1- Les ressources gazières du Levant ont été réévaluées au cours des dernières années
Le bassin du Levant a fait l’objet d’un regain d’intérêt dans les années 2000, notamment grâce aux progrès de l’imagerie sismique.
Une réévaluation du bassin a ainsi été réalisée en 2010 par l’US Geological Survey (USGS), en s’appuyant sur les données géologiques récentes et les résultats de l’exploration pétrolière. Ce bassin, à la fois onshore et offshore, couvre une superficie de 83 000 km2 (la moitié du bassin parisien). Selon l’USGS, les ressources récupérables (*) avec une probabilité de 95% seraient de 483 millions de barils (Mb) de pétrole (+1 226 Mb de liquides de gaz naturel) et de 1 400 milliards de m3 (Gm3) de gaz (**).
Parallèlement, plusieurs découvertes importantes ont été faites au large d’Israël par des consortiums menés par l’américain Noble Energy. Il s’agit essentiellement des champs de Tamar, découvert en 2009, dont les réserves prouvées sont évaluées à 190 Gm3, et du champ de Leviathan, découvert en 2010, dont les réserves sont estimées à 450 Gm3.
2- La situation de Chypre
Chypre se situe à proximité de trois bassins sédimentaires : le bassin du Levant, le bassin du Delta du Nil et le bassin d'Hérodote. Les réserves ultimes du premier bassin s'élèveraient selon l'USGS à 1,7 milliard de barils de brut et 3 400 millards m3 de gaz, celles du deuxième à également 1,7 milliard de barils de brut et 6 200 milliards m3 de gaz. Pour le troisième, situé au sud-ouest de Chypre, aucune donné n'est encore disponible.
En 2006, la société norvégienne PGS (Petroleum Geo-Services) a collecté des données au large de Chypre. Ces données ont été interprétées par Beicip-Franlab, d'où il ressort que 14 zones pourraient détenir des hydrocarbures par environ 2500 mètres de profondeur.
Un premier appel d'offres a été lancé en février 2007, dans le cadre duquel la société américaine Noble Energy s'est vue attribuer une licence d'exploration sur le bloc 12 (unique bloc à avoir été attribué). Les premiers forages d'exploration ont eu lieu en septembre 2011 et Noble Energy a annoncé en décembre dernier la découverte du gisement Aphrodite, dont les réserves pourraient atteindre 200 Mrds m3. Il s'agirait d'un gaz d'excellente qualité.
Un second appel d'offres a été lancé en février dernier. La date limite de dépôt des offres avait été fixée au 11 mai, les autorités chypriotes s'étant données six mois pour étudier les différentes offres. Le cadre contractuel offert par Chypre aux soumissionnaires est plutôt attractif : il s'agit d'accords de partage de production. Les licences d'exploration sont d'une durée maximale de sept ans. Les éventuelles licences d'exploitation porteront sur une période de 25 ans, renouvelable pour 10 ans.
Si l'ampleur des premières découvertes était confirmé et suivi d'autres succès, les réserves chypriotes excéderaient de loin les besoins du pays : ce dernier se retrouverait ainsi en position de pays exportateur, susceptible de contribuer à l'approvisionnement du reste de l'Europe. Chypre envisage de créer d'ici à la fin de l'année une société pétro-gazière nationale.
3- Un potentiel de production important, qui permettra d’abord de satisfaire l’augmentation de la demande locale
À l’heure actuelle, Chypre ne consomme pas de gaz. Les forages sur le bloc 12 ont commencé en septembre 2011 avec un début d’exploitation qui pourrait intervenir en 2018-2019 si les résultats sont positifs.
Chypre étudie la possibilité de se doter d’un terminal de regazéification (qui pourrait le cas échéant être reconverti en terminal de liquéfaction ultérieurement) en vue d’assurer son approvisionnement d’ici le lancement de la production domestique de gaz.
Dans une perspective de plus long terme (2020 au plus tôt), se pose la question de l'exportation de la future production gazière chypriote. La solution la plus rentable sur le plan économique serait un raccordement au réseau gazier turc. Cette solution étant pour le moment bloquée en raison du conflit turco-chypriote (voir plus bas), la construction d'un gazoduc jusqu'à la côte grecque – solution a priori complexe et donc coûteuse – est envisagée. La dernière option serait la construction à Chypre d’un terminal GNL de liquéfaction, qui servirait à la fois à exporter du gaz de Chypre et d’Israël. Cette solution a été proposée en janvier dernier par l’israélien Delek Energy group. Ces réflexions, qui sont légitimées par la taille des gisements de Tamar et Leviathan (dont la production estimée pourrait à terme atteindre 30 Gm3, soit 6 fois la demande israélienne actuelle), sont actuellement à un stade très préliminaire.
4- La délimitation des espaces maritimes de la région est toutefois génératrice de tensions
Les premiers forages d'exploration au large de Chypre ont fait l'objet de vives protestations de la part de la Turquie, qui ne reconnaît pas la République de Chypre.
L’exploitation des réserves d’hydrocarbures offshore en Méditerranée orientale pose plus généralement le problème de la délimitation des frontières maritimes, dans un contexte de tensions diplomatiques entre les différents pays de la région.
Le différend porte sur la définition des zones économiques exclusives (ZEE) qui, selon le droit international, doivent être définies par des traités entre pays voisins. L’état des discussions est le suivant :
Chypre a conclu avec l'Égypte un premier accord de délimitation de ZEE dès février 2003. L'accord de janvier 2007 délimitant les eaux territoriales de Chypre et du Liban (ratifié par Chypre, mais non le Liban) a été contesté par la Turquie au motif qu'il portait sur l'ensemble de l'île de Chypre (***). Israël et Chypre ont signé un accord en décembre 2010, qui n’est pas encore ratifié.
Le principal désaccord porte sur la délimitation de la zone économique exclusive de Chypre, qui est contestée par la Turquie, au motif notamment qu’elle porte sur l’ensemble de l’île de Chypre ; la Turquie a récemment qualifié le début des forages au large de Chypre de « provocation ».
Les compagnies gazières pourraient se montrer réticentes à investir en l’absence d’un cadre juridique sûr pour leur activité. À ce jour, les entreprises présentes dans la zone sont plutôt des acteurs de taille modeste (Noble, Delek, …). Total n’exclut toutefois pas de répondre aux appels d’offres à venir.
Annexes:
Principaux champs gaziers au stade de l’exploration ou de l’exploitation dans la zone
Cartes - Les perspectives gazières à Chypre
* : Volumes techniquement récupérables, sans prise en compte des contraintes économiques.
** : A titre de comparaison, les réserves prouvées de la Norvège sont de 2 000 Gm3.
*** : La partie grecque de l’île est membre de l’UE depuis mai 2004 et la république turque du nord de Chypre (RTCN), créée suite à l’intervention de l’armée turque en 1974, est reconnue par la seule Turquie. Le 19 septembre dernier, celle-ci a vivement réagi aux projets chypriotes d’exploration de gaz et de pétrole en coordination avec Israël et a décidé le 26 septembre d’entamer des explorations, après un accord avec la RTCN.