L’Union européenne fait encore rêver… les Ukrainiens !

Baisier-ue-ukraineLes manifestations pro-européennes et contre le président ukrainien à Kiev font la Une des journaux. L’officialisation, le 29 novembre, lors du Sommet du Partenariat oriental qui se tenait à Vilnius, par Viktor Ianoukovitch de sa volonté de reporter sine die la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne a réveillé les passions européennes des citoyens ukrainiens qui avaient déjà fait la preuve, en 2004, lors de la Révolution Orange, de leur capacité à faire entendre leur voix dans la rue.

L’Union européenne oublie le facteur russe dans ses négociations avec les États du Partenariat oriental

Depuis dix ans l’Union européenne s’efforce de consolider ses relations diplomatiques avec ses voisins. D’abord de manière globale, avec, en 2004, le lancement de la Politique européenne de voisinage (PEV), qui s’adresse à tous les États frontaliers qu’ils se trouvent au Sud ou à l’Est de l’Union. Puis, en 2009, elle décide de régionaliser sa politique étrangère dans le cadre de la PEV en instaurant, pour ses voisins de l’Est, le Partenariat oriental, un instrument qui s’adresse exclusivement aux six États qui constituent ce que l’on nomme le voisinage commun avec la Russie: la Biélorussie, la Moldavie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie. Le Sommet du Partenariat oriental, organisé par la Présidence lituanienne de l’Union européenne à Vilnius, les 28 et 29 novembre derniers, devait se solder par la signature d’accords d’association entre l’Union européenne et certains de ses partenaires orientaux. Des avancées significatives dans les négociations en cours depuis quatre ans avec les autres étaient attendues. Partenariat oriental: cliquer pour voir en plus grandLe Sommet ne devait être qu’une formalité, jusqu’à ce que la Russie, cet été, décide d’entrer dans le jeu, en proposant à certains des États concernés un projet concurrent: celui d’une Union eurasienne, une intégration à terme à la fois économique et politique, un équivalent réussi de l’Union européenne selon les mots du président russe Vladimir Poutine. Ni la Géorgie, clairement anti-russe et pro-européenne, ni l’Azerbaïdjan, suffisamment puissant économiquement pour être indépendant, n’étaient visés par cette proposition. En revanche, la Russie a mis tous les moyens en œuvre pour faire pencher les gouvernements ukrainien et arménien en sa faveur. L’Ukraine a même subi un sort tout particulier, en raison des penchants ouvertement pro-européens d’une partie de sa population et de l’intérêt stratégique de l’Ukraine pour la Russie. Elle a donc dû choisir entre une future union avec la Russie et un accord avec l’Union européenne, sous la menace de sévères répressions économiques de la part de la Russie. Il est important de souligner à cet égard que Vladimir Poutine n’a pas soumis l’Arménie au même traitement: bien que le président arménien ait lui aussi subi des pressions avant de dire oui à l’Union eurasienne en septembre, le président russe l’a laissé confirmer, le 29 novembre à Vilnius, sa volonté de continuer les négociations avec l’Union européenne dans le cadre du Partenariat oriental

L’Union européenne ne s’est pas montrée à la hauteur pour défendre et sauver le Partenariat oriental, elle s’est concentrée sur les éléments techniques alors que la Russie a fait de la politique. L’Union européenne a pris le risque de poser comme condition à la signature de l’accord d’association, la libération, ou au moins le transfert en Allemagne, de l’ancien Premier ministre, Ioulia Timochenko, incarcérée depuis 2011. Le résultat semble sans appel: à Vilnius, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a reporté la signature, allant depuis jusqu’à évoquer une renégociation de l’accord – pourtant déjà paraphé – avec l’Union européenne.

