Faire avancer l’Europe : nœud gordien ou ruban de Möbius ?

par Aymeric Bourdin. Article paru initialement sur eu-policies.com

Blocage sur le budget et le plan de relance, blocage des négociations post-Brexit, retard de la conférence sur l’avenir de l’Europe… l’horizon européen semble bien bas en cette fin d’année 2020.

Même si point la perspective d’une sortie de crise sanitaire avec l’imminence d’un vaccin, on est en droit de se demander si le programme ambitieux de l’Europe évoqué dans le discours sur l’état de l’Union par Madame von der Leyen est encore tenable.

Au même moment, le 19e Comité central du Parti communiste chinois vient de dévoiler fin octobre non seulement le prochain plan quinquennal (2021-2025) mais aussi un plan à plus long terme « Vision 2035 » pour faire face à la « confrontation » avec les États-Unis.

Dans ce contexte, tenir sur les valeurs semble être le fil rouge de la politique européenne. Solidarité, collégialité, démocratie. Invoquer une raison d’être comme colonne vertébrale, pour se différencier du duopole sino-américain. Ceci dans un monde où le multilatéralisme, au-delà de la présidence Trump qui s’achève, semble durablement grippé, du G20 à l’OMC en passant par l’ONU.

Sur le plan économique, si la relance en Europe est suspendue à un fil, c’est que deux Etats ont posé leur véto à l’adoption du budget donc du plan de relance, dont les subsides sont conditionnés au respect de l’Etat de droit. Cette condition ne semble pas acceptable pour la Hongrie et la Pologne, qui brandissent l’argument de leur souveraineté. Cela pose plusieurs questions aux 25, dont celle du poids de la souveraineté nationale face à la solidarité européenne. Et donc celle de l’unité dans la diversité.

Certes, le fait de faire cavalier seul ou de monter des alliances pour bloquer, retarder ou réorienter des avancées de l’UE n’est pas nouveau. La politique de la chaise vide du Général de Gaulle n’était pas autre chose.

Mais aujourd’hui, l’enjeu de survie de l’UE est tel que l’on imagine mal comment Pologne et Hongrie pourraient tenir une position si impopulaire dans les 25 autres pays censés bénéficier de l’urgent plan de relance.

L’Allemagne qui assure la présidence du Conseil et la Commission jouent les médiatrices et des pistes sont évoquées pour sortir de l’impasse en contournant cet obstacle, sans rien céder sur les valeurs de l’Union.

Sur le plan des projets, le Discours sur l’état de l’union parait déjà loin. Plutôt que de revenir au programme initial pré-covid, il semble que la Commission soit en train d’intégrer les évolutions nées de la crise, dans une approche résiliente.

C’est que la pandémie accélère la transition vers l’économie numérique. Le pari est que la crise accélère également la transition écologique. Par l’octroi d’un tiers du montant des subsides de la relance à des projets verts, la Commission souhaite ainsi orienter les comportements dans le sens du respect des engagements de l’UE.

 

Et pourtant elle tourne

Les avancées sectorielles sont pourtant bien réelles.

Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté un « nouveau pacte européen sur la migration et l’asile ». Ce pacte est le résultat de longues négociations entre les 27 pays de l’UE où les désaccords sur la question migratoire sont nombreux. Il appartient désormais au Parlement européen et au Conseil de l’examiner afin de l’entériner.

La Commission a également salué le 10 novembre l’accord sur le prochain budget à long terme de l’Europe qui financera- une fois adopté – un train de mesures d’un montant total de 1 800 milliards €. Le plus important jamais financé par le budget de l’UE.

Du côté du Pacte vert, la Commission a présenté la stratégie de l’UE sur les énergies renouvelables en mer, proposant de porter la capacité de production éolienne en mer de l’Europe de 12 GW actuellement à 300 GW d’ici à 2050.

