Froideur européenne et bouillonnement balkanique

Une revue sur la sexualité, au Kosovo. À l’intérieur, des articles sur la séduction, sur l’homosexualité, sur les discriminations subies par des jeunes femmes dans une société où le non-dit fait beaucoup souffrir. La parution de ce numéro a provoqué une grande discussion publique et une agression en pleine rue, dans un stand où ce magazine se vendait. Les coupables ont aussitôt été condamnés par les tribunaux et par une large partie de la population.

Ce micro-évènement témoigne d’un mouvement plus large dans les Balkans: une société civile se réveille après des décennies de système communiste, de guerres ethniques et d’intervention occidentale. En Bosnie, des regroupements de citoyens baptisés « plenum » se sont organisés depuis les manifestations anti-gouvernementales de février 201. Un an auparavant, le gouvernement bulgare était tombé lors de mouvements de protestation qui dénonçaient la hausse des factures d’électricité et la corruption rampante.

L’Union européenne (UE) peut se féliciter d’une dynamique qui va dans le sens de son esprit de liberté et de justice. Mais la nouvelle Commission Juncker a bien fait entendre qu’elle n’appuierait pas l’entrée de nouveaux pays dans l’UE au cours de ces cinq prochaines années. Une déclaration qui vise principalement les Balkans de l’ouest, et notamment la Serbie. Jean Claude Juncker justifie cette décision par un besoin de stabiliser l’Europe à 28, la Croatie ayant récemment intégré l’Union en 2013, et par la nécessité d’accélérer le rythme des réformes dans la zone. L’opinion publique européenne joue un rôle dans ce tableau: le soutien à l’intégration de nouveaux membres est tombé aux alentours de 20-25%, et les élargissements récents nourissent les arguments de nombreux partis populistes.

Commémoration des 70 ans de la libération de Belgrade en octobre 2014 : Accueil du président russe Vladimir Poutine par son homologue serbe, Tomislav Nikolić
Commémoration des 70 ans de la libération de Belgrade en octobre 2014 : Accueil du président russe Vladimir Poutine par son homologue serbe, Tomislav Nikolić

Cette temporisation est compréhensible mais elle s’accompagne d’un signal de désintérêt pour les Balkans particulièrement dommageable. Seul l’activisme allemand permet aujourd’hui d’éviter que l’effort de stabilisation de ces vingt dernières années ne soit déstructuré par l’entrisme russe ou turc. Vladimir Poutine a reçu des mains du Président serbe la plus haute distinction du pays en octobre 2014, une cérémonie qui doit beaucoup au contrôle russe des compagnies serbes de gaz et de pétrole. Moscou soutient par ailleurs une sécession de la République serbe de Bosnie (Republica Srpska), finalement découragée par Belgrade en 2014 afin de conserver ses chances d’intégration européenne. La compétition régionale grandit mais l’Europe reste l’acteur majeur grâce aux ressources de l’Instrument de Pre-Accession notamment et aux missions déployées, que l’accord Kosovo-Serbie de 2013 incarne avec succès.

La dynamique de l’intégration européenne fonctionne toujours et certains pays balkaniques, comme l’Albanie, progressent dans les négociations de pré-accession. L’envie d’Europe l’emporte encore sur les pressions externes et les divisions ethniques. Aussi, c’est surtout la froideur des dirigeants européens qu’il faut redouter. Le dernier grand communiqué de la Commission Européenne (octobre 2014) est éclairant de ce point de vue: les trois bénéfices stratégiques identifiés de l’élargissement sont la sécurité, le bien-être et la prospérité. On aimerait que le réalisme de ce document fasse aussi place à un rappel identitaire plus clair et certainement plus entrainant: les pays des Balkans partagent nos valeurs et font partie de notre famille.

Le gel de l’intégration ces cinq prochaines années n’est pas inutile: il pourrait inciter à plus de réformes budgétaires et à plus de progrès en matière d’Etat de droit. Encore faudrait-il que l’on continue de manifester de l’intérêt pour ces progrès et que l’on suive de près ces mouvements populaires qui sont l’avenir de leurs pays.

Michael Benhamou

Image: Wikimedia