Des présidents ukrainien et russe confrontés à la force de la démocratie

Mais une partie importante des citoyens ukrainiens ne semble pas prête à accepter que son pays se plie aux volontés du Président russe, si elle estime que cela n’est pas dans son intérêt. Ce refus est d’autant plus fort que Ianoukovich s’était fait élire sur un programme clairement pro-européen. En 2004 déjà, au cours de ce que l’on a appelé la Révolution orange, les Ukrainiens ont massivement protesté contre les résultats de l’élection présidentielle selon eux frauduleuse, qui avait donné Viktor Ianoukovitch vainqueur au deuxième tour. Manifestations-ukraineLes manifestants eurent alors gain de cause: la Cour suprême annula le scrutin et Viktor Iouchtchenko emporta la nouvelle élection avec 52 % des voix, contre 44 % pour son rival Viktor Ianoukovitch. Ce dernier revint malgré cela au pouvoir, en 2010, en raison notamment de scandales de corruption qui avaient fini par ruiner la crédibilité du gouvernement de Ioulia Timochenko. Aujourd’hui les Ukrainiens sont à nouveau dans la rue, nombreux, persistants – les températures sont déjà négatives en ce moment à Kiev – réclamant la démission de leur Président, des élections anticipées et la reprise immédiate du rapprochement avec l’Union européenne. Dans les deux cas, la Russie a fortement influencé la politique ukrainienne. C’est probablement ce qui a, à chaque fois, profondément irrité les citoyens ukrainiens, et en particulier les Ukrainiens pro-européens qui se battent pour une Ukraine indépendante de la Russie. Après ces deux événements, à presque dix ans d’intervalle, la Russie peine à considérer que l’Ukraine évolue de manière autonome et indépendante, que l’URSS n’est plus, et que les Ukrainiens, ayant pris goût à la démocratie, sont décidés à utiliser sans hésitation les pouvoirs qu’elle leur donne.

La schizophrénie des dirigeants ukrainiens: vers des négociations tripartites?

Il est évident que face à des manifestations d’une telle ampleur – la place de l’Indépendance ne désemplit pas et l’opposition appelait à la grève générale lundi 2 décembre – le pouvoir ukrainien ne peut pas rester impassible et semble pourtant peiner à trouver une issue acceptable par toutes les parties. Les premiers événements ont été réprimés brutalement, on a dénombré des dizaines de blessés, le quartier général de l’opposition a été saccagé, mais le président Viktor Ianoukovitch a depuis donné l’ordre aux forces de police de ne plus disperser les manifestants pacifiques dans la violence. La crainte d’être pointé du doigt par le
s puissances occidentales et de se retrouver isolé y est certainement pour quelque chose. Toutefois l’Ukraine est un pays très divisé, grossièrement autour d’un axe pro-européens versus pro-russes, et l’impression d’unanimité que donnent les images – et les chiffres – des manifestations à Kiev de ces derniers jours est à relativiser. En effet, et cela se ressent notamment lors des échéances électorales, si une moitié environ de la population est favorable à un rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne, une autre moitié se sent toujours plus proche de la Russie. Il est à cet égard très intéressant de noter que des anciens, auparavant traditionnellement plutôt pro-russes et pour certains nostalgiques de l’URSS (les retraités notamment), ont également participé aux manifestations, qui ne sont donc pas uniquement le fait de la nouvelle génération, plus ouverte sur le monde, et qui aspire bien évidemment à se rapprocher de l’Union européenne.

Le discours de Viktor Ianoukovitch le 1er décembre reflète cette situation quelque peu schizophrénique. En effet, alors qu’il vient d’annoncer l’interruption du processus de négociations avec l’Union européenne à Vilnius, il déclare désormais qu’il est indispensable de renforcer le rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne, tout en insistant sur la nécessité d’intégrer la Russie à un tel processus et de traiter, dans cette combinaison tripartite, d’égal à égal. Un discours qui rappelle étrangement les déclarations de Vladimir Poutine, lorsqu’il avait refusé de participer à la politique européenne de voisinage en 2004, considérant, sans doute à juste titre, son pays comme une grande puissance internationale, outrée d’être ainsi traitée sur le même plan que les anciennes républiques soviétiques. L’Union européenne acceptera-t-elle de se faire dicter sa politique par le Kremlin? Les Ukrainiens pro-européens se satisferont-ils d’un tel format, dans lequel Moscou aurait toute sa place, alors qu’ils tentent de consolider l’indépendance de leur pays face à la Russie ?

