Albionite

Le Royaume-Uni ne cessera jamais de nous étonner. Son puissant Ministre des Affaires étrangères, William Hague, homme talentueux et fieffé europhobe notoire, propose actuellement à son parlement un projet de réforme constitutionnelle visant à imposer un referendum pour tout transfert de souveraineté au sens large, y compris s’agissant de règles procédurales, en faveur de l’Union. Passons sur le délice très anglais d’une réforme constitutionnelle dans un Etat qui n’en compte guère. Ne considérons pas également l’hérésie d’une obligation de référendum dans un pays qui est étranger à la pratique plébiscitaire et où, en dehors des libertés publiques, le Parlement, et partant le gouvernement qui en émane, dispose traditionnellement d’une forte latitude. L’exaltation anti européenne justifie bien quelque entrave aux traditions de Westminster pourtant religieusement respectées.

L’essentiel est ailleurs, pour nous Européens. Le projet de réforme, s’il est adopté, va rendre très difficile toute modification des règles du jeu au niveau européen, sachant que pour toute modification du processus décisionnel, il y aura toujours une incertitude quant à la capacité du gouvernement britannique de s’engager sans procéder à referendum. Nous imaginons déjà les joutes politico juridiques qui menaceront toute velléité de réforme alors même que l’Union doit être plus réactive dans un contexte de crise(s) larvée(s) ; que diable, c’est pourtant aussi son inertie qui lui est reprochée par les europhobes! Le risque de blocage est réel. Dès lors, notre modeste et amical conseil au Thatcherite du Foreign Office est limpide: pourquoi s’embarrasser de tant de referenda, et d’une réforme contraire à la noble tradition parlementaire, alors qu’une seule consultation populaire suffirait: « souhaitez-vous que le Royaume-Uni demeure membre de l’Union européenne? »? Nous sommes à l’un de ces moments de l’histoire où les solutions, à défaut d’être simples, doivent être claires.

Comme rien n’est jamais évident chez nos amis Britanniques, au même moment Tony Blair, sans doute saisi comme nous tous par l’éclat de la présidence de Herman Van Rompuy, affiche, outre une candidature implicite, donc, une stature d’homme d’État en proposant une solution cette fois claire et précise: élire le président de l’Union au suffrage universel. Non, il ne s’agit pas d’un délire de fédéraliste attardé ni d’une proposition franco centrée d’un néo gaulliste en état d’indigestion nationale. Une telle proposition provient réellement d’un ancien Premier ministre de sa Majesté. Certes, il convient d’être prudent s’agissant d’un homme connu pour ses discours européistes flamboyants (La Baule, Birmingham, etc.) mais sans lendemains. De même, nous pouvons nous interroger sur la lassitude d’un homme qui a guerroyé sans cesse avec un parlement revêche et qui devait considérer non sans envie son alter ego, le président français directement adoubé par le peuple, comme autrefois Guillaume III observant jalousement l’absolutisme du régime de Louis XIV.

Toutefois, quelle qu’en soit la motivation profonde, la position de Tony Blair nous démontre à quel point la position britannique sur l’Europe est sans doute plus complexe que nous ne le percevons sur le continent. Margareth Thatcher et ses disciples, associés à Ruppert Murdoch et ses tabloïds orduriers, ont laminé le camp européiste, de Michael Heseltine à Kenneth Clarke, mais ils n’ont pas fait disparaitre le sentiment européen dans une partie de l’élite et du peuple britanniques. L’Union a tout à gagner de bénéficier de l’exceptionnelle culture politique anglaise. Il est néanmoins temps pour ce pays de rompre avec l’ambigüité mortifère qui caractérise sa position sur l’UE. Pour le bien de l’Union mais aussi pour celui du Royaume, celui-ci se représentant, politiquement, trop souvent le monde, et la relation spéciale avec les États-Unis, comme une photographie de l’Après-guerre. En somme, dépasser, respectueusement, Churchill comme les Français devraient laisser reposer en paix de Gaulle car ce n’est pas rendre hommage à ces grands Hommes que de figer leur peuple millénaire dans la mémoire. La brutalité de Hague, ainsi que l’inexpérience de son Premier ministre, nous offriront peut-être, par l’absurde, ce moment de vérité que tout européen peut souhaiter légitimement. Premiers ou pas, à vous de tirer, Messieurs les Anglais!