Les 10 et 11 décembre prochain, les dirigeants de l’UE se réuniront à Bruxelles Conseil européen pour le sommet semestriel marquant l’aboutissement de la présidence allemande. Ils débattront de la poursuite des mesures de coordination liées à la COVID-19, du changement climatique, du commerce, de la sécurité et des relations extérieures. Se tiendra également un sommet de la zone euro.

Pour ses six mois de présidence du conseil, l’Allemagne avait adopté un programme dans lequel elle avait fixé des priorités claires et ambitieuses. Ses idées fortes étaient notamment la gestion durable de la pandémie de Covid‑19 et la relance économique par l’innovation.

Le message du gouvernement allemand était sans ambiguïté : « Sortir l’Europe de la crise, telle est la tâche qui définira notre présidence » avec une ligne de conduite relativement consensuelle : « nous devons être plus solidaires vers l’intérieur et plus forts et plus souverains vers l’extérieur ».

Ceci n’est pas sans rappeler le logo choisi pour ce semestre de présidence. Il représente une boucle de Möbius, ce ruban à une seule face que l’on parcourt sans jamais changer de côté.

Avec les couleurs stylisées des drapeaux, on peut y voir le symbole d’une transition sans rupture, par une dynamique à la fois allemande et européenne, dans une continuité sans contradiction. Une autre manière d’avancer en somme, par petits pas, sous le signe des « transformations silencieuses[1] » – autrefois- chères à la Chine.

[1] François Jullien, Les transformations silencieuses, Grasset, 2009

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Le marché carbone européen : un outil de transition énergétique complexe

par Victor de Vilmorin

I- Un marché institutionnel mis en place au protocole de Kyoto

Le protocole de Kyoto de 1998 a permis de mettre en place un calendrier international de réduction des émissions de gaz à effet de serre dont 141 pays sont signataires et 37 pays sont ratifiants (principalement les pays industrialisés hors USA et les pays européens). L’objectif du protocole de Kyoto était de réduire les émissions de CO2 de 5% entre 2008 et 2012. L’Union européenne s’était engagée quant à elle à réduire, d’ici 2012, de 8% ses émissions globales par rapport à 1990.

En 2005, le marché institutionnel de quotas d’émissions est né en réponse aux exigences du protocole de Kyoto. Dans le monde, plusieurs marchés du carbone se sont développés et sont aujourd’hui régis par leurs propres règles et prix.

 

II- Le fonctionnement du marché d’échange de quotas est un marché hybride efficace

A/ Fonctionnement

Dès 2005 et via le protocole de Kyoto, le système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre réunifiant les 28 pays membres européens ainsi que la Norvège, le Lichtenstein et l’Islande a vu le jour. L’Union européenne a mis en place ce marché du carbone pour mesurer, contrôler et réduire les émissions de gaz à effet de serre et constitue donc la pierre angulaire de la politique énergie climat européenne.

Ce système concerne uniquement les installations industrielles européennes des secteurs les plus polluants, soit 11 0000 installations et regroupe 45% des émissions de gaz à effet de serre européennes.  Les secteurs concernés par ce système de quotas sont la production d’électricité, les réseaux de chaleur, la fabrication d’acier, de ciment, de verre, de papier, du raffinage et depuis 2013, de l’aviation avec le mécanisme Corsia. Le système du marché de quotas d’émissions (EU-ETS) est divisé en périodes de plusieurs années, ce qui permet de réévaluer les quotas entre chaque période.

  • 1rephase de trois ans (2005-2007),
  • 2ephase de cinq ans (2008-2012),
  • 3ephase de huit ans (2013-2020),
  • 4ephase de dix ans (2021-2030).

En début d’année, un nombre de droits à polluer est attribué aux différentes installations comprises dans ce système en fonction du volume de la production de l’installation.

Pour donner une certaine flexibilité, le « banking » permettant de garder des quotas d’émissions non utilisés pour les prochaines périodes et le « borrowing » qui consiste à acheter des quotas d’émissions d’autres installations, sont autorisés. Le nombre de quotas d’émissions diminue de 1,74% par an pour inciter les installations industrielles à optimiser leur consommation énergétique. Durant la phase 4, la réduction des quotas d’émissions sera de 2,2% par an.