La puissance d’attraction de l’État de droit symbolisé par l’Union européenne

Quelle que soit l’issue de ces événements, dans l’atmosphère eurosceptique qui prévaut actuellement dans les États-membres de l’Union européenne, les élans europhiles des Ukrainiens, même s’ils ne représentent qu’une partie de la population, donnent à réfléchir. Ils nous rappellent que, malgré les ressentis en interne, l’Union européenne est toujours perçue de l’extérieur comme une grande puissance économique attractive, où prévaut l’état de droit. Car dans le choix entre les deux ensembles c’est essentiellement de cela qu’il s’agit: des normes européennes, un cadre juridique rassurant, par opposition à un fonctionnement postsoviétique encore dicté par la corruption, l’arbitraire, le manque de transparence et une séparation des pouvoirs trop ténue. Toutefois, cet engouement pour l’Union européenne n’est-il pas plutôt un attrait pour l’Europe, incarnée par ses grandes capitales dynamiques et cosmopolites, plus que par ses institutions? Une des explications de cette indifférence pour l’Union européenne chez les 28 ne serait-elle pas liée à cette absence d’adéquation entre l’Europe et l’Union européenne dans son fonctionnement institutionnel ?

 

Loé Lagrange

Photos, de haut en bas:
Le Monde
Courrier international
Yahoo Actualités

Il faut que tout change pour que rien ne change

Présidence_lituanienne_du_Conseil_de_l‘Union_européenne_2013_logo_horizontal_RGB.svgÀ Vilnius, alors que nous sortions de notre rendez-vous au Ministère des Affaires étrangères, nous assistâmes à une manifestation célébrant l’amitié lituano-ukrainienne, comme au temps des pays frères. Le poids des habitudes, l’héritage mental de l’époque soviétique se retrouvent aux détours des rues; y compris dans les détails de la vie courante comme la langue russe qui revient (en tant que langue des affaires notamment), l’idée de services assez étrangère dans les endroits publics de cette partie du monde (malgré une population fort accueillante), ou bien encore la méfiance, parfois passionnelle, vis-à vis de la Russie.
ManifestationLe mur est tombé et l’URSS a implosé, reléguant la faucille et le marteau au rayon jardinage, mais la géopolitique aussi a ses invariants, et elle est toujours régie ici par le concept de « zero sum game », selon lequel les stratégies étatiques sur la scène internationale s’élaborent dans une perspective binaire.
Ce qu’un État gagne, l’autre le perd. Autrement dit, si un État devient plus puissant, l’autre État devient plus faible. Dans cette région du monde, l’application est limpide: ce que l’Occident gagnera, la Russie le perdra. Comme au bon vieux temps, chacun doit choisir son camp et maîtriser sa zone d’influence. C’est dans ce contexte d’une convalescence post-soviétique quasi achevée, où les stigmates de l’histoire sont cependant encore très prégnants, que la Lituanie a pris, le 1er juillet dernier, la Présidence du Conseil de l’Union européenne.

 

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Voyage d’études à Vilnius

Présidence_lituanienne_du_Conseil_de_l‘Union_européenne_2013_logo_horizontal_RGB.svgL’Atelier Europe se rendra en voyage d’études à Vilnius du 2 au 6 octobre, à l’occasion de la Présidence lituanienne du Conseil de l’UE.
Ce déplacement s’inscrit dans la continuité d’une tournée des capitales européennes initiée lors de la présidence tchèque, et qui a perduré depuis.

L’Atelier Europe fêtera son dixième voyage d’études en terre balte !
Ces voyages ont été l’occasion de rencontrer les gouvernements et acteurs institutionnels, et nous ont permis de mieux comprendre les priorités de chaque présidence, leur mise en œuvre et la carte mentale de l’Europe de nos partenaires.

