Revue de presse – 24 février au 11 mars

Ces deux dernières semaines, parmi les articles intéressants relatifs aux questions européennes, l'Atelier Europe a relevé:

– un éclairage sur la question méditerranéenne, au moment où l'Union pour la Méditerranée se trouve devant un tournant face aux évolutions géopolitiques au Sud.

– des interrogations croissantes sur la soutenabilité de la dette grecque face et la perspective d'une restructuration.

– un débat ravivé sur la question de la localisation du Parlement européen, dont le sens de la présence strasbourgeoise semble s'amenuiser année après année.

– la vision du service européen d'action extérieur (SEAE) par sa responsable, Catherine Ashton.

– un exercice de transparence intéressant de la part d'une eurodéputée.

– une perspective hongroise sur l'élargissement à la Turquie.
 

 

 

Désertion

L’affaire libyenne démontre une nouvelle fois le caractère inopérant de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. Ce véritable test pour la diplomatie européenne qu’on nous promettait unie et (ré)active a tourné à la bataille navale. Touché, coulé. La tragédie politique a révélé toutes les insuffisances du système en place. Tout d’abord, l’UE dont on connaît désormais le numéro mais dont on regrette que personne n’y réponde (où est donc la Haute Représentante? Les soldes sont pourtant bien terminées à Londres). Un quotidien britannique avait certes titré, au soir de sa nomination: « le Royaume-Uni a réussi à tuer le poste dès le premier jour ». Aujourd’hui même le Foreign Office est, paraît-il, embarrassé tant l’opération torpedo a réussi au-delà de tout espoir (europhobe), l’image du Royaume-Uni en étant désormais affectée.

Ensuite, les Etats, en partie à cause des silences de la Haute Représentante, en partie parce qu’ils désirent se faire entendre vaille que vaille, cèdent à la cacophonie. C’est, comme à l’accoutumé, la course au mieux-disant. Comment mettre d’accord vingt-sept positions nationales avec des traditions diplomatiques aussi disparates?  Faute d’autorité commune pour décider, nous sommes dans le forum permanent: parfait pour un organe législatif mais le hic, c’est que le Conseil décide et il doit le faire prestement en cas de crise comme c’est le cas actuellement avec la Libye. Et que dire de ce ballet désuet des délégations nationales qui se précipitent dans l’urgence à Bruxelles pour ce rituel obligé où chacun repart ravit après avoir constaté que rien n’a été décidé? Dans ce monde évolutif et instable, il est souvent difficile pour un exécutif de produire un message intelligible et fort, alors pensez-donc à vingt-sept! Que les Anciens se rassurent, le XXIe siècle semble avoir épargné l’Europe.

Enfin, les structures communautaires sont bien impuissantes à compenser cette vacuité politique de l’Europe. La Commission a déserté le terrain voilà bien longtemps et le Parlement ne peut que regretter l’état de notre diplomatie. Le système est toutefois tellement auto centré qu’il ne semble pas affecté par ce qui ressemble fortement à une impasse. Point de sanction, pour l’heure, mais gare au questionnement sur sa légitimité à l’heure des comptes!

Surtout, la crise libyenne laisse a minima un sentiment de malaise et, avouons-le, un sentiment de tristesse au regard de nos idéaux européens. Un fou furieux, à notre porte, massacre des civils, on n’ose dire son peuple tant il le martyrise, au moyen d’avions de combat et autres armes lourdes et nous restons les bras croisés. L’analogie avec la crise en Ex Yougoslavie dans les années 1990 est embarrassante: décidément les Européens n’apprennent rien de leurs échecs. Plus grave, au plan moral, il est dévastant de constater le silence des médias et de l’opinion publique européens après ce fiasco diplomatique. Certes, on s’habitue sans doute à la médiocrité. L’Histoire nous enseigne toutefois qu’il y a des inactions qui valent crimes.

 

JC

Un nécessaire changement de paradigme pour l’espace Euro-méditerranéen

Alors qu’un vent aux parfums de jasmin et de volonté démocratique souffle sur le Maghreb et le Machrek, la nécessité d’un changement d’approche dans les relations euro- méditerranéennes semble plus qu’urgent.

