Revue de presse – 16 mars – 7 avril

Un exercice de prospective relatif au poids des pays les moins intégrationnistes de l'UE.

Un état des lieux sur le nucléaire en Europe.

Un éclairage optimiste sur l'avenir de l'UE (Europe will work) réalisé par la banque d'affaires Nomura.

Une analyse critique du nouveau mécanisme européen de stabilité financière.

Un point sur les dernières évolutions liées aux affaires de corruption au Parlement européen.

L’économie européenne vue d’Australie – un résumé critique

Alors que l’Europe est en crise et cherche désespérément des remèdes à la crise économique pour ne pas se laisser engloutir par les puissances économiques émergentes, les Australiens nous conseillent… Leurs constats et solutions sont plutôt atypiques. Économiquement non viable et profondément anti-intégration, l’argumentaire présenté dénote cependant une méconnaissance profonde de notre économie, son histoire et de la volonté politique qui sous-tend son modèle. Il est aussi cruel pour nous Européens car il marque un certain désintérêt de la part d’un pays prospère et inscrit dans une zone économique dynamique.

Plusieurs articles dans les journaux et revues australiennes ont attiré mon attention ces dernières semaines. La thèse qui revient invariablement: contrairement à l’idée généralement admise, les principaux bénéficiaires d’une intégration économique européenne sont les multinationales américaines, japonaises et aujourd’hui chinoises, indiennes, etc… Une désintégration ne serait pas une mauvaise nouvelle pour les entreprises européennes, surtout celles de petite taille.

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Que veut l’Allemagne?

Les récentes prises de position de l’Allemagne, et singulièrement de sa chancelière, Angela Merkel, sèment le trouble en Europe. En effet, il est difficile de comprendre la cohérence des choix germaniques alors que ce pays, c’est peu dire, est crucial pour l’avenir du projet politique européen. Du reste, l’intitulé de cette tribune résonne comme un papier suspicieux de Jacques Bainville mais avouons-le, le malaise allemand, puisqu’il faut bien employer l’expression, n’est pas le moindre des symptômes de la crise européenne.

Passons sur le repli national de l’Allemagne que nous pouvons dater de l’accession au pouvoir de Gerhard Schröder. Autrefois profondément euro-centré, ce pays a connu depuis lors une phase d’euphorie nationale, en partie du fait de sa puissance économique et en partie du fait du renouvellement générationnel de la classe politique désormais libérée du spectre de la guerre. On peut regretter ce virage, beaucoup d’Allemands européistes le condamnent, car cela constitue un frein sérieux à la dynamique européenne. Toutefois, il s’agit aussi d’une normalisation saine, sanctionnant le long travail, remarquable et salutaire, d’introspection du peuple allemand. Peu de pays pourraient se vanter d’un tel effort critique. Par ailleurs, personne de sensé ne peut souhaiter perpétuer une culture de la culpabilisation dont on connaît les ravages (à cet égard le film de Michael Haneke, Le Ruban Blanc, offre une expression saisissante). La capitale, Berlin, aujourd’hui joyeuse, entreprenante et décomplexée est le visage flatteur de cette Allemagne nouvelle.

Cette évolution structurelle de la position européenne allemande serait acceptable si elle était utilisée dans un schéma clair et cohérent. Or, et la responsabilité en incombe particulièrement à Angela Merkel, l’Allemagne semble incapable d’assurer et d’assumer un leadership fort en Europe autre que l’effet mécanique de sa puissance économique et de sa représentativité démographique. Considérons trois crises récentes rencontrées par l’Europe et nous constaterons que l’Allemagne ne s’est pas montrée à la hauteur de ses capacités et de son ambition.

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De Minc à Braudel

Faut-il penser, à l’instar des « déclinistes », que l’Europe est foutue, cuite, râpée? Il est quand même assez triste de voir qu’il n’y a presque plus qu’Alain Minc pour défendre l’Europe en France. Et encore, il insiste surtout sur le « soft power » européen, ses valeurs, son incroyable espace de libertés et de tolérance. Dans son Petit coin de paradis, il dresse surtout un tableau assez noir au final de « l’Europe puissance », c’est-à-dire la capacité de l’Union à exister dans la bataille de l’innovation et du savoir, et dans la mondialisation, notamment face aux puissances émergentes. Or n’en déplaise au Conseiller en tout, à l’extérieur de nos frontières, l’Europe n’est plus forcément un modèle à suivre, et à adopter. Il n’y a qu’à voir, tout proche de nous, les anciens satellites du bloc de l’Est, qui rêvaient follement d’Europe il y a quinze ans, et qui aujourd’hui sont devenus pour beaucoup d’entre eux très europhobes. Observons les programmes des partis populistes pour sentir le vent d’euroscepticisme qui a gagné notre continent.

