Les projets collectifs du Master Affaires européennes, cuvée 2014

1024px-Entree_scpoDepuis 2009, l’Atelier Europe accompagne les étudiants du Master Affaires européennes de Sciences Po Paris dans la réalisation de leurs projets collectifs. Les sujets proposés chaque année s’inscrivent dans le débat politique européen, et permettent aux étudiants de mener une réflexion de fond en équipe, de la confronter avec des experts institutionnels, académiques et du secteur privé.

Les productions, documentaire audiovisuel ou note d’analyse, ont été présentés lors d’une soirée à Sciences Po organisée le 16 mai dernier et sont ensuite publiées sur les sites web de Sciences Po et de l’Atelier Europe, afin de valoriser le travail accompli et apporter la contribution des étudiants au débat européen. Nous les félicitons pour le travail accompli.

Pour cette année marquée par les élections européennes, trois sujets ont été retenus :


1) La mutualisation des capacités de défense conduira-t-elle à une armée européenne ?

La crise économique et financière a contraint les États européens à réduire leurs budgets consacrés à la défense, et à mutualiser certaines activités. L’industrie de la défense, fédéralisée dans certains cas, concurrentielle dans d’autres, représente un enjeu de bassin d’emploi pour les États, la standardisation du matériel a été effectuée sur les critères de l’OTAN, mais nombre d’États considèrent encore ce secteur comme un domaine de souveraineté.

Romane Audras, Charles Goislard de Monsabert, Carole Moyne, Jihye Kang et Friederike Richter ont étudié les avancées en matière de mutualisation des capacités de défense, d’un point de vue politique et non technique, en analysant les freins à lever pour permettre à une armée européenne effective de voir le jour, sans occulter le lien avec les diplomaties nationales & européennes. La réunion du Conseil Européen de décembre 2013 portait notamment sur la Politique de sécurité et de défense commune, et la crise en Ukraine révèle une fois de plus la pertinence d’une réflexion sur une défense européenne.

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L’Europe de la Défense from Atelier Europe on Vimeo.
2) Les régions et l’Europe, contre les États ?

Concernant les régions et l’Europe, depuis les débuts de la construction européenne, les fonds européens participent au développement économique et social des régions, le statut des langues régionales a fait l’objet d’un avenant aux traités fondateurs de l’Union européenne… De nombreux États sont réticents à un approfondissement de l’intégration, alors que les régions y sont favorables et y voient un moyen d’émancipation. Le morcellement régional (Ecosse, Catalogne, etc.) favorisera l’intégration politique de l’UE ou, a contrario, son atomisation ?

Par une étude comparative de différentes régions européennes, aspirant au statut d’État ou de gouvernement autonome, Alice Colombo, Laurie Croze, Maxime Delattre, Julian Gopffarth et Niccolo Ruben Pagani ont analysé le lien de ces régions à leur gouvernement national et à l’Europe, sous le prisme de l’intégration et la perspective des referenda en Écosse et en Catalogne (respectivement en septembre et novembre 2014), la campagne des élections européennes étant déjà un premier round pour les indépendantistes.

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Le résumé en anglais:

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3) Les élections européennes : vers une politique paneuropéenne ?

Enfin, Alessandra Cardaci, Scott Magalich, Paula Rettl Ferreira Santos et Marlène Schüsseler du projet « les élections européennes : vers une politique paneuropéenne ? » ont rendu une étude écrite. Après une première partie descriptive sur le Parlement européen, son rôle et ses compétences, la partie centrale de l’étude a examiné la campagne pour les prochaines élections européennes dans plusieurs pays européens, à partir d’interviews avec des hommes politiques, journalistes, experts et personnalités impliquées dans la campagne. Cette étude visait notamment à élucider les principaux thèmes mis en avant à l’occasion de la campagne, la mobilisation engendrée par celle-ci et son rôle dans le débat politique national. En comparant les différents pays considérés, les étudiants se sont efforcés de tirer des conclusions générales quant à l’émergence d’un débat et de thématiques politiques proprement européennes.

