Pour faire évoluer en France la dialectique entre élargissement et approfondissement de l’UE, faisons-en un enjeu de campagne

Par Aymeric Bourdin et Michael Malherbe

(article rédigé en novembre 2023)

Alors que les récentes agressions contre les Ukrainiens, les Arméniens et les Juifs posent à nouveau avec acuité la question ancienne de la responsabilité de l’Europe dans le maintien de la paix dans son environnement proche, les chefs d’État et de gouvernement ont abordé lors du Sommet de Grenade en octobre dernier le sujet des élargissements à venir de l’UE.

Méthode renouvelée, processus graduel d’adhésion, équilibre entre citoyenneté et accès au marché intérieur : une nouvelle approche est en cours d’élaboration. Souhaitant répondre à la donne géopolitique actuelle, le Président du Conseil européen s’est même engagé publiquement pour la première fois sur une date pour l’intégration d’un nouveau groupe de pays dont les Balkans occidentaux et l’Ukraine : ce sera 2030.

Si la question de l’élargissement nous paraît entièrement légitime, appropriée aux crises qui s’enchaînent et au monde qui vient, nous souhaitons que les réponses données ne soient pas dictées par des réflexes pavloviens et contribuent à alimenter un débat démocratique.

La construction européenne a toujours su tracer un chemin à travers la dialectique des élargissements et des approfondissements. À chaque étape, de nouvelles ambitions, répondant à de nouveaux enjeux, ont suscité de nouvelles politiques communes : marché intérieur, monnaie unique, investissements partagés… Qu’en est-il aujourd’hui du projet européen, dont la raison d’être reste la paix ?

Le projet de la construction européenne

Avant de s’engager à corps perdus dans de nouveaux élargissements, les citoyens doivent s’interroger : ne prend-on pas le risque d’une fuite en avant, de la poursuite d’un projet de substitution pour une union qui ne parviendrait plus à devenir « sans cesse plus étroite » ? Quoi qu’il en soit, la politique d’élargissement ne peut pas et ne doit pas tenir lieu de projet pour l’Union européenne. Cela prêterait le flanc au procès d’impérialisme par la norme qui lui est parfois intenté.

Il s’agit donc d’abord de poser sur la table les intérêts de l’Europe aujourd’hui. La question est intérieure mais aussi et surtout internationale. Alors que le projet des années post-1945 visait avant tout à juguler par des solidarités de fait les dérives nationalistes qui avaient ensanglanté le XXe siècle, celui du XXIe siècle doit tourner vers le monde extérieur une puissance européenne unie dans la diversité de ses valeurs. Pour faire face aux défis majeurs de notre temps, l’Union européenne doit donc redéfinir les réponses aux pressions qui pèsent sur son modèle de croissance et de démocratie, ses valeurs d’ouverture, ses territoires et son projet pour le climat.

Répondre aux défis posés par la Russie

Si la motivation de l’élargissement à l’Est est de nature d’abord sécuritaire, l’intégration à l’UE ne nous semble pas – en tout cas pas seulement – la réponse adéquate. En l’état actuel du développement d’une organisation de Défense commune, c’est bien plutôt une adhésion à l’OTAN à laquelle devrait aboutir le fier combat de l’Ukraine pour sanctuariser définitivement son territoire. Bien que l’article 42 du Traité sur l’UE mentionne une clause de solidarité mutuelle en cas d’attaque, l’intégration à l’UE ne nous semble pas pouvoir être aujourd’hui motivée par un besoin de sécurité militaire, sans oublier qu’une adhésion à l’UE ne peut se faire que sur la base d’un État en paix avec son voisinage.

Au-delà des références et des attachements historiques, la question posée implique de définir ce que sera demain la maison commune des Européens. Là encore, il nous faut trouver comment dépasser l’opposition entre la citoyenneté et le marché dans laquelle se sont trop souvent enfermés les tenants d’une solution essentiellement économique aux problèmes européens et les partisans d’une réforme institutionnelle comme remède miracle aux maux des sociétés.

Enfin, qu’est-ce qui unit les Européens, sinon la perspective d’une mise en commun renforcée des solutions aux problèmes de leur époque ? Si pour les spécialistes, la construction européenne est un corpus de traités et de directives, pour les citoyens, seuls l’utilité et la pertinence des réalisations concrètes perçues peuvent justifier un tel investissement politique.

Réviser les modalités de la dialectique élargissement / approfondissement

Dans le moteur des élargissements à venir, le carburant des motivations économiques ne peut plus suffire. Pour parler clairement, les élargissements ne peuvent pas tenir lieu de projet de remplacement pour une Allemagne qui a perdu l’accès à son énergie en provenance de Russie et est en train de perdre ses débouchés chinois, même s’il est indéniable et souhaitable que la reconstruction de l’Ukraine et le développement des nouveaux pays candidats, notamment dans les Balkans, constituent des opportunités et des débouchés pour les marchés, mais également de la main-d’œuvre. Évidemment, il est encore difficile d’utiliser ces arguments qui pèsent peu face aux atrocités des guerres qui ont frappé les Balkans par le passé et l’Ukraine actuellement ; ils n’en constituent pas moins des faits à intégrer à une réflexion de long terme.

