Compte-rendu du voyage d’étude de novembre 2019, par Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, avec Victor de Vilmorin, Isa Schulz et Audrey Gentilucci.
Un pays charnière entre Ouest et Est.
Une histoire récente
Intégrée au royaume de Suède pendant le Moyen Âge et jusqu’au début du XIXe siècle, la Finlande ne fut indépendante qu’en 1917. De 1809 à 1917, elle fût sous la tutelle de la Russie en tant que territoire semi-autonome. Cette période, marquée par plusieurs guerres sanglantes entre les deux puissances se symbolise par la forteresse de Suomenlinna, à l’entrée de la ville, que l’Atelier Europe a eu la chance de visiter.
Sous une pluie battante, et un froid glacial, nous avons pu ressentir l’intensité des batailles et toute l’histoire que cette île forteresse abrite. Suomenlinna, emblème du soulèvement de la Finlande, représente la période de la construction d’une identité nationale.
Ce n’est que le 6 décembre 1917, en pleine révolution russe, que la Finlande obtient son indépendance. Toutefois, à peine autonome, une guerre civile éclate en 1918 et se termine par la défaite des « rouges » soutenus par l’URSS.
La naissance de l’identité finlandaise
La Finlande se distingue de ses homologues Suédois et Norvégiens par son histoire. En effet, trop souvent associée par inadvertance aux pays scandinaves, la Finlande est bien un pays du Nord.
La construction des mythes fondateurs et donc de la mentalité finlandaise est née au XIXe siècle, quand la Finlande était intégrée à la Russie.
Les traditions fondatrices sont toujours très présentes et très respectées dans les mentalités finlandaises contemporaines. A titre d’exemple, la composition Finlandia écrite par l’un des plus grands compositeurs du pays Jean Sibelius pour l’exposition universelle de 1900 est aujourd’hui l’hymne culturel finlandais. Cette partition, repère de l’identité nationale, s’inscrit 100 ans après toujours aussi bien dans le paysage finlandais. L’académie Nationale de Finlande construite en 1882, fût rebaptisée en 1939, l’académie Sibelius, pour honorer son grand compositeur et témoigner de l’importance des mythes fondateurs dans la société finlandaise.
Les membres de l’Atelier Europe ont visité l’Académie Nationale de Finlande accompagnés par Olli Vartiainen, un chef d’orchestre de l’institution. Ce chef d’œuvre est l’illustration de la Finlande d’aujourd’hui : un équilibre complexe entre une identité imprégnée par son histoire et une économie en pleine mutation. Le bâtiment fraîchement refait ne laisse personne indifférent ; sa taille imposante, son design récent et ses installations confortables mettent en avant le savoir-faire finlandais.
Finlande-Russie : un respect profond construit dans le sang
Les relations entre la Finlande et la Russie sont complexes – si complexes que certains des fonctionnaires que nous avons rencontrés lors de notre voyage d’études ont préféré rapidement changer de sujet. Ceux qui étaient disposés à répondre à nos questions ont donné une image mitigée : d’une part, ils ont salué le dialogue régulier et ouvert entre le président finlandais et le président russe ces jours-ci. D’un autre côté, il subsiste une certaine méfiance qui trouve ses racines dans les guerres acharnées entre les deux pays dans le passé. L’exemple le plus récent est la «guerre de continuation» (1941 à 1944) qui est bien captée dans l’épopée finlandaise «Le soldat inconnu» que nous avons pu visionner.
L’histoire troublée avec son voisin explique également pourquoi la Finlande a toujours un service militaire national (280 000 soldats, y compris la réserve) et met fortement l’accent sur la coopération européenne dans le domaine de la défense et de la cybersécurité. Pourtant, les deux tiers des Finlandais sont contre l’adhésion à l’OTAN afin de rester neutres comme nous l’a souligné Serge Tomasi, l’ambassadeur de France en Finlande. «Aujourd’hui, si un Russe regarde à travers la frontière, il voit un Finlandais ; si on faisait partie de l’OTAN, il verrait un ennemi ».
Ce mélange complexe de sentiments permet probablement à la Finlande d’avoir une vision plus équilibrée et réaliste de la Russie que de nombreux autres pays européens. Elle devrait donc avoir une voix importante dans la détermination de la politique commune de l’UE à l’égard de la Russie. Dans ce contexte, nous avons trouvé la proposition d’un universitaire finlandais, qui suggère que l’Europe s’aligne sur une stratégie énergétique envers la Russie basée sur des critères environnementaux, particulièrement intéressante. Selon lui, l’Europe a l’obligation morale d’utiliser son pouvoir de négociation en tant que principal client pétrolier et gazier de la Russie pour pousser la transition du pays vers plus de durabilité.
