Gouvernement économique européen : passons aux actes

En mai dernier, le président de la République, François Hollande, réclamait l’instauration d’un véritable « gouvernement économique européen », assis sur une meilleure coordination des politiques économiques des États de la zone euro, ainsi que sur un éventuel budget propre. Des efforts importants ont certes été réalisés ces dernières années: le budget européen, quoique faible, se réoriente progressivement vers l’innovation; le pacte de stabilité et de croissance a été revu pour éviter de nouveaux dérapages et permettre une surveillance plus globale des fragilités des économies européennes; le cadre de régulation financière a été profondément réformé, tandis que l’Union bancaire se fait progressivement.

Ce sont des progrès tangibles. Mais ils demeurent insuffisants pour permettre l’émergence d’un véritable gouvernement économique. Pourtant, la crise n’est pas derrière nous. Au pire, et comme le cas chypriote l’a montré, l’Europe reste vulnérable à tout nouveau choc de confiance sur la dette des États-membres, à une faillite bancaire, à une crise politique dans l’un de ses membres, à un ralentissement de l’économie mondiale, etc. Au mieux, la croissance devrait être atone en 2013, et ne permettra donc pas de sortir du chômage les millions de personnes qui s’y trouvent.

Face à ces sombres perspectives, créer un gouvernement économique européen ne nécessite pas de saut fédéral ou de transferts importants de souveraineté des États vers les institutions européennes. Des mesures simples peuvent être adoptées sans changer les traités, et souvent en faisant seulement évoluer les pratiques, pour rendre les institutions plus agiles.

Eurogroup meeting 13.05.2013Il faudrait d’abord créer un véritable ministre des Finances européen, à la fois nommé à la tête de l’Eurogroupe et Commissaire européen. Il serait alors l’autorité incontestée pour les questions économiques et financières. Ensuite, il faudrait fusionner les postes de président de la Commission européenne et de président du Conseil européen. Le président de la Commission, légitimé par le suffrage universel puisque le traité de Lisbonne dispose qu’il sera désigné sur la base des résultats aux élections européennes, serait alors sans ambiguïté le chef de ce gouvernement.

La chaîne de décision ainsi clarifiée et légitimée, les recommandations de réformes adressées par le Conseil sur proposition de la Commission, et présentées devant le Parlement européen, constitueraient une véritable feuille de route pour les États. On pourrait alors enfin parler de gouvernement économique européen.

Ce gouvernement devrait d’abord achever les réformes en cours en matière de régulation financière pour repartir sur des bases saines et réamorcer la circulation des capitaux vers les projets qui en ont besoin, et sans distorsions entre les États membres.

Ensuite, il devrait poursuivre l’approfondissement du marché intérieur. Celui-ci représente un gisement de productivité et de croissance considérable. Les services représentent la majeure partie du PIB des pays de l’UE (près de 80 % en France): les gains à réaliser sont donc gigantesques. Pour les capitaux, les marchés sont encore essentiellement nationaux dès que l’on parle de financement des PME, des consommateurs, de l’assurance, etc. La liberté de circulation des personnes enfin demeure insuffisante, puisque seule une très faible minorité des travailleurs européens ne sont pas nés dans le pays où ils travaillent.

Créer un véritable gouvernement économique européen n’est pas un projet abstrait: cela peut au contraire se faire rapidement si la volonté politique est au rendez-vous, par un nombre limité de choix qui renforceraient considérablement la légitimité et l’efficacité de la décision à l’échelle européenne.

Jocelyn Guitton

 

Tribune parue dans Les Échos le 16 octobre 2013

Quel gouvernement économique pour l’Union européenne ?

Jocelyn Guitton, membre du bureau de l’Atelier Europe et maître de conférence à Sciences Po, publie cette semaine un essai sur la gouvernance économique de l’Union européenne, fruit de réflexions formées au cours de ses activités professionnelles, d’enseignement et associatives, au sein de l’Atelier Europe notamment. L’ouvrage est préfacé par le Commissaire européen Michel Barnier.

