Troisième et dernier article sur la présidence luxembourgeoise suite à notre voyage d’études à Luxembourg, les premiers se trouvent ici et là.
Un modèle coopératif pour l’UE
Notre rencontre à la Chambre des Députés nous a convaincus des mérites de l’approche politique luxembourgeoise faite de simplicité dans les rapports humains et de pragmatisme dans les choix et les orientations. Cette forte capacité d’adaptation, c’est aussi une approche sans prévention ni tabous des sujets, y compris dans l’acceptation que la puissance publique nationale ne peut pas tout et qu’elle doit agir de concert avec d’autres acteurs, en interne mais aussi au niveau européen et international.
Certes, le Luxembourg par sa taille et par son rôle historique dans la construction communautaire est l’Etat qui a le plus intégré à son ADN l’Europe, y compris en termes identitaires. Cependant, il s’agit aussi d’une volonté politique de prise en compte de tous les niveaux territoriaux, du local à l’européen via le national, afin d’enrichir la décision publique et de la légitimer auprès de citoyens informés en amont des projets. Ici, point de « c’est la faute à Bruxelles »! Les bonnes pratiques devraient faire rougir ses grands voisins: après chaque session plénière du Parlement européen, la Commission des Affaires étrangères de la Chambre fait le point avec les Eurodéputés, lesquels sont associés aux rencontres de députés nationaux avec les citoyens. Tout n’est pas transposable mais une bonne dose de modestie, très répandue aussi localement, devrait aider à franchir les, relatives, barrières culturelles.
Le temps court de la Présidence tournante
Pour le second semestre 2015, les priorités de la Présidence luxembourgeoise se déclinent sur sept axes:
-Libérer l’investissement pour la croissance et l’emploi
-Approfondir la dimension sociale européenne
-Gérer la migration, allier libertés, justice et sécurité
-Rendre sa dynamique au marché intérieur en misant sur le numérique
-Inscrire la compétitivité européenne dans un cadre global et transparent
-Promouvoir une démarche de développement durable
-Renforcer la présence de l’Union européenne dans le monde
Du fait de l’actualité, notamment en Méditerranée et de la perspective d’un referendum britannique, l’agenda du Conseil s’avère bouleversé. Ce à quoi il faut ajouter les batailles interinstitutionnelles entre Conseil et Parlement. De façon pragmatique, dans le rôle restreint que le Traité de Lisbonne a conféré à la présidence tournante, avec un Président stable chargé de l’agenda, le Luxembourg s’attache à faire avancer ses dossiers, hérités de la Présidence lettonne et dans la perspective de la présidence hollandaise. Sans tambour ni trompettes, les Luxembourgeois ont fait à leur façon, in fine efficace: simple et pragmatique avec vingt pages de programme sur quelques constats évidents, pour un texte applicable et compréhensible. Depuis juillet 2015, le petit pays et néanmoins Grand-Duché, cherche à influencer l’ordre du jour du conseil sur des sujets aussi divers que l’équilibre entre harmonisation et reconnaissance mutuelle au sein du marché intérieur, le projet de Directive Titrisation, ou encore un meilleur accès des PME aux capitaux. Tout cela en visant un « Triple A social » transversal à tous les dossiers.
Le temps stable des Institutions
Outre le symbole que représente la maison natale de Robert Schuman, la ville de Luxembourg héberge les institutions juridictionnelles et financières de l’UE. En tant qu’un des trois sièges officiels de l’Union européenne, elle accueille la Cour de justice, la Banque Européenne d’Investissement, la Cour des Comptes, le Secrétariat général du Parlement, l’Office des Publications (le Journal Officiel de l’UE), ainsi que différents services de la Commission. La géographie n’est jamais neutre. A la ville ancienne, fièrement posée sur un promontoire coiffé par la forteresse de Vauban fait face le plateau du Kirchberg, où se tiennent la majorité des Institutions. Une atmosphère de « ville champignon », avec rues en construction, immeubles en chantier, témoigne du dynamisme urbain du quartier. A noter: on y trouve là le point culminant du pays et c’est le sommet de la « Tour des Interprètes » de la Cour de justice de l’UE. Une rencontre à la Cour de Justice, nous permet d’appréhender cette vénérable institution, outil essentiel d’intégration dès l’époque des Pères fondateurs, de l’Europe des petits pas et de la méthode communautaire. Le moteur fédéral originaire qui a passé le relais, marquant aussi une approche moins juridico centrée de l’UE, à la Banque Centrale Européenne. Contrairement à bien des bâtiments institutionnels sans âme, le dessin de la CJUE, réalisée par l’architecte Dominique Perrault, incarne une certaine solennité. De larges perspectives, des couleurs contrastées, une grande salle d’audience tapissée de bois et des piliers en acier rappellent les fondements de la CECA.
Le temps long de l’investissement: vers l’Europe des projets
La Banque Européenne d’Investissement, au départ pensée par les concepteurs du Traité de Rome comme outil de rattrapage économique des régions périphériques, est sans doute l’organisme qui a le plus d’avenir en cette période de désamour citoyen pour le projet européen. Institution non communautaire, la BEI a vocation à financer des projets innovants, portés par des entreprises, à hauteur maximale de 50%. Chaque année, entre 70 et 80 milliards d’euros sont investis dans quatre domaines d’action: l’innovation, les infrastructures, le changement climatique et les PME.
A l’image d’un fonds d’investissement ou de toute autre banque, la BEI fonctionne selon une logique de rentabilité et de retour sur investissement. Du fait de son adossement public et de sa vocation d’intérêt général, ce sont les 28 Etats et la Commission qui siègent à son conseil d’administration, elle peut cependant se permettre des investissements moins rentables, là où des banques classiques ne s’aventureraient pas.
A titre d’exemple, la BEI a contribué à financer des projets, comme le Viaduc de Millau ou Autolib, bien connus en France. Dans d’autres pays, son rôle a été déterminant pour des projets de rénovation énergétique de milliers de bâtiments, la réalisation de Tramways verts, la rénovation de lycées ou encore le développement de nombreux projets industriels et aéronautiques. En Europe centrale et orientale, par exemple, les Financements BEI sont combinés avec des fonds structurels.
Finalement, l’institution, qui œuvrait jusqu’à présent dans une ombre relative et était réticente à élargir son mandat, connait avec le Plan Juncker un changement d’ADN. A travers sa logique de déploiement budgétaire, il lui revient aujourd’hui d’être le levier financier et le véhicule d’appui à l’innovation pour la croissance en Europe. Des crédits budgétaires, à hauteur de 21 milliards d’€ de garanties, vont ainsi être alloués à des projets risqués pour faire repartir l’investissement en Europe. A travers ce déploiement massif, c’est bien le temps long et l’Europe des projets à laquelle œuvre patiemment la BEI. C’est également avec cette Europe-là, dynamique et tournée vers l’avenir, que nous espérons avoir rendez-vous le semestre prochain, sous présidence hollandaise.
Aymeric Bourdin