Cessons de tergiverser: pas d’Union monétaire possible sans une véritable union économique !

Enfin, les vraies questions sont posées. Il ne saurait, en effet, y avoir de monnaie unique sans évaluation, rapprochement et coordination des situations budgétaires des différents États concourant à la zone Euro. En la circonstance, la susceptibilité souveraine est une position qui, au vue des éléments actuels parait difficilement tenable pour ne pas dire totalement irresponsable. L’Histoire récente nous démontre, en effet, s’il le fallait que la négligence, l’irresponsabilité, la prévarication peuvent être des pratiques fortement usitées même en Europe. Les faits sont éloquents. Souveraineté oblige, bon nombre d’États ont cru assurer leur liberté économique en ne respectant absolument pas les obligations auxquelles ils avaient volontairement souscrit en adhérant à la zone euro. Certains ont même frauduleusement manipulé les données relatives aux comptes publics. De surcroit, ils ont contribué à pénaliser les autres États membres appelés en appel de passif! Et réduit à bien de peu de chose la confiance mutuelle sans laquelle l'UE ne saurait fonctionner. Reconnaissons néanmoins que cette crise, qui était prévisible, aura le mérite de faire avancer significativement la construction européenne dans une logique plus intégrante. Il faut rompre avec le chacun pour soi budgétaire et donner enfin à l'Europe les moyens d'une véritable politique économique. Ce que les politiques n’avaient pas réussi à faire, les circonstances du moment pourraient l’imposer.

Loïc Tribot La Spière, Délégué général du CEPS

Jérôme Cloarec, Président de l'Atelier Europe

Pour une Europe digne du XXIème siècle

[Tribune publiée dans la Libre Belgique le 6 mai 2010]

Nous allons célébrer, le 9 mai prochain, le soixantième anniversaire de la Déclaration Schuman. Il convient de saluer ce pas de géant dans l'histoire européenne. Après des siècles de divisions, de guerres intestines et d’une longue quête spirituelle et morale, l'Europe décidait enfin de s’inscrire dans une dynamique durable d'unité et de paix. Le projet de Robert Schuman dépassait, en effet, largement la simple perspective économique. La Communauté européenne du Charbon et de l'Acier, proposée à l'Allemagne et à la France, se voulait être un projet concret de civilisation fondé sur la méthode des petits pas, qui ambitionnait ni plus ni moins de jeter les bases d'une dynamique intégratrice permettant d'aboutir à terme à l'unité politique du continent dans une volonté de réunir les peuples de manière plus étroite tout en respectant la diversité de leur culture et de leur histoire nationale.

Soixante ans après la Déclaration, le projet européen a très largement prospéré. L'Europe a atteint un degré d'intégration inédit et, cette fois, non pas par la guerre et la conquête mais par l'acceptation pacifique d'une destinée commune. L'UE est une incroyable mosaïque composée de 27 membres, d’États ayant à leur actif une histoire, une culture, des traditions, pour certains, millénaires, et qui a su se doter d'un Parlement, d'une administration, d’une monnaie, d’un service d'actions extérieures…

Pourtant, l'Europe ne fait plus l'objet d'un large consensus en son sein. Il est désormais de bon ton d'accabler l'UE de tous les maux: la mondialisation, dont elle serait le cheval de Troie, la bureaucratie dominante, la perte d'identité… Les avancées incontestables offertes par l'Europe sont ignorées voir même réfutées comme si l’Europe était perçue comme un mythe, considérée comme un bouc émissaire. Même les européistes en conviennent, l'Europe est en jachère faute de perspectives claires et d'organisation optimale, bref de leadership.

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Pour l’Europe

La construction européenne est à un tournant de son Histoire. Soixante ans après l'appel à l'unité lancé par Robert Schuman, alors Ministre français des affaires étrangères, la crise économique semble dissoudre inexorablement l'édifice européen, et faire ressurgir les égoïsmes nationaux annonciateurs de haines assoupies depuis un siècle. L'Europe se trouve ainsi brutalement renvoyée à son passé: celui d'une collection d'Etats-nations rivaux, fondamentalement étrangers l'un à l'autre, et séparés de leurs voisins par tous les degrés de la richesse et de la puissance. Cette désagrégation représente une menace directe pour le bien-être et la sécurité de l'ensemble des Européens.

