Le tournant du 26 mai 2019 en Roumanie (1)

par Aymeric Bourdin, avec Marie-Laure Charles, Lisa Lucas-Sohet, Rolland Mougenot, Isa Schulz et Jean Spiri

Une géopolitique des confins 

Du 29 mai au 2 juin, une délégation de six membres de l’Atelier Europe a passé quatre jours à rencontrer des acteurs et observateurs du pays pour mieux comprendre ce voisin européen des confins, à la fin de sa présidence du conseil de l’UE.

Loin de certains préjugés, nous avons découvert un pays aux influences historiques multiples, à la fois latines, ottomanes et soviétiques, cherchant une voie européenne entre besoins sécuritaires, corruption structurelle et potentiel lié à ses richesses naturelles et à ses talents humains.

A l’image de nombreux pays d’Europe orientale, la Roumanie s’est résolument tournée vers les États-Unis pour ce qui concerne sa sécurité. En effet, le « parapluie militaire » de l’OTAN constitue une assurance face à la Russie, considérée comme ennemi potentiel. Pour la Roumanie qui débouche sur la mer Noire, contrôlée par la Russie, il s’agit d’une stratégie de prudence qui remonte aux premiers choix de l’ère post-soviétique.

Mais voulant également aujourd’hui intégrer le noyau dur de l’UE (Schengen, euro), les Roumains prônent un élargissement vers l’Est qui les ferait se retrouver plus au centre du continent…

Leur quasi-obsession est de rejoindre l’espace Schengen, notamment pour une question de « prestige ». Mais les insuffisances de l’Etat de droit et le niveau de corruption, ainsi que la frontière extérieure du pays qui est celle de l’UE, font que la Roumanie est perçue aujourd’hui comme un certain risque pour les pays de l’espace Schengen. Concernant Schengen, la Roumanie respecte aujourd’hui tous les critères techniques. Si elle ne fait pas encore partie de l’espace Schengen, c’est pour des raisons politiques. Sur le papier, la Roumanie devrait joindre la zone euro en 2024.

Par ailleurs, très francophile pour des raisons historiques, la Roumanie joue sa carte de pays « latin » pour se tourner vers l’Ouest de l’Europe. On perçoit partout à Bucarest une latinité affichée ainsi qu’une forte présence culturelle et linguistique de la France, considérée comme « grande sœur». A cet égard, la constitution roumaine prend exemple sur celle de la France et 300 000 Roumains vivent en France aujourd’hui.

A cela il faut ajouter que la Chine de son côté cherche à développer son influence en Europe à travers ses pays les plus orientaux. Il y aurait là une main d’œuvre bon marché et la possibilité de « négocier » avec les gouvernements… Un débat fait donc rage en Roumanie pour savoir si le gouvernement doit plutôt accepter les fonds de l’UE ou des partenariats publics-privés avec la Chine. Cette dernière requiert en effet moins de justificatifs sur la façon dont les capitaux sont utilisés.

Cela pose la question du modèle politique et social souhaité : la démocratie libérale occidentale ou le cocktail de capitalisme totalitaire issu de l’ex-communisme… En effet, aujourd’hui, la croissance économique n’est plus forcément apparentée à la démocratie, comme on nous le fait remarquer à l’European Institute of Romania.

Trois atouts : le sous-sol, le sol et les talents.  

En Roumanie, les richesses se trouvent d’abord dans le sous-sol, sous forme d’hydrocarbures, avec le pétrole de la mer Noire. Ces ressources donnent à la Roumanie une réelle indépendance énergétique, avec 70% de consommation locale.

Mais les atouts roumains se trouvent également au niveau du sol, avec une importante production agricole. C’est le cinquième pays de l’UE en termes de volume agricole et premier pour le colza. 26% de la population travaille encore dans l’agriculture, y compris celle de subsistance.

Enfin les talents constituent le troisième atout du pays. Ils sont notamment linguistiques, mathématiques, informatiques. Malheureusement, on observe un phénomène de sous-investissement en matière de santé publique, d’infrastructures et d’éducation, qui se manifeste par l’émigration de 3,5 millions de Roumains (100.000 personnes quittent le pays par an.) et une espérance de vie de 69 ans en moyenne, bien plus basse que dans les autres pays d’Europe.

La croissance y est élevée mais fragile. Cela est dû notamment à une inflation forte et à la baisse de la consommation privée ainsi qu’à une augmentation des investissements (26% du PIB) ciblée uniquement sur le secteur privé.

Des priorités de développement clairement identifiées  

Selon la Chambre de Commerce France-Roumanie, certains chantiers seraient prioritaires pour le pays :

-La réalisation d’investissements publics et la baisse des tensions sur le marché du travail (15% de postes sont vacants)

-La Roumanie doit confirmer un ancrage européen, notamment par la transformation en projets concrets des aides européennes.

-Elle pourrait améliorer la stabilité législative par la diminution du nombre d’ordonnances d’urgence, dont plusieurs centaines sont prises chaque année.

-Pour les entreprises, il s’agirait également de simplifier les interactions avec l’Etat.