Un pays profondément tourné vers l’Europe
L’Union Européenne est une constellation d’avantages comparatifs époustouflants. Chaque pays, du plus petit au plus vaste, du PIB le plus important au plus faible, a ses atouts et ses lignes de force. L’Union Européenne se doit d’être l’organisation qui permet de révéler ces forces pour qu’elles profitent à l’ensemble de l’Union. Qu’il y ait un effet de synergies créatrices. Partager avec le voisin pour le faire grandir plutôt que de le percevoir comme une menace. Mettre en œuvre une horizontalité collective plutôt qu’une verticalité qui verrait certains pays dicter leur loi et leurs méthodes à l’ensemble de l’Union. Au cours d’un précédent voyage, nous avons par exemple vu à quel point l’Estonie, pays de 1,3 million d’habitants, est en avance sur la plupart de ses voisins pour ce qui est de la digitalisation de ses services publics et comment cela augmente leur efficacité et le confort des citoyens.
La Finlande ne nous a pas déçus non plus. Nous avons tout à apprendre de ce pays extrêmement en pointe sur deux sujets en particulier. Le premier a été évoqué plus haut dans cet article, il concerne les relations de la Finlande avec la Russie et l’immense poids de négociation face à ce géant de l’est, inversement proportionnel à sa taille. Le second est l’invention d’un avenir plus pérenne. L’Ambassadeur de France nous a aussi partagé l’engagement de ce pays d’atteindre un objectif de neutralité carbone dès 2035 au niveau du pays tout entier, ce qui est extrêmement ambitieux et précurseur.
Pour cela, le gouvernement a par exemple offert à ses citoyens la création du Sitra Fund à l’occasion du 50èmeanniversaire de l’indépendance. Cet outil est chargé d’inventer l’avenir de la Finlande avec deux axes de recherches et d’investissements principaux : le bien-être et l’économie circulaire. Il met par exemple à disposition des citoyens un outil en ligne permettant de réduire leur empreinte carbone au quotidien, a financé Ultima (un restaurant qui cultive ses propres plantes) ou bien encore Nolla, un autre restaurant qui prône le zéro-déchet. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est Helsinki qui a accueilli le World Circular Economy Forum en 2019.
Une économie tournée résolument vers l’innovation
Le renouveau de l’économie finlandaise
Aujourd’hui, la Finlande s’appuie sur son identité affirmée pour favoriser le renouveau économique. Nokia est de loin le meilleur exemple pour illustrer la transformation de l’économie finlandaise. L’entreprise représentait plus de 25% des exports finlandais dans les années 90. L’économie du pays alors fructueuse était basée sur les nouvelles technologies. Les années 2000 marquent un ralentissement économique pour le pays puisque la marque de téléphone n’a pas pris le virage du smartphone. L’entreprise s’est retrouvée grandement diminuée et le pays a mis en place de nombreuses initiatives pour répondre à l’accroissement du chômage qui n’est aujourd’hui plus que de 7%. Forte de sa transition économique réussie, la Finlande est l’un des quatre pays de la zone euro encore classé AAA et montre à l’Europe toute sa solidité.
Un écosystème d’innovation extrêmement vigoureux
L’écosystème des startups finlandais est aujourd’hui en pleine ébullition et est identifié dans le paysage européen de la tech, notamment grâce à l’événement Slush. La chute de Nokia semble en effet avoir favorisé l’émergence des startups finlandaises avec de nombreux talents qui se sont soudain retrouvés sur le marché du travail. Cela a coïncidé avec un changement de mentalités des étudiants fraîchement diplômés (notamment de la fameuse université Aalto) qui trouvaient plus attrayant de monter leur entreprise que de devenir banquier ou consultant.
Ces jeunes entreprises sont très soutenues, à la fois par le secteur public avec Business Finland qui aide au financement de la croissance mais également par le secteur privé/associatif avec quelques acteurs bien identifiés qui fédèrent les communautés entrepreneuriales, les aident à trouver des talents (notamment internationaux) et à se financer. Le Campus Maria 01 ou The Shortcut sont en ce sens incontournables à Helsinki.
La Finlande se distingue notamment par son secteur du jeu vidéo (avec l’emblématique Angry Birds de l’entreprise Rovio) et ses déclinaisons en entreprises avec toute la gamification liée.
Enfin, les startups finlandaises sont très européennes dans le sens où leurs talents viennent de toutes l’Europe, elles se financent largement auprès de l’Europe (40% des dossiers qu’elles déposent en vue d’obtenir un financement européen sont acceptés) et s’adressent par défaut au marché européen, le marché national étant trop restreint.