A titre d’illustration, suite aux calculs de distribution, une entreprise bénéficiera de 100 quotas d’émissions sur une année pour son activité de production et pourra donc polluer 100 tonnes de CO2. Si elle dépasse les quotas d’émissions, elle sera soumise à une amende de 100€/tCO2. Grâce au système du « borrowing » l’entreprise peut acheter des quotas d’émissions aux autres installations soumises au même système. Le prix est établi selon la loi de l’offre et la demande. Le prix actuel oscille entre 25 et 30€/tCO2. Si l’installation industrielle dispose de trop de quotas d’émissions, elle peut vendre ses droits à polluer ou les garder (« banking »). L’année n+1, l’entreprise ne disposera plus que de 98 quotas d’émissions. Ainsi, le mécanisme obligera l’installation à optimiser ou limiter ses émissions de gaz à effet de serre.

B/ Des résultats satisfaisants

Aujourd’hui, le marché EU-ETS est le plus grand marché carbone au monde avec plus de 75% des échanges de quotas d’émissions réalisés. En 2020, les émissions des secteurs couverts par le système seront inférieures de 21 % par rapport aux niveaux de 2005 et devraient diminuer de 40% d’ici 2030.

 

III/ Un marché complexe qui connait de nombreuses limites

La définition du nombre de quotas d’émissions sur le marché est décisive. Un nombre trop important de quotas d’émissions ne rendrait pas service à la cause écologique. Avec un signal prix bas, les infrastructures pourraient polluer de façon importante et la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’aurait pas lieu. C’est ce qu’il s’est passé en 2013, où le nombre trop important de quotas d’émissions a poussé le prix d’échange au seuil de 5€/tCO2.

A l’inverse, un nombre trop faible de quotas d’émissions pourrait faire monter les prix fortement et ferait perdre en compétitivité les entreprises par rapport aux entreprises non européennes. Cela accroîtrait la volonté de se délocaliser. Ce mécanisme appelé fuite de carbone va à l’encontre des objectifs de l’Union Européenne qui sont de mesurer, contrôler et réduire les émissions de gaz à effet de serre et fragiliserait davantage la compétitivité industrielle européenne.

La bonne répartition des quotas d’émissions entre les pays et les secteurs est également décisive pour maintenir une équité. Le lobby est alors roi pour défendre les intérêts de chacun auprès de Bruxelles.

L’ouverture sur les marchés financiers du marché EU-ETS dans le but d’apporter des liquidités a impacté fortement le marché. Les financiers espèrent voir une augmentation du prix pour un actif que devront finalement payer les industriels.

Le marché EU-ETS est un outil pertinent et efficace car les résultats sont probants avec une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 20% et permet à l’Europe de se montrer comme continent pionnier face au changement climatique. Dès lors, un système bien calibré et réactif aux signaux du marché reste fondamental pour ne pas baisser la compétitivité européenne et lutter contre les fuites carbones. La création d’une taxe carbone à l’entrée de l’Europe est-elle alors la solution ou la création d’un nouveau système complexe ?

 

 

 

Qui a envie d’entendre parler d’Europe à deux jours du déconfinement ?

Qui avait envie d’entendre parler de coopération industrielle et énergétique avec l’Allemagne, au sortir de la deuxième guerre mondiale ?

Fin 2019, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen a comparé le moment actuel à celui qui, il y a soixante-dix ans, a débouché sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) à l’origine de la construction communautaire. « Aujourd’hui, il s’agit de réconcilier l’économie avec la planète », avait-elle expliqué. Ce moment semble bien loin.

L’énergie et l’industrie ont toujours joué un rôle majeur dans l’histoire de l’Union européenne. Le traité de Paris, signé en 1951, établit la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Avec la signature du traité Euratom en 1957 visant à promouvoir le nucléaire, l’énergie devient la colonne vertébrale de l’intégration européenne.