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Le résumé en français:

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Thomas Mimra & Quentin Perret

Photo: Wikimedia

L’autre 9 mai à Kiev

L’Ukraine est aujourd’hui plongée dans une situation inextricable qui laisse les citoyens perplexes, voire désemparés, malgré la fierté d’avoir exprimé fortement leur volonté contre un pouvoir élu mais corrompu. Comme les Indignés à l’Ouest, mais avec une intensité sans commune mesure et dans un contexte très différent, les révoltés de Kiev ont apporté leur propre réponse à la crise du système représentatif et à l’introduction longtemps théorique mais aujourd’hui pressante d’éléments de démocratie directe.

kievRevenons à Kiev. Situation étrange où le témoignage d’une révolution se résume à une seule place, cette Maïdan devenue star médiatique et dont la vie singulière se perpétue dans un fatras de guérilla urbaine, mais curieusement bien agencé, et grâce à quelques irréductibles dont on ne sait si ce sont les vrais héros des journées meurtrières ou de vagues figurants venus chiper les derniers restes de gloire. En treillis ou en tenue cosaque, l’effet est assuré pour le touriste de l’information mondialisée. Kiev est calme, étale comme le Dniepr, et la douceur trompeuse de ce mois de mai ne laisse guère imaginer que le destin territorial du pays est aujourd’hui entre les mains de factions qui ressuscitent le spectre des pratiques totalitaires: scrutins biaisés, désinformation, intimidations et système de peur généralisée.

Une interrogation prédomine à Kiev, comment ce pays historiquement dual, européen (« nous ne laisserons personne d’autres que nous-mêmes, pas même l’UE, juger de notre identité européenne que nous ressentons profondément », nous a-t-on affirmé avec émotion) mais aussi russophone/phile non seulement à l’Est et au Sud mais dans une forme d’imbrication historique, a pu évoluer en quelques mois d’une relative sérénité à une situation sécessionniste? L’affaire ukrainienne est un des nombreux ersatz de l’histoire européenne, celle d’un continent atomisé où les dominants jouent leur avantage sans considération des petits pays ballotés et écrasés. L’UE s’est précisément construite après l’échec du système metternichien d’équilibre des puissances qui fut non seulement néfaste pour ces petits États mais in fine un jeu à somme nulle pour tous où les puissants finissent par s’affronter, menaçant ainsi l’ensemble du continent.
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Les projets collectifs au cœur des élections européennes!

plenaryDepuis 2009, l’Atelier Europe accompagne les étudiants du Master Affaires européennes de Sciences Po dans la réalisation de leurs projets collectifs. Les sujets proposés chaque année s’inscrivent dans le débat politique européen, et permettent aux étudiants de mener une réflexion de fond en équipe, de la confronter avec des experts institutionnels, académiques et du secteur privé. Les productions, documentaire audiovisuel ou note d’analyse, sont publiées sur le site web de Sciences Po et du think tank Atelier Europe, afin de valoriser le travail accompli et apporter la contribution des étudiants au débat.

Pour cette année marquée par les élections européennes, trois sujets ont été proposés:

  • la mutualisation des capacités de défense conduira-t-elle à une armée européenne?
  • les régions et l’Europe, contre les États?
  • les élections européennes: vers une politique paneuropéenne?

La crise économique et financière a contraint les États européens à réduire leurs budgets consacrés à la défense, et à mutualiser certaines activités. L’industrie de la défense, fédéralisée dans certains cas, concurrentielle dans d’autres, représente un enjeu de bassin d’emploi pour les États, la standardisation du matériel a été effectuée sur les critères de l’OTAN, mais nombre d’États considèrent encore ce secteur comme un domaine de souveraineté.

Les étudiants ont étudié les avancées en matière de mutualisation des capacités de défense, d’un point de vue politique et non technique, en analysant les freins à lever pour permettre à une armée européenne effective de voir le jour, sans occulter le lien avec les diplomaties nationales et européennes. La réunion du Conseil Européen de décembre 2013 portait notamment sur la Politique de sécurité et de défense commune, et la crise en Ukraine révèle une fois de plus la pertinence d’une réflexion sur une défense européenne.

Concernant les régions et l’Europe, depuis les débuts de la construction européenne, les fonds européens participent au développement économique et social des régions, le statut des langues régionales a fait l’objet d’un avenant aux traités fondateurs de l’Union européenne… De nombreux États sont réticents à un approfondissement de l’intégration, alors que les régions y sont favorables et y voient un moyen d’émancipation. Le morcellement régional (Écosse, Catalogne, etc.) favorisera l’intégration politique de l’UE ou, a contrario, son atomisation?

Par une étude comparative de différentes régions européennes, aspirant au statut d’État ou de gouvernement autonome, les étudiants ont analysé le lien de ces régions à leur gouvernement national et à l’Europe, sous le prisme de l’intégration et la perspective des referendums en Ecosse et en Catalogne (respectivement en septembre et novembre 2014), la campagne des élections européennes étant déjà un premier round pour les indépendantistes.

