Présidence espagnole – Rencontre avec Augustin Santos, Directeur de cabinet du Ministre des Affaires étrangères espagnol

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Nous commençons l’entretien en interrogeant Monsieur Augustin Santos sur les conditions de préparation de la présidence Espagnole qui s’inscrit en début de cycle du Triptyque de la Présidence de l'Union Européenne Espagne, Belgique, Hongrie.
Cette présidence a la particularité de commencer dans un contexte doublement incertain. Tout d’abord les préparatifs de Présidence Espagnole de l'Union Européenne (PEUE) se sont effectués selon les critères du traité de Nice mais elle a démarré sous le traité de Lisbonne avec un changement institutionnel non négligeable avec la création d’une présidence permanente et du Service Européen pour l'Action Extérieure (SEAE). Il s’agissait alors de déterminer le partage de responsabilités entre la PEUE, Monsieur Van Rompuy et Madame Catherine Ashton.
Il y a eu donc des négociations sur le périmètre de la PEUE face aux difficultés d’interprétation du nouveau traité, les nouvelles institutions se mettant en place progressivement.
Monsieur Santos nous rappelle aussi que la nouvelle Commission a été installée en février 2010.
La PEUE a donc débuté sans Commission, avec une montée en puissance de la présidence permanente d’Hermann Van Rompuy, la construction du SEAE de Madame Ashton.
La crise d’Haïti a illustré ces difficultés avec un manque d’institutions pour coordonner l’action initiale des membres de l’UE au-delà des initiatives nationales unilatérales, mais selon Monsieur Santos cela a été au final réussi.

Monsieur Santos est ensuite revenu sur deux priorités de la PEUE, : les relations Amérique Latine/UE et le sommet sur l’UPM. La position géographique de l’Espagne et ses liens hidrotiques avec les pays Hispanophones ont rendu ces priorités naturelles.


1. Le sommet UE/Amérique Latine

Le 15 mai se tient un sommet UE/Amérique Latine. Il s’agit concrètement de parvenir à des accords de libre commerce avec l’Amérique Latine. Le coup d’État au Honduras risque de créer des difficultés en ce qui concerne l’Amérique centrale. Monsieur Santos est optimiste avec les pays de la communauté Andienne (Pérou/Colombie) mais il est plus réservé quand à un accord avec le MERCOSUR, la crise actuelle faisant diverger les intérêts Européens et Brésiliens, les uns plus tournés vers l’ouverture aux services les autres vers l’ouverture à l’industrie.

Monsieur Santos espère que la PBUE pourra amener ces processus à leur terme.

Les négociations se passent dans un contexte particulier en Amérique Latine, avec un changement de génération politique, un élargissement de la démocratie dans cette région et une participation plus forte de populations auparavant peu impliquées dans la vie politique, notamment les populations aux racines autochtones indiennes.

Monsieur Santos identifie une opportunité pour l’UE dans cette zone au regard de la vision et la perspective historique de la zone MERCOSUR.

En effet les États-Unis ont une vision assez unilatérale de leurs rapport avec le MERCOSUR essentiellement exportatrice vers on marché intérieur, avec une production à bas salaires. La vision de la PEUE est une vision plus équilibrée visant à développer les marchés intérieurs en régulant les échanges UE/MERCOSUR. Mr Santos prend l’exemple du Chili et de la Colombie qui exportent essentiellement vers les États-Unis mais ont besoin d’investissements dans leurs économies intérieures ou les États-Unis ont peut investi.

2. Le 2ème sommet de l’Union Pour la Méditerranée (UPM) prévu le 7 juin à Barcelone

Le contexte politique est fort avec la question des relations Israélo-palestiniennes et la question de la stratégie de sortie d’Irak des États-Unis.
Il s’agit également de prendre en compte les défis de la modernisation de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, etc.) et d’éviter un déséquilibre de cette zone.
L’UPM est considérée par Monsieur Santos comme une réponse stratégique à ces questions et doit également prendre en considération les relations avec les autres pays méditerranéens que sont la Turquie et Égypte.
L’UPM intéresse clairement l’Allemagne comme moyen d’ouverture plus grande de ces marchés intérieurs à son industrie.

Selon Monsieur Santos l’UPM ne peut se concevoir qu’en équilibre avec le partenariat oriental et cet équilibre est une question centrale des relations de voisinages de l’UE. Le sommet de l’UPM se prépare dans un contexte de déplacement de capacités d’action de la Présidence tournante Espagnole de l’UE vers la PUE permanente et secondairement du SEAE de Madame Ashton.

Monsieur Santos aborde ensuite des questions plus larges sur l’Union Européenne vue d’Espagne.

  • Selon lui se pose le problème du manque de légitimité démocratique de l’institution « Union Européenne », cette légitimité n’est pour lui réelle que quand l’UE fait preuve d’efficacité et celle-ci n’est jamais un acquis, ce que qui implique une dynamique constante tournée vers une recherche pragmatique d’efficacité.
  • L’Espagne a selon Monsieur Santos une vision plutôt fédéraliste de l’UE. Elle a poussé pour sa part à la création de l’Euro et souhaite une coordination des politiques économiques ce qui génère un débat avec l’Allemagne.
  • Cette vision aura également des implications dans la construction d’une politique étrangère de l’UE.

Pour Monsieur Santos le SEAE sera un succès uniquement si les pays à tradition diplomatique mondiale (France, Angleterre, Allemagne) et les pays ayant des poids diplomatiques important (Italie, Espagne; Pologne) acceptent de jouer le jeu.
Le paradoxe est que ce sont les diplomates des « petits pays » qui sont le plus demandeurs du SEAE comme levier diplomatique, et sur les rangs du futur personnel du SEAE.

  • Pour Monsieur Santos il n’y a pas de conflit potentiel entre la création d’une armée Européenne et la vie de l’OTAN; le noyau de l’armée Européenne se construit de fait au sein de l’OTAN qui standardise les équipements.
  • Une question centrale est le maintien des relations de l’UE avec la Russie, l’Ukraine, la zone Caucase, notamment avec le partenariat oriental, et le proche Orient et l’Amérique Latine.

Monsieur Santos voit les échanges économiques régulés comme un instrument essentiel de stabilité avec de ces régions une condition nécessaire de dialogue d’égal à égale entre l’UE et ces zones.

  • Sur la question de l’élargissement Monsieur Santos voit une différence essentielle avec la France concernant la Turquie.

L’Espagne est pour une adhésion Turque avec une Europe à plusieurs vitesses, une première constituée par la zone Euro une seconde avec la Turquie, l’Espagne ayant traditionnellement une vision plus positive que la France des contextes multiculturels selon Monsieur Santos. Il considère que la question centrale est celle du rythme de l’intégration de la Turquie dans le cadre d’une intégration plus forte des pays déjà membres. Il envisage un noyau Européen ayant une gouvernance politique forte et d’autres cercles avec des éléments de gouvernance moindre.

  • Monsieur Santos considère pour conclure que l’Europe propose une vision de sociétés avec un modèle politique de légitimité démocratique, s’intégrant par la négociation et les échanges économiques, processus lents, avant la dimension politique qui entérine alors une union de fait. C’est pour cela qu'il pense qu’il faut avancer pas à pas mais avec un horizon politique et proposer le modèle Européen comme exemple d’organisation économique régionale réussie.

Dans ce cadre il envisage une adhésion de la Turquie à un horizon de 15/20 ans reprenant l’argument (qui peut se discuter), de contrepoids de l’élargissement de l’UE face au risque d’Islamisation politique de la Turquie, avant un éventuel point de non retour.