Repenser l’Europe

Brexit, une chance ? Repenser l’Europe, Nicole Fontaine et François Poulet-Mathis, Auteurs du Monde, 2016.

                       Il a sans doute fallu du courage à Nicole Fontaine et François Poulet-Mathis pour publier un livre dont les deux tiers se prêtent à un examen critique de l’UE. Dans un dialogue à deux voix, enrichi de commentaires d’étudiants de l’ESCP, les propos de l’ancienne présidente du Parlement européen et du journaliste balaient sans complaisance les dernières décennies d’intégration européenne. Ecrit quelques semaines avant le vote du Brexit de juin 2016, l’ouvrage développe en toile de fond l’idée selon laquelle au-delà du résultat du referendum britannique, le projet européen doit être réinterrogé.  

Comment en est-on arrivé là ? 

Prise en tenailles entre des crises présentées comme parfois motrices et l’impression d’impuissance à surmonter ces crises, l’Europe donne aujourd’hui aux citoyens le sentiment d’être un avion sans pilote. Procès en technocratie, déficit démocratique, réglementations compliquées: autant d’éléments qui contribuent à faire de l’UE le bouc-émissaire de nombreux responsables nationaux.

Une dérive libérale sans pilotage économique ? 

Nombreux sont ceux qui reprochent notamment à l’Europe d’avoir subi la mondialisation au lieu de l’avoir maitrisée. Les politiques de la concurrence et la politique commerciale notamment- les deux seules qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union- sont accusées d’avoir accentué les effets négatifs de la mondialisation. Ces dernières exaltant un libéralisme parfois débridé et souvent inspiré, est-il rappelé non sans malice, par les Britanniques. 

Pour autant, il faut se rappeler que l’UE a été créée sur une base économique. Si le projet d’union politique était présent dès le Plan Monnet, au fil des décennies, une certaine ambigüité a pu être perçue par les citoyens quant aux finalités de cette « union sans cesse plus étroite.»

D’incontestables acquis à mettre en avant 

Sans conteste, les 70 ans de paix tiennent le haut du palmarès des réussites de l’union européenne. Inédite, une telle période sans conflit majeur en Europe justifie à elle seule le projet. Et pourtant,  ce résultat ne suffit plus à mobiliser les générations qui n’ont pas connu la guerre. 

Il faut également mentionner le Marché intérieur, dont on estime qu’il a contribué à créer trois millions d’emplois entre 1992 et 2006, même s’il est inachevé. Ou encore la Politique des fonds structurels, qui ont permis de désenclaver des régions entières du continent. 

A cela il faut ajouter la protection des consommateurs, souvent méconnue. Pour le citoyen consommateur, des avancées en matière de lutte contre la publicité mensongère, des exigences en matière de virements transfrontaliers ou encore l’étiquetage des denrées alimentaires sont à mettre au crédit de l’UE. 

Est mentionnée également la PAC, même si son bilan est contrasté. Ainsi que des initiatives industrielles comme Ariane, Galileo ou Airbus, même si elles ne ressortent pas toutes de la mécanique communautaire. 

En bref, l’UE serait-elle une machine économique qui fonctionne, au vu de ces résultats, mais sans pilote, du fait de sa nature politico-administrative hybride et du partage inachevé des souverainetés nationales ?

Sur le plan des valeurs et de la justice, l’Europe a également quelque chose à dire.  La charte des droits fondamentaux de 2001 fait d’elle le seul continent qui reconnaisse le droit de recours individuel, permettant ainsi à n’importe quel citoyen de se retourner contre un Etat. Des principes comme la liberté de la presse, la lutte contre les discriminations ou l’indépendance de la justice esquissent un espace continental singulier dans la mondialisation. 

Les défis de l’Europe de demain 

Il reste tant à faire, s’accordent les auteurs et les étudiants au fil du livre. Parmi les projets qui peuvent constituer une relance de la dynamique européenne, ils mentionnent

-L’harmonisation fiscale, qui nécessiterait de lever le verrou de l’unanimité. 

-L’harmonisation sociale qui permettrait d’éviter la tentation du dumping. 

-L’Europe des frontières et le renouvellement de Schengen

-Une Stratégie «de Lisbonne»/ UE 2020 pour l’innovation qui octroierait 3% du PIB en R&D. En effet, adapter l’économie aux défis de la révolution numérique a été pensé avant la crise de 2008. Une nouvelle impulsion doit être donnée à ces chantiers, avec des moyens renouvelés.  

-La protection de l’environnement. Les objectifs en termes d’Energie Climat des 3×20 qui ont permis de mener aux accords de Paris de la Cop21 trouvent leur source dans des débats communautaires des années 1980. Une vraie politique européenne de l’énergie pourrait être mise en place.   

-L’Europe sociale, même si son action reste aujourd’hui limitée aux recommandations des Etats membres. 

-Une Politique extérieure et de défense commune. 

-Des progrès dans la coopération judiciaire entre Etats. 

Pour ce faire, les moyens et chantiers sont identifiés. L’ouvrage mentionne parmi d’autres une gouvernance politique de la zone euro, un vrai budget pour l’UE et le déploiement large du Plan d’investissement pour l’Europe, dit Plan Juncker. 

Mais  le plus important est sans doute, ce que rappelle Nicole Fontaine : « Il faut un projet refondateur qui créée une véritable Europe politique avec ceux qui le veulent, mais dans les pas tracés par nos prédécesseurs : celui d’un espace de prospérité, de liberté et de sécurité, de solidarité, ouvert sur le monde et qui mette le citoyen au cœur du projet européen. » 

Si le tableau est loin d’être achevé, fors est de constater que les initiatives françaises des derniers mois vont dans ce sens.