L’élargissement continué par d’autres moyens

En outre, la relance des élargissements peut être le moment d’évaluer les opportunités et les modalités d’évolution tant de la politique de voisinage que de la communauté politique européenne (CPE). Ne répétons pas les erreurs du passé, en voulant faire de la politique d’élargissement ce qu’elle n’est pas censée être, comme ce fut le cas lors de l’ouverture d’une procédure d’adhésion avec la Turquie, avec laquelle la relation est essentielle mais dont l’issue de l’intégration à l’UE ne sera sans doute jamais réalisée. Les possibilités de dialogue, d’intégration, de convergence stratégique ou politique se sont démultipliées et nous conduisent à repenser la méthode d’élargissement.

Adhésion graduelle : le discours et la méthode

Dans la pratique, la question séduisante de gains politiques et symboliques rapides permise par une adhésion graduelle ne doit pas conduire à se fourvoyer. Inverser la logique traditionnelle voudrait dire que l’on devient d’abord un consommateur du marché unique européen avant de devenir un citoyen de l’Union. Est-ce vraiment ce que l’on souhaite ? Viser à ce que les citoyens des pays candidats se sentent « membres de la famille » européenne avant que leurs pays ne franchissent tous les obstacles de la transposition du droit communautaire et de la mise à niveau de leur économie, n’en implique pas moins des efforts et un chemin à parcourir très importants.

Une autre dimension essentielle de l’adhésion graduelle réside dans une intégration volontariste et rapide des pays candidats dans les institutions de l’UE, en particulier dans les domaines où les obstacles juridiques et économiques sont moins élevés. Cela pourrait inclure la politique étrangère et de sécurité commune, où la coopération est cruciale dans un contexte géopolitique tendu. Cependant, cette intégration doit être impérativement conditionnée par une adhésion sincère aux valeurs et aux orientations stratégiques de l’Union, ainsi, il faut le dire, que par des réformes internes de l’UE pour éviter les risques de blocage causés par les stratégies de chantage de certains États membres.

Renforcer la Politique de voisinage et investir la Communauté politique européenne

Centrée sur la stabilisation de son voisinage, la Politique européenne de voisinage, lancée en 2004, avait pour ambition de travailler sur trois priorités de coopération : le développement économique, la dimension “sécurité” ainsi que les migrations et la mobilité. Elle promouvait ainsi des réformes dans les domaines de la gouvernance, de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme, au moyen d’une aide financière à destination des pays partenaires. En 2015, face à un bilan alors mitigé, cette politique a fait l’objet d’un profond réexamen. Elle vise désormais à “promouvoir des réformes avec chaque partenaire sous des formes arrêtées mutuellement”. C’est à un investissement massif en ressources humaines, financières et technologiques qu’il faudrait sans doute désormais procéder pour faire de cette politique le fer de lance de la future politique étrangère commune d’un ensemble de 450 millions d’habitants.

Un espace de dialogue, de décision et de négociation ouvert

Par ailleurs, proposée le 9 mai 2022 par le Président de la République, la Communauté politique européenne (CPE) qui a pour ambition de renforcer la coopération et le dialogue entre l’ensemble des pays du continent européen, doit viser à favoriser la convergence et à développer des projets concrets de coopération dans de nombreux domaines d’intérêt commun. C’est là que doivent se décider les modalités de protection des infrastructures critiques, de lutte contre les menaces cyber et la désinformation, de résilience énergétique, de rapprochement des jeunesses à travers le continent, de coopération migratoire, de coordination sur les grands sujets régionaux et de soutien à la reconstruction de l’Ukraine. Il s’agit là bien d’un espace de dialogue, de négociation et de décision ouvert où sera forgée une culture de gouvernance commune avec les pays voisins de l’UE, à condition que des moyens politiques et financiers à la hauteur du défi soient fournis.

La situation est bien décrite par Jean-François Drevet dans son article pour la Revue Futuribles, (Novembre 2023) « Au-delà de ses limites, dont l’expansion indéfinie ne peut pas être la solution, elle (l’Europe) ne doit plus tarder à construire un système continental, une architecture créatrice de paix dans la durée, qui soit adaptée aux problèmes spécifiques du voisinage. C’est pourquoi s’impose la construction d’un partenariat opérationnel avec le voisinage, dans le cadre paneuropéen qui n’implique pas nécessairement l’adhésion, ni même l’imitation de ses politiques. En revanche, elle doit apporter à tous ceux qui veulent y participer, un supplément de sécurité, quel que soit le pays concerné et la qualité de sa démocratie. Qu’elle prenne la forme d’une union politique ou d’une organisation de coopération régionale plus classique, elle devrait représenter, pour le futur Haut représentant, une tâche prioritaire. ».

L’élargissement, occasion d’un débat public et citoyen

Dans la perspective du débat public des élections européennes de juin 2024, pour l’instant aucune force politique ne semble vouloir se saisir de la question des élargissements à venir, alors qu’il s’agit d’une occasion unique de faire un choix de société, de permettre que le processus, lancé par les décideurs du Conseil, soit repris par les responsables politiques nationaux, afin d’en faire l’un des enjeux démocratiques du projet européen. Si le débat était mis sur la table, les risques et les bénéfices attendus ne devraient pas être éludés, ni pour les 27, ni pour les États candidats.

