La Grèce, entre 2008 et 2014, c’est l’explosion d’une bulle, la réalisation brutale de toute une nation qui vit largement au-dessus de ses moyens réels. Et puis derrière c’est une réalité sociale: une baisse de pouvoir d’achat de 20% à 45% selon les foyers, une inflation mal maitrisée qui accroit la pauvreté, un taux de chômage de 28% après des plans de licenciement dans la fonction publique et une récession alimentée par des impôts enfin collectés. C’est un choc « qu’aucune démocratie moderne n’avait jamais subi » selon plusieurs interlocuteurs encore incrédules.
Théories de complot et rumeurs jouent alors leur rôle pour expliquer et simplifier. L’occasion n’est pas manquée par des partis extrémistes comme Aube Dorée d’égrener la liste des fautifs habituels: Américains, banquiers, Juifs, Turcs. Des histoires circulent dans la rue ou dans les taxis comme celle des lingots d’or volés par les Allemands en 1941 et qui ne furent jamais rendus! Le créancier n’est pas celui que vous croyez!
Plus sérieusement maintenant, la société grecque souffre mais, fait notable, elle s’adapte rapidement au contexte ambiant. Les familles se regroupent, parents et enfants taisent leurs conflits pour faire front, certains jeunes s’expatrient ou de manière plus surprenante reviennent à la campagne pour cultiver la terre, leurs cursus universitaires s’orientant de plus en plus vers des filières techniques et moins vers les sciences humaines. Certains Grecs semblent même éprouver de la fierté face à une créativité et un dynamisme que la population se découvre, ou redécouvre, après des décennies de laisser aller et de dénigrement de soi-même. Curieux de ces évolutions mentales, le think tank ELIAMEP propose une table ronde en mars 2014 sur « les effets sociaux de la crise et le rôle de la société civile », en partenariat avec les Universités allemandes de Duisbourg et de Bonn. Tout un symbole.
Quatre années après le début de la crise des dettes, et les conditions imposées par l’Union Européenne (UE) et le FMI, les Grecs pensent le chemin parcouru et expriment presque une surprise face à leur propre sang froid: « au pic de la crise, nous n’avions que 200.000 manifestants », peut-on entendre. Athènes se réveille cette année avec des comptes publics en léger excédent, de nouveaux gisements gaziers en mer Egée, une belle saison touristique en 2013 et des investissements étrangers en hausse.
Pour les Athéniens, voilà de quoi satisfaire « une Europe sévère et qui n’a pas fait les mêmes efforts dans toute l’Union ». Les élections locales et européennes de mai 2014 voient l’émergence de partis qui appellent à une renégociation des accords de sauvetage financier. SYRISA, un nouveau parti hors système déjà très présent lors de la campagne législative de 2012, arrive en tête de ce mouvement avec 30% dans les sondages tandis que les partis historiques portant la responsabilité des négociations avec l’UE chutent à 5% (PASOK) et 24% (Nouvelle Démocratie).
Les électeurs grecs diront si le moment est venu de baisser la garde ou non. Les capitales européennes, elles, devront réagir à ce vote en conséquence et se poser des questions tout autant macroéconomiques que sociétales: le rapport des grecs face à l’impôt s’est-il régularisé? La tolérance face à la corruption est-elle réellement circonscrite? La société grecque accepte t’elle sa part de responsabilité ou se contente t’elle d’accuser une classe politique défaillante?
Un panneau blanc sans signature, sur le chemin de l’aéroport, résume bien l’état d’esprit général: « only in one place? ». En d’autres termes: serons-nous les seuls à payer? Il y a un aveu de culpabilité dans ce questionnement mais aussi une blessure encore vive exposée aux Européens de passage: ne soyez point trop moqueur ou trop hargneux contre nous, car comment réagirez-vous bientôt lorsque vos familles devront vivre sans les 3 ou 4% de déficit annuel que vos gouvernements empruntent aux marchés financiers depuis plusieurs décennies ?
Michael Benhamou