Revue de presse

 

A partir de cette semaine, et toutes les deux semaines désormais, l’Atelier Europe publiera une sélection de liens vers des articles apportant un éclairage particulier sur l’actualité récente, offrant une synthèse concise et pertinente d’un problème, ou identifiant des questions d’importance mais passées sous silence par la plupart des médias.

Cette semaine :

– un point de synthèse sur les débats qui agitent les gouvernements de la zone euro quant à la nomination du prochain président de la BCE, à l’automne prochain;

– un rappel salutaire des qualités (relatives) de transparence qu’offrent les institutions européennes, et dont certains États membres gagneraient à s’inspirer en matière de conflits d’intérêts;

– un résumé des derniers développements relatifs au pipeline Nabucco, élément central de l’avenir énergétique de l’Europe, et point d’achoppement des relations UE / Russie;

– un éclairage de fonds sur les débats monétaires et l’évolution du rôle des banques centrales depuis la crise;

– un résumé par The Economist du dernier Conseil Européen et des conséquences qui pourraient en découler en matière de gouvernance économique de la zone euro.

Intention ou inculture?

La France et l’Allemagne ont décidé de lancer une offensive pour conforter l’euro et chacun peut s’en réjouir. Les marchés attendaient sans doute un signe politique fort et Madame Merkel, puis Monsieur Sarkozy, ont compris que l’Union européenne ne pouvait pas se permettre un échec de l’euro.

Tant au plan financier que pour ce qui concerne le projet politique européen. Toutefois, on ne peut que s’interroger sur la méthode. La politique actuelle franco-allemande du « on décide, les autres suivront » est, pour l’heure, efficace car elle a le mérite de la réactivité. Néanmoins, c’est clairement une politique de courte vue. Les autres Etats de la zone euro, y compris les plus européens comme la Belgique, commencent à rechigner face à ce directoire d’un nouveau genre. Eternel dilemme démocratique entre efficacité et légitimité, argueront les plus optimistes. La chose est sans doute plus profonde. A force de détricoter ce qui est fait en commun, nous sapons la confiance mutuelle qui fonde la construction communautaire. Si nous continuons à marginaliser le jeu institutionnel, nous replongerons dans le système ex ante de concurrence entre les Etats avec la tentation de l’équilibre entre grands dont on connaît l’impasse.

Face à l’ampleur de la crise, l’Europe a besoin de pompiers et l’action des leaders français et allemand est salutaire. Mais gardons-nous de penser que les résultats obtenus, notamment en terme de coopération budgétaire, seront forcément pérennisés, faute d’ancrage institutionnel. L’un des principes d’organisation de l’UE, est de garantir que les engagements pris par les gouvernements ne soient pas tributaires des aléas politiques, dont les changements de majorité. Peut-on vraiment croire qu’un engagement de Monsieur Sarkozy en termes de contraintes budgétaires serait accepté et tenu si Madame Aubry et Monsieur Mélenchon formaient demain une coalition gouvernementale? Et quelle serait alors la réaction du partenaire allemand et des autres membres de la zone euro?

L’élément étonnant, dans cette politique, n’est pas la volonté des « grands » Etats de reprendre la barre après de nombreuses années de flottement où les « petits » Etats ont utilisé à plein les marges de manœuvre offertes par l’incertitude institutionnelle, et ce rarement dans le sens de l’intérêt commun. Ce qui frappe davantage l’esprit, c’est le sentiment d’inculture communautaire de nos dirigeants.  L’intégration a progressé mais les dirigeants nationaux demeurent ignorants du fonctionnement de l’UE. Plus grave encore, saut générationnel oblige, il n’y a plus guère d’appétence pour la chose communautaire, abstraction insoutenable en ces temps d’hyper factualisme médiatique. A l’heure où on évoque sans cesse la perte de savoir-faire dans nos industries, cela semble s’appliquer à nos élus. Travailler ensemble, visiblement on ne sait plus faire, et cela ne présage rien de bon pour le devenir de l’UE.

