Jean-Luc Mélenchon a dit « [Il faut que] la BCE prête directement [aux Etats] au taux où elle prête aux banques aujourd’hui, c’est-à-dire à 0% ou 1%. », c’est FAUX!

M. Mélenchon est un habitué des attaques approximatives contre l'UE, et notamment la BCE. Mais c'est un assaillant habile qui évite le plus souvent les erreurs factuelles par un recours aux approximations, aux sous-entendus, plutôt qu'à la précision, toujours périlleuse. Mais à l'oral, il peut se laisser aller, comme lors de la fête de l'humanité ce week-end, où il a affirmé qu'il fallait que "la BCE prête directement [aux États] au taux où elle prête aux banques aujourd’hui, c’est-à-dire à 0% ou 1%."

Qu'il faille ou non que la BCE prête ou non aux États directement peut prêter à débat. Mais affirmer que la BCE prête aux banques (commerciales) à 0 ou 1% est tout simplement faux, et doublement d'ailleurs.

D'abord parce que le taux auquel la BCE prête aujourd'hui est 1,5%, ce qui est infiniment plus que 0%, et 50% de plus qu'1% – ça n'est donc pas une petite erreur de la part de M. Mélenchon.

Ensuite et surtout parce que ce taux auquel la BCE prête est un taux au jour le jour, tandis que les prêts qu'accordent les banques commerciales sont à beaucoup plus long terme: des quelques mois (prêts à la consommation) à quelques décennies (prêts aux États, prêts immobiliers). Par exemple, l'échéance moyenne de l'endettement français est de sept années environ. Les banques commerciales qui prêtent à cet horizon savent quel sera le taux BCE demain, mais pas après demain et certainement pas dans cinq, six ans ou sept ans… bref, il faut savoir de quoi l'on parle avant de se lancer dans des comparaisons hasardeuses.

La zone euro face à l’irresponsabilité et l’égoïsme

La crise que traverse à l’heure actuelle la zone euro est particulièrement grave et malheureusement elle était désespérément prévisible. Nul ne pouvait en effet ignorer, malgré les différents subterfuges déployés, les dérives budgétaires grecques. La France, elle-même bien souvent donneuse de leçons, affiche depuis plusieurs décennies des budgets déficitaires. Par le passé, à l’instar de l’Allemagne, elle s’est piteusement affranchie des contraintes budgétaires du Pacte de stabilité. Constatons en effet que les contraintes inhérentes à l’euro, et acceptées par les signataires, ne furent pas voire jamais respectées par bon nombre d’entre eux et, encore plus surprenant, qu’aucune instance de contrôle et de certification des engagements pris ne fut créée! Quel amateurisme politique! Le constat est amer et les conséquences seront profondes et durables. Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal d’autres États signataires pourraient à leur tour connaître les mêmes affres (l’Italie, l’Espagne…).

Les réponses apportées, les soutiens financiers mis en place, les processus de contrôle budgétaire décidés sont certes des éléments significatifs mais ils ne résolvent que partiellement voir superficiellement le problème. Tout cela n’est pas de nature à restaurer la confiance en l’économie européenne et une réponse d’ensemble est attendue par les peuples comme par les marchés. Par ailleurs, les nécessaires exigences de rigueur budgétaire pourraient en effet contribuer à accentuer les divergences en matière de compétitivité.

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Herman Van Rompuy Universités d’été du Medef – 31 août 2011

Laurence Parisot & Herman Van Rompuy

Les vacances d’été n’ont pas été de tout repos pour la zone euro. C’est dans ce contexte que le président du conseil de l’Europe, Herman Van Rompuy, inaugurait les traditionnelles universités d’été du Medef, le 31 août dernier.

Pour rappel, Herman Van Rompuy est le premier président du Conseil européen, désigné en novembre 2009. Auparavant, il occupait les fonctions de Premier ministre du Royaume de Belgique depuis décembre 2008.

À retenir…

– Le plaidoyer du président du Conseil européen en faveur de l’application stricte de l’accord sur l’aide à la Grèce et son d’optimisme face aux conditions exigées par la Finlande.
– Le caractère non indispensable de l’adoption d’une règle d’or par les États pour lutter contre les déficits,
– Deux concepts très importants à ses yeux: l’équilibre et la réforme graduelle (pas à pas).

Herman Van Rompuy revient tout d’abord sur les différentes crises qu’ont connu l’Europe et le monde à l’issue des Trente Glorieuses, insistant sur les vertus stabilisatrices de la zone euro contre les dévaluations compétitives de la première moitié du Vingtième siècle. Et de mettre en avant que les déficits de la zone euro équivalent à la moitié de ceux des États-Unis ou de la Grande-Bretagne.

Puis le Président du Conseil européen a pointé les facteurs aggravants de la crise actuelle :
– Alors que l’une des principales causes de la crise tient au développement plus rapide des marchés de capitaux en comparaison de ceux de biens et services, Herman Van Rompuy estime qu’attendre un rééquilibrage par la main invisible est une erreur ;
– Le caractère national des autorités, face à des marchés par essence internationaux, qui ne tiennent donc pas compte de ces autorités ;
– Pour le Président du Conseil européen, la crise actuelle a aussi confirmé les limites des politiques consistant à laisser filer les déficits (deficit spending).

Si Herman Van Rompuy ne cache pas sa volonté de réformer profondément nos institutions (européennes comme nationales), pour lui la restauration de l’équilibre budgétaire se fait pas à pas. En effet, notre taux de croissance potentiel est trop bas pour être concurrentiel sur le marché mondial et maintenir notre modèle social, même réformé.