Quelles que soient les options défendues, les opinions publiques devraient être davantage sensibilisées aux enjeux géopolitiques de l’UE et aux conséquences des élargissements, pour une meilleure compréhension des avantages apportés par l’UE, mais aussi des nombreux défis qui l’attendent.

On entend ici et là que la France doit surmonter ses réserves traditionnelles envers l’élargissement. Sa vision de la « France en grand » ayant longtemps prévalu et les Français craignant que l’élargissement ne dilue son influence au sein de l’UE, il faudrait enfin changer de regard et que Paris adopte une vision plus communautaire de l’Europe. S’il est essentiel que la France clarifie son approche vis-à-vis de ses partenaires de l’UE, il est également légitime qu’elle fasse valoir sa spécificité en matière de politique étrangère et de voisinage.

Réinterroger les méthodes traditionnelles et s’adapter aux réalités contemporaines, avec le soutien des opinions publiques, est un défi de long terme dont les points de fixation se cristalliseront à coup sûr d’une manière ou d’une autre dans les urnes au mois de juin. Pour éviter les conséquences d’une critique cinglante de décisions qualifiées de technocratiques sur des enjeux aussi cruciaux, informer, sensibiliser et intégrer l’opinion publique à cet élargissement historique et à ses conséquences pour le projet européen est sans doute le plus sûr chemin à parcourir, quoique difficile, pour assurer la pérennité de l’Europe dans un monde en évolution rapide et imprévisible.

De la question du casting des têtes de liste aux élections européennes

par Michaël Malherbe, Secrétaire Général

On croit trop souvent, à tort, que le rôle des médias consiste à fixer l’agenda, à nous dire à quoi il faut penser chaque jour au fil des actualités. Mais en réalité, le fantasme de « l’agenda » qui nous est imposé ne résiste pas au mur des faits et aux murmures des réseaux. Les médiateurs tentent tout au plus de définir un cadre pour nous donner les moyens de comprendre et d’interpréter le fil des événements dans un récit qui donne un tant soit peu de sens, tant en termes de signification que de direction.

Le dilemme des rédacteurs en chef

Alors, justement, passons aux travaux pratiques en prenant le sujet des futures élections européennes. Puisque nul ne peut dominer le torrent des informations, quels cadres narratifs est-il possible de construire et de soumettre aux réactions du public ? C’est le dilemme auquel sont confrontés autant les rédacteurs en chef que les chefs d’état-major des partis politiques, s’ils sont encore assez nombreux pour s’interroger, à ce stade de la pré-campagne, sur le scrutin européen. Que faire en cette période de rentrée dominée par mille autres séquences mille fois réinterprétées par les acteurs du débat public ?

Faisons l’hypothèse que l’une des possibilités serait, en toute bonne logique, de s’intéresser au vaste monde des idées. Il conviendrait de réfléchir aux enjeux qui feront l’élection, aux lignes de fractures qui façonneront les voix, aux sujets qui pourraient, malheureusement pour qui pourrait y songer, dicter l’agenda, etc. L’erreur serait de croire que la plupart des acteurs ont la motivation, le temps, l’intérêt ou la volonté de se plonger dans de telles douleurs pour accoucher de nouvelles idées, si une telle chose était vraiment possible. D’autres se chargeront de l’exercice fastidieux des programmes électoraux.

La question des candidats comme cadre de narration

Mais alors, que reste-t-il comme possibilité, à ce stade d’un scrutin très lointain, pour tenter d’intéresser et de donner matière à réflexion ? C’est là justement que la question des candidats, et plus particulièrement des têtes de liste aux élections européennes, apparaît comme le cadre de narration et d’interprétation raisonnablement adapté au moment. Quoique les difficultés ne soient pas moindres, nous allons le voir, pour la composition des mesures phares, le choix des candidats, c’est ce que nous nous proposons de démontrer, fait l’objet d’une évolution tout à fait singulière.

Pendant très longtemps, le scrutin européen a été considéré par les chercheurs en sciences politiques comme des élections de second ordre, c’est-à-dire des élections moins importantes dans lesquelles les différents acteurs, responsables politiques, médiateurs et surtout électeurs investissent moins. D’où le spectre largement infondé du déficit démocratique de l’UE. Nous ne prétendons pas démontrer que ce cadre d’analyse est dépassé, mais pourquoi ne pas tenter de le challenger, de confronter ces idées aux faits pour voir s’il reste quelque chose de pertinent.

Par le passé, guère de suspens, un enfer médiatique

Venons-en au sujet de notre démarche, les candidats aux élections européennes. Par le passé, il n’y avait guère de suspens, un enfer médiatique, une morne plaine pour tenter de raconter le scrutin. La plupart des têtes de liste étaient naturellement choisies parmi les chefs de parti. Prenons pour illustrer les cas de figure des candidats qui ont traversé différemment ce rite de passage d’un cursus honorum vers les élections présidentielles, dont les candidats naturels dans leur famille politique ne pouvaient pas faire l’impasse. Pour devenir président de la République, il convenait de s’être frotté au scrutin auparavant, outre les élections locales, idéalement municipales, les élections européennes étaient aussi dorénavant considérées dans l’évaluation du « potentiel électoral » des candidats, testés grandeur nature par les écuries présidentielles.