EarthLight-EuroMedit[1] Dans la continuité du Processus de Barcelone, l’Union pour la Méditerranée, créée lors du sommet de Paris en juillet 2008 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, s’est attachée à rapprocher les pays riverains du « Lac intérieur », en favorisant des projets de coopération sur des sujets à la fois consensuels et stratégiques (énergie, transports, culture…).

Au-delà de la noble intention, les motivations sous-jacentes et la gouvernance de ce projet se sont avérées incapables de bâtir une nouvelle donne. En effet, l’UPM a été, dès ses débuts, un outil diplomatique essentiellement français, piloté par la présidence de la République, servant notamment à proposer à la Turquie un partenariat renforcé en guise d’ersatz à une adhésion à l’UE, ce qui n’a guère trompé les héritiers de l’empire ottoman, qui ont préféré privilégier une diplomatie d’influence au Moyen-Orient, et tourner le dos à leurs interlocuteurs européens. De même, la maigre place accordée à Israël doit être revalorisée, dans un premier temps par de la coopération sur des domaines consensuels, comme la recherche, l’innovation, ou encore le développement durable. L’UPM n’a pas vocation a piloter le processus de Paix israélo-palestinien, n’ayant pas à ce jour une légitimité et un poids politique suffisant.

Ce Quai d’Orsay bis, servant presqu’exclusivement les intérêts de la politique arabe de la France, a maintenu une « Mission » à l’Elysée, malgré la nomination d’un Secrétaire général de l’UPM basé à Barcelone, nommé sur des critères dignes des doges de Venise: faible et influençable, sans pouvoir exécutif.

Les évènements sur la rive sud de la Méditerranée sont une opportunité pour la France de « lâcher prise » et de bâtir, avec tous les partenaires, un véritable espace de co-décision et de coopération. Le projet en gagnerait en crédibilité, et efficacité.

La création d’un secrétariat d’État aux Affaires méditerranéennes au Ministère des affaires étrangères permettrait d’illustrer cette volonté de relation assainie, et doter la France d’un outil diplomatique transparent, vers une région d’où elle a tant reçu culturellement, spirituellement et philosophiquement.

 

TM

La solitude à deux

Le sommet du G20 s’est achevé la semaine dernière sur un bilan en demi-teinte. Plus obscur que clair, oserait-on.  La Présidence du G20 a été annoncée et préparée en grandes pompes depuis des mois et sans doute les invités ont-ils apprécié le charme de l’hospitalité à la française et notre savoir-faire dans l’organisation de ces grandes conférences dont les thuriféraires semblent y projeter leur mélancolie du temps béni de la Société des Nations.

La volonté régulatrice est plus que louable mais ces grandes messes sont-elles adaptées à l’époque et notamment à la nécessité de traiter des sujets excessivement techniques (fluctuation des monnaies, régulation financière, protection des données et des brevets, réciprocité en matière commerciale, etc.)? Bref, dossier par dossier. Quant à l’importance de discuter entre-soi, on nous permettra de douter de la méthode à la vue du balai technocratique qui entoure ce barnum.

Cette année de présidence française du G20 est annoncée comme le signal d’une nouvelle régulation mondiale. Vous verrez ce que vous allez voir, nous promet-on! Soit, attendons mais nous ne paierons pas pour voir. Passons sur les commentaires peu conformes à l’usage de ceux qui affirment que les États-Unis ont œuvré pour la mise en place du G20 dans l’espoir de ne plus goûter aux collations provinciales auxquelles ils étaient, et demeurent, contraints lors des rencontres du G8. Sans céder à cette ironie, force est de constater que les États-Unis ont clairement favorisé au travers du G20 une dilution de ces conférences afin de ne décider qu’en bilatéral, soit entre États-Unis et Chine, en y ajoutant un ou plusieurs interlocuteurs au gré des discussions. Le procédé est du reste apparu flagrant en d’autres circonstances, dont les sommets de l’ONU sur l’environnement.