Enfin, les étudiants du projet « les élections européennes: vers une politique paneuropéenne? » rendront une étude écrite. Après une première partie descriptive sur le Parlement européen, son rôle et ses compétences, la partie centrale de l’étude a examiné la campagne pour les prochaines élections européennes dans plusieurs pays européens, à partir d’interviews avec des hommes politiques, journalistes, experts et personnalités impliquées dans la campagne. Cette étude vise notamment à élucider les principaux thèmes mis en avant à l’occasion de la campagne, la mobilisation engendrée par celle-ci et son rôle dans le débat politique national. En comparant les différents pays considérés, les étudiants se sont efforcés de tirer des conclusions générales quant à l’émergence d’un débat et de thématiques politiques proprement européennes.

Les étudiants de ces trois projets collectifs présenteront leurs travaux

le vendredi 16 mai, de 17h à 20h
dans l’amphi Jean Moulin, 13 rue de l’Université,

venez débattre d’Europe avec eux!

Thomas Mimra & Quentin Perret
Atelier Europe

Sur Facebook

Photo: Parlement européen

Le FN et l’UE, l’argument du capitulard

UE capitulards

Les propositions sur l’Europe de Marine le Pen et de ses fidèles, d’une médiatique caricature, l’UE étant le contraire du cochon, tout y serait mauvais, sont d’un opportunisme crasse. Tout et son contraire se côtoie dans un foutoir programmatique, avec pour unique but de justifier l’imparable : la France sans l’UE serait sauvée de tous les maux. La profondeur de l’argument fait penser, l’humour en moins, au propos du conservateur Boris Johnson, alors candidat victorieux à la mairie de Londres : votez Tories et votre femme aura des seins plus gros !

L’euro est l’étendard de la contestation du bien-fondé de l’Union. L’euro surévalué serait la principale raison de nos difficultés économiques. Pourtant, la dévaluation compétitive n’a jamais été efficace sur la durée (cf en France dans les années 1980), l’avantage ainsi créé étant de court terme (en revanche cela fausse le jeu et cela perturbe les anticipations des acteurs, notamment des entreprises en matière d’investissement). Surtout, la majorité des échanges de la France sont en Europe, avec des partenaires qui partagent notre monnaie mais avec lesquels nous avons quand même perdu des parts de marché. Faute d’euro, l’existence probable d’une guerre monétaire à partir de 2008, précisément à coup de dévaluations compétitives, aurait eu des effets désastreux pour notre économie.
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La Grèce: miroir déformé de l’Union ?

Grèce01On croit bien connaître la Grèce, ses philosophes, cette civilisation née dans le berceau méditerranéen et qui a réalisé une synthèse harmonieuse de plusieurs héritages antiques (la pensée grecque, l’autorité romaine, la spiritualité judéo-chrétienne). Son image, aussi, de carte postale éculée avec ses îles sublimes et son régime alimentaire crétois désormais recommandé par les nutritionnistes du monde entier. Mais pour notre onzième visite de Présidence, plonger dans la réalité de ce pays quelque peu emblématique de la crise de l’Euro, pour comprendre ses contradictions et ses composantes très disparates, se révèle être un exercice délicat, et complexe.