D’un côté, les élections européennes furent un tombeau présidentiel pour Michel Rocard, tête de liste du PS en 1994 pour lever définitivement l’hypothèque, tandis que la tentative infructueuse en termes de performance électorale pour Nicolas Sarkozy lors du scrutin suivant en 1999 ne l’empêchera pas, plus d’une décennie plus tard, d’être finalement élu à la présidence nationale. Ne s’agirait-il pas là d’une sorte d’hommage du vice de ces satanées élections présidentielles à la vertu du scrutin civique des européennes ? Aux vainqueurs qui ont su jeter les dés, prendre des risques et parier reviennent les butins.

Le logiciel français bugge sans cesse obstinément sur la seule Présidentielle

À l’aune des derniers scrutins européens, peut-on toujours faire l’hypothèse que le logiciel français, qui bugge sans cesse obstinément sur la seule présidentielle, la seule élection que tout candidat n’aurait qu’en tête, est toujours d’actualité ? Ce serait faire un pacte faustien que de se refuser à voir l’évidence. Considérons, par exemple, les résultats du scrutin en 2014. La première fois lors d’élections nationales, la liste du FN arrive en tête, devant toutes les autres, constituant ainsi, pour la cheffe de parti, candidate naturelle aux élections européennes « intermédiaires », Marine Le Pen, la rampe de lancement aux futures élections présidentielles. Par parenthèse, ce cadre d’analyse semble sans doute plus pertinent que la malheureuse interprétation selon laquelle le FN serait devenu de facto le premier parti de France, quand on sait qu’au cours de la mandature 2014-2019, le FN perdra 9 de ses 24 élus, entre les départs vers d’autres partis et les exclusions, à la suite de fréquentes querelles intestines.

Des têtes de liste qui renouvellent largement les générations

Considérons maintenant les élections européennes, encore très lointaines, bien entendu, mais dont on entend, si l’on tend bien l’oreille, quelques échos. Pourrions- nous interpréter comme une relative nouveauté, les têtes d’affiche sur la grille de départ, à ce moment de l’échéance ? De quoi s’agit-il ? D’une conjonction, qui n’est pas seulement une coïncidence, de la plupart des forces politiques d’envisager pour leur propre liste respective des têtes de liste qui renouvellent largement les générations. Excusez la tentative de forcer la démonstration mais de gauche à droite : Manon Aubry, LFI, 34 ans, eurodéputée sortante ; Marie Toussaint, EELV, 36 ans ; Raphaël Glucksmann, 43 ans, pour le PS, eurodéputé sortant ; Stéphane Séjourné, Renaissance, 38 ans, eurodéputé sortant ; François-Xavier Bellamy, 38 ans, Les Républicains, eurodéputé sortant et enfin Jordan Bardella, 28 ans, eurodéputé sortant, la plus jeune tête de liste confirmée, tandis que la plupart des noms mentionnés attendent que leur heure vienne.

Ce n’est pas seulement une question d’âge, comme une sorte de passage générationnel, qui atteint – enfin – la classe politique, engagée par l’élection d’un trentenaire à la présidence avec Emmanuel Macron et poursuivie par tous ces candidats putatifs ou officiels de leur parti aux européennes. Même si en soi, c’est déjà un petit phénomène à mentionner. Ce qui compte encore davantage, c’est que la plupart de ces candidats au scrutin européen sont des hommes et des femmes ayant pour la plupart déjà exercé la fonction de député européen, comme s’il s’agissait d’une promotion devenue somme toute logique, correspondant à un parcours qui légitime, enfin, sur des bases strictement européennes, leur présence en tête de liste à une élection européenne. Ne s’agirait-il pas là comme de l’effet d’une petite bombe européenne ?

Intégrer en partie la dimension d' »européanité »

Les choix actuellement en discussion au sein des familles politiques françaises semblent intégrer en partie dans leurs réflexions la dimension d’européanité, un vilain mot pour dire qu’il s’agit de considérer leurs qualités européennes. Non seulement il s’agirait d’une sorte de normalisation de la France par rapport à son grand voisin outre- Rhin, ce qui peut être qu’une référence à ne surtout pas mentionner. Mais surtout, cela laisserait entendre que finalement l’Europe aurait sa petite importance. Non pas au point de tout miser sur l’Europe pour faire fructifier des forces qui deviendraient « ministrables » pour désigner des politiques ayant les qualités d’être nommés ministres dans un gouvernement.

Quelles qualités les candidats têtes de liste aux élections européennes devraient-ils posséder, si l’on considère la fiche de poste et les responsabilités qui les attendent ? Disons qu’il s’agirait de trouver des profils possédant une relative adéquation entre des compétences médiatiques, un sens politique, une finesse diplomatique, des convictions partisanes ; et dorénavant faudrait-il ajouter un statut générationnel de jeunes ou de trentenaires tardifs, sans oublier, restons encore un instant concentré, des qualités à proprement parler européennes. Cela promet !

