Crise, une chance pour l’Europe?

« Je suis convaincu qu’on sortira de cette crise non pas avec moins d’Europe mais avec plus d’Europe et plus d’audace politique »
Yves Thibault de Silguy

« Il nous faut un degré supérieur de vision commune »
Pierre de Lauzun

AE_Crise_090415_06s

En guise d’introduction, François d’Orcival a rappelé que cette crise a été, d’un point de vue politique, une chance pour la Présidence française  de l’Union européenne (PFUE). Une chance ou plutôt une opportunité d’agir, de proposer, de convaincre les partenaires européens du bien fondé des solutions proposées pendant la PFUE.  
Dans cette crise, on a vu les États, et les formations d’Éats nationaux, reprendre la main sur les institutions : s’est d’abord réuni un G4, puis l’Eurogroupe, auquel est venu se joindre plus tard Gordon Brown, ce fut ensuite un G16 et puis finalement le G20 de Londres.  Alors, dans cette crise, est ce que l’Europe a un rôle à jouer ? Lequel ? Et comment ? Telles sont les questions qui ont fait débat ce mercredi soir à l’École de Guerre économique, au cours de la conférence organisée par l’Atelier Europe.  Deux personnalités très impliquées dans toutes ces questions nous ont fait l’honneur d’accepter notre invitation,  Yves Thibault de Silguy et Pierre de Lauzun.  Tous deux ont insisté sur la nécessité absolue de restaurer la confiance et d’avoir au niveau européen une action coordonnée de sortie de crise.


Yves Thibault de Silguy a commencé son intervention en faisant un état des lieux de la situation : nous avons affaire à une crise mondiale (contraction du PIB mondial pour la première fois depuis 1945), et globale. Cette crise de la croissance est aussi une crise monétaire, bancaire et une crise politique, sociale, avec l’explosion du chômage.
Le patron de Vinci a dressé trois constats :
Premièrement, l’Europe n’est pas l’origine de cette crise.
Deuxièmement, le monde entier est touché, aucun pays n’y échappe (l’OCDE prévoit une
contraction de 4,1 % du PIB en 2009, toutes les places boursières ont perdu en 2008 entre 40 et 60 % de leur valeur).
Troisièmement, nous, européens, sommes une partie de la solution. « Je suis convaincu qu’on sortira de cette crise non pas avec moins d’Europe mais avec plus d’Europe et plus d’audace politique », a-t-il affirmé avec détermination.  « Nous sommes responsables de la définition et de la mise en œuvre d’un certain nombre de règles et de solutions facilitant la sortie de crise ».

Un rééquilibrage dans le domaine monétaire
Après un bref historique de l’évolution de la situation monétaire depuis 1945, Yves Thibault de Silguy a insisté sur le rééquilibrage en cours de la donne monétaire, soulignant qu’« une part croissante du commerce mondial est en train de basculer dans l’Euro » (50 % du marché monétaire se fait déjà en Euros). L’Euro a aussi un aspect « protection », il a d’ailleurs était fait pour protéger le marché unique européen. Et il a eu ce formidable rôle de protection pendant la crise.
La conséquence de ce rééquilibrage monétaire est que les Américains sont au pied du mur, notamment pour financer leur déficit budgétaire. Ce nouveau paramètre, ajouté aux autres décrits plus haut, ouvre la voie à la reconstruction d’un nouvel ordre économique et monétaire mondial.  Européens et Américains doivent travailler ensemble pour rebâtir ce nouvel ordre.
Or, dans ce processus, l’Europe a un grand rôle à jouer. Le Président Barroso soulignait avant le G20 que l’Europe a l’habitude du « transnational », la réglementation européenne étant par définition transnationale. L’Europe a ainsi tous les atouts (un marché et une monnaie uniques) pour la mise en œuvre des 4 messages qu’elle a apporté à Londres:
– s’accorder sur une stimulation forte, durable et coordonnée de l’économie pour assurer la reprise,
– rétablir la confiance dans le système financier,
– dénoncer toute forme de protectionnisme et faire avancer les négociations de Doha,
– enfin, œuvrer pour un monde plus juste en renforçant notre engagement en faveur des pays  en développement et en soutenant un rôle plus actif  du Fonds Monétaire International.

Stabilité, fiabilité, équité : l’équation pour restaurer la confiance
Quelles sont concrètement les pistes pour rebâtir notre système ? Trois mots clés: il faut plus de stabilité, plus de fiabilité et plus d’équité.
Pour la stabilité, on retiendra sa proposition de créer une agence européenne d’émission de la dette, et de coordonner les politiques économiques  (avant que les États ne mettent en place leurs budgets nationaux). 
Sur la question de la fiabilité, il y a bien sûr le problème des agences de notation.  Là encore, afin d’éviter le diktat des deux ou trois agences qui dominent le marché, il serait judicieux de créer une agence européenne. 
Enfin, sur l’équité, il y a le problème des paradis fiscaux, mais surtout la nécessité d’harmoniser les règles de la concurrence fiscale. L’Europe est très en retard sur ce dernier point.