QGEPlUE-JCDepuis le déclenchement de la crise financière en 2007, puis de la crise des dettes souveraines en 2009, l'Union européenne s'est en effet profondément réformée, à un rythme inconnu jusqu'alors. C'était nécessaire, mais rien n'indique que cela sera suffisant néanmoins.

La crise de la zone euro est avant tout une crise de crédibilité et d'indécision, de ses politiques et de ses institutions, c’est-à-dire en somme de sa gouvernance, dont les rouages n'ont pas permis l'émergence d'un véritable gouvernement économique européen.

Sur une scène économique mondiale où les pays émergents n'attendent pas le vieux continent pour aller de l'avant, il importe aujourd'hui plus que jamais d'aller vers un tel gouvernement, capable de prendre les mesures nécessaires pour sortir durablement de la crise et d’éviter que l'UE et ses membres ne se replient sur eux-mêmes, mais maintiennent au contraire leur leadership économique et politique.

Dans des termes accessibles, mais sans faire l'impasse sur les questions techniques nécessaires à la compréhension précise des enjeux, Jocelyn Guitton présente des pistes réalistes en vue de compléter une construction européenne ambitieuse, mais qui demeure inaboutie.

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Inflation: l’État nous ment-il?

Margareth Thatcher et l'inflation (source : http://www.guardian.co.uk/business/2011/jan/16/inflation-the-old-enemy-frightened)Si l’on en croit les chiffres officiels, l’inflation n’a jamais été aussi faible en France et dans la zone euro: suivant l’INSEE, les prix à la consommation ont effet augmenté de moins de 2% par an en moyenne depuis 1999 (1.8% d'évolution moyenne annuelle en France entre 1999 et 2010).

Pourtant, le ressenti de nos concitoyens ne reflète pas ce constat. Un article récent, qui comparait les prix de bien de consommation courante sur la base d’un ticket de caisse de la fin des années 90 et en déduisait une hausse des prix bien supérieure en moyenne (de l’ordre de 4% par an), a eu un certain retentissement sur la toile. Certains partis politiques, comme le Front National, font d’ailleurs leur beurre sur le sujet: cette prétendue hausse rapide des prix est ainsi au cœur de l’argumentation du FN en faveur du retour au Franc. Ce parti observait ainsi pendant la campagne de 2012 les prix de quelques biens de consommation courante depuis l’introduction de l’euro, en déduisant une hausse des prix sans commune mesure avec celle des revenus.

Peut-on vraiment s’arrêter à de telles comparaisons? Sont-elles simples ou bien simplistes? Les chiffres basés sur un ticket de caisse sont forcément très partiels (comment analyser l’évolution des prix en général à partir du prix du café et de l’eau minérale ?) et ne reposent sur aucun chiffre solide Or, sur la base d'une analyse sérieuse, en prenant les données précises et observées fournies par l’INSEE, on obtient des chiffres bien différents: le prix du pain a augmenté en moyenne de 2.7% par an entre 1999 et 2010, à comparer à 7.0% par an en moyenne entre 1970 et 1999, 4.8% par an en moyenne entre 1980 et 1999…

Certes, le pouvoir d'achat s'est dégradé en apparence pour certains ménages mais la critique des chiffres de l’INSEE est infondée: le biais de perception entre inflation réelle et inflation perçue a été étudié en détails et confirme la validité des mesures de l’INSEE: on perçoit plus l’évolution du prix des biens qui coûtent peu mais que l’on achète souvent – fruits et légumes, pain, essence… – que ceux que l’on achète rarement – hifi, téléphonie…: or les matières premières et les produits agricoles ont vu leur prix croître fortement sur les marchés mondiaux depuis 10 ans, tandis que les biens plus onéreux et moins souvent achetés ont vu leurs prix baisser. Au contraire, face à cette évolution, la hausse de l’euro nous a largement protégés!

Alors cessons d’attribuer à d’autres les causes de nos faiblesses, et de faire de l’euro ou de l’INSEE des boucs émissaires. Il n’y a pas de complot d’Etat destiné à cacher la vérité sur les prix aux citoyens et à manipuler les statistiques. On ne peut consommer que ce que l’on produit, et le pouvoir d’achat n’est pas une question de prix, mais de productivité et de croissance. Ce sont là les vrais débats.

