L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural…vraiment ?

En France, le totem gaulliste ne perd rien de son sacré. Les formules du Général font toujours mouche, notamment chez ceux qui s’appuient sur elles pour justifier une certaine fascination de la Russie poutinienne. « L’Europe : de l’Atlantique à l’Oural »… c’est de Gaulle qui l’a dit ! Acceptons les écarts de conduite de notre frère turbulent, l’essentiel est ailleurs. Le conflit séparatiste en Ukraine et l’aveu de faiblesse incarné par la trêve obtenue par les accords de Minsk révèlent cette approche.

Et pourtant, en relisant les Mémoires de guerre du Général de Gaulle, on y sent une philosophie bien différente des simplifications coutumières. Voici un passage éclairant, critique, de sa vision des intentions de Staline pour l’après seconde Guerre Mondiale :

« J’estimais que son intention d’instituer à Varsovie la dictature de ses dévots devait être contrecarrée. Je pensais que l’Amérique, l’Angleterre et la France, en affirmant conjointement ceci et cela à la face du monde, en agissant de concert auprès des gouvernements soviétiques et polonais, en réservant aux flottes combinées de l’Occident l’accès futur des ports de la Baltique, quitte à ouvrir aux navires russes celui des ports de la mer du Nord, auraient pu faire en sorte que la liberté fut, finalement, rendue à la noble et vaillante Pologne » (Edition de la Pléiade, p.470).

DeGaulleLe Général est prêt au compromis mais il ne veut rien sacrifier aux principes élémentaires de liberté et de dignité des peuples face aux exigences russes. Difficile de transposer ces réflexions avec la déstabilisation de l’Ukraine aujourd’hui mais il est clair que de Gaulle n’aurait pas accepté le fait accompli de l’annexion de la Crimée comme étant dans l’ordre naturel des choses. Parions qu’il n’aurait pas non plus cautionné les murmures de conciliation fraternelle avec « l’éternelle Russie » de certains conservateurs européens.

Un autre passage des Mémoires éclaire sur ce qui constitue l’essence de l’identité européenne. Au milieu des décombres de la ville de Naples, il est applaudi lors d’une visite après les durs combats de 1943 :

« Comme chrétien, latin, européen, je ressentis cruellement le malheur de ce grand peuple, qu’une erreur avait dévoyé mais à qui le monde devait tant. Peut-être la foule italienne eut elle instinctivement la notion de mes sentiments. Peut-être, dans son épreuve, la pensée de la France lui était-elle plus familière, comme il arrive aux pays malheureux. »

La France n’est jamais bien loin chez de Gaulle mais l’Europe non plus. L’Europe de la compassion et de la fermeté, non pas celle qui a peur de l’ennemi et de l’idée même d’avoir un ennemi.

 

Michaël Benhamou

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