Ces mesures, selon l’ancien Commissaire européen, vont dans le sens du rétablissement de la confiance, pour rassurer notamment les investisseurs. Or, « la croissance, c’est de la confiance », a-t-il rappelé. Les résultats de la grande réunion de Londres du 2 avril 2009 sont encourageants, de part sa composition et les orientations qui ont été fixées, cette conférence est inédite. Mais les mesures doivent à présent se concrétiser et être encadrées et contrôlées.



Faisant la transition avec l’exposé d’Yves Thibault de Silguy, Pierre de Lauzun s’est attaché à répondre à la question suivante : « Comment restaurer la confiance à l’intérieur même du système bancaire et financier ? ». Il a d’abord souligné que l’un des problèmes liés à cette crise est la question des outils de mesures. Car si cette crise est comparable à la déflagration de 1929,  tous les modèles (statistiques, etc.) ont volé en éclat.

Différence majeure par rapport à 1929: le contexte politique et diplomatique.
Poursuivant la comparaison avec la crise de 1929, Pierre de Lauzun a souligné que le G20 avait été plus positif que la conférence de Londres de 1930. Les méthodes et les mesures décidées sont sans précédent, mais tout cela ne représente qu’une étape.
Manifestement la crise est mondiale, on s’attend donc à une réponse à cet échelon là. Mais à l’échelon mondial, il n’y a pas de niveau politique ou administratif, personne ne peut édicter une règle et l’imposer à l’ensemble du monde. Le maximum que l’on puisse avoir, c’est ce qui a été fait au G20. Le niveau auquel se pose la question est donc un niveau qui ne peut être qu’un niveau de relatif consensus et pas de décision.
Pierre de Lauzun s’accorde également avec Yves Thibault de Silguy sur le fait que cette crise a vu une remontée spectaculaire des États sur le devant de la scène, du fait notamment de l’urgence d’intervention, surtout pour le sauvetage des banques. Et l’Europe dans tout ca alors ? Premièrement, l’Europe a joué un rôle d’harmonisation et de mise en symphonie des décisions nationales. Deuxièmement, le niveau européen est un maillon essentiel entre le niveau politique national et le niveau d’une problématique mondiale, comme une zone de décision juridique et de mise en place des règles sur le plan juridique.
L’autre enjeu est de peser sur les États-Unis. Le défi pour l’Europe est  d’offrir un contrepoids aux nouvelles régulations proposées par les États-Unis. Point faible pour nous, le calendrier, en raison des élections européennes. Selon Pierre de Lauzun, pour réformer à terme le capitalisme mondial, il est impératif d’avoir « un degré supérieur de vision commune ». Bref, de faire la synthèse entre les différentes sensibilités françaises, anglo-saxonnes, polonaises, espagnoles, etc., qui se sont fortement révélées pendant cette crise.  Vaste sujet !

Monsieur de Lauzun a rappelé les propositions concrètes avancées par le groupe de travail dirigé par Monsieur de Larosière (ancien directeur général du FMI, de la BERD et ancien Gouverneur de la Banque de France)
    •    Le point central, c’est la question des organismes de supervision bancaire et financière, qui n’ont pas de reconnaissance juridique actuellement. Il faut les transformer en autorité (tout en gardant leur base nationale) et donner à ces régulateurs nationaux une tâche commune européenne. Cette méthode a le mérite de reconnaître d’une part la responsabilité première de régulation au niveau national, et en même temps la nécessité de coopérer au niveau européen pour que cela soit efficace.

    •    Une politique commune de gestion du marché : Créer un nouveau comité chargé des risques systémiques (afin de prévenir le risque de résonance entre les marchés). La Commission de la Rozière propose de confier ce comité aux gouverneurs des banques centrales et de le placer sous l’égide de la BCE, qui doit avoir un véritable rôle fiduciaire sur les banques.

    •    L’insertion dans l’architecture mondiale afin que l’Europe ait un impact sur la structuration du marché financier de demain : dans les 5 ans à venir, il faut revoir la législation bancaire et financière européenne, là où elle n’existe pas, et là où elle est mal adaptée, afin d’avoir une version cohérente avec ce qui se passe au niveau mondial.

Car le marché n’est pas auto-organisé. Il a besoin de règles pour fonctionner. C’est le mythe qui a explosé avec cette crise.

Camille Roux
Vice-présidente de l'Atelier Europe


Des photos sont visibles ici.