Avis de tempête pour les Européens: le sens du vote français en 2024.

par Patrick d’Humières

Comment garder la maitrise de notre destin dans un contexte de remise en cause brutale de nos acquis fondamentaux ? Une stratégie française pour 2030 ne peut être qu’une stratégie d’intégration européenne volontariste.

L’instauration du vote direct pour les représentants au Parlement Européen, voulue par Valéry Giscard d’Estaing, a incontestablement installé la conscience européenne dans le débat politique national, avec pour effet démocratique normal d’offrir une tribune structurée aux opposants à la dynamique européenne. A long terme, c’est la volonté d’intégration qui l’emporte, avec des hauts et des bas, dans le cadre d’un processus dont nous savons qu’il reste réversible et qu’il a encore du mal à dépasser les frontières nationales pour s’exprimer. Ce moteur demeure profondément démocratique ; si on doit regretter sa lenteur, ce n’est pas pour forcer la main des électeurs, mais pour réussir sa vocation pédagogique de donner aux citoyens les éclairages dont ils ont besoin pour mûrir leur choix. Entre les deux seules stratégies restantes, la stratégie conservatrice fait de la nation le centre de décision et de l’Union une technique de coordination et la stratégie volontariste fait de l’européanisation des politiques l’objectif fondamental, en gardant la nation comme espace de proximité et de gestion des implications, d’autre part, dans le respect des histoires, des cultures et des spécificités.

Affronter au plan collectif européen des défis qui dépassent nos capacités nationales 

Certes, on n’enfermera pas la stratégie dynamique dans un calendrier ni un programme, commode à communiquer, face à des circonstances qui décident du mouvement, comme la pandémie, puis la rupture énergétique et la solidarité militaire avec l’Ukraine, tous imprévisibles. Pour autant, l’exercice électoral est-il impossible, alors que faire le plein de mécontentements sur le dos de l’Europe est un exercice de basse démagogie auquel les minorités ne résistent pas ? Il nous faut pourtant le réussir, en se gardant des discours immatures et en faisant confiance à l’intelligence de nos compatriotes autour de l’équation qu’ils ont à l’esprit : comment affronter au plan collectif européen des défis qui dépassent vraiment nos capacités nationales, tout en conservant à proximité une participation sérieuse aux choix de vie, en cohérence avec nos traditions et nos intérêts de base ? Ce qui revient à dire que si la démocratie nationale est défaillante, la démocratie européenne ne peut y suppléer et que cette dialectique du niveau communautaire articulé avec le niveau des Etats est une clé de succès du processus.

Fort de quoi, nous recommandons d’aborder le débat de 2024 en mettant sur la table, c’est-à-dire les plateaux des médias et des formes de discussions nouvelles à proposer, une vision objectivée du paysage planétaire à dix ans, avec pour conséquence l’analyse de ce qui peut être fait au plan européen et nulle part ailleurs, justifiant d’aller plus loin ensemble.

Cette leçon de géopolitique basique nous semble d’autant plus sérieuse et convaincante qu’elle s’appuie sur des réalités que les opinions pressentent de mieux en mieux et dont les générations montantes se sont emparées ; ce qui permet aux électeurs d’en tirer des conséquences et aux candidats de mettre à l’épreuve leur capacité à y répondre simplement et ouvertement. Où allons-nous et que faire ? Telle est la question à laquelle répondre sérieusement face aux propos émotionnels et idéologiques qui détournent nos compatriotes d’une analyse rationnelle de nos enjeux.

Un état des lieux géopolitique et 7 grands enjeux

La première assertion doit consister à ordonner les grands défis qui structurent le paysage des Européens, ce que l’on peut résumer par « avis de tempête » ! L’état des lieux qui se cristallise depuis le Covid et avec la guerre russe contre l’Ukraine, comporte 7 « trends » majeurs. Ce sont les méta-enjeux du monde, imposés à tous les Etats, dont l’UE, en tant que zone qui se croit à l’abri, entre sa prospérité fragile et son influence contestée. Nous sommes bien confrontés à 7 grands enjeux qui sont aujourd’hui 7 grands risques, tant que les populations auront l’impression d’en perdre le contrôle, à juste titre.

