de nouvelles alarmantes sur le front de l’activité et de l’emploi, et
dans un contexte où les pressions à la baisse sur l’inflation se font
plus fortes, la Banque Centrale Européenne (BCE) mène une politique
trop timorée et apparaît ainsi moins allante que ses homologues,
notamment la FED. État des lieux.
La
zone euro qui, jusqu’au début de l’année 2008, avait résisté à la
hausse des prix du pétrole, à l’appréciation de sa monnaie et à la
dégradation de l’environnement international, est entrée en récession
au 2e trimestre 2008. L’année s’est même terminée par un décrochage
sans précédent de l’activité avec -1,6 % au cours du dernier trimestre.
Dans
un contexte où le climat des affaires tel que publié dans les enquêtes
de la Commission Européenne a poursuivi sa dégradation au début de
l’année pour in fine se situer, en février, à des plus bas historiques
dans tous les secteurs d’activité, la BCE a, en mars et sans surprise,
fortement révisé à la baisse ses prévisions de croissance datant de
décembre dernier : ainsi, selon la BCE, en zone euro, l’activité se
contracterait de 2,7% en 2009 (au lieu de -0,5% initialement estimé).
Mais
depuis la diffusion de ces prévisions, de nouvelles informations
conjoncturelles, toutes négatives, sont disponibles. En particulier, en
janvier, la production industrielle s’est contractée fortement dans
tous les pays de la zone euro et le commerce extérieur a enregistré des
reculs historiques un peu partout en Europe. Les perspectives de
croissance pourraient donc être plus sombres qu’anticipé par la BCE.
Finalisées après la parution de ces indicateurs, les prévisions de
l’OCDE tablent d’ailleurs sur un recul plus prononcé de l’activité de
la zone euro en 2009 avec -4,1%.
En
zone euro, l’inflation, définie comme le glissement annuel de l’indice
des prix à la consommation harmonisé, est orienté à la baisse depuis
son pic de juillet (elle avait alors atteint +4,0%). Elle se situe en
mars à +0,6%. Dans certains pays comme l’Espagne, elle est même en
recul (-0,1%).
Cette situation s’explique
notamment par des « effets de base » liés à la baisse des cours des
matières premières : le cours du pétrole reflue depuis son pic de
juillet, entraînant avec lui la composante énergétique de l’inflation.
L’affaiblissement général de l’activité devrait accroître encore les
pressions à la baisse sur les prix à l’avenir.
Rappelons-le,
l’objectif principal de la BCE, tel que mentionné dans l’article 105 du
traité de Maastricht, est de maintenir la stabilité des prix. La BCE a
défini elle-même la stabilité des prix comme un rythme annuel de
progression des prix inférieur mais proche de 2% à moyen terme.
En
tout état de cause, le tableau qui vient d’être brossé des évolutions
récentes de l’inflation ne permet pas de laisser penser que l’inflation
est sur le point de déraper à moyen terme (sauf à penser que le cours
des matières premières reparte à la hausse, ce qui est imprévisible).
Cela accroît donc les marges de manœuvre des autorités monétaires.
Par
ailleurs, et d’un point de vue théorique, les conditions sont réunies
pour un rôle actif de la BCE. En effet, le retournement économique est
non seulement commun à l’ensemble des pays de la zone euro mais il en a
de plus les mêmes sources : le grippage du circuit de financement de
l’économie, la forte contraction du commerce mondial et une confiance
des agents en berne. Les chocs auxquels font face les pays de la zone
euro sont donc symétriques (même s’ils sont amplifiés dans certains
pays par des facteurs internes, comme la crise immobilière en Espagne).
Et c’est dans la configuration de chocs symétriques que la politique
monétaire est en théorie efficace.
Si
la Banque Centrale Européenne a procédé à un assouplissement de sa
politique monétaire depuis l’automne 2008, son taux directeur, qui a
baissé de 300 points de base au total pour s’établir à 1,25%, reste
encore très élevé, bien plus élevé que celui pratiqué par son homologue
américaine par exemple (la FED pratique une politique de taux zéro
depuis décembre 2008).
La baisse de 25
points de base de son taux directeur en avril n’était pas le résultat
d’une décision unanime au sein du conseil des gouverneurs : la décision
a été le fruit d’un consensus, comme lors de la baisse intervenue en
mars. Autrement dit, certains membres du conseil ne sont pas enclins à
baisser davantage les taux, malgré le contexte actuel.
Au
nom de quel sacro-saint principe, la BCE se refuse-t-elle à assouplir
davantage sa politique monétaire ? A cette question, la réponse souvent
avancée est la suivante : en cas de détérioration accrue des
perspectives économiques, la BCE se doit de disposer de marges pour
agir. Pourtant, elle peut, à l’image de ce que fait la FED
actuellement, user de politiques hétérodoxes. De surcroît, en
n’agissant pas plus fortement maintenant, la BCE ne crée-t-elle pas les
conditions d’une aggravation de la situation ?
pourtant, la politique monétaire de la BCE se doit d’accompagner les
politiques nationales de soutien à la croissance
De
la lecture du traité de Maastricht, il apparaît que la BCE doit
statutairement poursuivre deux objectifs, hiérarchisés. En effet, selon
l’article 105 du traité de Maastricht, « L'objectif principal du SEBC
est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de
stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques
économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la
réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à
l'article 2. » L’article 2 du même traité stipule que « La Communauté a
pour mission, par l'établissement d'un marché commun et d'une union
économique et monétaire, … de promouvoir un développement harmonieux
et équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la
Communauté, une croissance durable et non inflationniste respectant
l'environnement, un haut degré de convergence des performances
économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le
relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et
sociale et la solidarité entre les États membres. »
Si
l’objectif principal est la stabilité des prix, l’objectif secondaire
est le soutien aux politiques économiques générales de l’Union
européenne et donc, comme le précise l’article 2, les politiques visant
à favoriser la croissance et l’emploi notamment (Growth and Jobs!). La
BCE se doit donc de soutenir la politique des États-Membres, lesquels
multiplient les efforts pour limiter les effets de la crise,
l’endiguer, et créer les conditions d’un retour rapide à la croissance.
prochaine réunion du conseil des gouverneurs se tiendra le 7 mai. Si à
cette occasion, ses membres se refusent une nouvelle fois à assouplir
les taux ou à mener des politiques monétaires non-conventionnelles
ambitieuses, la BCE fait courir le risque à la zone euro et partant, à
ses partenaires commerciaux, d’une aggravation de la situation
économique. Elle s’expose par ailleurs au risque réel d’une nouvelle
remise en cause de son indépendance…
Abdenor Brahmi
Groupe Économie & Innovation