Mais que fait donc la Commission européenne dans le transport urbain ? (petit exercice de subsidiarité appliquée)

Tramway L’Union européenne serait-elle en mesure d’adopter une réglementation sur les abribus et les portes coulissantes de nos autobus de ville? Certes, le sujet peu paraître bizarre et la question, secondaire. Mais si, comme moi, vous imaginez naïvement que, au nom du principe de subsidiarité, cette éventualité est à écarter, c’est l’occasion de faire un petit test.

Faisons un tour sur le site internet de la « DG MOVE » de la Commission européenne. Passons sur ce terme de MOVE, censé représenter la mobilité: la direction générale en charge des transports ayant en effet perdu, à la faveur du dernier remaniement de compétences, son ancien nom de TREN, qui synthétisait bien les notions de transports et d’énergie, elle s’est récemment vu attribuer cette nouvelle appellation anglophone qui fait immanquablement penser à la boîte de nuit du coin – move ton body-. Le nouveau terme doit, paraît-il, symboliser la fin des l’ère des transports et l’avènement du développement durable. Voyons ce qu’il en est.

On découvre, sur le site, que les institutions bruxelloises sont devenues fort actives dans les transports urbains: en 2007, un livre vert sur la mobilité urbaine; en 2008, un avis du comité des régions; en 2009, une résolution du parlement européen et en 2010, après la bataille et en « procédure d’urgence » (sic), un avis du conseil économique et social (tiens, on l’avait oublié, celui-là). La Commission consulte en ligne, récolte des avis, compulse des données. L’annuaire internet montre qu’une unité de 17 fonctionnaires (unité B. 4) travaille, à la DG MOVE, sur le sujet. Tout se concentre en 2009 dans une communication de la Commission qui contient le cœur du dispositif, un « plan d’action », et auquel le Conseil est obligé de répondre par des conclusions, pour faire bonne mesure.

Certes, il n’y a aucune initiative législative à ce stade. Et maligne, la Commission admet humblement que « les responsabilités en matière de politiques de mobilité urbaine incombent en premier lieu aux autorités nationales, régionales et locales », que « le but n’est pas d’imposer des solutions universelles ni des solutions venant d’en haut » ou qu’il s’agit de « proposer aux autorités locales, régionales et nationales de travailler en partenariats sur la base d’un engagement volontaire ».

Mais ces précautions oratoires cachent mal une envie d’action qui cherche son chemin. On fait feu de tout bois: la Commission nous rappelle que 72% de la population européenne habite en ville et que 85 % du PIB y est produit. Vous suivez le raisonnement? Elle argue de ce que les pratiques urbaines ont un impact sur la logistique de fret en Europe (problématique dite du « dernier kilomètre »), sur les émissions de CO2, sur la qualité de vie des citoyens, la mobilité des travailleurs, la lutte contre l’obésité ou l’accessibilité pour les handicapés. N’est-ce pas assez pour vous convaincre? Certes, le plan d’action en 20 points est encore assez modeste (création d’un observatoire du transport urbain, aides aux maires, études sur les zones vertes, guide sur les véhicules propres, conférence sur le transport urbain de marchandises…), mais il témoigne d’une véritable volonté d’agir. Cette volonté fait même parfois un peu pitié, comme dans cette phrase: « à brève échéance, la Commission peut aider les autorités et les parties concernées à examiner les possibilités de financement existantes et à mettre sur pied des formules innovantes de partenariat public-privé ». Dans le genre « n’ayez pas peur, on va vous faire un plan de financement pour la quatrième ligne de métro à Toulouse, on s’y connaît! »… la Commission propose ses services de banquière! Mais ne rions pas, le sujet urbain est bien sur les rails: une législation va finir par tomber. On en voit même déjà les contours: elle devrait concerner, si l’on en croit les lobbies automobiles qui ont flairé le filon, la façon dont certaines villes (comme Londres) restreignent l’accès de leur centre aux véhicules à moteur.