  • La montée des températures est en cours et l’enjeu climat nous échappe largement, il faut le dire. Soit parce que nous mettons trop de temps à assumer la décarbonation, soit parce que nous préférons livrer des combats commerciaux en faisant croire que la prospérité pour quelques-uns est préférable à une plus juste sobriété pour tous.
  • La régénération des écosystèmes diminue. L’enjeu de la biodiversité, associé à celui du climat, impose une maîtrise des équilibres naturels et un respect du vivant à partir de quoi tous nos actes de production et de consommation doivent être revus, sur l’ensemble du globe, pour garantir son habitabilité, au risque de pertes de populations irréversibles.
  • Le nombre de pays démocratiques est de plus en plus restreint. L’enjeu démocratique est plus qu’une affaire de méthode qui voudrait suspendre les nouveaux comportements sociaux à des consensus laborieux, alors qu’il est en soi le principe de légitimité juridique pour utiliser le droit, la contrainte, la justice, la liberté dans un cadre qui ne transige pas avec la dignité humaine universelle.
  • Les écarts de revenus augmentent et les indices de développement humain diminuent. L’enjeu des inégalités et son corollaire, la gestion des solidarités, est lui-même une condition de l’exercice démocratique. En effet, c’est la capacité à protéger, assister et promouvoir les personnes dans des cadres collectifs appropriés, efficaces et justes, qui maintiennent en place les pactes sociétaux écartelés.
  • Les actes déloyaux sont en augmentation exponentielle. L’enjeu mafieux gangrène les États qui ne parviennent pas chez eux et au plan international à réduire l’organisation de la criminalité, des délinquances, des trafics et des atteintes au droit et à l’intégrité des personnes, dans des conditions de plus en plus sophistiquées (cyber). Un monde noir et gris a pris place à côté du monde régulé et menace de plus en plus de le déstabiliser.
  • Les migrations prennent des formes et une ampleur jamais vue. Les enjeux migratoires déstabilisent les sociétés qui les subissent, partout, sans qu’aucune forme d’autorité ne sache plus comment réguler, accueillir, décider. Qu’il s’agisse de l’asile ou des flux économiques, chaque zone négocie, se renvoie les difficultés, en faisant une arme des désespérances humaines et des frontières de nouveaux murs politiques.
  • Les systèmes médiatiques s’emballent dans la manipulation des opinions. L’enjeu de l’information est préempté par ses propres mécanismes économiques et technologiques et s’émancipe de valeurs, de principes et de règles qui ne parviennent pas à se mettre en place et à se coordonner sur le plan international.

Confiance et volontarisme pour apporter des réponses politiques européennes

Première conséquence de cet état du paysage mondial : il y a dans une stratégie organisée au plan européen la possibilité de reprendre du contrôle sur ces enjeux afin des les retourner en éléments positifs, constitutifs d’un modèle de référence qui est en soi la finalité du projet méta-national structuré à partir de la souveraineté partagée, à Bruxelles.

Deuxième conséquence de cette observation objective : nous avons le recul et la capacité de négociation pour définir à 27 aujourd’hui, à 28 ou trente bientôt, une forme de priorisation des dispositions, d’organisation technique et financière, de suivi et d’accompagnement à nul autre dispositif comparable au monde, dont il faut assumer la lourdeur et la complexité au nom du respect des acteurs.

Troisième conséquence de cet « avis de tempête », angoissant et mobilisateur à la fois : l’Union peut apporter des messages et des voies au reste du monde, en prenant acte du nouveau puzzle géopolitique, désormais sans puissance directrice, travaillé par la revanche des émergents, conditionné par des transferts inévitables et confronté à l’invention de nouvelles règles du jeu que nous porterons et accepterons d’autant mieux qu’elles ne laissent pas nos pays sans réponse.

Il vaut donc la peine de voter en 2024 et d’envoyer un message aux candidats pour qu’ils relèvent le défi de cette dégradation géopolitique qui s’accélère et de le faire avec « la méthode européenne » dont nous pouvons être fiers, car elle est indissociable de notre culture démocratique et juridique, même si elle se cherche encore. Porteuse des valeurs de solidarité, cette méthode se doit d’inventer un nouveau rapport positif à la nature, même s’il faut revoir bien des modes d’action.

Nous sommes persuadés que nos compatriotes ressentent ces menaces, les comprennent et sont prêts à en tirer des conséquences politiques, si cette dynamique préoccupante leur est bien expliquée et que nous y opposons une stratégie française d’intégration européenne bien négociée, en cohérence avec nos partenaires. Il s’agit bien de bâtir un espace politique puissant dans lequel nos nations restent le lien de base avec le citoyen, sans craindre de partager notre souveraineté, comme nous savons le faire de mieux en mieux depuis quelques décennies, sans avoir rien perdu de notre identité. Organiser le débat de 2024 en ce sens, ce sera convaincre par la raison tous les Français désireux d’apporter à leurs enfants des réponses à la hauteur des temps.

Communication de l’UE et élections européennes: quels enseignements des campagnes précédentes pour le scrutin de 2024 ?

Par Michaël Malherbe, Secrétaire Général, Atelier Europe

Alors que les prochaines élections européennes en juin 2024 suscitent déjà l’intérêt des observateurs, il est intéressant de réfléchir aux leçons à tirer des précédents scrutins. Analyser les campagnes de communication antérieures du Parlement européen pourrait permettre de mieux appréhender les dynamiques d’opinion et de communication au cœur du jeu institutionnel européen.

DÉCRYPTER LES SÉQUENCES DES CAMPAGNES DE COMMUNICATION
DU PARLEMENT EUROPÉEN A L’OCCASION DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES

Quoique l’exercice de se porter sur le passé puisse paraître plus aisé que celui de se projeter dans le futur, la démarche n’en demeure pas moins délicate dans la mesure où il faut évaluer des actions de communication datées. En effet, il s’agit de reconstituer les contextes d’opinion de l’époque ainsi que de recomposer les récits faisant appel à la fois aux faits relatifs à ces campagnes et aux diverses stratégies et outils de communication. En décryptant les séquences des campagnes passées, nous pourrons tirer des enseignements pertinents pour 2024.

