobiliers soumis à davantage d’opération de mutation. Le projet d’une taxe européenne sur les transactions financières va dans ce sens.

La tendance en France, qui ne sera peut-être pas confirmée, est d’instaurer de nouvelles barrières fiscales sur le critère de la nationalité et du titres de propriété, même en cas de mobilité (Exit tax, taxes sur les nationaux). Cette Exit tax existe déjà aux US, Allemagne et Grande Bretagne. Un aménagement est prévu pour la version française pour permettre à un citoyen qui resterait européen une exonération, pour répondre au droit à la libre circulation des personnes. Pour autant certains pays restent plus attractifs que d’autres, comme la Belgique ou le Luxembourg avec une quasi exonération de taxe sur le patrimoine financier (pas d’impôt sur les plus value mobilière, pas d’ISF ni de droit de donation de portefeuille de titres). Ces pays continuent d’alimenter la concurrence intra-européenne.

Toutefois, si la délocalisation peut être favorisée par une fiscalité homogénéisée, il ne faut pas omettre le fait qu’une mobilité n’est pas toujours facile culturellement, matrimonialement (efforts juridiques à faire pour harmonisation) et que le fait générateur de l’impôt doit encore être harmonisé en Europe (pour éviter les sur impositions liées à une mobilité et permettre d’harmoniser la valorisation du patrimoine lors d’une mutation trans-générationnelle).

Une fiscalité homogène au sein de l’Union serait un signe de stabilité et un atout pour les entreprises et leurs employés permettant de profiter sereinement du plus grand marché de consommation au monde, l’Europe. L’harmonisation de la TVA est un premier pas et celle de l’impôt sur les sociétés semble emboiter le pas. Reste la question de l’imposition des revenus qui pose indirectement la question sociale, qui reste une identité forte de chacun des pays de l’Union. Enfin de rappeler qu’à égalité de situation, les discriminations fiscales sont interdites.

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