Le citoyen que je suis préférerait tout de même que la Commission s’abstienne de proposer de la législation dans les transports urbains. Si le principe de subsidiarité a un sens, c’est bien ici. Laissons de vrais banquiers s’occuper des problèmes de financements des villes; laissons les instances locales que nous avons élues prendre leurs responsabilités. Tous les sujets majeurs qui les touchent (non discrimination, développement durable, libre concurrence ou émissions de CO2) sont déjà traités dans d’autres législations européennes. Les villes et leurs partenaires connaissent mieux leur métier que la Commission européenne et la valeur ajoutée de l’Union est loin de sauter aux yeux. Que l’Europe, de grâce, s’occupe des vrais sujets: il n’en manque pas.

 

Pierre Vive

Un nécessaire changement de paradigme pour l’espace Euro-méditerranéen

Alors qu’un vent aux parfums de jasmin et de volonté démocratique souffle sur le Maghreb et le Machrek, la nécessité d’un changement d’approche dans les relations euro- méditerranéennes semble plus qu’urgent.

EarthLight-EuroMedit[1] Dans la continuité du Processus de Barcelone, l’Union pour la Méditerranée, créée lors du sommet de Paris en juillet 2008 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, s’est attachée à rapprocher les pays riverains du « Lac intérieur », en favorisant des projets de coopération sur des sujets à la fois consensuels et stratégiques (énergie, transports, culture…).

Au-delà de la noble intention, les motivations sous-jacentes et la gouvernance de ce projet se sont avérées incapables de bâtir une nouvelle donne. En effet, l’UPM a été, dès ses débuts, un outil diplomatique essentiellement français, piloté par la présidence de la République, servant notamment à proposer à la Turquie un partenariat renforcé en guise d’ersatz à une adhésion à l’UE, ce qui n’a guère trompé les héritiers de l’empire ottoman, qui ont préféré privilégier une diplomatie d’influence au Moyen-Orient, et tourner le dos à leurs interlocuteurs européens. De même, la maigre place accordée à Israël doit être revalorisée, dans un premier temps par de la coopération sur des domaines consensuels, comme la recherche, l’innovation, ou encore le développement durable. L’UPM n’a pas vocation a piloter le processus de Paix israélo-palestinien, n’ayant pas à ce jour une légitimité et un poids politique suffisant.

Ce Quai d’Orsay bis, servant presqu’exclusivement les intérêts de la politique arabe de la France, a maintenu une « Mission » à l’Elysée, malgré la nomination d’un Secrétaire général de l’UPM basé à Barcelone, nommé sur des critères dignes des doges de Venise: faible et influençable, sans pouvoir exécutif.

Les évènements sur la rive sud de la Méditerranée sont une opportunité pour la France de « lâcher prise » et de bâtir, avec tous les partenaires, un véritable espace de co-décision et de coopération. Le projet en gagnerait en crédibilité, et efficacité.

La création d’un secrétariat d’État aux Affaires méditerranéennes au Ministère des affaires étrangères permettrait d’illustrer cette volonté de relation assainie, et doter la France d’un outil diplomatique transparent, vers une région d’où elle a tant reçu culturellement, spirituellement et philosophiquement.

 

TM

La solitude à deux

Le sommet du G20 s’est achevé la semaine dernière sur un bilan en demi-teinte. Plus obscur que clair, oserait-on.  La Présidence du G20 a été annoncée et préparée en grandes pompes depuis des mois et sans doute les invités ont-ils apprécié le charme de l’hospitalité à la française et notre savoir-faire dans l’organisation de ces grandes conférences dont les thuriféraires semblent y projeter leur mélancolie du temps béni de la Société des Nations.

La volonté régulatrice est plus que louable mais ces grandes messes sont-elles adaptées à l’époque et notamment à la nécessité de traiter des sujets excessivement techniques (fluctuation des monnaies, régulation financière, protection des données et des brevets, réciprocité en matière commerciale, etc.)? Bref, dossier par dossier. Quant à l’importance de discuter entre-soi, on nous permettra de douter de la méthode à la vue du balai technocratique qui entoure ce barnum.