Irlande, le tigre celtique est-il de retour?

1301-IrlandeAu sein des tristement fameux « PIIGS » (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne), l’Irlande fait figure de cas à part.
Avant la crise, l’Irlande fut un élève modèle, avec une dette publique de seulement 25% du PIB en 2007, et une croissance impressionnante de son entrée dans la zone euro jusqu’au choc de 2009: 

Croissance-Irlande
L’atterrissage fut particulièrement violent: suite aux recapitalisations des banques en difficulté, la dette publique bondit à 106% du PIB en 2011, et le PIB perdit près de 10% et 2010.

Pourtant, alors que les autres pays en difficulté de l’UE, et notamment la Grèce, continuent encore leur descente aux enfers en 2012, le rebond Irlandais s’est amorcé dès 2011, et s’est poursuivi en 2012 et 2013. Le chômage a certes cru fortement (14,8% en 2012), mais à des niveaux bien moindres qu’en Espagne (25,0%) ou en Grèce (24,7%).

Après cinq années de crise, l’Irlande n’est pas encore revenue à son niveau de production d’avant la crise, mais ces années de difficulté n’ont pas effacé les progrès réalisés depuis l’entrée dans l’euro: le PIB de l’Irlande en 2013 devrait être plus élevé de 50% que celui de 1999!

Surtout, l’Irlande est revenue rapidement sur les marchés, et son taux d’emprunt est tombé en février 2013 à un minimum historique, plus faible qu’en 2005! Bref, la confiance des marchés dans la dette Irlandaise est revenue, sans équivoque, et du fait notamment d’un potentiel de croissance et d’un dynamisme qui n’ont pas été affectés par la crise.

L’Irlande reste un pays tourné vers la mondialisation, et après les errements financier d’avant la crise, ce choix porte ses fruits. Cela veut-il dire que l’Irlande est tirée d’affaires? Probablement pas, car elle reste exposée à un système financier qui demeure fragile, à une demande mondiale également atone, et à une gouvernance de la zone euro encore imparfaite. Mais elle démontre que les pays de la zone euro, y compris ceux durement touchés par la crise, peuvent espérer en sortir à brève échéance.

 

Voir également:
Les priorités de la présidence irlandaise de l’Union européenne
Le compte-rendu de notre voyage d'études

In or out: getting the facts straight

EuroEurosceptics, and euro opponents, usually argue that euro area members would be so much richer had they not joined the common currency a decade ago. They often base their reasoning on comparisons with countries such as the UK, Denmark or Sweden, the three EU members which did not join the currency in 1999 and which are allegedly stronger economies than most Eurozone members.

Is that so?  Well, actually, not really. If we compare GDP growth between 1999 (creation of the euro) and 2010, it is correct to say that growth was stronger on average for Denmark, Sweden and the UK than for the twelve other members (1,8% vs. 1,5%, not weighted by GDP). But does such a comparison make any sense? What does it mean to compare Greece and Denmark, France and the UK…such different countries, which differ by so many more elements than a simple currency? Not much, any honest analyst would reply.

Assessing the euro impact means isolating the “euro factor” from other parameters, and therefore comparing countries which do not have the same currency, but which share a significant number of characteristics. For instance, no one would deny that Ireland and the UK have a lot in common : flexible labour laws, an appetite for free trade, a services-oriented economy…and so do Nordic countries such as Denmark and Finland: a flex-security model, a high level of public expenditures and homogeneous societies.

But in both cases, these countries do not share the same currency: euro vs. pound sterling or Danish crown. So this comparison makes sense: here we do not compare pears and apples, but different kinds of apples, which mostly differ by one parameter. And the results? Over the 1999-2010 period, Finland grew by 2,3% on average, against 1,1% in Denmark ; Ireland grew by 3,9% (a strong figure, which takes into account the severe slowdown of the crisis), and as for the UK, guess what, not even half of that (1,8%)

This certainly does not mean that these countries grew faster thanks to the euro. But this certainly undermines the very weak argument that the Eurozone grew slower because of the euro.

 

JG