JC

Pour l’euro – réponse aux contempteurs de la monnaie unique

Un nombre croissant de voix se fait entendre pour appeler à une sortie de l’euro et à un retour au franc, qu’il s’agisse des hérauts de cette cause (Le Pen, Dupont-Aignan), d’économistes en mal d’audience (Saint-Etienne, Sapir) ou de pamphlétaires interlopes (Todd), taxant ses partisans de dogmatiques, mais arrêtant le plus souvent là leur analyse. Essayons justement de pousser cette analyse un peu plus loin.

Tout d’abord, les contempteurs de la monnaie unique comparent en général les avantages et les inconvénients respectifs liés à une monnaie européenne et à des monnaies nationales. Ce faisant, ils présupposent que supprimer l’euro (et retourner au franc) est l’opération symétrique du passage du franc à l’euro, comme si la France pouvait revenir à la situation de 1999 en refermant de manière quasiment neutre la parenthèse de l’euro. Or il y a une faille dans cette logique car la seule comparaison qui vaille est celle entre un avant (i. e. la situation présente) et un après (i. e. le retour à une monnaie nationale), puisque c’est le coût lié à l’abandon qu’il faut évaluer. Peu importe en ce sens que la France ait eu raison ou tort d’adopter l’euro et ce qu’il serait advenu de l’économie française: il s’agit maintenant d’un fait, et tout débat sur une autre base serait purement rhétorique.

Jouons cependant le jeu et essayons nous maintenant à un exercice de conjecture : que se passerait-il si la France quittait l’euro, comme le propose par exemple le programme du Front National ? Suivons la démarche de Frédéric Bastiat dans ses Sophismes économiques pour décrire « ce que l’on voit, ce que l’on ne voit pas« .

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Que veut l’Allemagne?

Les récentes prises de position de l’Allemagne, et singulièrement de sa chancelière, Angela Merkel, sèment le trouble en Europe. En effet, il est difficile de comprendre la cohérence des choix germaniques alors que ce pays, c’est peu dire, est crucial pour l’avenir du projet politique européen. Du reste, l’intitulé de cette tribune résonne comme un papier suspicieux de Jacques Bainville mais avouons-le, le malaise allemand, puisqu’il faut bien employer l’expression, n’est pas le moindre des symptômes de la crise européenne.

Passons sur le repli national de l’Allemagne que nous pouvons dater de l’accession au pouvoir de Gerhard Schröder. Autrefois profondément euro-centré, ce pays a connu depuis lors une phase d’euphorie nationale, en partie du fait de sa puissance économique et en partie du fait du renouvellement générationnel de la classe politique désormais libérée du spectre de la guerre. On peut regretter ce virage, beaucoup d’Allemands européistes le condamnent, car cela constitue un frein sérieux à la dynamique européenne. Toutefois, il s’agit aussi d’une normalisation saine, sanctionnant le long travail, remarquable et salutaire, d’introspection du peuple allemand. Peu de pays pourraient se vanter d’un tel effort critique. Par ailleurs, personne de sensé ne peut souhaiter perpétuer une culture de la culpabilisation dont on connaît les ravages (à cet égard le film de Michael Haneke, Le Ruban Blanc, offre une expression saisissante). La capitale, Berlin, aujourd’hui joyeuse, entreprenante et décomplexée est le visage flatteur de cette Allemagne nouvelle.

Cette évolution structurelle de la position européenne allemande serait acceptable si elle était utilisée dans un schéma clair et cohérent. Or, et la responsabilité en incombe particulièrement à Angela Merkel, l’Allemagne semble incapable d’assurer et d’assumer un leadership fort en Europe autre que l’effet mécanique de sa puissance économique et de sa représentativité démographique. Considérons trois crises récentes rencontrées par l’Europe et nous constaterons que l’Allemagne ne s’est pas montrée à la hauteur de ses capacités et de son ambition.

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De Minc à Braudel

Faut-il penser, à l’instar des « déclinistes », que l’Europe est foutue, cuite, râpée? Il est quand même assez triste de voir qu’il n’y a presque plus qu’Alain Minc pour défendre l’Europe en France. Et encore, il insiste surtout sur le « soft power » européen, ses valeurs, son incroyable espace de libertés et de tolérance. Dans son Petit coin de paradis, il dresse surtout un tableau assez noir au final de « l’Europe puissance », c’est-à-dire la capacité de l’Union à exister dans la bataille de l’innovation et du savoir, et dans la mondialisation, notamment face aux puissances émergentes. Or n’en déplaise au Conseiller en tout, à l’extérieur de nos frontières, l’Europe n’est plus forcément un modèle à suivre, et à adopter. Il n’y a qu’à voir, tout proche de nous, les anciens satellites du bloc de l’Est, qui rêvaient follement d’Europe il y a quinze ans, et qui aujourd’hui sont devenus pour beaucoup d’entre eux très europhobes. Observons les programmes des partis populistes pour sentir le vent d’euroscepticisme qui a gagné notre continent.