Cette année de présidence française du G20 est annoncée comme le signal d’une nouvelle régulation mondiale. Vous verrez ce que vous allez voir, nous promet-on! Soit, attendons mais nous ne paierons pas pour voir. Passons sur les commentaires peu conformes à l’usage de ceux qui affirment que les États-Unis ont œuvré pour la mise en place du G20 dans l’espoir de ne plus goûter aux collations provinciales auxquelles ils étaient, et demeurent, contraints lors des rencontres du G8. Sans céder à cette ironie, force est de constater que les États-Unis ont clairement favorisé au travers du G20 une dilution de ces conférences afin de ne décider qu’en bilatéral, soit entre États-Unis et Chine, en y ajoutant un ou plusieurs interlocuteurs au gré des discussions. Le procédé est du reste apparu flagrant en d’autres circonstances, dont les sommets de l’ONU sur l’environnement.

La réponse européenne à ce duopole est, comme de coutume, faible car divisée. MM Guaino, Védrine et autres hérauts de la real politik bon teint, nous promettent un rôle majeur du couple franco-allemand, dépositaire naturel de la puissance et de l’intérêt européens, pour apporter un souffle régulateur face au méchant laissez-faire anglo saxon et au dangereux mondialisme sauvage des Asiatiques. Or, pour l’instant, l’Europe semble marginalisée, et si la France et l’Allemagne ont parfois obtenu satisfaction, c’est surtout pour la place des virgules dans les conclusions des sommets dudit G20.

Car enfin, allons voir de l’autre côté du miroir dans lequel nous nous contemplons! Les autres puissances voient en nous un continent qui peine à concrétiser son unité politique, un ensemble écrasé par le poids de son histoire et une production politique asséchée. Il est de bon ton de taxer de naïveté les européistes mais force est de constater que ceux qui considèrent que l’Allemagne et France ont la taille critique pour exister au même titre que les deux grands se leurrent fortement. Oui, l’Europe incarne une troisième voie et, pour l’heure, elle a les moyens économiques de son ambition. Mais faute d’accepter le prix politique de son unité, elle s’enfermera dans un aveuglement aussi fat que mortifère.

 

JC

L’UE reste un géant économique et doit en tirer les conséquences

Le défaitisme économique semble aujourd’hui de mise en Europe: voilà quelques mois déjà que la presse a popularisé la notion de « G2 », suggérant le retrait de l’Europe de la conduite des affaires du monde, laquelle serait désormais dévolue à un directoire composé des États-Unis et de la Chine, leur usine et principal créancier.

L’Europe serait désormais reléguée au rang de puissance intermédiaire, sorte de grande Suisse vieillissante, condamnée à une lente mais sûre déchéance. S’il s’agissait de constater le déclin (relatif) de l’UE face aux émergents afin de susciter un sursaut en conséquence, ce serait alors chose heureuse. Mais faire preuve de résignation au motif que la bataille serait perdue est non seulement une erreur économique, mais aussi une faute quand cela implique de ne pas utiliser à bon escient les leviers dont l’Europe dispose.

C’est tout d’abord une erreur, car l’UE (à 27 États-membres) reste la principale puissance économique au monde: son PIB représente 26% du PIB mondial (chiffres FMI 2010), devant le PIB américain (24%) et loin devant le PIB chinois (9%). En matière commerciale, l’UE est également en tête (16% des exportations et importations mondiales de biens et services – source Commission européenne, 2009) devant les États-Unis (16% des importations, 13% des exportations) et la Chine (9% des importations, 11% des exportations). Ces chiffres illustrent une réalité qui diffère sensiblement de la doxa médiatique suivant laquelle l’UE ne serait qu’une zone périphérique dans les échanges mondiaux. Elle est au contraire la principale puissance exportatrice, ce qui démontre que sa compétitivité demeure, et importatrice, ce qui en fait un partenaire commercial incontournable pour les pays émergents.