Le constat est toujours le même: un exécutif dispersé et sans envergure (il faudrait décidemment vite remplacer Mme Ashton), une Europe trop bureaucratique, technocratique et complexe qui ne fait plus rêver. Une Europe peut-être trop ancrée dans la réalité, légiférant sur la taille des concombres et la concurrence, mais incapable de définir un dessein cohérent à son existence. Et la paix est un rêve consommé pour les jeunes générations. Même Van Rompuy souhaite que l’Europe puisse « dépasser la technique et faire rêver »…

Il lui faut toujours une crise pour avancer: constitution européenne (2005), crise financière (2008) et crise de l’Euro (2010). Il lui manque toujours une vision stratégique, une identité politique (la vision delorienne de la fédération d’Etats-nations s’éloigne peu à peu), une défense et une politique étrangères communes. Car dans l’arène mondiale, elle se fait si peu entendre. Les dernières révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient l’ont cruellement montré. Triste Europe celle qui manque son rendez vous avec l’histoire, avec la Méditerranée dont Fernand Braudel avait magnifiquement montré l’imbrication des destins entre les deux rives. Même le lien transatlantique se dissout et l’Amérique d’Obama snobe notre Union, les yeux rivés sur le continent asiatique… L’Union européenne est décidemment toujours un nain politique sur la scène internationale…

CR

Mais que fait donc la Commission européenne dans le transport urbain ? (petit exercice de subsidiarité appliquée)

Tramway L’Union européenne serait-elle en mesure d’adopter une réglementation sur les abribus et les portes coulissantes de nos autobus de ville? Certes, le sujet peu paraître bizarre et la question, secondaire. Mais si, comme moi, vous imaginez naïvement que, au nom du principe de subsidiarité, cette éventualité est à écarter, c’est l’occasion de faire un petit test.

Faisons un tour sur le site internet de la « DG MOVE » de la Commission européenne. Passons sur ce terme de MOVE, censé représenter la mobilité: la direction générale en charge des transports ayant en effet perdu, à la faveur du dernier remaniement de compétences, son ancien nom de TREN, qui synthétisait bien les notions de transports et d’énergie, elle s’est récemment vu attribuer cette nouvelle appellation anglophone qui fait immanquablement penser à la boîte de nuit du coin – move ton body-. Le nouveau terme doit, paraît-il, symboliser la fin des l’ère des transports et l’avènement du développement durable. Voyons ce qu’il en est.

On découvre, sur le site, que les institutions bruxelloises sont devenues fort actives dans les transports urbains: en 2007, un livre vert sur la mobilité urbaine; en 2008, un avis du comité des régions; en 2009, une résolution du parlement européen et en 2010, après la bataille et en « procédure d’urgence » (sic), un avis du conseil économique et social (tiens, on l’avait oublié, celui-là). La Commission consulte en ligne, récolte des avis, compulse des données. L’annuaire internet montre qu’une unité de 17 fonctionnaires (unité B. 4) travaille, à la DG MOVE, sur le sujet. Tout se concentre en 2009 dans une communication de la Commission qui contient le cœur du dispositif, un « plan d’action », et auquel le Conseil est obligé de répondre par des conclusions, pour faire bonne mesure.

Certes, il n’y a aucune initiative législative à ce stade. Et maligne, la Commission admet humblement que « les responsabilités en matière de politiques de mobilité urbaine incombent en premier lieu aux autorités nationales, régionales et locales », que « le but n’est pas d’imposer des solutions universelles ni des solutions venant d’en haut » ou qu’il s’agit de « proposer aux autorités locales, régionales et nationales de travailler en partenariats sur la base d’un engagement volontaire ».

Mais ces précautions oratoires cachent mal une envie d’action qui cherche son chemin. On fait feu de tout bois: la Commission nous rappelle que 72% de la population européenne habite en ville et que 85 % du PIB y est produit. Vous suivez le raisonnement? Elle argue de ce que les pratiques urbaines ont un impact sur la logistique de fret en Europe (problématique dite du « dernier kilomètre »), sur les émissions de CO2, sur la qualité de vie des citoyens, la mobilité des travailleurs, la lutte contre l’obésité ou l’accessibilité pour les handicapés. N’est-ce pas assez pour vous convaincre? Certes, le plan d’action en 20 points est encore assez modeste (création d’un observatoire du transport urbain, aides aux maires, études sur les zones vertes, guide sur les véhicules propres, conférence sur le transport urbain de marchandises…), mais il témoigne d’une véritable volonté d’agir. Cette volonté fait même parfois un peu pitié, comme dans cette phrase: « à brève échéance, la Commission peut aider les autorités et les parties concernées à examiner les possibilités de financement existantes et à mettre sur pied des formules innovantes de partenariat public-privé ». Dans le genre « n’ayez pas peur, on va vous faire un plan de financement pour la quatrième ligne de métro à Toulouse, on s’y connaît! »… la Commission propose ses services de banquière! Mais ne rions pas, le sujet urbain est bien sur les rails: une législation va finir par tomber. On en voit même déjà les contours: elle devrait concerner, si l’on en croit les lobbies automobiles qui ont flairé le filon, la façon dont certaines villes (comme Londres) restreignent l’accès de leur centre aux véhicules à moteur.

Le citoyen que je suis préférerait tout de même que la Commission s’abstienne de proposer de la législation dans les transports urbains. Si le principe de subsidiarité a un sens, c’est bien ici. Laissons de vrais banquiers s’occuper des problèmes de financements des villes; laissons les instances locales que nous avons élues prendre leurs responsabilités. Tous les sujets majeurs qui les touchent (non discrimination, développement durable, libre concurrence ou émissions de CO2) sont déjà traités dans d’autres législations européennes. Les villes et leurs partenaires connaissent mieux leur métier que la Commission européenne et la valeur ajoutée de l’Union est loin de sauter aux yeux. Que l’Europe, de grâce, s’occupe des vrais sujets: il n’en manque pas.

 

Pierre Vive