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Diplomatie de l’UE (proposition 3): La visibilité européenne est en panne mais peut facilement être renforcée

Malgré l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la visibilité extérieure de l’Union n’a guère progressé.

À la conjonction de ces questions extérieures et du leadership interne se pose alors la question de la présidence de l’Union. Actuellement, cette présidence est triple, entre le président de la Commission, le président du Conseil européen et le chef d’État ou de gouvernement du pays qui exerce la présidence. Un de trop ?

La notion de présidence tournante semble incontournable, ne serait-ce qu’en raison de son caractère pédagogique et prestigieux pour les États membres qui l’assument et parce qu’elle permet d’incarner l’Europe de façon plus vivante que la seule technostructure bruxelloise.

En revanche, la distinction entre le président du Conseil européen et celui de la Commission peut légitimement être remise en question: les fonctions mentionnées aux articles 15 et 17 pourraient fort bien, si le Conseil européen et le Parlement le décidaient, être exercées par une seule et même personne. L’affaiblissement de la Commission depuis 2004 et la montée en puissance concomitante du Conseil européen peuvent justifier une présidence unique.

Proposition n°3 :

Fusionner en une seule et même personne les fonctions actuelles de président de la Commission et de président du Conseil européen.

 

Pierre Vive


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Diplomatie de l’UE (proposition 2): augmenter le levier de négociation du service européen pour l’action extérieure (SEAE)

Diplomatie de l’UE (proposition 2): Augmenter le levier de négociation du service européen pour l’action extérieure (SEAE)

Il existe un assez grand écart entre les objectifs que se fixe l’UE dans sa politique extérieure (article 21 du traité), objectifs qui sont nombreux, puissants et généreux et qui répondent bien en théorie aux souhaits des citoyens tels que relevés par l’Eurobaromètre, et le constat de faiblesse que l’on peut faire tous les jours en observant les résultats de cette diplomatie, sauf exception.

L’UE souffre d’abord de l’impossibilité d’utiliser certains outils classiques de la diplomatie, comme la force militaire, la politique de visas ou le prestige général des nations, qui lui manquent pour peser vraiment sur les situations internationales.

Une autre explication tient à la division de l’UE. La Commission a beau jeu d’accuser les États membres, comme dans les cas de la guerre en Iraq (réticences franco-allemandes), de la reconnaissance du Kosovo (réticence espagnole) ou du soutien toujours repoussé à la réforme du Conseil de sécurité (réticence italienne).

On observe aussi une division, probablement plus grave, générale, entre certains États du nord (Pays-Bas, Danemark, Suède…), qui prônent une politique extérieure fondée sur un idéalisme qui ferait des droits de l’homme un objectif principal voire unique de politique étrangère, au risque de faire passer l’UE pour une naïve donneuse de leçons, et d’autres, plus réalistes mais moins prévisibles, qui prônent une attention plus grande aux complexités du terrain. Cette division est accentuée par le fait que certains pays tiers, comme la Chine ou la Russie, s’efforcent avec application de diviser les États membres, même les plus réalistes, en utilisant les arguments économiques à leur disposition.

Mais la Commission, de son côté, souffre aussi de défauts de cohérence qui l’empêchent d’utiliser, au moins, les atouts dont elle dispose pourtant.

Sur des sujets connus et spécialisés, comme le commerce, où elle exerce depuis quarante ans, la Commission sait obtenir de bons résultats. Le récent accord de libre-échange avec la Corée du Sud en est un exemple, à tel point que les Américains, s’apercevant que l’Europe avait mieux négocié qu’eux, ont souhaité reprendre les discussions avec Séoul.

Mais lorsque les sujets deviennent plus larges, à la fois politiques, technologiques et commerciaux, la Commission elle-même peut sombrer dans une impuissance désolante, incapable de dégager des priorités. Les 35 DG de la Commission agissent en matière extérieure de façon relativement professionnelle mais de façon séparée. On a vu des pays africains voir se renouveler leur aide de la part de certains services alors que d’autres s’offusquaient d’une situation électorale révoltante; un pays de l’ASEAN sollicité pour une coopération politique nouvelle pendant qu’une autre direction prenait à son encontre des mesures commerciales punitives; un commissaire inaugurant généreusement un dialogue technologique en Chine pendant qu’un autre cherchait désespérément un levier pour faire avancer ses intérêts industriels (personne ne coordonne d’ailleurs les visites des différents commissaires en Chine). Les exemples de cloisonnements entre services sont nombreux, la Commission perd donc des occasions de défendre la position européenne sur la scène mondiale.

Pourtant, l’UE dispose de leviers inexploités: ses coopérations technologiques et réglementaires exercent un attrait véritable sur les pays tiers. Qu’il s’agisse de Galiléo, de l’aéronautique, de la directive REACH ou de la libéralisation des télécoms, l’expérience européenne, souvent unique, intéresse vraiment les pays émergents. On peut estimer que, sur les 35 groupes de travails techniques qui existent entre l’UE et la Chine, une petite dizaine intéressent beaucoup Pékin. Il est permis de penser qu’une diplomatie délicate et intelligente pourrait se permettre d’utiliser ces leviers pour faire passer certains messages dans d’autres domaines où Pékin répond aux abonnés absents (coopération en Afrique, droit de la concurrence, protection des marques…).

Proposition n°2 :

Intégrer au sein du service européen pour l’action extérieure les dialogues techniques et réglementaires de l’UE, actuellement dispersés dans les directions générales de la Commission, et qui pourraient être utilisés comme leviers dans les négociations bilatérales avec les pays tiers. Augmenter ainsi la culture de la réciprocité dans les relations de l’UE avec les pays tiers.

Une telle action relève de l’organisation interne et ne nécessite pas de modification du traité.

Pierre Vive

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