Programme des rencontres :
Martynas Lukoševičius, conseiller diplomatique auprès de la Présidente de la République de Lituanie
Maryse Berniau, Ambassadeur de France à Vilnius

Ministères des Affaires étrangères
Edminas Bagdonas, Directeur du département partenariat oriental
Gediminas Varvuolis, Directeur du département pour la coopération transatlantique
Jonas Daniliauskas, Directeur des affaires politiques

Zilvinas Silenas, Président du Lithuanian Free Market Institute
Mantas Adomėnas, député démocrate-chrétien, universitaire
Linas Balsys, député, Président du Parti des Verts de Lituanie

Retrouvez prochainement le compte-rendu du voyage d’études sur notre site.

Invitation: 15 octobre 2013 – Devons-nous être des Allemands du Sud ? Débat sur une 3ème voie européenne

AE-logo-13 en association avec

Site de la Factulté des Sciences Sociales & Politiques Paquita Romson Production Toute l'Europe Site de l'Université Libre de Bruxelles

 

 

 

 

DEVONS-NOUS ÊTRE DES ALLEMANDS DU SUD ?

Débat sur une 3ème voie européenne

Projection-débat autour du film inédit (durée: 50’) de F. Manceaux
« Portugal: l’Europe de l’incertitude »

Le thème général du film traite du Portugal comme laboratoire des politiques d’austérité européennes. 

Nos invités

Daniel Cohn-Bendit,
Député européen, groupe Verts/ALE

Antoine Kasel,
Ancien sherpa de Jean-Claude Juncker,
Conseiller financier (RP Luxembourg)

Le débat qui suivra la projection se concentrera plus généralement sur la crise en Europe: les politiques d'austérité et les effets concrets des politiques publiques. Dans un contexte de montée en puissance des partis eurosceptiques et populistes de droite comme de gauche, l’objectif de cet évènement est de dépasser le simple constat et état des lieux afin de dégager des propositions fortes qui pourront être reprises par les partis politiques européens. Partant du constat de la pauvreté des propositions émanant des partis politiques traditionnels, notre évènement se veut être une initiative citoyenne, qui entend clairement peser sur les thèmes de la campagne de 2014.

MARDI 15 OCTOBRE 2013
Université libre de Bruxelles
Campus du Solbosch, bâtiment S
Salle Dupréel
entrée par 44 avenue Jeanne, 1050 Bruxelles, 1er étage

18h00 – 20h00

Inscription:

 

Quel gouvernement économique pour l’Union européenne ?

Jocelyn Guitton, membre du bureau de l’Atelier Europe et maître de conférence à Sciences Po, publie cette semaine un essai sur la gouvernance économique de l’Union européenne, fruit de réflexions formées au cours de ses activités professionnelles, d’enseignement et associatives, au sein de l’Atelier Europe notamment. L’ouvrage est préfacé par le Commissaire européen Michel Barnier.

QGEPlUE-JCDepuis le déclenchement de la crise financière en 2007, puis de la crise des dettes souveraines en 2009, l'Union européenne s'est en effet profondément réformée, à un rythme inconnu jusqu'alors. C'était nécessaire, mais rien n'indique que cela sera suffisant néanmoins.

La crise de la zone euro est avant tout une crise de crédibilité et d'indécision, de ses politiques et de ses institutions, c’est-à-dire en somme de sa gouvernance, dont les rouages n'ont pas permis l'émergence d'un véritable gouvernement économique européen.

Sur une scène économique mondiale où les pays émergents n'attendent pas le vieux continent pour aller de l'avant, il importe aujourd'hui plus que jamais d'aller vers un tel gouvernement, capable de prendre les mesures nécessaires pour sortir durablement de la crise et d’éviter que l'UE et ses membres ne se replient sur eux-mêmes, mais maintiennent au contraire leur leadership économique et politique.

Dans des termes accessibles, mais sans faire l'impasse sur les questions techniques nécessaires à la compréhension précise des enjeux, Jocelyn Guitton présente des pistes réalistes en vue de compléter une construction européenne ambitieuse, mais qui demeure inaboutie.

Information et achat sur le site de l'éditeur