JC

Complexe (d’infériorité?) allemand

Le succès économique de l’Allemagne, la baisse récente du chômage outre-Rhin en atteste, surtout relativement à ses partenaires européens, suscite la crainte d’un nouveau pangermanisme. Les déclarations récentes du très arrogant Guido Westervelle n’ont rien arrangé à l’affaire. A l’instar de sa capitale, la RFA est désormais une nation décomplexée, ouverte sur le monde et bien décidée à promouvoir son modèle économique et social. Il est malvenu, si ce n’est malsain, de s’en plaindre.

La construction européenne a historiquement permis de dépasser cette infantilisation mortifère qui conduisait à toujours prêter les pires intentions à nos voisins, nos villages portant les stigmates de la folie criminelle du nationalisme. La résurgence de partis populistes réactualise ce discours sur l’Autre, forcément diabolique, et il est de notre devoir d’Européen de s’en garder et, au contraire, de porter un regard mature sur nos voisins, sans arrières pensées destructrices.

L’Europe fonctionne ensuite comme un levier permettant à tous ses membres d’accéder aux meilleures pratiques, soit le fameux « benchmarking ». Or, l’Allemagne étant le bon élève économique de l’Europe, il est évident qu’elle sert de modèle dans ce domaine, et ce alors que le modèle social allemand est sans doute la forme continentale la plus aboutie. Il ne s’agit certes pas d’uniformiser, à l’intérieur même des Etats membres les disparités sont fortes, mais d’encourager à la mise en œuvre des meilleures pratiques afin, précisément, de fortifier le consensus social.

L’Allemagne n’est évidemment pas exempte de critique et elle ne doit pas oublier que la majorité de ses échanges sont réalisées en Europe, mais il est absurde de lui reprocher sa performance économique du fait d’efforts que nous n’avons pas su ou voulu réaliser. Prenons-en de la graine!

JC

Présidence belge – Rencontre avec Jean Pisani-Ferry, Directeur du Cercle de réflexion Bruegel

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L’Atelier Europe a eu le privilège d’être reçu par Jean Pisani-Ferry, Directeur du Cercle de réflexion Bruegel depuis 2005.

Supélec de formation, Jean Pisani-Ferry a été directeur du CEPII, conseiller économique de Dominique Strauss-Kahn et de Christian Sautter au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, Président délégué du Conseil d'Analyse Economique, expert pour la Commission Européenne et le FMI et professeur à l'École Polytechnique et à l'Université Libre de Bruxelles. Aujourd'hui, il est Directeur du cercle de réflexion Bruegel depuis janvier 2005, mais aussi membre du Cercle des économistes, membre (juillet 2006) du Conseil d'administration du Think-tank Notre Europe fondé par Jacques Delors en 1996, membre du CAE, professeur associé à l’Université Paris-Dauphine, et vice-Président de l’AFSE. Jean Pisani-Ferry est membre du Conseil d’analyse économique (CAE) du Premier ministre et du Groupe d’analyse de politique économique (GEPA) auprès du président de la Commission européenne. Il est chroniqueur pour Le Monde et d’autres journaux européens.

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Cartels: l’UE veut-elle détruire l’industrie européenne?

La Commission européenne a rendu en novembre deux décisions importantes en matière de cartels, du moins au regard du montant des amendes imposées (€799 millions d'euros dans le cas du cartel du fret aérien, dont 310 millions pour Air France, et €648 millions pour le cartel dit des "écrans plats"). La décision relative au fret aérien, parce qu'elle condamne lourdement Air France, un "champion national", qui plus est détenu partiellement par l'Etat français, a fait l'objet de vives critiques, y compris au niveau ministériel.

Passons rapidement sur les critiques de l'ancien Secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Pierre Lellouche, qui a critiqué l'amende au motif qu'elle aurait été discriminante car Lufthansa, opérateur allemand également impliqué dans le cartel, y aurait échappé. La procédure de clémence, par laquelle les entreprises sont encouragées par une réduction partielle ou totale de l'amende encourue à dénoncer les ententes illicites auxquelles elles participent, si inélégante puisse-t-elle paraître, a le mérite de l'effet dissuasif, la publicité faite à ces décisions en atteste. De plus, la procédure de clémence se fonde sur le droit communautaire tel qu'adopté par les représentants des Etats membres. La consternation et l'effroi exprimés par M. Lellouche sont donc pour le moins surprenants et ne méritent pas plus de commentaires.

