Le marché carbone européen : un outil de transition énergétique complexe

par Victor de Vilmorin

I- Un marché institutionnel mis en place au protocole de Kyoto

Le protocole de Kyoto de 1998 a permis de mettre en place un calendrier international de réduction des émissions de gaz à effet de serre dont 141 pays sont signataires et 37 pays sont ratifiants (principalement les pays industrialisés hors USA et les pays européens). L’objectif du protocole de Kyoto était de réduire les émissions de CO2 de 5% entre 2008 et 2012. L’Union européenne s’était engagée quant à elle à réduire, d’ici 2012, de 8% ses émissions globales par rapport à 1990.

En 2005, le marché institutionnel de quotas d’émissions est né en réponse aux exigences du protocole de Kyoto. Dans le monde, plusieurs marchés du carbone se sont développés et sont aujourd’hui régis par leurs propres règles et prix.

 

II- Le fonctionnement du marché d’échange de quotas est un marché hybride efficace

A/ Fonctionnement

Dès 2005 et via le protocole de Kyoto, le système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre réunifiant les 28 pays membres européens ainsi que la Norvège, le Lichtenstein et l’Islande a vu le jour. L’Union européenne a mis en place ce marché du carbone pour mesurer, contrôler et réduire les émissions de gaz à effet de serre et constitue donc la pierre angulaire de la politique énergie climat européenne.

Ce système concerne uniquement les installations industrielles européennes des secteurs les plus polluants, soit 11 0000 installations et regroupe 45% des émissions de gaz à effet de serre européennes.  Les secteurs concernés par ce système de quotas sont la production d’électricité, les réseaux de chaleur, la fabrication d’acier, de ciment, de verre, de papier, du raffinage et depuis 2013, de l’aviation avec le mécanisme Corsia. Le système du marché de quotas d’émissions (EU-ETS) est divisé en périodes de plusieurs années, ce qui permet de réévaluer les quotas entre chaque période.

  • 1rephase de trois ans (2005-2007),
  • 2ephase de cinq ans (2008-2012),
  • 3ephase de huit ans (2013-2020),
  • 4ephase de dix ans (2021-2030).

En début d’année, un nombre de droits à polluer est attribué aux différentes installations comprises dans ce système en fonction du volume de la production de l’installation.

Pour donner une certaine flexibilité, le « banking » permettant de garder des quotas d’émissions non utilisés pour les prochaines périodes et le « borrowing » qui consiste à acheter des quotas d’émissions d’autres installations, sont autorisés. Le nombre de quotas d’émissions diminue de 1,74% par an pour inciter les installations industrielles à optimiser leur consommation énergétique. Durant la phase 4, la réduction des quotas d’émissions sera de 2,2% par an.

A titre d’illustration, suite aux calculs de distribution, une entreprise bénéficiera de 100 quotas d’émissions sur une année pour son activité de production et pourra donc polluer 100 tonnes de CO2. Si elle dépasse les quotas d’émissions, elle sera soumise à une amende de 100€/tCO2. Grâce au système du « borrowing » l’entreprise peut acheter des quotas d’émissions aux autres installations soumises au même système. Le prix est établi selon la loi de l’offre et la demande. Le prix actuel oscille entre 25 et 30€/tCO2. Si l’installation industrielle dispose de trop de quotas d’émissions, elle peut vendre ses droits à polluer ou les garder (« banking »). L’année n+1, l’entreprise ne disposera plus que de 98 quotas d’émissions. Ainsi, le mécanisme obligera l’installation à optimiser ou limiter ses émissions de gaz à effet de serre.

B/ Des résultats satisfaisants

Aujourd’hui, le marché EU-ETS est le plus grand marché carbone au monde avec plus de 75% des échanges de quotas d’émissions réalisés. En 2020, les émissions des secteurs couverts par le système seront inférieures de 21 % par rapport aux niveaux de 2005 et devraient diminuer de 40% d’ici 2030.

 

III/ Un marché complexe qui connait de nombreuses limites

La définition du nombre de quotas d’émissions sur le marché est décisive. Un nombre trop important de quotas d’émissions ne rendrait pas service à la cause écologique. Avec un signal prix bas, les infrastructures pourraient polluer de façon importante et la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’aurait pas lieu. C’est ce qu’il s’est passé en 2013, où le nombre trop important de quotas d’émissions a poussé le prix d’échange au seuil de 5€/tCO2.

A l’inverse, un nombre trop faible de quotas d’émissions pourrait faire monter les prix fortement et ferait perdre en compétitivité les entreprises par rapport aux entreprises non européennes. Cela accroîtrait la volonté de se délocaliser. Ce mécanisme appelé fuite de carbone va à l’encontre des objectifs de l’Union Européenne qui sont de mesurer, contrôler et réduire les émissions de gaz à effet de serre et fragiliserait davantage la compétitivité industrielle européenne.

La bonne répartition des quotas d’émissions entre les pays et les secteurs est également décisive pour maintenir une équité. Le lobby est alors roi pour défendre les intérêts de chacun auprès de Bruxelles.

L’ouverture sur les marchés financiers du marché EU-ETS dans le but d’apporter des liquidités a impacté fortement le marché. Les financiers espèrent voir une augmentation du prix pour un actif que devront finalement payer les industriels.

Le marché EU-ETS est un outil pertinent et efficace car les résultats sont probants avec une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 20% et permet à l’Europe de se montrer comme continent pionnier face au changement climatique. Dès lors, un système bien calibré et réactif aux signaux du marché reste fondamental pour ne pas baisser la compétitivité européenne et lutter contre les fuites carbones. La création d’une taxe carbone à l’entrée de l’Europe est-elle alors la solution ou la création d’un nouveau système complexe ?