En 2014, l’UE a adopté son cadre pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030, qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 %, une part de 27 % d’énergies renouvelables dans le secteur énergétique et une amélioration de 27 % concernant l’efficacité énergétique. Ces objectifs ont été rehaussés à 32 % pour les énergies renouvelables et 32,5 % pour l’efficacité énergétique lors des négociations de juin 2018 sur le paquet « énergies propres »

L’Union de l’énergie, lancée en 2015, tente de mettre sous le même toit le cadre climatique et énergétique 2030 et la stratégie de sécurité énergétique. L’accord de Paris, conclu la même année engage l’UE à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Le récent paquet « Énergie propre pour tous les Européens » vise à aligner la législation énergétique de l’UE sur les engagements pris à Paris.

L’Europe est aujourd’hui face à une mission historique : être un modèle de la transition énergétique et des innovations écologiques, pour prendre la tête du combat contre le changement climatique.

Pour ce faire, il va falloir apprendre à arrêter d’opposer économie et écologie. Ce qui nécessite de penser et de mettre en oeuvre des critères communs de ce qu’est la valeur d’un bien ou d’un service, de ce qu’est la valeur réelle crée dans chaque Etat, incluant notamment le coût carbone. Le chantier est immense et il est mondial.  La crise du COVID19 a réinterrogé nombre d’évidences et remis en perspective les habitudes de nombres d’entre nous, entreprises, citoyens, consommateurs.  Elle est peut-être ce moment où la menace est amenée à basculer en opportunité.

À nouveau, l’Europe est face à elle-même, et ne peut attendre le leadership d’autres superpuissances. 

Si le renforcement de certaines pratiques comme le télétravail, les chaînes courtes de production et de consommation alimentaire, la relocalisation de certaines activités industrielles semblent favorables à un développement plus durable en ligne avec les principes et les objectifs des récents accords, nous devons espérer que les aides accordées à nos entreprises les soutiennent résolument dans leur transition énergétique.

Pour que plus d’Europe rime avec plus d’avenir, d’opportunités et d’innovations, il nous faut désormais penser un développement économique fondé sur des technologies nouvelles, plus respectueuses de l’environnement. Et cela nécessite, comme à l’époque de la CECA, un effort disruptif d’imagination et de coopération entre Etats, sous l’égide des institutions européennes.

 

Presidency of the E.U. Council: a first for Croatia

 

 

Each country of the European Union takes a turn presiding over the European Union Council for a period of six months. Following Finland, who assumed the role from July to December of 2019, it is now Croatia’s turn for the first half of 2020. The nation that presides over the Council is responsible for organising and presiding over all E.U. Council formation meetings. The nation must also formulate compromises to resolve policy issues.

Key topics of the semester

In addition to the fundamental priorities, the Republic of Croatia has highlighted the importance of the following topics as part of its presidency over the European Union Council.

Seeking to promote an ambitious multiyear financial framework for the E.U. (2021-2027), it also wishes to implement the European Pillar of Social Rights.

Within a context of negative demographic trends, the Croatian presidency highlights the importance of the Union’s rapprochement with its citizens, particularly its youth, in order to promote democracy, fundamental E.U. values, the fight against ‘fake news’, intolerance, and disinformation across digital platforms.

When the European Green Deal is launched, the Trans-European Transport Network (TEN-T) and the Connecting Europe Facility (CEF) will be added to the projects related to the new job markets, education, innovation, and life-long learning.

The Union’s security and strategic orientations as a place of liberty, safety and justice are also underlined, with a specific focus on the enlargement policy and the EU-Western Balkans summit meeting.

A developing, uniting, protecting and shining Europe

These four priorities are the key elements at the core of the Croatian presidency’s work these next six months. United under the slogan “A strong Europe in a world of challenges”, these priorities were presented by Prime Minister Andrej Plenković on 30 October 2019 in Zagreb, which is to be the primary meeting place during the EU Council’s Croatian presidency.

