Élargissements: l’Union change de taille, mais aussi de nature

Suite au référendum du 23 janvier dernier, la Croatie adhérera à l’Union européenne en juillet 2013. Dix ans après la reconnaissance de sa candidature, en 2003, ce pays a donc franchi l’ultime étape sur la route de son entrée dans le club européen. Zagreb sera sans doute suivie de la Serbie, qui a de sérieuses chances d’adhérer en 2014. Quant à l’Islande, en île qu’elle est, elle hésite.

Ainsi, malgré la gestion de la crise économique et son poids sur l’agenda européen, l’élargissement de l’Union continue. À l’est du continent, des Européens attendent leur entrée dans la plus puissante et la plus intégrée de toutes les unions régionales du monde.

N’entrons surtout pas dans le fameux et redoutable débat sur l’adhésion de la Turquie; ni dans celui, d’ailleurs, de la Bosnie ou de la Macédoine. Du reste, la « fatigue de l’élargissement » fait son œuvre: on ne voit pas bien quel pays, après la Serbie, pourrait adhérer rapidement. Il est probable que la porte se referme pour quelque temps.

Examinons plutôt l’une des conséquences assez méconnues de l’élargissement, à savoir le changement qu’il introduit au sein du Conseil, via les règles de vote. Car la présence d’un grand nombre de petits pays autour de la table a des conséquences insoupçonnées.

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Russie, la « révolution des neiges » : 1917 ou 1991 ?

Enfin ca bouge a-t-on envie de dire. Nous voilà à rêver à un printemps russe, dans ce pays où l’on a coutume de dire que la démocratie n’est pas pleinement réalisable dans ses institutions et son expression la plus simple, à savoir des élections libres, du fait de l’histoire et de la géographie.

Pourtant, depuis décembre dernier, ce sont des dizaines de milliers de manifestants qui affrontent un froid polaire, pour défier le régime en demandant des élections transparentes (à la suite des fraudes lors des dernières élections législatives). De la place Bolotnaïa à l’avenue Iakimanka, on vient manifester en famille, toujours avec la peur au ventre des arrestations cependant. Fait important: les manifestants sont pour la plupart issus de la nouvelle classe moyenne russe, et le mouvement est parti de Moscou. Or « l’effet capitale a souvent joué un rôle décisif dans les bouleversements politiques de l’histoire russe« , comme l’a souligné récemment la sociologue Olga Kamentchouk dans le journal Moskovskie Novosti. De loin, ces manifestations ont tout l’air d’un grand élan citoyen. Beaucoup de Russes sont lassés de la corruption et de l’impunité, de la situation économique et du système Poutine au pouvoir depuis douze ans. Ce système contrôlé par d’anciens « KGBistes » peut se résumer de la façon suivante: la vérité, c’est celle que l’on vous montre, le reste, le peuple n’a pas besoin de le savoir, pour paraphraser une sortie de Poutine dans une émission de la télévision russe.

De près, ce mouvement protestataire est loin d’être homogène, et la dernière manifestation du 4 février a bien montré le caractère bigarré de la coalition des manifestants. Vieux étendards soviétiques, drapeaux rouges et emblèmes de la Russie impériale ont côtoyé les banderoles demandant des élections honnêtes. Ce manque à la fois d’unité et de leader fait bien évidemment le jeu du Kremlin, qui considère cette foule folle comme un ramassis de révolutionnaires mettant en péril la stabilité du pays. Le Kremlin table sur un essoufflement du mouvement d’ici aux élections du 4 mars et n’a pour le moment pas grand-chose à proposer en réponse aux manifestations qu’une contre manifestation arrangée, rassemblant les soutiens du régime. Ce sont toujours ces deux visions du destin national qui s’opposent: d’un côté une Russie ouverte, moderne, transparente, européenne. De l’autre, une Russie fermée sur elle-même, davantage province asiatique (Poutine poursuit son projet de grande union eurasiatique avec ses voisins) que province européenne.

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Mario Monti va-t-il sauver l’Italie?

À l’automne, l’Atelier Europe écrivait qu’il ne fallait pas mettre tous les « PIIGS » (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) sur le même plan : là où la situation de la Grèce apparaissait à bien des égards dramatique, les autres « PIIGS » présentaient chacun des faiblesses évidentes, mais également des avantages relatifs indéniables (une dette relativement modérée en Espagne et au Portugal, des ressorts de croissance en Irlande, un budget contrôlé en Italie…).

