La crise politique en Italie a un caractère local très marqué. Depuis la fin de la partitocratie absolue à la suite de l’opération mani pulite, les Italiens n’ont jamais réussi à trouver le juste modus vivendi pour l’organisation de leur vie politique. En Italie, comme en France du reste, le contrat né des conditions brinquebalantes de l’Après-Guerre est mort mais nul substitut ne s’impose. La réforme institutionnelle partielle, en donnant par exemple une prime au vainqueur des élections à la Chambre, n’a stabilisé qu’à la marge le système politique qui semble aujourd’hui à nouveau paralysé. De fait, comme souvent, la solution politique ne se trouvera pas dans les arguties juridiques mais bel et bien dans la recherche d’un consensus, non seulement au sein des partis, mais surtout de la population.
Or, force est de constater que l’Italie connaît une crise morale forte, sur fond de corruption, de partis discrédités et de profondes césures dans le pays à l’image des relations jamais simples, malgré l’échec de la Lega Nord de Umberto Bossi, entre le Nord, prospère, et le Mezzogiorno moins industrieux. Par ailleurs, le cas Berlusconi est une énigme pour tous les partenaires de la Péninsule : comment ce vieux marlou qui a exercé le pouvoir à plusieurs reprises depuis 1994 et qui a laissé le pays exsangue voilà seulement 15 mois, peut-il encore séduire un électorat de centre droit qui disposait pourtant d’une alternative crédible, sérieuse oserait-on, en la personne de Mario Monti ? Quelle que soit la réponse, il faut bien constater que l’argument moral vaut non seulement pour le vieux capo mais aussi pour certains de ses électeurs.
Toutefois, ce serait une erreur de considérer que la crise est purement de nature italienne. Les commentateurs ont souligné le risque pour les économies de la zone euro mais, au-delà de la menace systémique, l’imbroglio italien nous renvoie à nos propres turpitudes. L’offre proposée aux Italiens était pathétique : un bouffon, un corrompu, un apparatchik et un technocrate. Certes, on objectera que le choix démocratique consiste bien souvent à exclure plutôt qu’à adhérer. Mais n’est-on pas précisément au bout de ce système, n’est-ce pas l’expression d’une profonde lassitude ?
Partout en Europe, Mariano Rajoy, Elio di Rupo, David Cameron, ou encore François Hollande en sont les expressions éclatantes ; on vote par dépit, pour sanctionner négativement. Or, dans une période de mutation comme la nôtre, les électeurs ont besoin de visibilité et les partis traditionnels ne sont pas parvenus à éclairer quoi que ce soit, tout occupés à leurs propres luttes de pouvoir intestines. Dans ce contexte, les formations contestataires récoltent une prime aussi stérile que trompeuse : ici la palabre gouleyante d’un Bepe Grillo, là la gouaille revêche un Jean-Luc Mélenchon. Le succès de ces plébéiens, ou prétendus tels puisqu’ils ont, souvent, en commun de jouir d’une fortune pour régaler les masses (tel Jörg Haider ou évidemment Bepe Grillo grâce aux subsides de la télévision publique) ou de se réfugier bien au chaud dans les institutions, tel Jean-Luc Mélenchon se faisant élire (indirectement) au Sénat dès l’âge minimal légal à l’époque, volontiers sophistes et démagogues, est l’expression du vide politique européen. La crise économique a bon dos, c’est aussi l’incapacité des leaders à dessiner une ligne d’horizon qui accentue le sentiment croissant de désœuvrement.
Gardons-nous donc de considérer la situation italienne comme spécifique. Les difficultés de Rome sont un révélateur de notre propre malaise. Le vote défouloir prospère sur la désespérance et l’Europe, cible commune des anti-système, est clairement menacée par cette évolution de l’expression électorale. Or, il n’est pas suffisant de fustiger l’irresponsabilité et les mensonges de ceux qui assènent sans proposer concrètement. Le chemin de la raison n’est pas celui du fatalisme. En dehors d’un seul bilan comptable sur la situation financière, privée et publique, en Europe, une ligne politique est possible. Elle implique de renverser la méthode traditionnelle, soit partir du national et de concilier les intérêts au niveau de l’Union. Cette approche, c’est celle qui a conduit Mario Monti à être considéré, dans une partie du centre droit ralliée à Silvio Berlusconi, comme le missi dominici d’Angela Merkel et non de l’intérêt national italien bien compris dans un ensemble européen intégré et assumé. La démarche est difficile mais l’objectif est clair : il faut, en amont, créer les conditions d’un consensus politique au niveau européen. Ceci est de la responsabilité des partis politiques, à commencer par leur organisation au sein et en dehors du Parlement européen, lesquels seront justement les premiers sacrifiés s’ils ne renouvellent pas leur offre. A problèmes européens, euro ou non puisque nul ne peut douter du niveau d’imbrication de nos économies, solutions européennes. La nature a horreur du vide, dit-on, aussi combien de Bepe Grillo, et pour quelles conséquences avant que le message lancé par les électeurs ne soit enfin compris ?
JC