When a country takes on the role of presidency, it must keep the priorities inherited from the previous presidency in mind. It also puts forward country-specific priorities, often related to its specific situation (geopolitical, economic, etc.), and must work on priorities arising from current events.

Priorities of the Trio of presidencies

The programme for the Romania-Finland-Croatia trio of presidencies has spent a year-and-a-half highlighting the importance of the Union’s common values: respect for human dignity, liberty, democracy, equality, the rule of law, and human rights. The trio has committed to promoting competitiveness, economic growth, and investment support, as well as strengthening economic, social and territorial cohesion.

The programme’s major priorities have centred around employment, growth, and competitiveness in order to provide all citizens with the means to achieve their goals and to ensure their protection. This requires an energetic Union with a proactive climate policy. The countries have also sought to develop the Union’s position as a leading actor on the world stage in the promotion of liberty, safety and justice.

The countries to form the next trio are Germany (second half of 2020), Portugal (first half of 2021), and Slovenia (second half of 2021).

The challenges awaiting Zagreb

The president of the European Commission, Ursula von der Leyen, and the president of the European Council, Charles Michel, left for Zagreb on Thursday, 9 January 2020, to attend a concert given at the National Theatre in celebration of the beginning of Croatia’s first ever presidency over the EU Council.

The final country to join the European Union in 2013, Croatia will face a number of challenges during the six months following 1 January 2020. Not least of these is the “organisation of the relationship between the Union and the United Kingdom” following Brexit, as the Croatian minister of foreign affairs affirmed at the beginning of the month.

Another challenge awaiting the Croatian presidency is the situation of the Western Balkans wishing to join the bloc. Of the Western Balkans, only Serbia and Montenegro have begun the negotiating process to join the E.U., while Albania and North Macedonia have yet to begin the membership discussions, as they were blocked by France and other countries during a European Council meeting in October. Kosovo and Bosnia lag even further behind.

New government of coexistence in Zagreb

On Sunday, 5 January, the Croatians elected former socialist-democratic prime minister Zoran Milanović as their new president during a second round of voting, turning down incumbent Kolinda Grabar Kitarović (Croatian Democratic Union, HDZ) for a second five-year mandate and opening the door to a tense coexistence with the centre-right government currently in power.

The result was a surprise majority and took place just as Croatia began its turn presiding over the EU Council. The presidency cannot oppose the law, but it does receive a say in matters of defence, foreign policy, and intel, and is generally considered a moral authority and defender of the Constitution.

La Finlande, un pays récent, au coeur de luttes d’influence

Compte-rendu du voyage d’étude de novembre 2019, par Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, avec Victor de Vilmorin, Isa Schulz et Audrey Gentilucci. 

Un pays charnière entre Ouest et Est. 

Une histoire récente

Intégrée au royaume de Suède pendant le Moyen Âge et jusqu’au début du XIXe siècle, la Finlande ne fut indépendante qu’en 1917. De 1809 à 1917, elle fût sous la tutelle de la Russie en tant que territoire semi-autonome. Cette période, marquée par plusieurs guerres sanglantes entre les deux puissances se symbolise par la forteresse de Suomenlinna, à l’entrée de la ville, que l’Atelier Europe a eu la chance de visiter.

Sous une pluie battante, et un froid glacial, nous avons pu ressentir l’intensité des batailles et toute l’histoire que cette île forteresse abrite. Suomenlinna, emblème du soulèvement de la Finlande, représente la période de la construction d’une identité nationale.

Ce n’est que le 6 décembre 1917, en pleine révolution russe, que la Finlande obtient son indépendance. Toutefois, à peine autonome, une guerre civile éclate en 1918 et se termine par la défaite des « rouges » soutenus par l’URSS.

La naissance de l’identité finlandaise

La Finlande se distingue de ses homologues Suédois et Norvégiens par son histoire. En effet, trop souvent associée par inadvertance aux pays scandinaves, la Finlande est bien un pays du Nord.