Ce constat a été validé par les faits: tandis que la dette de la Grèce a été restructurée et qu’un défaut complet n’est pas exclu, les autres « PIIGS » tiennent le choc, en partie il est vrai grâce au soutien indirect de la Banque Centrale Européenne, très active (quoique bien moins que la Fed par exemple) sur le marché secondaire de la dette souveraine.

Il faut bien sûr se garder de tout optimisme excessif, mais constatons simplement que les mois à venir vont être cruciaux et vont sans doute déterminer l’issue de la crise. En effet, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande et le Portugal ont mis en œuvre des réformes ambitieuses, tant sur le front de la rigueur que de la croissance, mais reste à savoir si ces pays bénéficieront de quelques mois de répit sur le front des marchés pour que ces réformes puissent commencer à porter leurs fruits. Il importe pour cela que les marchés se convainquent que les réformes adoptées ramènent les pays en question sur le chemin de la soutenabilité.

La combinaison rigueur budgétaire / réformes structurelles est en effet probablement la seule voie possible pour sortir de la crise. Les néo-keynésiens emmenés par Krugman ont beau jeu d'affirmer que la rigueur est dangereuse en bas de cycle, et la relance lui est certes peut-être préférable, mais si et si seulement des marges de manœuvre existent, ce qui n’est plus le cas après des décennies de keynésianisme dévoyé. Et aux esprits chagrins qui observent la baisse de la production qui en résulte, on doit hélas répondre que ces pays ont vécu au-dessus de leurs moyens trop longtemps, en recourant de manière excessive à l’endettement public et privé, et que l’ajustement qui se produit aujourd’hui constitue un rattrapage inévitable. L'équilibre est complexe à trouver, et les temps à venir seront de toute façon très difficiles, mais on ne construit rien sur une faillite.

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Kerdrel du Figaro a dit « Un Airbus de la finance s’écrase à cause de Bruxelles » : c’est FAUX!

En réaction à la fusion NYSE-Euronext / Deutsche Börse, que la Commission européenne semble sur le point d'interdire, Yves de Kerdrel considère dans une chronique récente que cette dernière est non seulement aveugle aux intérêts européens, mais surtout fait preuve de dogmatisme et de naïveté dans l'appréciation des règles non écrites régissant la concurrence mondiale.

Premièrement, il faut remarquer qu'Yves de Kerdrel démontre sa méconnaissance totale de l'Union européenne et de ses règles, notamment celles encadrant le contrôle des concentrations. Le cas de fusion NYSE-Euronext / Deutsche Börse ne fait ainsi pas l'objet de "directives" (à croire que la Commission ne prend que des directives…), mais d'une "décision". Ce cas n'est pas non plus "bureaucratiquement" décidé par un "obscur fonctionnaire" à blâmer, mais par les Commissaires eux-mêmes, des politiques proposés par les États-membres et adoubés par le Parlement européen démocratiquement élu.

De plus, sur le fond, le raisonnement d'Yves de Kerdrel pêche par sa contradiction, et ne répond pas à l'objection fondamentale de la Commission: comment peut-on accepter sérieusement qu'un opérateur contrôle 90% d'un marché si sensible sans se prémunir des abus que cette position plus que dominante contribuerait certainement à engendrer? Or si les marchés étaient réellement mondiaux, alors les opérateurs alternatifs décrits par Yves de Kerdrel devraient occuper une part de marché bien plus grande sur le marché européen que les 10% qu'ils détiennent actuellement. En tout état de cause, un peu de recul s'impose pour juger de la pertinence d'une décision complexe, et le jugement à l'emporte-pièce d'Yves de Kerdrel semble assis sur des arguments bien légers.

Ensuite, Les marchés financiers n'ont rien à voir avec la construction aéronautique, et le mariage proposé n'est en rien un "Airbus" de la finance car les entreprises fiancées ne détiennent pas des capacités techniques et financières réellement uniques. Les barrières à l'entrée ne sont certes pas insurmontables pour les concurrents extra-européens mais elles ne le sont pas non plus pour les concurrents intra-européens, et il n'y a pas de raison économique ou sociale valables empêchant l'émergence de nouveaux acteurs sur ce marché. Quant à la question de la réglementation des marchés financiers, le maintien d'une concurrence entre opérateurs permet précisément que la création de règles du jeu communes soit plus facilement appliquée, et qu'in fine le rôle des régulateurs s'en trouve renforcé. Le journaliste passe ainsi bien sous silence l'existence aux États-Unis d'agences fédérales en charge du contrôle des concentrations.