La réponse européenne à ce duopole est, comme de coutume, faible car divisée. MM Guaino, Védrine et autres hérauts de la real politik bon teint, nous promettent un rôle majeur du couple franco-allemand, dépositaire naturel de la puissance et de l’intérêt européens, pour apporter un souffle régulateur face au méchant laissez-faire anglo saxon et au dangereux mondialisme sauvage des Asiatiques. Or, pour l’instant, l’Europe semble marginalisée, et si la France et l’Allemagne ont parfois obtenu satisfaction, c’est surtout pour la place des virgules dans les conclusions des sommets dudit G20.

Car enfin, allons voir de l’autre côté du miroir dans lequel nous nous contemplons! Les autres puissances voient en nous un continent qui peine à concrétiser son unité politique, un ensemble écrasé par le poids de son histoire et une production politique asséchée. Il est de bon ton de taxer de naïveté les européistes mais force est de constater que ceux qui considèrent que l’Allemagne et France ont la taille critique pour exister au même titre que les deux grands se leurrent fortement. Oui, l’Europe incarne une troisième voie et, pour l’heure, elle a les moyens économiques de son ambition. Mais faute d’accepter le prix politique de son unité, elle s’enfermera dans un aveuglement aussi fat que mortifère.

 

JC

L’UE reste un géant économique et doit en tirer les conséquences

Le défaitisme économique semble aujourd’hui de mise en Europe: voilà quelques mois déjà que la presse a popularisé la notion de « G2 », suggérant le retrait de l’Europe de la conduite des affaires du monde, laquelle serait désormais dévolue à un directoire composé des États-Unis et de la Chine, leur usine et principal créancier.

L’Europe serait désormais reléguée au rang de puissance intermédiaire, sorte de grande Suisse vieillissante, condamnée à une lente mais sûre déchéance. S’il s’agissait de constater le déclin (relatif) de l’UE face aux émergents afin de susciter un sursaut en conséquence, ce serait alors chose heureuse. Mais faire preuve de résignation au motif que la bataille serait perdue est non seulement une erreur économique, mais aussi une faute quand cela implique de ne pas utiliser à bon escient les leviers dont l’Europe dispose.

C’est tout d’abord une erreur, car l’UE (à 27 États-membres) reste la principale puissance économique au monde: son PIB représente 26% du PIB mondial (chiffres FMI 2010), devant le PIB américain (24%) et loin devant le PIB chinois (9%). En matière commerciale, l’UE est également en tête (16% des exportations et importations mondiales de biens et services – source Commission européenne, 2009) devant les États-Unis (16% des importations, 13% des exportations) et la Chine (9% des importations, 11% des exportations). Ces chiffres illustrent une réalité qui diffère sensiblement de la doxa médiatique suivant laquelle l’UE ne serait qu’une zone périphérique dans les échanges mondiaux. Elle est au contraire la principale puissance exportatrice, ce qui démontre que sa compétitivité demeure, et importatrice, ce qui en fait un partenaire commercial incontournable pour les pays émergents.

C’est également une faute. Il ne s’agit certainement pas de se satisfaire de la situation, car ces parts de marché et les écarts de compétitivité se réduisent tous les ans. Mais c’est justement la raison pour laquelle l’UE doit, tant qu’il en est encore temps, prendre acte de sa puissance économique et s’en servir de levier pour peser de tout son poids dans les négociations commerciales, monétaires, énergétiques, environnementales…au niveau mondial. Qu’il s’agisse d’obtenir un flottement de la monnaie chinoise, des concessions énergétiques de la Russie, l’achèvement du cycle de Doha ou des conditions de réciprocité améliorées dans les échanges commerciaux, une meilleure coopération américaine en matière d’environnement…, l’UE peut non seulement faire entendre sa voix mais surtout obtenir beaucoup de ses partenaires, si ses membres acceptent les concessions nécessaires à un discours unique et cohérent. Ne pas saisir cette opportunité serait faire preuve d’un complexe d’infériorité regrettable.

JG