La construction des mythes fondateurs et donc de la mentalité finlandaise est née au XIXe siècle, quand la Finlande était intégrée à la Russie.

Les traditions fondatrices sont toujours très présentes et très respectées dans les mentalités finlandaises contemporaines. A titre d’exemple, la composition Finlandia écrite par l’un des plus grands compositeurs du pays Jean Sibelius pour l’exposition universelle de 1900 est aujourd’hui l’hymne culturel finlandais.  Cette partition, repère de l’identité nationale, s’inscrit 100 ans après toujours aussi bien dans le paysage finlandais. L’académie Nationale de Finlande construite en 1882, fût rebaptisée en 1939, l’académie Sibelius, pour honorer son grand compositeur et témoigner de l’importance des mythes fondateurs dans la société finlandaise.

Les membres de l’Atelier Europe ont visité l’Académie Nationale de Finlande accompagnés par Olli Vartiainen, un chef d’orchestre de l’institution. Ce chef d’œuvre est l’illustration de la Finlande d’aujourd’hui : un équilibre complexe entre une identité imprégnée par son histoire et une économie en pleine mutation. Le bâtiment fraîchement refait ne laisse personne indifférent ; sa taille imposante, son design récent et ses installations confortables mettent en avant le savoir-faire finlandais.

Finlande-Russie : un respect profond construit dans le sang

Les relations entre la Finlande et la Russie sont complexes – si complexes que certains des fonctionnaires que nous avons rencontrés lors de notre voyage d’études ont préféré rapidement changer de sujet. Ceux qui étaient disposés à répondre à nos questions ont donné une image mitigée : d’une part, ils ont salué le dialogue régulier et ouvert entre le président finlandais et le président russe ces jours-ci. D’un autre côté, il subsiste une certaine méfiance qui trouve ses racines dans les guerres acharnées entre les deux pays dans le passé. L’exemple le plus récent est la «guerre de continuation» (1941 à 1944) qui est bien captée dans l’épopée finlandaise «Le soldat inconnu» que nous avons pu visionner.

L’histoire troublée avec son voisin explique également pourquoi la Finlande a toujours un service militaire national (280 000 soldats, y compris la réserve) et met fortement l’accent sur la coopération européenne dans le domaine de la défense et de la cybersécurité. Pourtant, les deux tiers des Finlandais sont contre l’adhésion à l’OTAN afin de rester neutres comme nous l’a souligné Serge Tomasi, l’ambassadeur de France en Finlande. «Aujourd’hui, si un Russe regarde à travers la frontière, il voit un Finlandais ; si on faisait partie de l’OTAN, il verrait un ennemi ».

Ce mélange complexe de sentiments permet probablement à la Finlande d’avoir une vision plus équilibrée et réaliste de la Russie que de nombreux autres pays européens. Elle devrait donc avoir une voix importante dans la détermination de la politique commune de l’UE à l’égard de la Russie. Dans ce contexte, nous avons trouvé la proposition d’un universitaire finlandais, qui suggère que l’Europe s’aligne sur une stratégie énergétique envers la Russie basée sur des critères environnementaux, particulièrement intéressante. Selon lui, l’Europe a l’obligation morale d’utiliser son pouvoir de négociation en tant que principal client pétrolier et gazier de la Russie pour pousser la transition du pays vers plus de durabilité.

Un pays profondément tourné vers l’Europe

L’Union Européenne est une constellation d’avantages comparatifs époustouflants. Chaque pays, du plus petit au plus vaste, du PIB le plus important au plus faible, a ses atouts et ses lignes de force. L’Union Européenne se doit d’être l’organisation qui permet de révéler ces forces pour qu’elles profitent à l’ensemble de l’Union. Qu’il y ait un effet de synergies créatrices. Partager avec le voisin pour le faire grandir plutôt que de le percevoir comme une menace. Mettre en œuvre une horizontalité collective plutôt qu’une verticalité qui verrait certains pays dicter leur loi et leurs méthodes à l’ensemble de l’Union. Au cours d’un précédent voyage, nous avons par exemple vu à quel point l’Estonie, pays de 1,3 million d’habitants, est en avance sur la plupart de ses voisins pour ce qui est de la digitalisation de ses services publics et comment cela augmente leur efficacité et le confort des citoyens.