Le moment est donc venu de faire le bilan de six décennies de construction européenne et de tracer des perspectives d'avenir. L'enjeu n'est rien moins que la survie de l'Europe au XXIè siècle.

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Le beurre, et l’argent du beurre ou comment nous avons fait l’intégration européenne sans l’union politique

La crise grecque vient nous rappeler cruellement la nécessité d'avancer sur l'union politique. On en est très loin aujourd'hui, mais c'est précisément parce que nous n'avons pas accepté de payer ce prix politique du projet européen. Chacun veut les avantages de l'UE sans en tirer les conséquences en termes de souveraineté. Bref, chacun veut le beurre et l'argent du beurre. On nous dit que le peuple n'y est pas prêt, mais on notera surtout une classe politique incapable d'évoluer et de trancher sur ce sujet. Cette crise en est bien la dernière illustration. Or sans gouvernement économique, qui peut croire que l'Euro pourra fonctionner sur le long terme? Il en est de même pour l'UE dans son ensemble : on a fait l'intégration géographique au détriment de celle politique, car cela était plus facile, acceptable et que nos dirigeants avaient alors peu de vision stratégique de l'Europe. Nous pouvons mesurer aujourd'hui les conséquences de ce choix, le risque d'anéantissement de l'UE est réel. Non pas sa disparition, mais pire, son impuissance et son invisibilité en tant que grand acteur international. Déjà, sur peu de sujets, l'Europe est forte, crédible, et audible.

Cette crise grecque fait remonter à la surface un certain nombre de débats dans les opinions publiques européennes.  Tout d'abord : celui de la remise en cause de l'élargissement. A l'époque déjà, le débat opposait partisans de l'extension géographique immédiate contre ceux qui souhaitaient d'abord impérativement approfondir l'intégration européenne, c'est-à-dire réformer les institutions. Le dernier élargissement, et notamment aux pays d'Europe centrale et orientale, était non seulement une réparation des accidents de l'histoire, un devoir moral et nous disait-on alors, une condition pour établir l'harmonie économique et sociale entre tous les pays du continent européen. On nous promettait sinon d'avoir à nos frontières un vaste no man's land criminalisé, dans lequel fleuriraient les mafias en tout genre, et qui ferait peser sur nos économies un risque de dumping social très fort. Bref, il fallait élargir coûte que coûte, avant de réfléchir aux conséquences institutionnelles d'une telle extension géographique, au risque de se voir s'établir un nouveau rideau de fer, économique. L'ouverture des frontières et l'intégration devaient profiter au rattrapage économique des pays de l'ancien bloc de l'Est. Sans mettre de côté le choc violent qu'a été pour ces pays la transition économique des années 90, la majorité d'entre eux ont rattrapé de manière fulgurante leur retard (Hongrie, République tchèque) même si d'autres restent encore bien à la traîne (Bulgarie, Roumanie).

Cela dit, la dissymétrie économique et sociale qui persiste entre l'Est et l'Ouest fait douter une partie de l'opinion publique de la réussite des politiques d'élargissement et de leur intérêt au niveau national (pour chaque État membre), beaucoup d'entreprises d'Europe occidentale étant victimes des délocalisations massives à l'Est de l'ancien rideau de fer. Derrière cette remise en cause de l'élargissement, se cache une remise en cause du principe de solidarité européenne, un certain « I want my money back » flotte sur le drapeau bleu et jaune. N'a-t-on d'ailleurs pas lu, dans une certaine presse allemande, la proposition de faire sortir la Grèce de la zone Euro ? Beaucoup ont également souligné le fait que les subsides européens reçus n'ont pas servi un nouveau dynamisme économique et industriel (sur le modèle irlandais), et qu'au passage, la Commission a failli dans son rôle de superviseur économique, afin de vérifier le juste emploi des sommes allouées à la Grèce. Élargissement, solidarité : tous ces principes sont remis en cause aujourd'hui justement parce qu'on a tardé à se pencher davantage sur l'union politique. Cette désillusion de l'élargissement devrait faire comprendre aux angéliques défenseurs d'une UE aux frontières infinies que l'absence de cohérence politique, économique et culturelle fait peser un risque sur le système dans son ensemble. Plus prosaïquement, "la maison brûle », et ce n'est donc clairement pas le moment de disperser nos forces,  n'en déplaise à M. Zapatero, qui n'a rien trouvé de mieux pour exister que de relancer la candidature turque.
Autre  débat qui refait surface : celui de la disparition de l'Euro, pourtant dernière grande réalisation européenne (voir sur ce sujet l'article de l'Atelier signé par Quentin Perret).