C’est également une faute. Il ne s’agit certainement pas de se satisfaire de la situation, car ces parts de marché et les écarts de compétitivité se réduisent tous les ans. Mais c’est justement la raison pour laquelle l’UE doit, tant qu’il en est encore temps, prendre acte de sa puissance économique et s’en servir de levier pour peser de tout son poids dans les négociations commerciales, monétaires, énergétiques, environnementales…au niveau mondial. Qu’il s’agisse d’obtenir un flottement de la monnaie chinoise, des concessions énergétiques de la Russie, l’achèvement du cycle de Doha ou des conditions de réciprocité améliorées dans les échanges commerciaux, une meilleure coopération américaine en matière d’environnement…, l’UE peut non seulement faire entendre sa voix mais surtout obtenir beaucoup de ses partenaires, si ses membres acceptent les concessions nécessaires à un discours unique et cohérent. Ne pas saisir cette opportunité serait faire preuve d’un complexe d’infériorité regrettable.

JG

Intention ou inculture?

La France et l’Allemagne ont décidé de lancer une offensive pour conforter l’euro et chacun peut s’en réjouir. Les marchés attendaient sans doute un signe politique fort et Madame Merkel, puis Monsieur Sarkozy, ont compris que l’Union européenne ne pouvait pas se permettre un échec de l’euro.

Tant au plan financier que pour ce qui concerne le projet politique européen. Toutefois, on ne peut que s’interroger sur la méthode. La politique actuelle franco-allemande du « on décide, les autres suivront » est, pour l’heure, efficace car elle a le mérite de la réactivité. Néanmoins, c’est clairement une politique de courte vue. Les autres Etats de la zone euro, y compris les plus européens comme la Belgique, commencent à rechigner face à ce directoire d’un nouveau genre. Eternel dilemme démocratique entre efficacité et légitimité, argueront les plus optimistes. La chose est sans doute plus profonde. A force de détricoter ce qui est fait en commun, nous sapons la confiance mutuelle qui fonde la construction communautaire. Si nous continuons à marginaliser le jeu institutionnel, nous replongerons dans le système ex ante de concurrence entre les Etats avec la tentation de l’équilibre entre grands dont on connaît l’impasse.

Face à l’ampleur de la crise, l’Europe a besoin de pompiers et l’action des leaders français et allemand est salutaire. Mais gardons-nous de penser que les résultats obtenus, notamment en terme de coopération budgétaire, seront forcément pérennisés, faute d’ancrage institutionnel. L’un des principes d’organisation de l’UE, est de garantir que les engagements pris par les gouvernements ne soient pas tributaires des aléas politiques, dont les changements de majorité. Peut-on vraiment croire qu’un engagement de Monsieur Sarkozy en termes de contraintes budgétaires serait accepté et tenu si Madame Aubry et Monsieur Mélenchon formaient demain une coalition gouvernementale? Et quelle serait alors la réaction du partenaire allemand et des autres membres de la zone euro?

L’élément étonnant, dans cette politique, n’est pas la volonté des « grands » Etats de reprendre la barre après de nombreuses années de flottement où les « petits » Etats ont utilisé à plein les marges de manœuvre offertes par l’incertitude institutionnelle, et ce rarement dans le sens de l’intérêt commun. Ce qui frappe davantage l’esprit, c’est le sentiment d’inculture communautaire de nos dirigeants.  L’intégration a progressé mais les dirigeants nationaux demeurent ignorants du fonctionnement de l’UE. Plus grave encore, saut générationnel oblige, il n’y a plus guère d’appétence pour la chose communautaire, abstraction insoutenable en ces temps d’hyper factualisme médiatique. A l’heure où on évoque sans cesse la perte de savoir-faire dans nos industries, cela semble s’appliquer à nos élus. Travailler ensemble, visiblement on ne sait plus faire, et cela ne présage rien de bon pour le devenir de l’UE.

JC