Entre ouverture et isolationnisme

Il faut d’abord rappeler que la Grèce est un État relativement jeune, puisque l’État indépendant tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existe que depuis moins de 200 ans, sans oublier que le pays ne connait ses frontières actuelles que depuis 1947. Ce rappel historique rebondit sur la question identitaire (« quel peuple a été libéré? »), au cœur des problématiques politiques actuelles de beaucoup d’États européens (relire l’article de l’Atelier Europe sur Le Mantra identitaire en Europe). Quelles sont les composantes de l’État grec? En pleine crise ukrainienne, il nous a semblé amusant d’entendre qu’ici aussi, on oppose un Ouest davantage ouvert sur le monde, se fondant sur l’antique thalassocratie, à une partie orientale plus isolationniste, qui souhaite une Grèce repliée sur ses traditions ancestrales, avec l’idée d’un retour à la mythique période byzantine, le tout agrémenté d’une pointe de nationalisme. Partant de ce constat, il nous a été souligné, au cours d’une discussion avec un Professeur de philosophie, que la crise grecque actuelle est en fait le résultat de cette opposition de valeurs. Revenons donc un petit moment sur l’histoire pour comprendre les débats qui agitent la société grecque actuelle. En 1974, lorsque la dictature tombe, concluant de facto 30 ans de guerre civile, nous a-t-on précisé, les Grecs ont placé d’immenses espoirs dans l’Europe, ses institutions, ce qu’elle pouvait apporter au pays pour l’aider à construire un État moderne. L’adhésion à l’UE fut rapide, dès 1981, mais, rétrospectivement, une partie des Grecs considèrent que pendant cette période, malgré l’injection massive de liquidités, l’Union a échoué dans son rôle de guide, pour donner une direction claire à la Grèce. De fait, dès cette époque, se sont opposées deux classes de citoyens: d’une part ceux qui profitaient de l’association avec l’UE, et d’autre part ceux qui étaient laissés pour compte, sans comprendre réellement ce processus d’intégration européenne. Aujourd’hui encore, ce sentiment que l’UE, en imposant ses politiques d’austérité, punit les Grecs parce que l’argent communautaire a été mal géré, est encore très présent au sein de la population et de certains partis politiques grecs.


Une société conformiste

Du marasme actuel, beaucoup attendent que la crise amène à une refonte totale du fonctionnement du système politique, revisitant également la place de l’église orthodoxe (même si la société est en voie de « sécularisation »), et amenant à une réflexion sur le rôle que la Grèce peut avoir dans une Union élargie, et dans un monde globalisé. Or pour réformer, il faut de nouvelles têtes, et de nouvelles idées. Mais la Grèce, qui a posé les bases de la civilisation occidentale (elle nous a apporté la raison, la liberté, la démocratie et plus globalement la science politique, l’esthétisme, la pensée humaniste, etc.), n’est plus le phare qu’elle était au regard du monde des Idées et de la pensée théorique. L’Université grecque est dans un état de déliquescence inquiétant. Le problème de l’éducation est une question majeure pour le pays. La plupart des instituts de recherche ne publient pas dans des langues étrangères. C’est une recherche très isolée qui ne se confronte donc plus au monde. La société grecque souffre d’un conformisme ambiant, qui se retrouve dans la faible adhésion aux grandes idéologies politiques (le goût du concret et la méfiance envers les théories font partie de l’héritage civilisationnel grec). La société grecque ne croît pas aux miracles, et est restée très pragmatique (à mettre en rapport avec le fait que les Grecs sont les premiers à avoir fait confiance à la raison pour expliquer l’ordre de la nature). Les jeunes, fait tout à fait compréhensible, cherchent avant tout une formation qui leur assurera un avenir, et donc s’orientent davantage vers des cursus très professionnalisant, délaissant du même coup les « Humanités » et la philosophie politique. Et de se convertir, au grand dam des anciens, à l’alphabet latin.
05-DSC03433De ce manque d’émulation intellectuelle, peu d’idées nouvelles émergent, et il n’y a pas de consensus clair au sein de la population et de la classe politique sur la façon dont la Grèce pourrait surmonter ses faiblesses et ses blocages structurels actuels (la corruption, le poids des grandes familles, le fonctionnement clanique à tous les étages). Malgré des changements profonds dont les résultats commencent à se faire sentir, nous le verrons, c’est une société qui s’accommode des vieilles recettes, dans laquelle la relative stabilité politique s’apparente plus à une stagnation (« tout autre scénario serait pire » avons-nous entendu, ce qui rejoint le vieux proverbe grec « n’ajoutez pas à vos maux un remède pire que le mal »). La plus grande manifestation contre les plans d’austérité a regroupé 200 000 personnes, ce qui est relativement raisonnable compte-tenu du choc que cela a provoqué dans tous le pays. Pour 60 % des sondés, il faut abandonner le Mémorandum, mais 80 % de la population ne souhaite pas pour autant un retour au Drachme, et le maintien de la Grèce dans la zone euro est acquis. Comme partout en Europe, les partis politiques doivent s’ouvrir et être plus transparents, et la nécessité de voir émerger une nouvelle élite est urgente. Plus que de réformer en profondeur, l’idée dominante est de contenir la situation afin d’éviter un retour de boomerang de l’agitation sociale, alimentée par le désespoir d’une partie de la population. Une société qui peut donc paraître à première vue quelque peu soumise et ne se faisant pas confiance, mais il faut se méfier de l’eau qui dort.

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