Dans ce contexte délétère, il semble n'y avoir que deux options: le repli national ou se fixer l'objectif d'un gouvernement européen, avec, comme étape intermédiaire, une phase de consolidation de l'acquis communautaire, désormais menacé, puisque les conditions politiques ne sont pas encore réunies pour aller plus loin. Aujourd'hui, nous sommes clairement dans l'option  nationale. Pourtant, cela ne peut nous mener qu'à l'impasse, en tout cas à une encore plus grande marginalisation de l'UE dans l'arène mondiale. Partout en Europe, les forces centrifuges sont d'une incroyable violence, tout le monde cogne à tout va sur l'Europe, à tout propos, et notamment à Paris; on se gargarise de la France éternelle, de la nation, de l'état psychologique de Jeanne d'Arc et de la vie sexuelle de Michelet, et peu de plumes de la presse française, plutôt que de se faire l'écho de toutes ces polémiques d'enterrement de l'Europe, rappellent le projet de civilisation qu'est l'UE. De l'autisme pur.  Du défaitisme. Du suivisme par manque de rigueur intellectuelle et d'esprit visionnaire.

Ceux qui, comme nous à l'Atelier, défendent l'UE comme unique condition pour se battre dans la guerre économique mondiale tout en restant un phare de civilisation et d'humanisme devant ce grand déballage financier, doivent tenir bon.  Et s'il est toujours plus difficile d'aller à l'encontre des vents dominants, il y a quelque noblesse à se battre pour le seul motif d'espoir pour notre continent en ce début de siècle. Il faut sortir la tête du guidon médiatique, prendre de la hauteur et préparer l'avenir. Or, le choix de l'Europe, c'est celui de l'action contre le défaitisme; s'il faut repenser tout le système pour que tout cela fonctionne, allons-y, car enfin  que diable, on ne compte pas ses efforts quand on joue sa survie! Et, à écouter  la classe politique française, de Guaino à Besancenot, il est clair que la naïveté n'est pas là où on le croit.

Jérôme Cloarec et Camille Roux

Un petit goût d’Ancien Régime

La nomination de M. Herman Van Rompuy et la
Baronne Catherine Ashton aux postes créés par le Traité de Lisbonne ainsi que
la composition de la nouvelle Commission européenne ont offert un spectacle
profondément affligeant. Tant par ses manifestations que par ses silences. Les
spéculations sont allées bon train, avec un degré de légèreté et d'incertitude «
gourmande » impropres à la gravité du sujet. Surtout, l'absence d'information,
y compris dans les milieux bruxellois, traduit l'étrangeté du processus, en
l'occurrence des conciliabules dignes du Congrès de Vienne ! Silence, les
Grands décident et que le bon peuple retienne son souffle !

Constatons et regrettons tout à la fois que
cette méthode semble être conforme à la tradition bureaucratique opaque de
l'UE. En effet, si le contexte des années 1950 a nécessité un fonctionnement
plus technocratique que politique, néanmoins il veillait à assurer une certaine
cohésion entre les États membres fondée sur le principe d'égalité. Ici, nous
assistons à un morcellement de l'UE sous forme de coalitions diverses : le
couple franco allemand, la Grande-Bretagne et les Pays nordiques, les nouveaux États membres, etc. Au terme de ce processus, il n'est pas exclu que certains
gouvernements nourrissent quelques ressentiments à l'encontre du choix des
heureux élus. 

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