La Finlande ne nous a pas déçus non plus. Nous avons tout à apprendre de ce pays extrêmement en pointe sur deux sujets en particulier. Le premier a été évoqué plus haut dans cet article, il concerne les relations de la Finlande avec la Russie et l’immense poids de négociation face à ce géant de l’est, inversement proportionnel à sa taille. Le second est l’invention d’un avenir plus pérenne. L’Ambassadeur de France nous a aussi partagé l’engagement de ce pays d’atteindre un objectif de neutralité carbone dès 2035 au niveau du pays tout entier, ce qui est extrêmement ambitieux et précurseur.

Pour cela, le gouvernement a par exemple offert à ses citoyens la création du Sitra Fund à l’occasion du 50èmeanniversaire de l’indépendance. Cet outil est chargé d’inventer l’avenir de la Finlande avec deux axes de recherches et d’investissements principaux : le bien-être et l’économie circulaire. Il met par exemple à disposition des citoyens un outil en ligne permettant de réduire leur empreinte carbone au quotidien, a financé Ultima (un restaurant qui cultive ses propres plantes) ou bien encore Nolla, un autre restaurant qui prône le zéro-déchet. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est Helsinki qui a accueilli le World Circular Economy Forum en 2019.

Une économie tournée résolument vers l’innovation

Le renouveau de l’économie finlandaise

Aujourd’hui, la Finlande s’appuie sur son identité affirmée pour favoriser le renouveau économique. Nokia est de loin le meilleur exemple pour illustrer la transformation de l’économie finlandaise. L’entreprise représentait plus de 25% des exports finlandais dans les années 90. L’économie du pays alors fructueuse était basée sur les nouvelles technologies. Les années 2000 marquent un ralentissement économique pour le pays puisque la marque de téléphone n’a pas pris le virage du smartphone. L’entreprise s’est retrouvée grandement diminuée et le pays a mis en place de nombreuses initiatives pour répondre à l’accroissement du chômage qui n’est aujourd’hui plus que de 7%. Forte de sa transition économique réussie, la Finlande est l’un des quatre pays de la zone euro encore classé AAA et montre à l’Europe toute sa solidité.

Un écosystème d’innovation extrêmement vigoureux

L’écosystème des startups finlandais est aujourd’hui en pleine ébullition et est identifié dans le paysage européen de la tech, notamment grâce à l’événement Slush. La chute de Nokia semble en effet avoir favorisé l’émergence des startups finlandaises avec de nombreux talents qui se sont soudain retrouvés sur le marché du travail. Cela a coïncidé avec un changement de mentalités des étudiants fraîchement diplômés (notamment de la fameuse université Aalto) qui trouvaient plus attrayant de monter leur entreprise que de devenir banquier ou consultant.

Ces jeunes entreprises sont très soutenues, à la fois par le secteur public avec Business Finland qui aide au financement de la croissance mais également par le secteur privé/associatif avec quelques acteurs bien identifiés qui fédèrent les communautés entrepreneuriales, les aident à trouver des talents (notamment internationaux) et à se financer. Le Campus Maria 01 ou The Shortcut sont en ce sens incontournables à Helsinki.

La Finlande se distingue notamment par son secteur du jeu vidéo (avec l’emblématique Angry Birds de l’entreprise Rovio) et ses déclinaisons en entreprises avec toute la gamification liée.

Enfin, les startups finlandaises sont très européennes dans le sens où leurs talents viennent de toutes l’Europe, elles se financent largement auprès de l’Europe (40% des dossiers qu’elles déposent en vue d’obtenir un financement européen sont acceptés) et s’adressent par défaut au marché européen, le marché national étant trop restreint.