2009 : « A vous de choisir » : une communication plus tactique autour du « buzz game » que stratégique

En 2009, le Parlement européen, selon son communiqué à la presse, « lance sa première campagne de communication paneuropéenne, en vue de mobiliser 375 millions d’électeurs dans 27 pays ». Considérons donc cette « première » comme notre point de repère initial, d’autant plus intéressant que la finalité – la participation électorale – semble correspondre à ce qui pourrait apparaître comme l’objectif de communication le plus ambitieux et le plus légitime pour le Parlement européen parmi les trois registres d’objectifs informatifs, cognitifs et conatifs, ce dernier registre, le plus difficile pour toute action de communication, visant à faire changer les comportements.

Avec la signature « A vous de choisir », la campagne de communication se distingue d’une part par la faiblesse de son intention prescriptive : aller voter certes, mais aller voter ce que vous voulez, sous-entendu, le Parlement européen n’est pas là pour se mettre à la place des électeurs pour se forger une idée du choix à effectuer dans l’isoloir. D’autre part, la campagne paneuropéenne inédite se fait remarquer pour sa créativité très forte, qu’il s’agisse des moyens mis en œuvre pour attirer l’attention des médias et des citoyens avec des « coups » comme les “Eurostudios”, des sortes de « cahiers de doléance high tech » itinérants, mais surtout ce qui est passé en partie à la postérité, la logique du « buzz » autour de vidéos virales, comme la série « At the polling station » sans toutefois parvenir à combler le déficit d’animation partisane voire d’opposition idéologique de la campagne électorale.

En 2014, une communication plus politique : le « head game » du spin avec les Sptizenkandidaten

En 2014, l’état de l’opinion est très différent du précédent scrutin, l’Europe a vécu la crise économique, les tensions sur l’eurozone et l’opinion publique est beaucoup moins fertile à laisser pousser les racines de l’intégration européenne, sans faire germer des critiques et des déceptions. La campagne de communication du Parlement européen prend en compte ce contexte avec la signature « Cette fois-ci, c’est différent ».

Toute la difficulté consistera à construire un narratif et des preuves pour faire la démonstration que c’est définitivement bien différent. A plus d’un titre, cette campagne le sera. D’abord, dans ses finalités, l’injonction de la campagne en 2014 ne semble plus d’inciter les citoyens à participer au scrutin, comme lors de la précédente, et normalement de toutes les campagnes institutionnelles dans ce cadre, mais il s’agira bien plutôt d’assurer la promotion de l’institution du Parlement européen dans le jeu institutionnel bruxellois. Ensuite, dans ses moyens, la communication du Parlement européen repose sur un levier politique avec la vidéo « human-manifesto » dont le bloc marque final « Agir. Réagir. Accomplir. » semble tenter de poser un positionnement du Parlement européen, en tant qu’institution, bien loin des seuls enjeux du scrutin européen. Enfin, la volonté de montrer à quel point le scrutin de 2014 est différent conduira le Parlement européen à investir dans une démarche visant à sensibiliser les citoyens européens aux têtes de listes des partis politiques européens, les fameux Spitzenkandidaten, déduits du traité de Lisbonne, un pari institutionnellement risqué mais politiquement gagnant pour le Parlement européen, qui s’impose davantage dans le jeu institutionnel mais qui ne sera pas payant en revanche contre l’abstention.

La tentative d’un embryon de campagne électorale paneuropéenne et européo-centrée n’a pas réussi à mobiliser en masse ni le corps électoral, ni les grands médias, mais cette visibilité et cette dynamique n’a pas été totalement perdue pour le Parlement européen.

En 2019, une communication plus engagée tant avec le « air game » que le « ground game »

Entre 2014 et 2019, avec la Commission « politique » Juncker, l’action de l’Union européenne, en réponse aux nouvelles crises, évolue, s’incarne, se concentre en termes de storytelling sur quelques fils narratifs plus compréhensible comme le Brexit, la crise des migrants ou encore le plan d’investissement. Les citoyens européens, confrontés à une réalité plus dure, se projettent différemment dans la construction européenne, leurs attentes tant en matière d’intégration que de désintégration prennent des formes plus mainstream, parfois aussi plus menaçante, songeons notamment à la poussée de forces europhobes. La signature de la campagne du Parlement européen « Choisis ton futur » pose beaucoup plus clairement la problématique du scrutin européen, tandis que les arguments se font plus prescriptifs pour dessiner un choix de société, un choix civilisationnel, un choix proeuropéen assumé.

Engagée en faveur du projet d’intégration européenne pour la première fois, la campagne de communication du Parlement européen semble également changer de posture et d’attitude vis-à-vis des électeurs européens. Plutôt que d’investir exclusivement sur son auto-promotion ou celle des Spitzen, le Parlement européen privilégie une communication au service et en position de ressource pour les citoyens. Cet investissement, qui se traduit par des démarches telles que la plateforme civique « This Time, I’m Voting » pour fédérer une mobilisation de helpers désireux de partager à leurs proches leurs raisons de participer ainsi que le portail « What Europe Has Done For Me » qui rassemble des contenus pédagogiques, synthétiques, utiles pour savoir « ce que l’UE fait pour vous » et les réalisations du Parlement européen. Les résultats font dorénavant partie de l’histoire, puisque pour la première fois depuis le premier scrutin européen en 1979 la participation électorale s’améliore sensiblement.