Le constat est toujours le même: un exécutif dispersé et sans envergure (il faudrait décidemment vite remplacer Mme Ashton), une Europe trop bureaucratique, technocratique et complexe qui ne fait plus rêver. Une Europe peut-être trop ancrée dans la réalité, légiférant sur la taille des concombres et la concurrence, mais incapable de définir un dessein cohérent à son existence. Et la paix est un rêve consommé pour les jeunes générations. Même Van Rompuy souhaite que l’Europe puisse « dépasser la technique et faire rêver »…

Il lui faut toujours une crise pour avancer: constitution européenne (2005), crise financière (2008) et crise de l’Euro (2010). Il lui manque toujours une vision stratégique, une identité politique (la vision delorienne de la fédération d’Etats-nations s’éloigne peu à peu), une défense et une politique étrangères communes. Car dans l’arène mondiale, elle se fait si peu entendre. Les dernières révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient l’ont cruellement montré. Triste Europe celle qui manque son rendez vous avec l’histoire, avec la Méditerranée dont Fernand Braudel avait magnifiquement montré l’imbrication des destins entre les deux rives. Même le lien transatlantique se dissout et l’Amérique d’Obama snobe notre Union, les yeux rivés sur le continent asiatique… L’Union européenne est décidemment toujours un nain politique sur la scène internationale…

CR

Désertion

L’affaire libyenne démontre une nouvelle fois le caractère inopérant de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. Ce véritable test pour la diplomatie européenne qu’on nous promettait unie et (ré)active a tourné à la bataille navale. Touché, coulé. La tragédie politique a révélé toutes les insuffisances du système en place. Tout d’abord, l’UE dont on connaît désormais le numéro mais dont on regrette que personne n’y réponde (où est donc la Haute Représentante? Les soldes sont pourtant bien terminées à Londres). Un quotidien britannique avait certes titré, au soir de sa nomination: « le Royaume-Uni a réussi à tuer le poste dès le premier jour ». Aujourd’hui même le Foreign Office est, paraît-il, embarrassé tant l’opération torpedo a réussi au-delà de tout espoir (europhobe), l’image du Royaume-Uni en étant désormais affectée.

Ensuite, les Etats, en partie à cause des silences de la Haute Représentante, en partie parce qu’ils désirent se faire entendre vaille que vaille, cèdent à la cacophonie. C’est, comme à l’accoutumé, la course au mieux-disant. Comment mettre d’accord vingt-sept positions nationales avec des traditions diplomatiques aussi disparates?  Faute d’autorité commune pour décider, nous sommes dans le forum permanent: parfait pour un organe législatif mais le hic, c’est que le Conseil décide et il doit le faire prestement en cas de crise comme c’est le cas actuellement avec la Libye. Et que dire de ce ballet désuet des délégations nationales qui se précipitent dans l’urgence à Bruxelles pour ce rituel obligé où chacun repart ravit après avoir constaté que rien n’a été décidé? Dans ce monde évolutif et instable, il est souvent difficile pour un exécutif de produire un message intelligible et fort, alors pensez-donc à vingt-sept! Que les Anciens se rassurent, le XXIe siècle semble avoir épargné l’Europe.

Enfin, les structures communautaires sont bien impuissantes à compenser cette vacuité politique de l’Europe. La Commission a déserté le terrain voilà bien longtemps et le Parlement ne peut que regretter l’état de notre diplomatie. Le système est toutefois tellement auto centré qu’il ne semble pas affecté par ce qui ressemble fortement à une impasse. Point de sanction, pour l’heure, mais gare au questionnement sur sa légitimité à l’heure des comptes!

Surtout, la crise libyenne laisse a minima un sentiment de malaise et, avouons-le, un sentiment de tristesse au regard de nos idéaux européens. Un fou furieux, à notre porte, massacre des civils, on n’ose dire son peuple tant il le martyrise, au moyen d’avions de combat et autres armes lourdes et nous restons les bras croisés. L’analogie avec la crise en Ex Yougoslavie dans les années 1990 est embarrassante: décidément les Européens n’apprennent rien de leurs échecs. Plus grave, au plan moral, il est dévastant de constater le silence des médias et de l’opinion publique européens après ce fiasco diplomatique. Certes, on s’habitue sans doute à la médiocrité. L’Histoire nous enseigne toutefois qu’il y a des inactions qui valent crimes.

 

JC