Présidence polonaise – Rencontre avec Eric-André Martin, Premier Conseiller de l’Ambassade de France à Varsovie

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Monsieur Martin nous a livré un exposé clair et synthétique de l’évolution de l’identité européenne de la Pologne, l’ambigüité de celle-ci quand se dresse la défense de ses intérêts nationaux et les défis à venir du pays.

La Pologne ou l’ambition d’être le « 6ème Grand Européen »

La Pologne assure la présidence de l’Union 7 ans après son intégration dont 3 années fortement marquées par l’euroscepticisme bruyant du gouvernement Kacsynscki. Jusqu’en 2007 en effet, le pays était drapé dans un isolement nationaliste, en marge du jeu européen et avec de difficiles relations avec ses puissants voisins, l’Allemagne et la Russie.

En octobre 2007, le PO (Plateforme civique, en polonais: Platforma Obywatelska), dirigé par Donald Tusk remporte les élections législatives. Le PO est un parti libéral, européen et conservateur sur les questions de société comme l’avortement, l’euthanasie ou le mariage homosexuel qu’il refuse.

Avec l’arrivée du PO au pouvoir, reconduit lors des élections législatives d’octobre 2011, la Pologne se tourne résolument vers l’Europe. Elle s’affirme comme une démocratie mâture, dotée d’une économie dynamique.
La Pologne est un pays qui n’a pas été atteint par la crise de 2008 et qui affiche un 4.5% de croissance unique dans l’Union. Cette bonne santé économique lui attire respectabilité et attention médiatique qu’elle met à profit pour se positionner comme le 6ème grand pays européen et proposer de nouvelles sources de croissance:

  • Développer le partenariat oriental: la Pologne veut faire de sa présidence un moment fort pour arrimer ses voisins de l’Est (Ukraine, Biélorussie, Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan) dans la carte mentale de l’Union européenne,
  • Encourager la recherche pour favoriser la croissance,
  • Investir dans des politiques de sécurité et de défense.

Cette ambition d’acteur européen de premier plan est toutefois contrariée par l’actualité de ces derniers mois: entre la crise des dettes souveraines et l’intervention en Libye, la Pologne n’a pas les manettes de l’action et est réduite au rôle d’observateur des décisions du couple franco-allemand et de l’Eurogroupe. Sa frustration est d’autant plus grande que son projet d’intégration à l’euro, initialement prévu pour 2012, est repoussé à 2015.
Son refus de participer à l’opération « Protecteur Unifié » de l’OTAN en Libye met aussi en lumière sa difficulté à s’intégrer « européennement », souvent plus tentée par des alliances de circonstances pour contrecarrer les décisions françaises ou allemandes, « plus consommatrice de subventions européennes (67 milliards entre 2007 et 2013, la plus grosse enveloppe distribuée) que contributrice » accusent ses détracteurs.

Assurer la défense de son territoire et son indépendance énergétique

L’action politique polonaise est motivée par deux grands intérêts nationaux: assurer la défense de son territoire et son indépendance énergétique.

La perception de la Pologne n’a pas changé d’un iota depuis la chute du Mur: les États Unis sont la puissance qui protège, la Russie celle qui menace, l’UE celle qui est impuissante militairement. La Pologne est donc favorable au maintien des bases de l’OTAN eu Europe, comme le montre son rôle clé dans l’installation du bouclier antimissile sur le corridor oriental de l’UE.

Dans le cadre du plan Energie – Climat, la Pologne, dont 90% de l’électricité vient du charbon, est une âpre négociatrice. Elle a demandé et obtenu des dérogations au plan notamment sur l’allocation de droits à polluer gratuits pour 70% des émissions de son secteur énergétique en 2013 avec une réduction progressive de cette exemption pour arriver à son élimination totale en 2020.
La Pologne est aussi le fer de lance de l’exploitation des gaz de schiste dont elle possède les gisements les plus importants en Europe. Elle prévoit de passer à l’exploitation de ses gisements dès 2014. Les gaz de schiste sont une opportunité pour développer son indépendance énergétique par rapport à la Russie, son principal fournisseur gazier.

La Pologne en 2030 ?

L’économie polonaise manque d’investissements en R&D et lance de nombreuses collaborations scientifiques pour y remédier: sur le nucléaire, avec des collaborations universitaires de haut niveau, mais aussi sur la chimie à la recherche de nouvelles sources d’énergie.

L’autre défi est celui du vieillissement de sa population sous l’effet conjugué d’une forte émigration des jeunes (près de 4 millions sont partis à l’étranger) et une forte chute du taux de fécondité (1.26 enfants par femme) qui n’assure plus le renouvellement des générations.

Enfin, la société polonaise est en mutation, traversée par des courants qui remettent en cause des identités fortes comme la place de l’Eglise dans la société. Les 10% obtenus par le Mouvement de Palikot, parti libéral et anticlérical fondé en 2005, sont un signal fort de ce désir d’évolutions sociales.

NDLR: Après une forte désillusion post intégration, la Pologne travaille à la définition de son rôle et ses zones d’influence au sein de l’Union. Avec une carte mentale de l’Europe différente de celle de la France ou de l’Allemagne, elle sera demain le 6ème Grand, très probablement.


Marie Antide

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