Les arguments avancés par M. Bussereau, alors Secrétaire d'État aux transports, qui s'est déclaré "effaré" par la décision, méritent une réponse plus circonstanciée. La politique de concurrence, en s'attaquant aux cartels, et donc en pouvant imposer des amendes parfois très élevées aux entreprises contribue-t-elle à fragiliser des groupes déjà soumis à une concurrence internationale acharnée?

Tout d'abord, les sanctions de la Commission frappent sans discrimination les entreprises, européennes ou non. L'amende imposée aux fabricants d'écrans plats (aucune entreprise européenne) en est l'illustration, tout comme les amendes imposées à Intel et Microsoft, accusés d'avoir abusé de leur position dominante.

Ensuite, le montant des amendes infligées est déterminé en fonction de critères préalablement définis dans une communication de la Commission, et ce en toute transparence afin de garantir, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice, la sécurité juridique des entreprises quant aux sanctions encourues. Par ailleurs, il n'existe essentiellement que deux catégories de sanctions dissuasives possibles: pécuniaires et pénales. Or, les Américains utilisent les deux bâtons quand l'UE ne recourt qu'aux amendes. Les dirigeants des grands groupes européens qui hurlent au scandale face aux amendes infligées par la Commission devraient donc méditer sur le sort de leurs homologues américains exposés à des peines de prison. Si nous devions significativement réduire les amendes encourues, il faudrait bien ouvrir alors le débat sur la pénalisation du droit de la concurrence en Europe sauf à encourager les cartels faute d'effet dissuasif des sanctions.

Enfin, rappelons que la justification première de l'interdiction des ententes entre entreprises (les cartels étant la forme la plus aboutie de telles ententes) tient au fait qu'une entente (c'est-à-dire la création d'une position de marché équivalente à un monopole) a pour effet de léser les consommateurs au profit des entreprises membres du cartel. Cette situation est préjudiciable à l'intérêt général dans le sens où le gain des producteurs est inférieur à la perte engendrée pour les consommateurs, au travers de prix plus élevés et de quantités moindres. Autrement dit, l'utilité globale (englobant les différents acteurs économiques: entreprises, consommateurs, etc.) qui résulte d'une situation de concurrence effective est supérieure à celle associée à une situation de monopole sur un marché (prix plus faibles, quantités produites plus importantes, emplois plus nombreux, etc.). Cette justification représente le cœur de la politique de lutte contre les cartels.

Il s'agit là d'une approche statique: à un instant donné, une situation de concurrence est préférable à une situation cartellisée. Mais cela ne répond pas totalement à la critique suivant laquelle, d'un point de vue plus dynamique, la lutte contre les cartels serait préjudiciable aux grands groupes français et européens.

Or cette critique est infondée: d'un point de vue économique, les cartels, tout comme les monopoles, représentent des rentes pour les entreprises qui en bénéficient, au sens qu'ils leur apportent un profit supérieur à ce que leurs performances, leur productivité, leur capacité à innover devraient normalement leur rapporter dans une économie concurrentielle. Dans ces conditions, les entreprises concernées n'ont nulle incitation à innover et à chercher à faire mieux que leurs "concurrents", puisque les parts de marché et les prix ne résultent pas du libre jeu du marché mais sont déterminés suivant les accords passés au sein du cartel. À l'inverse, lorsque la concurrence joue entre les entreprises, celles-ci sont obligées d'innover pour pouvoir proposer des produits qui leur feront gagner des parts de marché, réduire leurs coûts, augmenter leurs prix pour des produits de meilleure qualité. Non seulement le service/produit apporté aux clients est donc optimal mais les entreprises conservent alors une compétitivité nécessaire à leur efficacité à l'échelle mondiale où se joue leur avenir. Un marché fermé par un cartel ne le restera qu'un temps face à l'agressivité de groupes issus de régions plus dynamiques.

Pour cela, les grands groupes européens et l'Europe dans son ensemble ont tout à gagner sur le moyen terme à favoriser des marchés concurrentiels: sans incitation à innover, investir, chercher, etc., nos champions européens seront tôt ou tard rattrapés par la concurrence étrangère. Les ententes ne constituent que de fragiles lignes Maginot qui freinent la transition nécessaire vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée où l'UE peut tirer pleinement profit de la qualité exceptionnelle de son capital humain.

 

JG