Une campagne de communication résolument proeuropéenne et délibérément orientée vers le soutien aux citoyens – afin de répondre à leurs attentes, pour beaucoup, d’informations sur l’UE ainsi que pour certains, l’envie de se mobiliser – aura donc été vraiment payante.

Que faut-il retenir ? Chaque campagne à l’occasion des élections européennes est une opportunité pour le Parlement européen de se positionner sur un registre de communication, qui entre en résonnance avec le moment. En 2009, le partage d’un espace politique européen commun ; en 2014, le partage d’une scène politique européenne commune et en 2019, le partage d’une controverse politique commune Pro-Européens contre Europhobes. Reste à savoir ce qui nous réunira ensemble en 2024.

« Une Europe renforcée »

Une mise en perspectives des présidences française et tchèque du Conseil de l’UE.

Jérome Brouillet, Directeur de cabinet de Laurence Boone, Secrétaire d’Etat chargée de l’Europe et Michal Fleischmann, Ambassadeur de République tchèque en France.
Echange modéré par Aymeric Bourdin, président de l’Atelier Europe.

A l’occasion du traditionnel Petit déjeuner – débat au Sénat, le 17 novembre, l’Atelier Europe et le Mouvement Européen réunissaient Michal Fleischmann, Ambassadeur de République tchèque en France, et Jérôme Brouillet, directeur de cabinet de Laurence Boone, secrétaire d’Etat chargée de l’Europe.

L’occasion de revenir sur les enjeux et réalisations des présidences françaises et tchèques et d’en dégager les synergies. Nombreuses, celles-ci se sont manifestées par des priorités communes, qu’il s’agisse d’accroître la collaboration européenne en matière de souveraineté énergétique mais aussi numérique. Si la présidence française fût marquée par l’adoption du « Paquet climat », non sans difficulté, la République tchèque assure la relève et poursuivra le travail pour trouver des compromis entre membres de l’UE, déterminés à lutter au niveau européen contre le réchauffement climatique. Dans cette perspective, Jérôme Brouillet rappelle : « On sous-estime souvent la continuité entre les présidences » d’où l’importance ici, de souligner les défis mais aussi de célébrer la « fantastique unité » qui caractérise l’Union Européenne.

L’unité de l’Europe, comme le rappelle l’Ambassadeur, tient avant tout au compromis. Se mettre d’accord est au cœur du processus européen, et représente la clef pour une Europe souveraine. La notion de souveraineté, chère à la France, a d’ailleurs donné lieu à un développement philosophique, Jérôme Brouillet replaçant le concept dans son développement historique pour finalement retenir comme définition « la capacité de l’Europe à adopter ses propres lois et à se doter des moyens pour les faire respecter ».

Enfin, la réponse européenne à l’agression russe en Ukraine fait office de fil conducteur entre les deux présidences du conseil de l’UE. Cet événement a bousculé les priorités des uns et des autres, se hissant au rang de préoccupation première, tout en essayant, pour les deux Etats, de ne pas éclipser les sujets qu’ils souhaitaient mettre à l’agenda. La malheureuse expérience de la guerre en Ukraine aurait pu diviser l’Europe, c’est ce que les Russes souhaitaient, indique Monsieur Fleischmann. Mais il n’en n’est rien, c’est bien l’unité dans la condamnation et dans la réponse qui a brillé. En guise d’avertissement, il rappelle que l’Etat de droit est à la fois essentiel et fragile, aujourd’hui menacé et attaqué. La position tchèque est sans équivoque et poursuit alors les réponses entamées sous présidence française : soutenir les Ukrainiens et sanctionner les responsables.

Pour conclure les interventions sur une note plus positive, aujourd’hui plus que jamais, l’Union Européenne souhaite remettre au cœur de son existence le lien fort entre citoyens et institutions. Ces derniers ont parfois évoqué lors des questions le vote à la majorité simple comme levier d’efficacité de la politique européenne. A ce propos, Monsieur Fleischmann a pu dessiner la position de la République tchèque : « La plupart des décisions qui se prennent dans l’UE sont déjà votées à la majorité simple. Il y a tout de même des désaccords entre les pays. La République Tchèque est ouverte au vote à la majorité simple. Toutefois il faut qu’on puisse avoir une garantie de s’opposer à certaines décisions lorsque celles-ci touchent à notre souveraineté. » Une piste pour la Suède, qui prendra la présidence du Conseil de l’UE le 1er janvier ? En tout cas, une question qui s’inscrira dans l’ambition commune du trio de présidences : protéger les citoyens et les libertés, en remettant au cœur du projet européen les valeurs communes, en gardant la boussole stratégique de l’Union et en renforçant les moyens de coopération.

-Lisa Despinasse