Au même titre, on peut également signaler que l'échec de la fusion NYSE-Deutsche Börse préserverait la vitalité des différentes plateformes européennes, et dans le cas spécifique de NYSE-Euronext / Deutsche Börse, permettrait de maintenir des activités à Paris ou à Amsterdam qui auraient été transférées pour tout ou partie à Francfort. Ces considérations autrement plus stratégiques brillent par leur absence dans la diatribe d'Yves de Kerdrel.

Enfin, Yves de Kerdrel reste obnubilé par l'interdiction par la Commission de la fusion entre Schneider et Legrand, il y a 11 ans, comme si la dernière interdiction prononcée contre des entreprises françaises était le symbole d'un acharnement bruxellois à briser toute velléité de croissance externe des champions français. Mais alors, quid des opérations BNP / Fortis, France Télécom / Orange, GDF / Suez, Air France KLM…validées sans difficultés par les "gnômes" de Bruxelles? Il est d'ailleurs à cet égard toujours triste de lire dans un grand quotidien d'informations des inepties ressassées sur l'inutilité, le coût ou encore l'aveuglement de l'administration publique communautaire, dont les événements actuels montrent plus que jamais la nécessité comme arbitre des rivalités nationales.    

Un dimanche en Europe

Les commentaires critiques sur l’Europe font florès en cette période électorale et même les candidats pro européens se font discrets sur les mérites de l’Union. A tort ou à raison, il est de bon ton d’accabler l’Union coupable de tous les maux, à commencer par la crise. Bref, l’anti européisme, comme petit livre de méthode du démagogue appliqué.

Pourtant, l’attrait de l’Europe demeure réel. En ces temps difficiles, les bonnes nouvelles ne sont pas légions mais il semble que les médias se concentrent sur les manifestations négatives et beaucoup moins sur les bonnes nouvelles. Ainsi, dimanche 22 janvier 2012, aux deux extrémités de l’Europe, des peuples ont marqué, à leur façon, leur attachement à l’Europe. Dans l’indifférence générale ou presque. En Croatie, 67% des suffrages exprimés furent en faveur de l’adhésion à l’UE. Pas mal pour une UE qui n’attire plus, dit-on. En Finlande, le parti nationaliste des Vrais Finlandais a été laminé à l’élection présidentielle. Le candidat européiste l’a emporté avec un score d’environ 37%, soit environ le double de son challenger immédiat et le deuxième tour verra s’affronter deux candidats pro européens. Et ce dans un pays membre de la zone euro et dont on disait que les citoyens refusaient la solidarité européenne.

De la même façon, en France, c’est entendu, les citoyens seraient de plus en plus europhobes. Aucun sondage ne l’a démontré et les électeurs tendent à favoriser les candidats pro européens. Toutefois, le traumatisme, justifié, du référendum constitutionnel de 2005, dont nous ne reviendrons pas ici sur les tenants très complexes,  a abouti à une interprétation abusive sur l’absence d’appétence européenne. Ce n’est pas l’Union qui fut et qui est rejetée, c’est le sentiment de ne pas être représenté, écouté et finalement de ne pas percevoir la finalité de l’ensemble. Bref, la nécessité d’introduire du politique et ce n’est pas en repliant l’Europe sur des Etats aux capacités limitées que nous retrouverons des marges d’action. Du reste, les fossoyeurs du projet politique européen, tel l’éternel apprenti président, Laurent Fabius, n’ont jamais réussi à s’imposer autrement que par des fulgurances médiatiques.

Certes, ces résultats électoraux flatteurs pour l’Union ne changent en rien la nécessité de sa réforme en profondeur. Les citoyens européens veulent une autre Europe, plus représentative et plus offensive dans un monde incertain et volatil. Mais, en creux, au-delà des déclarations tonitruantes de politiques en mal d’audience, il faut saluer ces citoyens européens qui conservent leur sang froid malgré la vague de repli sur soi sur fond de réactions émotionnelles. Dans leur sagesse apparaît un message d’espoir, l’idée que l’hyper médiatisation, et la frénésie qui en découle, n’ont pas atteint ce principe selon lequel il n’y a de politique pérenne que dans le rassemblement. Oui, un beau dimanche au milieu de l’hiver; comme une envie d’Europe.

JC